Introduction à une philosophie écologique

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Il est sans doute contestable d'appeler philosophie ce qui ne promet aucune sagesse, philosophie sans consolation s'affrontant à une vérité déceptive et qu'on pourrait appeler à meilleur escient une anti-philosophie. Parler de philosophie écologique paraîtra tout autant spécieux par rapport à ce qu'on entend généralement sous ce terme puisqu'à rebours de l'unité supposée du vivant, il sera question ici de ses contradictions et d'un dualisme irréductible, d'une détermination par le milieu, par l'extériorité au lieu du développement d'une intériorité ou d'une essence humaine originaire. La question n'est donc plus celle de notre identité éternelle mais de notre situation concrète, d'une existence située qui précède bien notre essence, ce qu'on est et ce qu'on pense (conformément à l'ethnologie et la sociologie). La difficulté est de reconnaître le primat des causes matérielles en dernière instance (après-coup), opposant le matérialisme notamment économique à l'idéalisme volontariste, cela sans pour autant renier la dimension spirituelle et morale, le monde du langage et des récits, dualisme non seulement de la pensée et de l'étendue, de l'esprit et de la matière, du software et du hardware, mais de l'entropie et du vivant anti-entropique, du monde des finalités s'opposant au monde des causes, division de l'être et du devoir-être sans réconciliation finale. Ce matérialisme (ou plutôt réalisme) dualiste s'ancre à la fois dans l'évolution biologique ou technique et dans une philosophie de l'information et du langage, philosophie actuelle, qu'on peut dire post-structuraliste et reflétant les dernières avancées des sciences et des techniques (informatiques et biologiques) mais aussi la nouvelle importance prise par l'écologie en passe de devenir le nouveau paradigme du XXIème siècle.

La référence aux sciences est essentielle mais à l'opposé du scientisme et du rationalisme précédent comme de la confiance aveugle dans le progrès, c'est une science qui a découvert les limites de sa connaissance (de la physique quantique aux systèmes complexes et non linéaires, de l'information imparfaite aux biais cognitifs et aux idéologies). On peut dire que les sciences ont retrouvé l'ignorance et le questionnement qui sont au principe de la méthode scientifique de vérification. Il y a bien accumulation de savoirs effectifs, dont il n'est pas question de faire table rase comme Descartes a pu le faire avec la scolastique, mais chaque découverte peut être contredite (c'est flagrant en archéologie, moins en physique). Des études scientifiques continuent à réfuter d'anciens principes admis jusqu'ici. Les sciences ne peuvent donc se prévaloir d'une vérité dogmatique mais seulement de représenter un état des savoirs effectifs en progrès. Si les sciences ne peuvent prétendre à des vérités éternelles, elles contredisent par contre systématiquement les préjugés, les savoirs hérités et les récits mythiques. Au lieu de renforcer nos convictions intimes, elles sortent du langage et du monde vécu en se mathématisant, nécessaire coupure épistémologique pour sortir de l'idéologie en vérifiant les faits. Etant toujours contrariantes, les sciences sont accusées par les croyants de vouloir dicter leur loi alors qu'elles incarnent plutôt la nécessité de l'enquête, de ne pas avoir les réponses d'avance sur un réel qui reste extérieur. Ce qu'on trouve n'est jamais ce qu'on cherchait, toute découverte étant inattendue, sinon ce n'est pas une découverte qui par sa nouveauté oblige, comme tout apprentissage, à réviser ses anciennes conceptions.

Cette attitude anti-dogmatique autant qu'anti-sceptique d'un savoir en progrès, qui n'est pas inné mais découverte d'un réel extérieur, nous relie aux débuts de la philosophie avec Socrate bien que, dès Platon, les différentes philosophies auront tendance à se dogmatiser, tentatives de combler l'ignorance première reconnue. Il est ainsi primordial de toujours revenir à l'ignorance socratique pour se défaire des faux savoirs mais, bien sûr, on ne peut plus donner crédit à son assurance de l'immortalité de l'âme qui lui fait accepter sa condamnation à mort. Justement, bien distinguer ce qui oppose une philosophie écologique à celles du passé et ce qu'on peut en retenir peut être utile pour mieux en percevoir les conséquences (ce survol rapide complétant fort bien ma petite histoire de la philosophie).

Platon est parti de cette immortalité supposée sur le mode des vérités mathématiques pour imaginer le monde des idées ou des formes au-dessus de nous, ce qui a été critiqué immédiatement par Aristote et n'est plus tenable mais introduisait un dualisme essentiel entre l'esprit et la matière, entre les vérités éternelles de la géométrie et les contingences de la matière, ce qui n'implique pas l'existence séparée des idées (éternelles et u-topiques, sans égard au temps ni au lieu), pas plus qu'il n'y a d'information en-soi ni d'immatériel qui n'ait un support matériel (parole, écrit, numérique). L'essence ici précède absolument l'existence, n'ayant plus qu'à s'incarner.

Bien qu'Aristote ait suivi les cours d'Eudoxe sur les proportions, il n'était pas du côté des mathématiques mais plutôt de la rhétorique (qu'il enseignait à l'Académie) et du biologique (de l'observation). C'est pourquoi il a été représenté pointant vers la terre et une réalité à décrire quand Platon se tournait vers le ciel et l'idéal d'un Bien suprême. Aristote est incontestablement la base de toute la philosophie suivante, recueillant le travail de l'Académie de Platon, pendant les 20 ans qu'il y a passé, mais dépouillé de son mysticisme et du totalitarisme de sa République (excès déjà de rationalisation). Son plus grand apport avec la logique et le syllogisme, est sans doute d'avoir dégagé les 4 causes (efficiente, matérielle, formelle, finale) où la cause finale est au principe de l'activité et de l'intelligibilité. On lui reprochera souvent ce finalisme qui reste cependant essentiel en biologie et qu'on retrouvera dans l'intentionalité phénoménologique. Il a certes fallu s'en débarrasser en physique et la redéfinir dans l'évolution biologique où la finalité résulte de la sélection après-coup, produit du milieu donc, de son apprentissage et non d'une volonté propre. Le fait de doter tout phénomène d'une finalité utile revient cependant à justifier l'ordre établi, ce qui lui inspirera des rationalisations hasardeuses de la domination du maître sur l'esclave comme de l'homme sur la femme (ou l'enfant). Pour Aristote, le finalisme se prouve par l'existence de monstres qui ne sont pas viables mais cette focalisation sur les espèces animales nourrira une conception qu'on peut dire raciste de la génération comme développement d'un programme interne, d'une idée, d'une forme immanente (innée), et non plus transcendante (acquise), puissance qui passe à l'acte, entéléchie (parachèvement) supposée atteindre pleinement sa finalité, comme si elle ne rencontrait pas un réel qui lui résiste et la change. C'est ce qu'on retrouvera dans bien d'autres philosophies et semblera même entièrement confirmé par la découverte de l'ADN et d'un "programme génétique" occultant le rôle décisif de l'environnement et de la sélection par le résultat (une sorte de chien pouvant devenir baleine à forme de poisson par convergence évolutive et non de par sa nature propre).

Aristote s'est imposé pendant des siècles, curieusement surtout aux théologiens alors même qu'il réfutait l'immortalité de l'âme et que son dieu rationnel, réduit à la cause première du mouvement, n'avait rien d'un dieu personnel ni moral. On peut dire que la scolastique l'a dogmatisé (après les stoïciens) mais on avait là un sommet du savoir rationnel avant le stade véritablement scientifique. Celui-ci commence avec Galilée et la mathématisation de la physique soumise à l'expérience mais contredisant notre propre expérience (du soleil ou de la gravité). Descartes n'est au fond que le symptôme de la pénétration de la science dans la philosophie, renvoyant la scolastique à une préhistoire de la pensée. En bon mathématicien, créateur de la géométrie analytique, on lui doit une ferme réaffirmation du dualisme de la pensée et de l'étendue mais prétendant par là soustraire le libre-arbitre et la pensée à la causalité mécanique gouvernant la matière. Il a incontestablement servi à renouveler les réflexions mais a propagé bien des illusions sur la liberté et la raison, prouvant par ses déductions hâtives qu'il ne suffit pas de faire appel au bon sens partagé ni aux idées claires et distinctes pour ne pas dire des conneries (le bouc émissaire est le type même d'idée claire trompeuse). On peut dire enfin que sa méthode réductionniste, souvent utile, est l'envers exact d'une pensée écologique.

Leibniz aussi n'hésitera pas à pousser ses raisonnements à l'absurde avec ses monades sans porte ni fenêtres, existences réduites à leur supposée essence ou force intérieure, à l'opposé là aussi d'une détermination écologique. Spinoza, dont il s'inspire, est bien plus raisonnable, soutenant de nombreuses propositions éclairantes (l'affect comme puissance d'agir) mais chez lui aussi l'essence précède l'existence avec un déterminisme implacable et si sa définition de Dieu englobant la nature entière (le Tout de l'Être) peut sembler plus écologique, elle n'a strictement aucun sens, puisqu'il est doté d'une infinité d'attributs, y compris les plus contradictoires, transgressant ainsi la logique aristotélicienne (un peu comme la coïncidence des opposés en Dieu de Nicolas de Cues). Il ne suffit pas de décréter l'esprit comme envers de la matière, pur flatus vocis. On est là de nouveau dans le dogmatisme rationaliste et la prétention d'un système déductif censé clouer le bec et nous guérir de la peur de la mort comme de nos douleurs terrestres par la négation purement intellectuelle de l'extériorité du monde et de son injustice, connaissance du troisième genre supposée nous faire aimer notre destin le plus minable en prenant le point de vue de Dieu ! En tout cas, le déterminisme de Spinoza épouse bien l'idée fataliste de prédestination, d'une essence individuelle, une identité native se développant comme un embryon ou une plante, puissance désirante n'ayant plus qu'à passer à l'acte, se perfectionner, exprimer son intériorité relativement indifférente aux interactions extérieures. Cette conception immanentiste, essentialiste, identitaire (qui est encore hégémonique), refoulant la détermination par le milieu (reconnue plus tard par Hume), permettra toutes les errances de Nietzsche à Deleuze, et, bien pire de Heidegger aux racistes ou nationalistes à la recherche de leur nature originaire.

Kant met fin aux prétentions métaphysiques du rationalisme en soulignant les antinomies de la raison pure ne pouvant trancher entre postulats contradictoires (liberté ou déterminisme), reconnaissant notre rationalité limitée n'ayant pas accès à la chose en soi. Paradoxalement, cela ne l'empêche pas de soutenir pour la raison pratique une stricte universalité, l'inconditionnalité de la raison pratique et de l'impératif catégorique, rationalisation du judéo-christianisme qui garde sa force morale mais témoigne encore d'un rationalisme aveugle et d'une conception de la liberté trop idéalisée. En tout cas, sa critique de la raison et de nos limites subjectives suscitera la réaction romantique voulant reconstituer l'unité perdue de la subjectivité avec la nature, bien qu'en exprimant surtout le déchirement, de même que sera immédiatement opposé à son "Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique" les particularismes nationaux et une supposée âme des peuples, de Herder à Fichte, alors même que Montesquieu avec sa théorie des climats avait déjà compris que cette âme était extérieure, ayant des causes matérielles, tout comme les vertus étaient relatives au régime politique (on dit aujourd'hui relatives au discours). On a donc déjà une pensée écologique de l'extériorité refusée au nom de revendications identitaires, essentialistes, qui prennent pour réelles de pures abstractions (nation, peuple, race) mais nourriront toute une mythologie démocratique et le principe d'autodétermination des peuples.

Au début d'internet, j'ai commencé par y mettre mes travaux sur Hegel, me réclamant alors d'un hégélo-marxisme inspiré largement de Kojève. Ce n'est plus le cas, pour deux raisons qui n'en font qu'une, ne faisant plus de l'idée le moteur de l'histoire mais les puissances matérielles, et ne pouvant accepter la clôture finale où le réel se résorbe dans une fin des temps fantasmatique. Cela ne veut pas dire ne plus rien retenir de ce digne successeur d'Aristote qui a introduit l'histoire dans la pensée et donné avec la dialectique un éclairage indispensable sur la succession des modes et figures historiques comme sur l'évolution cognitive ou morale. La dialectique cognitive signifie qu'on rate toujours la vérité en exagérant un de ses côtés obligeant à redresser la barre ensuite, un peu trop dans l'autre sens cette fois, le réel s'imposant à la longue sans doute mais la vérité restant extérieure au savoir. La réconciliation finale supposée être l'aboutissement de la reconnaissance des contradictions, grand pardon entre pécheurs, a toutes les apparences d'un sophisme et d'un tour de passe-passe quand la contradiction de l'être et du devoir-être perdure, nous laissant dans la conscience malheureuse. Une interprétation plus juste de la prétendue "fin de l'histoire" serait de reconnaître cette extériorité comme inéliminable et donc la douloureuse séparation. S'il parle également de l'esprit des peuples, c'est malgré tout pour lui surtout un moment du développement de l'Esprit, une nécessité historique ne résultant pas d'une intériorité ("cet abstractum indéterminé qui, dans la représentation générale, s’appelle peuple") mais de la ruse de la raison faisant servir les intérêts particuliers à l'universel et s'incarnant dans des institutions qui auront fait leur temps. Le sens de l'histoire semble bien nous conduire effectivement à l'Etat universel et homogène de Kojève, préfiguré pour Hegel par Napoléon, mais ce ne serait pas la fin de l'histoire pour autant et il n'y a aucune assurance qu'on y arrive, ce qui serait sans doute nécessaire écologiquement, en bonne dialectique l'éclatement pouvant en résulter tout autant. Hegel a permis aussi de penser une autre dialectique, celle du désir comme désir de désir, désir de reconnaissance, ce qui a été repris par Lacan des cours de Kojève. C'est décisif car transformant complètement la question du désir qui n'est plus simplement, comme avec Spinoza, l'essence de l'homme et puissance d'être, force vitale irrépressible et créatrice, ce que reprendront Nietzsche ou Deleuze. Non ! il procède de l'Autre, pur produit du milieu humain, en premier lieu familial comme en témoignera la psychanalyse, et non de simples pulsions corporelles (qui existent aussi).

L'étendue de son oeuvre, de la logique à l'éthique, l'esthétique, le droit, rend Hegel aussi indispensable qu'Aristote. Impossible de se passer des "vérités qui tombent de Hegel comme la farine du moulin" (Alain p37). Cela n'empêche pas, on l'a vu, qu'on ne saurait cautionner son idéalisme et que là-dessus il faut prendre le parti du matérialisme historique de Marx, déterminé par l'état des techniques et le système de production associé, l'économie étant déterminante en dernière instance, dans l'après-coup matériel du résultat effectif. Cela reste sur ce plan la philosophie indépassable de notre temps, s'approchant ainsi d'une philosophie écologique, détermination par le milieu plus que par une supposée nature humaine. Si Marx reste pertinent dans son matérialisme comme dans son analyse du capitalisme industriel, son défaut sera cependant le même que celui de Hegel, ne mettant en avant le rôle du négatif, des contradictions sociales, de la division du travail et de la lutte des classes, que pour les abolir dans une fin de l'histoire paradisiaque où chacun pourra s'épanouir librement. Le retournement dialectique salvateur transformant la détresse des prolétaires en triomphe était donc tout aussi fantasmatique (nous ne sommes rien, soyons tout). La finalité de droits de l'homme concrets, effectifs, reste l'objectif à poursuivre mais présenter, comme le jeune Marx, l'évolution technique et les progrès de la civilisation comme produits d'une essence humaine est inapproprié, les progrès de la science universelle ne devant rien à notre espèce qui subit plutôt cette évolution (comme dit Poincaré, dans la science, "la part de l'homme est celle de l'erreur"). Le point nodal est de comprendre que ce n'est pas l'utilisation d'outils qui caractérise notre espèce mais son adaptation aux outils (en premier lieu la main pour tailler les pierres), l'adaptation à l'extériorité de l'outil plus qu'une supposée (très rare) créativité. On a plus souvent le sentiment de ne pas être à la hauteur de ce qu'on nous demande plutôt qu'exprimer notre personnalité ! Il y a dans le marxisme l'ambition de résorber l'extériorité du monde dans une gestion rationnelle de la production qui n'a pas résisté à l'expérience sur le long terme (l'intelligence artificielle pourrait-elle faire mieux ?). S'il faut en garder le matérialisme, en l'opposant à l'idéologie marxiste qui le recouvre, c'est justement pour éliminer la substitution de l'épanouissement de nos potentialités innées aux causalités extérieures, relevant plutôt d'une évolution darwinienne : même si la production de nos moyens d'existence nous distingue radicalement des animaux, c'est notre dépendance de l'économie, du milieu humain, qui prend le pas sur l'adaptation au milieu naturel, et l'universel sur le singulier immédiat. Tout cela ne libère pas en effet l'individu d'une pression extérieure qui ne fait que changer de forme et il est abusif de considérer que sa production humaine fasse du monde développé "son oeuvre", voire la revanche de l'esclave sur le Maître où l'individu d'abord aliéné coïnciderait à la fin avec le genre, la communauté et l'universel en réalisant consciemment son essence pour être chez soi dans ce monde. En tout cas, dans une conception systémique du capitalisme, mettre l'aliénation du travailleur sur le compte d'autres hommes, faute de l'imputer à des puissances matérielles, est une régression transformant en boucs émissaires de simples chaînons d'un mode de fonctionnement. Pour Marx, le capitalisme ne saurait en effet être ramené à la cupidité des riches, ni à l'accumulation primitive, quand il correspond au stade machinique, le communisme étant supposé son aboutissement, plus productif (moins destructeur) - ce qui n'a pas été vérifié par l'expérience, hélas, pas plus que la libération du travailleur attendu.

La confiance aveugle du marxisme dans la science (socialisme scientifique) et la rationalité (planification) sera miné par les progrès de la science justement avec le traumatisme pour notre intelligence que seront relativité et physique quantique (que personne ne comprend selon Feynman). Cela mettra encore plus en évidence la coupure épistémologique entre méthode scientifique et représentations naïves du monde vécu. L'esprit humain perdra beaucoup de sa superbe à devoir passer par le cerveau, le langage et l'information qui introduisent des erreurs à chaque niveau, sensitif, neurologique, idéologique. C'est d'ailleurs la dissymétrie de l'information qui justifiera le néolibéralisme de Hayek mais l'informatique rendra très concrète notre rationalité limitée, confrontée aux bugs des programmeurs comme aux erreurs de saisie des utilisateurs. Folie et symptômes névrotiques achèveront les prétentions de rationalité d'un homo sapiens qui est aussi homo demens et dont apparaît la face sombre, inconsciente, s'ajoutant aux déformations de l'idéologie et aux récits mythiques dont le structuralisme montrera la logique formelle à l'oeuvre à notre insu, sans parler de l'expérience des drogues permettant d'éprouver la part de la biochimie dans la modification de la conscience. A l'individu souverain libre et solitaire, déployant son génie rationnel dans un monde fait pour lui, se substitue l'individu social, produit de son milieu et de son histoire, qui n'est certes pas un idiot sans jugeote ni un pur appareil photographique intériorisant l'extériorité avec exactitude mais un instrument très imparfait, fausse conscience véhiculant préjugés et fausses nouvelles, préférant les idoles de la tribu à des vérités qui dérangent, où le rationnel se réduit souvent à de simples rationalisations, parfois les plus folles, même si le réel pratique finit forcément par s'imposer (après-coup). Cette imperfectibilité peut d'ailleurs être un facteur d'individuation et de diversification bien utile dans ce contexte de savoirs douteux.

La réaction à "la crise des sciences européennes" et ses atteintes à notre narcissisme aura été un regain de spiritualisme essayant de redonner dignité à notre esprit dépouillé de son origine divine. On peut dire que cela commence avec Auguste Comte lui-même et sa religion de l'humanité voulant surmonter "l'insurrection de l'esprit contre le coeur". Bergson et tous les vitalistes de l'époque tenteront d'opposer notre subjectivité (la durée) à l'objectivité scientifique (le temps à l'espace) et d'expliquer l'évolution par un élan vital au lieu de la pression du milieu. De même, l'intentionalité phénoménologique a beau représenter un des rares progrès philosophiques, elle escamote l'objectivité matérielle derrière la constitution subjective de ses objets voire de l'intersubjectivité, comme s'il n'y avait pas de dialectique entre le sujet et l'objet, entre la noèse et le noème, ajustement pratique plus que simple projection.

L'existentialisme est plus ambigu. Sartre, partisan d'une liberté absolue contre toute identité qui nous fige, affirmant que l'existence précède l'essence, inventera pourtant un "projet fondamental" comme reçu à la naissance et immuable, retour en douce d'une essence individuelle, comme si la vie, l'apprentissage, ne modifiait pas nos projets. Heidegger a eu sans aucun doute l'intuition d'une causalité extérieure que l'individu ne pouvait trouver en lui-même mais seulement dans l'Être comme destin collectif, processus historique de dévoilement de l'étant qu'il individualise cependant, et divinise même, auquel il prête une continuité, une essence originaire, force venant du passé qui va son chemin, totalité se développant de façon autonome un peu comme une monade, presque une volonté - différente selon les peuples, d'autres civilisations, d'autres histoires. C'est ce qui l'amène à identifier l'Être à sa patrie et sa langue, occupé à en retrouver l'origine indemne chez les Grecs, avant d'être pervertie par d'autres peuples ou le calcul. On sait que son injonction à "se-décider pour l’avenir à partir de l’être-été" l'a mené au pire (nazisme à la fois ridicule et abject). Cela n'a pas empêché son succès auprès des écologistes naturalistes, traditionalistes et technocritiques se retrouvant dans sa critique du monde technique, réduisant tout à son utilité, comme dans son souci d'habiter le lieu (le là de l'être) et la nostalgie d'une identité perdue aussi bien que d'une volonté unifiée. Pourtant, Heidegger envisagera bien que la technique puisse être ce destin de l'Être que nous subissons. "La technique est dans son essence un destin historico-ontologique de la vérité de l'Être en tant qu'elle repose dans l'oubli" p117. Ce charabia escamote l'efficacité matérielle au principe de la technique (et non la métaphysique), comme si sciences, techniques, économie, croissance n'étaient qu'idéologie (ce qui est le comble de l'idéalisme). Là aussi, c'est la dialectique avec le réel qu'on ignore, une extériorité qui n'est pas donnée ni homogène mais faite d'interactions, d'un jeu de puissances matérielles hétérogènes et de contingences locales. On peut d'ailleurs considérer qu'une philosophie écologique consiste pour une grande part à renverser l'idéalisme de Heidegger, le remettre sur ses pieds à partir des critiques qu'il a faites de la métaphysique [et d'y réintroduire l'incidence du récit qui manque cruellement à sa phénoménologie de l'existence].

Lévinas avec son "essai sur l'extériorité" (Totalité et infini) tentera bien de dépasser cette identité totalitaire et le souci de soi par le souci de l'Autre, en réduisant cependant cette extériorité aux autres hommes alors qu'il faudrait y inclure aussi le tout Autre de l'existence subjective : le souci de la planète et la détermination de la subjectivité par l'évolution cognitive et technique comme par son milieu.

L'étude des écosystèmes d'abord puis la théorie des systèmes, rejoignant d'une certaine façon la théorie marxiste des systèmes de production avec ses flux de matières et d'informations, feront émerger, en dehors de la philosophie, une approche plus écologique (holiste et complexe) des circuits et régulations, au-delà des individus, reconnaissant la place de l'auto-organisation mais aussi de notre rationalité limitée. Le structuralisme en sera une version plus statique centrée sur l'univers des signes alors que les thérapies familiales systémiques mettront au premier plan la construction des identités relativement aux autres membres de la famille, identités qui ne sont plus figées, attachées à l'individu comme sa personnalité, mais peuvent changer selon les situations et la répartition des rôles même s'il y a des caractères - pas seulement biologiques - qui ne changent pas si facilement. Nos identités sont multiples selon les milieux (voisins, travail, parti) mais cela ne veut pas dire qu'on pourrait occuper n'importe quelle position. Ce qui manque au structuralisme, c'est l'histoire, la dépendance d'une continuité temporelle, son inertie, de même que l'auto-organisation est fortement contrainte par la sélection. La détermination écologique opère sur plusieurs temporalités, phylogenèse, ontogenèse, apprentissage, loin de se réduire à l'auto-organisation immédiate du milieu ni même au plus adapté, supplanté par l'adaptabilité à plus long terme sous le coup des évolutions extérieures.

Deux concepts absolument essentiels n'ont pas reçu l'attention qu'ils méritaient des philosophes justement, c'est le concept d'information et le principe de la cybernétique. L'information ne tombe pas du ciel mais si, en accord avec la phénoménologie, elle est fondamentalement subjective ("une différence qui fait la différence", comme dit Bateson, et "on n'entend que ce qu'on attend"), elle est tout aussi sûrement rapport à un autre étranger, inconnu qu'on interroge. Il n'y a pas d'unité mystique entre émetteur et récepteur mais transmission matérielle d'informations limitées (qui peuvent être trompeuses). C'est cela notre monde malgré les récits qu'on en fait comme de chemins tout tracés qu'on parcourrait comme dans un rêve. La cybernétique procède de cette information imparfaite, trouvant dans le thermostat, sur le modèle de l'homéostasie du vivant, le mécanisme de rétroaction permettant de se rapprocher de l'objectif, de surmonter l'imperfection de l'information tout comme les limites de la programmation et de la rationalisation d'un réel extérieur. Car la cybernétique prend acte de l'extériorité du monde à la fois par la reconnaissance de nos erreurs et des limites de la programmation, en même temps qu'elle fournit la seule façon de les surmonter par le feedback et la correction d'erreur (passant des sociétés disciplinaires aux sociétés de contrôle). L'action a besoin de se régler sur ses résultats au lieu d'avancer au nom d'une finalité aveugle. On est dans une nouvelle temporalité passée assez inaperçue jusqu'ici, ni passé originaire, ni projet futur, mais après-coup de l'expérience, ce qui est au principe de la perception comme de l'apprentissage (apprentissage automatique aussi bien, l'intelligence artificielle et la connaissance du cerveau progressant de pair).

La destruction de nos conditions de vie et notre dépendance du climat que nous perturbons répandent de plus en plus le souci écologique mais sous des formes souvent très idéalistes et passéistes. Une véritable philosophie écologique n'a rien en effet des fantasmes d'unité avec la nature (ou entre classes sociales comme entre prédateurs et proies). C'est une nature hostile, étrangère, parfois certes généreuse et bonne mais souvent rude et inhospitalière, pleine de menaces et de pièges, soumise aux aléas d'une météo capricieuse. Si elle n'est pas dépourvue de coopérations et de solidarités, un matérialisme dialectique oblige à reconnaître qu'elle n'a rien d'une nature harmonieuse, équilibre instable plutôt, traversée de luttes et de contradictions où "le conflit est père de toutes choses" même si le moteur de l'évolution est l'adaptation. Cette nature en évolution ne se réduit pas en effet à un jeu de forces aux yeux d'un matérialisme dualiste (matière/information) où l'information génétique passe le relais à l'information cognitive avant de passer au langage puis l'écriture jusqu'à occuper le cloud au-dessus de nous, délocalisée par les réseaux et constituant une sphère culturelle, spirituelle, symbolique, numérique, par dessus la biosphère, elle-même construite sur le substrat matériel, physico-chimique, chaque niveau ayant ses propres lois bien que dépendant du niveau précédent. Une écologie globale doit prendre en compte tous ces niveaux constituant notre monde commun, une réalité sur laquelle on se cogne, dont l'extériorité ne se résorbe pas même si la technique comme le vivant permettent d'en inverser localement l'entropie, réussites partielles sans lesquelles nous ne serions pas là mais, à chaque fois, l'histoire avance par son mauvais côté, c'est le négatif qui revient, l'inhumanité du monde extérieur et les effets indésirables qui échappent aux individus dans une écologie dynamique ne connaissant pas de repos.

Non seulement le point de vu global écologique (qui n'est pas celui de dieu) remet l'extériorité matérielle au premier plan mais il remet en question l'ontologie individualiste et s'oppose aux conceptions identitaires, idéalistes, essentialistes bien que valorisant la (bio)diversité. Il n'y a pas d'organisme isolé de son milieu de même qu'il n'y a pas d'humain sans famille et société. Le développement du cerveau se fait sur l'inhibition des instincts étant l'organe de l'extériorité (perception, sensation, mémoire, mouvements, langage, culture) plus que de l'intériorité. En accord avec la plus récente archéologie, et comme on l'a dit plus haut, on peut même affirmer qu'il n'y a pas d'espèce humaine en soi, mais une adaptation buissonnante (par métissages et sélection naturelle ou sociale) aux progrès des outils ou de la culture. Avec souvent des milliers d'années de stagnation, on ne peut prêter à une essence humaine le désir d'innovation irrépressible de notre époque, la vérité est plutôt qu'on se plie à l'état des techniques déjà là, qu'on apprend (on n'invente pas) et que les techniques comme les sciences sont universelles, ne devant rien à l'espèce mais s'imposant par leur efficacité dans la production ou dans la guerre, sous la pression du milieu social (comme l'adaptation à la digestion du lait). Le fait de produire nos conditions d'existence à la place de la nature, ne nous fait pas sortir de la nature pour autant, en tout cas cela ne nous fait pas sortir de l'évolution technique ni de l'évolution écologique qui nous dicte sa loi désormais.

Du point de vue écologique il n'y a ni essence humaine ni essence individuelle puisque nous sommes faits des autres et de notre milieu. Cela ne nous délivre pas de nos responsabilités pour autant et ne rend pas le coupable innocent mais peut lui valoir des circonstances atténuantes (quelle responsabilité des crimes du régime stalinien peuvent endosser les communistes qui ont cru construire un paradis ?). Notre identité qui relève d'un récit plus ou moins fictif, n'est plus que celle de notre histoire singulière (semblable à celle de notre génération), ce qui n'est pas nier notre intériorité mais ne lui donne plus l'importance démesurée qu'elle a prise dans la philosophie après la religion (et Augustin), portant le regard cette fois vers l'extérieur et l'actualité. Il serait bon effectivement de sortir un peu du souci de soi, de la course au bonheur individuel qui n'a plus grand sens quand nous sommes en guerre, face à de grands périls, et que nous sommes engagés dans des entreprises collectives. On peut soutenir avec Tanella Boni qu'exister, c’est « sortir de soi et de chez soi », découvrir le monde, s'y frotter, apprendre plus que s'exprimer ou gagner en puissance (narcissisme relevant plutôt d'ailleurs du désir de reconnaissance). Il y a bien une singularité individuelle, d'esprit et de corps, nous ne sommes pas n'importe qui, ni malléables à merci, ouverts à tout vent, l'inertie idéologique est grande tout comme nos habitus mais notre identité ne vaut que pour nos relations et notre conscience, qui est une conscience morale d'être parlant et qui nous rend responsables de nos réponses à nos interlocuteurs et de notre passé, déjà en dette envers la parole donnée. Il ne s'agit pas d'être fidèle à son passé, refusant d'apprendre, quand c'est notre passé qui nous plombe et nous hante. La cause, la provocation, l'entraînement vient toujours de l'extérieur. Je est un Autre, ça parle pour moi, ce flot de pensée qui n'arrête jamais ne fait que ressasser le discours de l'Autre plus qu'exprimer notre âme intérieure. Un peu comme Lévinas ou le christianisme nous délivraient du souci de soi hédoniste, le point de vue écologique nous remet dans notre situation effective, notre réseau de relations, bien au-delà de nos rapports directs, et, au lieu de s'enfermer sur soi, soumis à un devoir de jouissance insatiable et tyrannique, il porte le souci sur son milieu immédiat comme sur le monde et les générations futures.

Tout cela est bien sûr trop rapide, se contentant de donner un aperçu de l'inversion des causalités pour une philosophie écologique par rapport à presque toutes les philosophies du passé voulant sauver une conception religieuse de la liberté et d'une histoire purement humaine, replacée ici dans une évolution dont l'humanité n'est plus le centre : évolution cognitive et accélération technologique qui nous dépassent mais exigent une pensée prospectiviste et stratégique, aucunement un laisser-faire qui nous serait fatal, encore moins l'amor fati face au désastre annoncé comme aux injustices. La philosophie écologique doit se défendre des fausses interprétations du darwinisme social (réfuté par Darwin) et de la légitimation de l'ordre établi comme du règne de la force, aussi bien que d'un anarchisme surévaluant la part de l'auto-organisation et de l'autorégulation libérale des marchés. La conscience de nos limites et de nos erreurs ne peut justifier l'inaction ni de délaisser un désir de vérité, d'autant plus vital contre les faux savoirs, ni de renoncer au désir d'émancipation et de liberté même si ce besoin d'autonomie ne prétend plus au libre-arbitre inconditionné ni au pouvoir de conformer le réel à notre volonté. Qu'il n'y ait pas plus de liberté absolue que de savoir absolu ne rend que plus précieux le progrès du savoir et de nos droits, mais cette émancipation doit intégrer la conscience du négatif et des contradictions de la liberté.

On voit qu'une philosophie écologique basée sur l'extériorité est aussi éloignée des anciennes philosophies que du naturalisme ou de l'écologie profonde mais malgré tous les efforts pour retrouver une société totalitaire et une identité perdue, la réalité qu'il nous faut affronter est moins drôle, c'est celle d'immenses destructions et d'une société divisée, non seulement de l'impuissance politique mais de politiques brutales et inhumaines, d'un réel étranger enfin qui nous blesse et nous malmène. Ce serait une erreur fatale de surestimer nos moyens. Reste que nous sommes entrés désormais dans l'ère de l'écologie, de l'information et du développement humain dont on peut attendre quelque bien et une préservation des milieux, mais il n'y a aucune garantie que cela se finira bien au regard de la situation actuelle même si on peut espérer que le miroir de l'information finira par nous forcer à regarder la réalité en face dans sa dimension écologique, au lieu de nous aveugler de beaux discours...

Texte intégré aux "Eléments d’une philosophie écologique (de l’extériorité)", et à compléter notamment par le récit de soi.

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5 réflexions au sujet de “Introduction à une philosophie écologique”

  1. Pour Georges Lapierre, qui est un anthropologue idéaliste, inversant les causes comme un sauvage ou un philosophe pour qui c'est l'idée qui est déterminante et non pas les causes matérielles, les notions de nature, de milieu, d'extériorité seraient l'appel à l'asservissement de ce qui n'est pas nous. La belle unité du sauvage avec le monde est bien sûr un mythe (des origines) et l'esclavage n'était pas inconnu des sociétés primitives mais il est certain que l'agriculture et surtout l'élevage n'ont pas arrangé les choses mais fait monter d'un cran domination et violence.

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XLVI

    Au cours de réflexions antérieures, j’avais mis en relation l’émergence de la nature, c’est-à-dire d’un univers extérieur à l’humain avec la naissance de l’esclavage comme fondement de la société. C’est avec l’esclavage que le non-humain fait son apparition dans le monde de l’humain et qu’il devient ainsi partie intégrante de notre cosmovision opposant l’humain au non-humain, la culture à la nature. Je ne fais que compléter cette réflexion en envisageant la vie sociale que nous connaissons dans son histoire. L’esclavage, la présence du non-humain comme fondement de la société, a eu pour conséquence le surgissement de l’extériorité dans l’intériorité de la pensée. Dans Le Mythe de la raison, j’écrivais :

    « Le contenu que nous donnons à cette pensée de l’extériorité, ou pensée positive, est celui de l’asservissement. C’est son seul contenu. On croit en général que la pensée objective est neutre et désintéressée, c’est du moins ce qu’elle prétend être ; il n’en est rien, c’est de la pure hypocrisie, elle est, au contraire, tout à fait intéressée. Ce monde qui se trouve hors de l’humanité (de notre humanité, évidemment) n’existe que pour être au service de l’humanité, que pour être asservi à l’humanité ; nous nous y employons avec la plus implacable et la plus franche brutalité… »

    Une idée est née, celle de la nature. Un concept est né, celui de l’extériorité, de ce qui se trouve hors du monde de l’humain, hors de la spiritualité (si nous estimons que le monde humain est un monde spirituel). Pourtant cette extériorité qui s’est imposée à nous avec tant de force n’est pas extérieure à notre monde comme on le croit communément, elle est dedans. Elle est partie intégrante de notre « humanité », l’humain contient le non-humain. La nature, en tant que représentation de ce qui n’est pas humain, ne se trouve pas hors de notre culture, elle fait partie de notre culture, elle la définit. Nous opposons la nature à la culture, nous faisons de cette opposition notre tasse de thé journalière alors même que cette opposition se trouve à l’intérieur de notre culture, alors que notre vie sociale et, avec elle, toute notre culture reposent sur cette opposition. Il est assez facile d’opposer un terme à un autre et de faire comme si la nature existait bel et bien hors de la culture et la non-humanité hors de l’humanité. Il n’en est rien, le non-humain fait bien partie de notre culture, il est intégré à notre humanité, au point où notre culture ou civilisation n’existerait pas, ni ne se comprendrait, sans cette contrepartie, sans cette part non humaine de notre humanité.

    Dans les sociétés originelles, dans les sociétés où l’opposition entre ceux qui se sont approprié la pensée et ceux qui en sont privés n’existe pas encore, le monde est entièrement spirituel.

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