Homo sapiens, Google et la question

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Le désir de savoir à l'ère du numérique
Du point de vue extérieur de l'évolution, Homo sapiens se confond avec l'Homo faber, ses capacités cognitives étant avant tout pratiques, techniques, vitales, assurant sa conquête de la planète entière. C'est le plus avancé qui gagne sur les populations archaïques. Les enjeux de l'intelligence sont d'abord matériels, le savoir est un pouvoir. Cela n'empêche pas que, du point de vue subjectif, le savoir ne soit pas seulement utilitaire et qu'il y ait un désir de savoir détaché de son utilité, libido sciendi postulée par Aristote, curiosité futile mais propre à notre espèce. Sa définition de la philosophie (reprise du Théétète), comme venant de l'étonnement et des questions qu'il pose, peut être accusée d'édulcorer la dialectique socratique et le choc qu'elle a pu représenter, révélant non seulement notre ignorance et nos questions irrésolues mais, bien pire, qu'on se trompait avec arrogance à croire savoir ce qu'on ignore. En effet, à l'origine, il n'y a pas la vérité vraie ni un esprit vierge et un rapport direct au monde mais l'erreur, l'opinion, les préjugés, les mythes, des représentations fausses qu'il faut surmonter, pas seulement la pure ignorance. La recherche de la vérité n'est donc pas une activité innocente, ce que savent tous les pouvoirs qui s'en méfient, les enjeux en sont bien réels touchant au social comme au plus intime de notre être, mettant en cause nos croyances et nos appartenances religieuses ou politiques.

Le sérieux de la pensée, de la philosophie et de l'Histoire ne peut pas être nié. Pour autant, cela n'empêche pas qu'il y ait des pensées légères et purement distractives. Non seulement notre cerveau semble fait pour résoudre des problèmes, qu'il récompense du plaisir d'avoir trouvé, mais il semble en avoir besoin pour se maintenir en éveil et garder une activité incessante. C'est ce besoin qu'on peut dire biologique qu'il s'agit d'examiner ici et qui se manifeste par les divertissements les plus basiques (jeux de patience, réussite) destinés à tromper le terrible ennui qui nous ronge. Heidegger distinguait 3 sortes d'ennuis : 1) l'ennui ordinaire (de l'attente d'un train) quand on n'a rien à faire et qu'on cherche justement un passe-temps quelconque, 2) l'ennui mondain des soirées inutiles qu'on voudrait fuir et qui sont une perte de temps, 3) enfin l'ennui profond d'une vie qui n'a plus de sens, indifférente, sans désir, hors du temps et suicidaire à se soustraire au monde, sortir du jeu et de l'illusio, faisant la dure épreuve de la durée. L'ennui mondain serait plutôt lié au désir d'autres activités qu'à un manque de désir, mais, là aussi, reconnaître l'importance du désir ne doit pas empêcher de reconnaître dans l'ennui ordinaire, qui nous précipite dans le divertissement le plus insignifiant, un au-delà du désir, à condition de ne pas faire du divertissement ce qui nous empêche de penser à nous et à notre misérable existence, mais ce qui nous permet d'exercer nos facultés mentales. C'est en tout cas une partie de ce qui rend le travail désirable malgré sa pénibilité, et rend si invivable le chômage de longue durée ou les retraites inactives (et bien sûr la prison). Les dieux grecs eux-mêmes craignaient l'ennui, un temps sans histoire, et ce serait selon Hésiode la raison de la création du monde et de l'humanité, pour les divertir, de même que, dans la Bible, Eve est créée pour sortir Adam de l'ennui ! Vraiment, il n'y a rien de plus inhumain que l'ataraxie du sage qui ne se pose plus de questions et contemple de haut l'agitation du monde. Nous avons besoin de désirs, d'actions et de problèmes à résoudre.

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La politique à l’ère de l’Anthropocène

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Dans la foulée des éléments d'une philosophie écologique (d'une détermination par le milieu et non par le sujet), j'ai regroupé ici un certain nombre de textes qui en tirent les conséquences politiques en dénonçant l'idéalisme de nos illusions politiques (démocratique, révolutionnaire, volontariste, constructiviste, historique). Il ne suffit pas, en effet, de critiquer avec virulence la marche du monde vers l'abîme et toutes ses injustices pour y remédier. Il y a un besoin crucial de critique de la critique (de l'unité prétendue tout comme de l'opposition ami-ennemi ou la simple inversion des valeurs, ou le subjectivisme des critiques de la rationalité, de la réification, de l'aliénation, de la marchandise, etc.) de même qu'il faut critiquer toutes les solutions imaginaires qui viennent à l'esprit (prendre aux riches, supprimer l'argent ou la propriété, arrêter le progrès ou la croissance, augmenter les salaires, réduire le temps de travail, ne pas rembourser ses dettes, supprimer l'armée, se réapproprier les médias, une démocratie radicale, sortir de l'Europe, etc.). Pour retrouver un minimum d'effectivité, il faudrait ajouter à ces impasses, qui condamnent à l'impuissance et réduisent la politique au semblant, les prétentions délirantes d'une réforme de la pensée et d'un homme nouveau rêvés par le romantisme révolutionnaire et les utopies métaphysiques d'avant-gardes artistiques et philosophiques, sans parler de l'étrange sexo-gauchisme comprenant tout de travers l'incidence de la psychanalyse sur la politique, Freud et Marx se limitant mutuellement au lieu de laisser espérer cette libération des instincts harmonieuse attendue d'une révolution fantasmée - comme d'autres peuvent l'attendre d'une vie plus "naturelle".

Après avoir dégagé le terrain de tout ces mythes du XXè siècle, il faudrait se résoudre à ne plus surestimer nos moyens et prendre la mesure de ce qu'implique vraiment de changer de système de production pour avoir une chance d'y parvenir. Il ne s'agit en aucun cas de décourager l'action et prétendre qu'on ne pourrait rien faire mais, tout au contraire, des conditions d'atteindre un minimum d'effectivité. L'urgence écologique ne peut se satisfaire de nos protestations et de nos plans sur la comète d'un monde idéal mais nous impose une obligation de résultats concrets, même très insuffisants. Ce pragmatisme est méprisé à tort par les radicaux sous prétexte qu'il faudrait effectivement tout changer... si on le pouvait, mais le nécessaire hélas n'est pas toujours possible, dure leçon de l'expérience bien difficile à admettre.

L'autre facteur décisif, avec la globalisation, aura été en effet notre entrée dans l'Anthropocène, non pas tant au sens de sa datation géologique que de sa prise de conscience planétaire, entérinant la destruction de notre environnement et de nos conditions de vie. Ce souci écologique constitue un renforcement du matérialisme au détriment de l'idéalisme des valeurs et de la subjectivité, contrairement à ce que beaucoup d'écologistes s'imaginent. La responsabilité écologique n'est pas compatible avec les conceptions millénaristes de la politique et nous enjoint de passer de l'idéalisme utopique au matérialisme de la production, plus sérieusement que les marxistes eux-mêmes, ayant eu trop tendance, paradoxalement, à tout idéologiser (de l'hégémonie culturelle de Gramsci à la Révolution culturelle de Mao, ou la contre-culture post soixante-huitarde). Il s'agit de rétablir que l'idéologie n'est qu'un produit historique correspondant à l'infrastructure matérielle et aux rapports sociaux. Ce n'est pas la pensée qui façonne l'avenir, comme le plan de l'architecte projette à l'avance sa construction, c'est le temps historique qui change nos pensées et façonne le monde sans nous demander notre avis, monde qu'on ne peut reconnaître comme sien, comme celui que nous aurions voulu, mais dont la destruction par notre industrie nous oblige à réagir en partant de l'existant et du possible pour sauver ce qui peut l'être au lieu de ne faire qu'empirer les choses à prétendre désigner un coupable, bouc émissaire de tous nos maux, quelque nom qu'on lui donne (industrie, technologie, productivisme, capitalisme, financiarisation, croissance, globalisation, néolibéralisme, marché, concurrence, consommation, individualisme, domination, etc, cette accumulation suffisant à montrer qu'il n'y a pas de cause simple).

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Gérard Manset

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Gérard Manset reste à peu près inconnu à la plupart, ce qui est bien étonnant tant il a fait de très grandes chansons (mais il y en a aussi pas mal de moins bonnes). Contrairement à ce qu'on s'imagine de nos jous, si on fuit les médias, les médias ne viennent pas à soi !

Il faut dire que, un peu comme Brel, il n'y a certes pas beaucoup de chansons gaies (seulement 2 sur 13 ici) mais de la bonne musique à découvrir pour ceux qui ne connaissent pas (et à écouter fort).

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Sommes-nous déjà passés à l’économie administrée ?

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Il semble qu'on assiste à un décalage grandissant entre les discours et une réalité prenant, sans qu'on s'en soit aperçu, le contrepied de la situation précédente. Les récents plans de sauvetage de l'économie témoignent en effet par leur ampleur du fait que nous serions entrés, depuis la crise de 2008, dans une phase économique à l'antithèse du néolibéralisme précédent, celle d'une économie administrée par les banques centrales et d'un ordre mondial interconnecté devenu too big to fail. Alors même que la pandémie a fermé temporairement les frontières, faisant croire à un retour des nations souveraines, c'est au contraire la solidarité et la coopération économique qui devraient en sortir renforcées ?

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La cause des pandémies et des virus

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Pourquoi y a-t-il des virus plutôt que rien ? Pourquoi n'y a-t-il pas de vie sans virus, pas d'organisme sans système immunitaire pour s'en défendre mais pas non plus d'organisme qui ne soit infecté par des virus ? Il faut bien une forte raison.

Le statut des virus reste encore très incertain alors qu'ils sont omniprésents depuis l'origine. La question n'est pas de savoir si un virus est "vivant" mais de comprendre qu'il fait partie intégrante du vivant, qu'il en est un élément vital bien qu'extérieur, sorte d'information circulante auto-reproductrice pouvant transmettre des gènes mais régulant surtout les populations. Il y a des épidémies bactériennes comme la peste se substituant aux virus pour coloniser les corps et s'y reproduire mais, contrairement aux bactéries, les virus n'ont aucune autonomie par rapport aux espèces qu'ils infectent, dépouillés de toute la machinerie métabolique pour se réduire à leur reproduction par la cellule qu'ils pénètrent, incarnant ainsi une pure fonction reproductive soumise à la sélection naturelle de l'évolution. Surtout, les virus sont loin d'être un détail marginal du vivant et de simples parasites alors qu'ils sont plus nombreux que les bactéries elles-mêmes ("Les virus sont dix fois plus nombreux que les procaryotes et on estime qu’ils tuent la moitié des bactéries présentes sur Terre tous les deux jours").

Plus on descend dans les profondeurs océanes, plus les virus interviennent dans la mortalité des bactéries. Ils sont responsables de 16% de cette mortalité dans les sédiments côtiers, de 64% entre 160 et 1000 mètres, et de 89% au-delà. (La Recherche no 424, p17)

Ce fait trop méconnu illustre parfaitement leur rôle dans les profondeurs de l'océan : plus les ressources se font rares, plus il y a de virus dont la fonction principale, à l'évidence ici, est de réduire des populations qui deviennent trop nombreuses, évitant ainsi l'épuisement des ressources pouvant mener à l'extinction de l'espèce au sommet de son expansion. Un organisme sans virus qui en régule la reproduction ne fait pas long feu et peut disparaître après avoir tout dévasté (ça nous parle). Les organismes vivants ne sont jamais que les survivants des virus, qui eux-mêmes ne peuvent se reproduire s'ils éliminent tous leurs hôtes à être trop contagieux et mortels. C'est une question d'équilibre, résultat d'une coévolution sur le long terme et d'une sélection écologique (où des espèces peuvent disparaître avec leurs virus, ou des virus s'intégrer au génome, y apportant de nouvelles fonctions favorisant leur survie).

Il est important de bien mesurer le fait qu'un virus est presque toujours spécifique à une espèce, un récepteur (même s'il y a quelques passages d'une espèce à l'autre qui servent d'ailleurs à des transferts de matériel génétique entre espèces, ce qui est très important à l'échelle de l'évolution cette fois). C'est donc bien la densité d'une espèce qui se trouve régulée par les virus, ce qui est un facteur de conservation de la biodiversité en limitant l'explosion démographique d'une espèce par rapport aux autres, favorisant ainsi la complémentarité dans l'exploitation des ressources pour en maximiser la productivité biologique et la durabilité.

C'est à ce niveau de généralité qu'il faut situer la cause des virus et des pandémies, cause bien plus déterminante que la cause particulière de tel ou tel virus, la plupart du temps transmis par des animaux selon des conditions contingentes. Il y a toujours la tentation de trouver un coupable (chauve-souris ou pangolin) et d'idéologiser la question, en faire notamment la conséquence de notre destruction des milieux, intention louable de faire servir chaque catastrophe à une juste cause. Cela occulte cependant la véritable cause qui est la combinaison d'une surpopulation, notamment des mégapoles, avec l'intensification des transports longue distance, notamment par avion. On peut facilement vérifier comme la propagation de la pandémie a suivi les voies aériennes cette fois, alors que c'étaient les navires auparavant qui apportaient le bacille de la peste. Il est inévitable que des virus, en mutations constantes, finissent pas profiter de ces vecteurs de dissémination accélérée. On ne peut rêver s'en délivrer, seulement se préparer à la prochaine et renforcer nos défenses.

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Derrida, du phonocentrisme à la déconstruction des hiérarchies

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  La voix et le phénomène, 1967
Je trouve la lecture de Derrida très pénible, et encore plus dans ses innovations stupides comme de juxtaposer dans Glas deux textes sans aucun rapport, mais plus généralement par son caractère fuyant, insaisissable, si agaçant. Ce n'est pas pour rien qu'il est considéré comme un philosophe abscons et n'est pas sans rapport non plus avec les subtilités talmudiques voire cabalistiques mais auxquelles s'ajoute une propension à la dénégation (par exemple la préface de La dissémination qui se nie comme préface, tournant autour de l'impossibilité d'une préface !). La position de Derrida était en effet très ambiguë par rapport à la communauté juive dont il voulait se délivrer dans sa jeunesse pour ne plus être discriminé, ce qui ne l'empêchera pas d'en être profondément influencé mais en revendiquant dès son premier texte, une pluralité des origines qui guidera toute son oeuvre et lui permettra notamment de se distancer de Heidegger, dont il était si proche souvent, lui empruntant le concept de déconstruction qui fera sa gloire, mais justement pas pour revenir à une origine perdue et plutôt pour en brouiller les pistes et se soustraire à toute identification.

J'ai toujours été très critique envers ses positions, que ce soit dans ma période marxiste ou lacanienne. Il faut dire qu'il faisait partie de la race improbable des nietzschéens de gauche, avec Deleuze et Foucault ! Cependant, en dépit de mes préventions, je le considère malgré tout aussi incontournable que Heidegger et, en tout cas, le représentant le plus important de la French theory, bien plus que Foucault, sans même parler de Deleuze ! La voix et le phénomène (1967) qui est au fondement de son oeuvre ultérieure, et d'une facture plus classique, m'avait vraiment marqué. Au-delà de la critique de Husserl et de la métaphysique de la présence, sa déconstruction du signifiant et d'un certain structuralisme où le phonème se donne comme l'idéalité maîtrisée du phénomène (p87) constituait un pas essentiel justifiant d'y revenir pour faire le point. L'autre raison, reliée plus spécifiquement à mes derniers textes, tient à l'étonnement que sa contestation d'un langage réduit à la présence se soit incarnée dans l'écriture (sainte) alors que le récit en constitue une bien meilleure illustration à faire ouvertement référence à ce qui n'est pas là, recouvrant le réel et l'expérience immédiate de la chose même par des significations culturelles fictives.

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La science et la vérité

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Bien qu'ayant arrêté ma revue des sciences fin 2018, j'avais continué quand même à suivre l'actualité scientifique jusqu'au mois dernier mais n'y trouve plus assez d'intérêt, devenu trop répétitif, occasion d'en esquisser un bilan. Quand j'ai commencé, on était dans l'excitation d'une attendue convergence NBIC (entre Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique, Cognitif) suscitant toutes sortes de fantasmes qui ont eu le temps de se dissiper depuis, montrant qu'on s'emballe trop facilement alors qu'une découverte n'est jamais qu'à moitié aussi importante qu'on le croyait. Si les nanotechnologies sont partout, ce n'est pas la révolution attendue, pas plus que la biologie synthétique. L'Intelligence Artificielle, dont l'explosion a été sans doute l'événement principal de la période (avec les smartphones), va par contre certainement beaucoup plus bouleverser nos vies, mais si elle a bien fait des progrès spectaculaires avec le deep learning, il semble qu'elle atteint un seuil ne devant pas être dépassé avant longtemps. Surtout, le réchauffement climatique et l'écologie qui étaient ma préoccupation principale étaient sujets alors à des controverses qui n'ont plus vraiment cours, le GIEC ayant bien fait avancer les connaissances qui ne s'affinent plus qu'à la marge, confirmant l'urgence d'une transition énergétique qui est d'ailleurs en cours désormais.

Il serait absurde de prétendre que le progrès des sciences va s'arrêter alors qu'il n'y a jamais eu autant de chercheurs et de travaux publiés mais on est passé sans doute d'un moment d'effervescence et de changement de paradigme, à ce que Thomas Kuhn appelait la science normale, celle des petits pas et non plus des révolutions scientifiques. Le rythme des découvertes n'est pas constant et connaît des accélérations suivies de longues stagnations comme on l'a vu en physique par exemple, où une nouvelle révolution théorique est attendue en vain depuis des dizaines d'années pour résoudre les question fondamentales de la gravitation quantique et de la matière noire, entre autres.

J'évoquais d'ailleurs en 1994, dans mon "Prêt-à-penser", "La structure des révolutions scientifiques" de Thomas Kuhn, ainsi que la théorie des catastrophes, les fractales, les structures dissipatives de Prigogine et la théorie du chaos, qui étaient à la mode à l'époque, promettant des révolutions conceptuelles qui ont été ramenées depuis, là aussi, à des proportions plus modestes bien que restant importantes. Lorsque j'ai intégré le GRIT (Groupe de Recherche Inter et transdisciplinaire), en 2002, je me suis plus focalisé sur la physique, la biologie et la théorie de l'information ou des systèmes, puis de 2005 à 2018 j'ai donc fait une revue mensuelle des nouvelles scientifiques et ce que cela m'a enseigné, c'est surtout l'étendue de notre ignorance, loin de ce qu'on s'imagine de l'extérieur, notamment la nécessité de ne pas avoir d'opinions en science, presque toujours contredites par l'expérience, alors que les réseaux rendent si facile la manipulation des opinions et la diffusion de fausses nouvelles.

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L’insouciante tragédie de l’existence

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Il est irresponsable d'inciter les gens à chercher la vérité alors qu'il n'y a que la vérité qui blesse et qu'ils risquent de tomber sur le cadavre dans le placard. Rien de plus naïf que de s'imaginer qu'il suffirait de sortir de l'ignorance pour s'accorder sur ce qu'il faudrait faire et que tout s'arrange soudain. Il n'est pas étonnant que les religions prospèrent partout : c'est qu'à ne plus croire en Dieu, il n'est plus possible de diviniser l'humanité comme ont cru pouvoir le faire aussi bien les communistes ou nos républicains rationalistes que la plupart des philosophes. Que reste-t-il donc si on ne suit plus Hegel dans son épopée de l'Esprit, ni Marx dans son histoire sainte, ni Heidegger dans sa quête de l'Etre ?

Comment une conception écologique, reconnaissant nos déterminations extérieures qui nous font le produit de notre milieu, pourrait-elle garder une haute idée de l'humanité dès lors qu'on ne la croit plus maître de son destin ? Ce que l'accélération technologique rend plus palpable, c'est qu'au lieu d'être sortis de l'évolution, comme on nous l'enseigne, tout au contraire, c'est l'évolution technique qui nous a forgés et que nous continuons de subir de plus belle, loin d'en avoir la maîtrise, jusqu'à la modification de notre génome.

De plus, on est bien obligé de constater qu'en dépit de la haute opinion que nous avons de nous-même, l'Homo sapiens se montre si peu rationnel et si souvent inhumain - même s'il y a tout autant de gestes émouvants d'humanité. Il ne s'agit pas de noircir le tableau, il n'en a pas besoin quand la bêtise régnante s'étale partout, aussi bien sur les réseaux sociaux qu'en politique ou philosophie, nul n'en est à l'abri semble-t-il, mais au plus haut qu'on remonte on ne trouve qu'obscurantisme et l'absurdité des mythes ou de la religion de la tribu, justifiant souvent quelques cruautés au nom de grands mots et de l'ordre du monde. Il n'y a pas à s'en émerveiller.

Difficile, de toutes façons, de prétendre s'extirper par l'esprit de notre part biologique, animale, c'est-à-dire de notre destin de mortels qui ne nous grandit pas non plus dans les mouroirs modernes où l'on attend la mort sans aucun héroïsme. On peut toujours s'être illustré par de hauts faits, croire à la valeur de nos exploits passés et à notre haute moralité, à la fin, cela ne compte plus guère, mort presque toujours minable, aussi loin des clichés de Hegel que de Heidegger.

Nous ne nous réduisons certes pas à notre biologie et appartenons bien au monde de l'esprit, du sens, des idées et du récit de soi, mais revendiquer notre haute culture ne suffira pas à rehausser notre image quand elle ne fait que nous divertir de notre tragique réalité en nous racontant de belles histoires. Le plus trompeur, c'est de se croire toujours, par notre position, à la fin de l'histoire, du monde, de l'humanité pour en être les derniers représentants vivants. Par suite, l'Histoire a beau être pleine de massacres insensés, on fait comme si tout cela était du passé, comme si nous étions devenus maîtres et possesseurs de ce monde hostile par la force de la raison, heureux contemporains d'une fin radieuse, d'un dimanche de la vie où il ne devait se passer plus rien...

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Heidegger et la phénoménologie de l’existence (1925)

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La plupart des cours de Heidegger sont consacrés à l'histoire de la philosophie et la critique de la métaphysique, au nom de la différence ontologique entre l'Etre et l'étant qui le mènera à une forme de mystique. Ce n'est pas du tout le cas de ce cours de l'année 1925, bien qu'il était intitulé "Histoire du temps" car il n'en sera presque pas question. C'est pourquoi les éditeurs ont cru devoir le renommer "Prolégomènes à l'histoire du concept de temps", ce qui n'est guère mieux car, en réalité, il y a une première partie qui est une critique et une refondation de la phénoménologie débouchant sur une deuxième partie consacrée à la phénoménologie de l'existence qui en fait un de ses cours les plus intéressants, contemporain de la rédaction d'Etre et temps (paru en 1927) qui en reprendra l'essentiel. C'est, en effet, une de ses dernières tentatives de pratique de la phénoménologie et qu'il reniera d'ailleurs en partie, donnant trop prise pour lui à une anthropologie philosophique alors que c'est bien ce qui a fait tout le succès d'Etre et temps, inaugurant la période existentialiste dans laquelle il ne se reconnaissait pas du tout.

La position de Heidegger envers la phénoménologie est effectivement très ambivalente. Il avait été admiratif des Recherches logiques et était devenu l'assistant de Husserl qui l'incitera à faire une phénoménologie de la vie religieuse (1918-1921), ce qu'on peut considérer comme le précurseur de sa phénoménologie de l'existence, de la vie, en passant par une phénoménologie de l’intuition et de l’expression (1920) qui ira jusqu'à en faire une "Théorie de la formation des concepts philosophiques". Il passera cependant son temps à décrier la phénoménologie, notamment dans sa (si mal nommée aussi) "Introduction à la recherche phénoménologique" (1923-1924), dénonçant parfois violemment les banalités auxquelles elle aboutissait. C'est donc pour répondre aux insuffisances de la phénoménologie de Husserl qu'il élabore cette philosophie de l'existence, Etre et temps étant dédié à son maître en même temps qu'il l'abandonne. Son projet était effectivement de dépasser le subjectivisme de l'intentionalité et de l'ego transcendantal par l'ouverture du Dasein au monde extérieur et à l'historicité, par la primauté de l'attitude existentielle sur la théorie de la connaissance dominant toute la philosophie. C'est un apport considérable qu'on ne peut ignorer même si on ne peut oublier que cela ne l'a pas empêché de devenir un nazi convaincu et que ses descriptions évacuent la dimension morale et plus généralement le rapport à l'autre (au profit exclusif du "On" et "des autres" anonymes).

Surtout, y revenir permet de montrer qu'on gagne beaucoup à éclairer l'origine mystérieuse, "ontologique", de la temporalité du Dasein, par son ancrage dans le langage narratif (et pas seulement expressif ou communicatif), la prose du monde, le récit qui parle de ce qui n'est pas là et change complètement les perspectives existentielles de notre nature d'animal parlant ou de parlêtres, plutôt animal fabulateur ou mythomane, Homo demens comme Heidegger l'a honteusement illustré.

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Les mésusages de l’entropie

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L'entropie est l'un des concepts les plus fondamentaux de la physique. Il est cependant mal assuré. Qu'on songe que le minimum d'entropie peut être aussi bien attribué au zéro absolu qui fige tout mouvement dans une mort thermique qu'à la chaleur maximale du Big Bang avant son inflation la dispersant dans l'univers. Le problème vient du fait que, pas plus que la chaleur, l'entropie n'est une caractéristique individuelle mais qu'elle est toujours holiste, relative à un système et un point de vue sur celui-ci, exprimant le rapport entre deux états d'une évolution temporelle. On peut ainsi relier l'entropie à l'ordre, la différenciation, aux probabilités, donnant lieu, en dehors de la thermodynamique, à de multiples usages plus ou moins légitimes mais dont il faut être conscient des limites. De plus, il faut tenir compte de l'inversion locale de l'entropie qui est cette fois à la base de la biologie (et de l'information), exception qui confirme la règle. Ce n'est donc pas si simple. Si l'entropie est bien notre problème vital et qu'il nous faudrait passer de l'entropie à l'écologie dans de nombreux domaines (en corrigeant les déséquilibres que nous avons provoqués et en intégrant toutes sortes de régulations pour préserver nos conditions de vie), cela ne fait pas pour autant d'un tel concept quantitatif trop globalisant un concept politique opérant - pas plus que de tout ramener à l'énergie que beaucoup identifient un peu trop rapidement à l'entropie.

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Eléments d’une philosophie écologique (de l’extériorité)

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J'ai tenté de regrouper ici, pour un travail préparatoire, les éléments d'une philosophie écologique, d'une évolution déterminée par l'extériorité aussi bien matérielle et biologique, économique et technique, que sociale et culturelle.

Il faut partir des causes matérielles : écologie, économie, technique qui s'imposent à nous au moins sur le long terme, notre part de liberté étant locale, comme toute réduction de l'entropie. Un bref survol de l'histoire de l’homme, produit de la technique permet de mesurer comme l'évolution nous a façonnés, en premier lieu nos mains pour tailler la pierre, au lieu du développement d'une supposée essence humaine plus ou moins divine. La part de l'homme est celle de l'erreur, comme disait Poincaré du rôle de l'homme dans le progrès des sciences. Ce n'est pas qu'il y aurait pour autant une essence de la technique qui se déploierait de façon autonome quand elle est, là aussi, produite par son milieu, par le réel extérieur au-delà de la technique, ce pourquoi on ne choisit pas ses techniques pas plus que l'état des sciences ni celui du monde qui nous a vu naître. On est bien dans un pur matérialisme mais qui est écologique et non pas mécaniste, y compris pour le milieu technique.

Ce n'est pas non plus qu'il y aurait une harmonie préétablie entre l'homme et la technique, pas plus qu'entre nous et le monde. Comme dit René Passet "La loi des milieux naturels et humains n'est pas l'équilibre qui les fige, mais le déséquilibre par lequel ils évoluent" (p901). Avec le vivant se produit une scission dans l'être par son opposition locale à l'entropie universelle, vie définie par Bichat comme "l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort". Un se divise en deux, c'est la loi du vivant et de sa différenciation, l'unité brisée se reconstituant en unité de l'organisme confronté à son extériorité en même temps qu'il en est le produit. Tout organisme est inséré dans son milieu tout en y étant séparé ("Au sens ontique, le monde est l'étant que le Dasein, qui est au monde, n'est manifestement pas lui-même", étant l'objet de sa préoccupation. p245). C'est ce dont témoigne l'information supposant la division de l'émetteur et du récepteur, d'un savoir qui n'est pas inné et de la possibilité de l'erreur au principe de la sélection naturelle. Il faut rapprocher théorie de l'évolution et théorie de l'information dans un monde changeant et incertain, incertitude de l'avenir sans laquelle il n'y a pas d'information qui vaille, avec toutes les conséquences qu'on peut tirer d'une philosophie de l'information inséparable de nos finalités mais qui nous coupe de la présence immédiate, fondant plutôt une éthique de la réaction et de la correction de nos erreurs. Nous agissons toujours dans un contexte d'informations imparfaites, un peu à l'aveuglette, soumis au verdict du résultat final, dans le temps de l’après-coup qui n'est ni la présence du présent, ni la fidélité au passé, ni la projection dans l'avenir mais le temps de l'apprentissage, de l'adaptation et des remises en cause. Ce temps de la culpabilité et des remords rejoint les vieux principes de la prudence et d'une bonne méthode expérimentale, témoins là encore de l'extériorité du monde que nous avons à découvrir et de la prédominance des dures leçons de l'acquis sur l'expression d'une nature innée. Un cerveau a besoin d'interactions pour se développer mais la détermination écologique n'est pas pour autant immédiate, nous réduisant à un simple reflet de l'extérieur, se déployant au contraire sur une pluralité de temporalités (génétique, historique, cognitive, psychologique, intersubjective, locale, etc). Un nouveau survol historique suffit à montrer comme une telle philosophie écologique, d'une détermination par le milieu, par l'extériorité au lieu du développement d'une intériorité ou d'une essence humaine originaire, prend à rebours la plupart des philosophies (en dehors de Canguilhem notamment pour qui la vie est assimilation), aussi bien leur idéalisme ou essentialisme qu'un matérialisme mécaniste ou un biologisme vitaliste.

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Retour à la normale

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On n'en est certes pas encore à un retour à la normale qui devrait être très progressif mais beaucoup s'imaginent que cela n'arrivera pas, soit que l'état d'exception durera toujours, soit qu'on verrait la fin du capitalisme, du néolibéralisme, de la mondialisation, du productivisme. Devant le désastre, on nous appelle de toutes part à repenser le monde, comme si le monde dépendait de nos pensées alors que c'est plutôt le monde qui nous pense, pourrait-on dire, et nous oblige à réagir en bousculant nos sociétés et nos habitudes. Même des économistes parmi les plus conformistes tombent dans le panneau, comme au moment de la crise de 2008... On a vu la suite. Evidemment, il y aura des changements importants dans quelques secteurs, sans doute une relocalisation de productions vitales voire, espérons-le, une relance des protections sociales mais cela devrait rester assez modéré et s'épuisant d'années en années. Par contre, la reconfiguration économique autour du numérique devrait s'accélérer car, loin d'être un "choix de société", c'est un mouvement irrésistible déjà bien entamé.

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Etat d’urgence

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Certains, comme Agamben, se ridiculisent en assimilant l'état d'urgence sanitaire actuel à l'état d'exception de Carl Schmitt et un déchaînement de l'arbitraire du pouvoir. Sa nécessité est niée pour une pandémie dont la dangerosité ne justifierait pas des mesures si radicales alors qu'elles s'imposent par la rapidité de la contagion et la saturation des hôpitaux qui s'ensuit. On n'est pas loin des théories du complot absurdes pour lesquelles le pouvoir étant l'incarnation du mal, il ne peut rien faire de bon. Il n'y a pas que l'extrême-droite qui délire, au lieu de relever justement la radicalité du moment et l'effraction de l'événement dans notre quotidien.

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Le récit de soi

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Je m'étais déjà interrogé sur l'oubli du récit (plus décisif que l'oubli de l'Être qui le recouvre) et singulièrement dans le structuralisme, issu pourtant de la morphologie des contes. Alors même qu'on ne parlait partout que d'analyse du récit, son démontage pas plus que son contenu informationnel ou sa valeur d'énonciation, ne semblait prendre assez en compte la fonction première de la narration qui est de parler de ce qui n'est pas là, d'un monde lointain dans l'espace et le temps, monde virtuel au-delà de nos sens qui est pourtant posé par le langage comme monde commun et nous rattache à l'Histoire, au grand récit de l'histoire du monde tout comme au monde des morts qui nous hantent. Il ne s'agit pas seulement de mots, de signe, de désignation, de trace ni de structure, pas plus que l'idéologie serait une simple question de valeurs alors que c'est une mise en récit - voire comme dit Ricoeur, une mise en intrigue. Le langage narratif qui nous humanise ne se réduit pas au lexique et un jeu de différences ni même à la parole adressée à l'autre quand il est fait pour raconter des histoires.

Après avoir substitué à l'essentialisme identitaire, dominant la philosophie depuis Platon, une philosophie écologique insistant sur la détermination par le milieu (et donc l'extériorité), il ne faudrait pas négliger pour cela l'incidence du langage narratif car, là aussi, le développement de l'enfant ne procède pas de l'individuel au social mais du discours social à l'individuel comme l'a montré Lev Vygotski. De quoi remettre en cause cette fois la propension de la philosophie à se focaliser sur le rapport sujet-objet, voire sur le dialogue avec l'autre, au lieu du rapport sujet-verbe, pourrait-on dire, celui du héros de l'histoire. Les faits doivent être à la fois réinsérés dans leur contexte global et la continuité d'une histoire, tout en dénonçant par cela même le caractère factice de cette continuité et l'illusion du continu créé par le récit où le réel extérieur fait effraction, obligeant à chaque fois à ré-écrire l'histoire pour retrouver le fil. Ainsi, du simple fait qu'il parle, l'Homo sapiens est un esprit crédule et Homo demens tout autant, ce qu'illustrent les mythes, les religions, les idéologies et la politique en général. C'est un homme divisé, schizoïde, qui vit dans le mensonge des belles histoires qu'il se raconte (sur la nation, la démocratie, la révolution, le progrès, l'amour, etc.), tout en assurant efficacement ses tâches pratiques et en sachant parfaitement compter ses sous.

Les philosophies de la connaissance ou de l'intersubjectivité interrogeant l'être de l'objet, sa présence, ou l'interaction vivante avec l'interlocuteur, ratent l'expérience effective de l'être parlant. Le monde qu'il habite n'est justement pas celui de l'immédiateté naturelle d'un être-là, d'un supposé réel de la vie, d'un retour aux choses mêmes, c'est un monde historique à la temporalité étendue, monde de positions fictives (bien qu'effectives) et de personnages imaginaires, monde culturel enfin avec ses mythes (que tentent de déconstruire les cultural studies avec d'autres récits). Cela touche au plus intime, si l'on en croit La Rochefoucauld remarquant qu'"Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour". Il ne s'agit pas pour autant du développement naturel d'une tradition particulière et de simplement "se-décider pour l’avenir à partir de l’être-été", fidélité aveugle prônée par le nazi Heidegger, comme si on parlait d'un parcours réel en ligne droite. La vérité, c'est qu'on se plie aux différents jeux de rôle qui nous sont assignés par l'organisation sociale et les mythes qui la justifient mais devront changer brutalement sous les assauts extérieurs qui rendent soudain caduc l'ancien storytelling, redistribuant les cartes. Impossible pour autant de sortir d'un récit de soi à la fois individuel et collectif sans devenir fou, hors discours, ce n'est pas rassurant mais, du moins pour ne pas croire trop naïvement aux grands récits idéologiques, il ne serait pas mauvais d'être un peu plus conscients du caractère structurant et partial du récit, recouvrant la vérité historique qu'il prétend dévoiler et qui est donc d'abord récit de soi, nous situant dans les récits collectifs, à la fois dans notre passé et nos visions d'avenir.

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Les écologistes ont une obligation de résultats

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Les militants politiques y compris écologistes, restent pris la plupart du temps dans l'imaginaire du XIXè, sans intégrer encore le complet renversement opéré par la question écologique, même par rapport au combat toujours nécessaire contre les injustices - sans parler de l'utopie d'un monde idéal. En effet, l'affaire du siècle n'est plus désormais celle d'un progrès historique futur, mais, qu'on le veuille ou non, l'urgence de limiter la casse devant le désastre annoncé.

Le militant pour la justice ou l'idéal peut bien échouer, sa bonne volonté plaide pour lui, confiant que l'avenir lui donnera raison. Dans ce cadre, se battre pour des causes perdues garde un côté héroïque gratifiant pour notre narcissisme. On peut penser que, même si la révolte est écrasée, le prolétaire y a gagné en dignité, sortant de sa condition d'instrument dans la fraternité exaltante des camarades de lutte.

Pour un écologiste soucieux de l'état de la planète, c'est très différent car il ne suffit pas de vaines rêveries, ni de vivre des bons moments entre nous, il faut empêcher l'irréversible et ce qui est perdu sera perdu pour toujours. Comme lorsqu'on est en guerre, cette contraction du temps, qui rend les toutes prochaines décennies décisives et bouche l'horizon, exige de suspendre nos projets à très long terme et n'a que faire des bonnes intentions, ni même d'une simple obligation de moyens, chacun faisant ce qu'il peut, quand il s'agit de responsabilité collective et qu'on a une obligation de résultats.

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Pause – en attendant les municipales

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Il fut un temps où j'étais à peu près le seul en France à défendre une écologie révolutionnaire, qui me semblait, non sans raisons, la seule façon d'éviter le pire, et ce qui me valait une certaine audience, surtout bien sûr auprès des écologistes radicaux mais pas seulement. Prenant la question très au sérieux tout mon travail depuis aura été de trouver les voies d'une alternative effective mais finira par déboucher sur le constat de l'impossibilité d'une révolution globale dans ce monde marchandisé - et donc constat de mon échec comme celui de toute une génération trop sûre d'elle, qui n'a servi à rien ou presque et n'a pu empêcher le désastre actuel. Il ne suffit pas d'avoir raison pour changer le monde, encore moins pour en faire un monde idéal.

Depuis que je suis devenu plus réaliste devant l'urgence, j'intéresse beaucoup moins, surtout ceux qui n'en veulent rien savoir, se croyant bien plus radicaux que moi, rêvant d'utopies imaginaires et proclamant vainement leur anti-capitalisme à l'époque où le capitalisme achève sa mondialisation sur les ruines du communisme (réellement existant de mon temps). On peut suivre sur mon blog tout mon cheminement critique pour sortir des illusions de l'idéologie et ne plus surestimer nos moyens mais reconnaître les causalités matérielles bien plus puissantes que nous, nous obligeant à des stratégies plus modestes. Il faudrait sans aucun doute sortir du capitalisme mais c'est hors de notre portée avant longtemps, on ne peut y compter pour nous sauver, changer de système de production exigeant beaucoup de temps et se révélant bien plus compliqué qu'on ne le prétend au niveau global.

Il n'y a que deux stratégies possibles :

- Conquérir des majorités le plus vite possible pour un Green New Deal, ce qui implique de suivre les scientifiques et un consensus sur des mesures limitées mais massives et vitales.

- Sur le plus long terme mais à une échelle réduite, s'engager dans des alternatives locales.

Tout le reste est baratin. Pour répondre au réchauffement dans l'urgence, seul la transition énergétique, la reforestation, l'agroécologie et la capture du CO2 peuvent limiter l'aggravation de la situation globale, même si on reste dans une économie capitaliste insoutenable. Pour restaurer les milieux, la biodiversité, le développement humain, sortir du capitalisme salarial (changer le travail, changer de vie), il n'y a pas d'autre voie que le local. D'une certaine façon, on peut dire qu'il n'y a pas d'alternative pour limiter les destructions écologiques de notre mode de production, il faut un agir local associé à une pensée globale. Si on pouvait faire mieux, on le ferait, mais il ne sert à rien de se raconter des histoires.

Mes conditions de vie actuelles ne me permettant plus d'alimenter le blog, j'ai donc regroupé ici les principaux textes sur les alternatives écologistes sans doute encore trop utopiques mais qui, en cette période de municipales, pourront peut-être en inspirer certains localement et en éprouver la faisabilité (certainement difficile) ou en proposer d'autres versions plus praticables (moins ambitieuses).

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La dignité de l’homme (et de la femme)

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Pic de la Mirandole (1463-1494) n'est plus guère connu que par son nom et sa prétention de couvrir tous les domaines du savoir de son époque - à seulement 24 ans - mais je me souviens avoir lu avec un certain enthousiasme le début de son discours sur la dignité de l'homme (Oratio de hominis dignitate) qui introduisait ses Neuf cents thèses philosophiques, théologiques et cabalistiques, y trouvant exprimé merveilleusement la conception de l'homme comme liberté et self made man, créateur de soi-même, sans nature propre, qui sera exaltée jusqu'au marxisme et l'existentialisme sartrien, conception profondément ancrée dans notre culture hypermoderne avec l'idéologie individualiste et méritocratique qui rend chacun responsable de ce qu'il aurait choisi d'être mais qui a l'avantage de ne pas tenir à une essence quelconque (de race, de pays ou de caste).

Dès qu'on l'examine, cette conception religieuse universellement appréciée apparaît cependant non seulement délirante mais capable de nous rendre coupables de ce qui ne dépend pas de nous pourtant - l'esclave coupable de son esclavage, le malade coupable de sa maladie - en plus de magnifier une capacité créatrice très surestimée de nos jours. Surtout, si nous devions notre dignité à cette liberté idéalisée, il faudrait, comme Nietzsche, rejeter dans une sous-humanité, voire la bestialité, ceux qui ne sont pas à la hauteur, peuple maudit accusé d'être enfermé dans le matériel et la soumission. Le fait que Pic de la Mirandole ait fricoté avec Savonarole aurait dû éveiller un peu plus les soupçons, mais on sait comme la jeunesse aime le fanatisme, et puis son étrange brouet mêlant les religions juives et chrétiennes à Zarathoustra et aux Chaldéens comme à Platon ou Aristote, semblait un gage de tolérance au nom de l'unité des religions et d'une philosophia perennis largement imaginaire.

Revenir à son expression initiale pour la déconstruire obligera cependant à trouver ailleurs que dans cette fabuleuse autonomie et autoproduction revendiquée, ce qui fait vraiment la dignité de l'homme... et de la femme, car il est significatif qu'un homme libre n'ait pas le même sens qu'une femme libre - et il n'était pas question en ce temps là d'aller jusqu'à choisir son genre.

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Introduction à une philosophie écologique

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Il est sans doute contestable d'appeler philosophie ce qui ne promet aucune sagesse, philosophie sans consolation s'affrontant à une vérité déceptive et qu'on pourrait appeler à meilleur escient une anti-philosophie. Parler de philosophie écologique paraîtra tout autant spécieux par rapport à ce qu'on entend généralement sous ce terme puisqu'à rebours de l'unité supposée du vivant, il sera question ici de ses contradictions et d'un dualisme irréductible, d'une détermination par le milieu, par l'extériorité au lieu du développement d'une intériorité ou d'une essence humaine originaire. La question n'est donc plus celle de notre identité éternelle mais de notre situation concrète, d'une existence située qui précède bien notre essence, ce qu'on est et ce qu'on pense (conformément à l'ethnologie et la sociologie). La difficulté est de reconnaître le primat des causes matérielles en dernière instance (après-coup), opposant le matérialisme notamment économique à l'idéalisme volontariste, cela sans pour autant renier la dimension spirituelle et morale, le monde du langage et des récits, dualisme non seulement de la pensée et de l'étendue, de l'esprit et de la matière, du software et du hardware, mais de l'entropie et du vivant anti-entropique, du monde des finalités s'opposant au monde des causes, division de l'être et du devoir-être sans réconciliation finale. Ce matérialisme (ou plutôt réalisme) dualiste s'ancre à la fois dans l'évolution biologique ou technique et dans une philosophie de l'information et du langage, philosophie actuelle, qu'on peut dire post-structuraliste et reflétant les dernières avancées des sciences et des techniques (informatiques et biologiques) mais aussi la nouvelle importance prise par l'écologie en passe de devenir le nouveau paradigme du XXIème siècle.

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Incertitudes climatiques et marchands de doute

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Les nouvelles du climat vont de pire en pire, réfutant la relative modération des prévisions précédentes qui se voulaient raisonnables. C'est bien le pire des scénarios qui était le plus réaliste, avec le développement des pays les plus peuplés (comme l'Inde) et les populistes climato-sceptiques au pouvoir, ce qui atteste du déficit de gouvernance mondiale qui serait nécessaire pour réduire nos émissions, les prochaines années étant cruciales. On n'évitera donc pas des bouleversements climatiques catastrophiques, même si ce n'est pas la fin du monde, encore moins de l'humanité.

Il y aurait de quoi baisser les bras si des actions n'étaient en cours aussi bien sur le front de la reforestation que des énergies renouvelables (solaire, éolien). Il est remarquable que, pour la première fois, les combustibles fossiles sont au coeur de la campagne électorale américaine. Il faut dire que l'énergie verte procure déjà 10 fois plus d'emplois aux USA que les énergies fossiles (fuel, charbon, gaz). Certes, tout cela reste pour l'instant trop insuffisant pour faire autre chose que d'atténuer les conséquences du réchauffement mais c'est déjà ça et il faut tout faire pour accélérer le mouvement.

Ce n'est peut-être pas assez apparent pour le public mais il est frappant de voir comme cette accumulation de mauvaises nouvelles a provoqué, depuis moins d'un an, un regain de mobilisation des scientifiques devant l'aggravation de la situation, se focalisant désormais sur l'étude des solutions après avoir travaillé à réduire les incertitudes des modèles climatiques. C’est d'ailleurs le moment où un rapport intitulé "How the fossil fuel industry deliberately misled Americans about climate change" montre que les entreprises pétrolières connaissaient très bien les dangers de leurs émissions de CO2 mais finançaient les climato-sceptiques et la désinformation, polluant le débat en exagérant les incertitudes qui sont effectivement très grandes et pouvaient motiver une certaine retenue des scientifiques - ce qui n'est pas le cas des climato-sceptiques qui ne sont pas du tout sceptiques mais sont au contraire absolument certains d'une vérité alternative et qu'il n'y aurait pas de réchauffement anthropique seulement un cycle naturel !

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Marie Laforêt

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Je l'ai toujours trouvée très sous-estimée, n'ayant pas eu la reconnaissance qu'elle méritait, surtout pour les chansons traditionnelles qu'elle chantait merveilleusement. Difficile de faire un choix il y a des dizaines de très bonnes chansons...

"Pour te donner ce que je veux t'offrir il me faudra le temps, le temps de réfléchir" !

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