De Kant à Fichte

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  De l'incertitude de nos représentations à l'autonomie de la volonté
Le premier texte philosophique que j'ai lu, encore très jeune, était la Critique de la raison pratique de Kant (empruntée à mon grand frère), qui m'avait fait une très forte impression. Les commandements de la Bible pouvaient donc être déduits par simple raison, "Agis uniquement d'après une maxime telle que tu puisses vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle", retrouvant d'ailleurs ainsi le rabbin Hillel (-110/+10!) résumant la Loi au principe : "Ce qui est détestable à tes yeux, ne le fais pas à autrui. C'est là toute la Torah, le reste n'est que commentaire". Les croyants s'imaginent qu'ils n'auraient pas de principes s'ils n'obéissaient pas à leur Dieu, que la morale est basée sur la crainte. Kant prouve le contraire, le devoir étant une conséquence de la raison, de notre pensée (on devrait dire du langage), ce qui ouvre donc bien malgré lui la voie à l'athéisme alors qu'il croyait le combattre en faisant de l'existence de Dieu un postulat de la raison pratique au même titre que le temps et l'espace pour la raison pure. Après avoir rejeté la métaphysique, empêtrée dans ses contradictions, ainsi que le Dieu des philosophes et des théologiens comme chose-en-soi inaccessible, au-delà de ce qu'on peut connaître, il permettait de concevoir que la loi morale en nous pouvait se passer de commandements divins.

L'opposition entre le dogmatisme de la critique de la raison pratique et le scepticisme de la critique de la raison pure a suscité beaucoup de perplexité, comment pouvait-on tirer des impératifs catégoriques inconditionnels de la critique des conditions de possibilités de nos savoirs, de leurs limites ? Généralement, c'est effectivement la critique de la raison pure qui est considérée comme le fondement de la philosophie moderne, la plupart du temps restreinte à sa portée épistémologique et la place donnée au sujet de la connaissance comme synthèse unifiante, les catégories et formes a priori de la pensée organisant les sensations. En fait, comme le montrera Heidegger, il ne s'agit pas seulement de connaissance mais bien de constitution de l'objet, des cadres de la perception. En tout cas, cette philosophie post-newtonienne (avec un temps et un espace absolus mais devenus subjectifs) établissait ainsi une séparation radicale de la pensée et de l'être, de la représentation et de l'être en soi, ce qui allait plutôt nourrir le subjectivisme et le relativisme des cultures ou des époques (depuis Herder jusqu'aux post-modernes et cultural studies) alors que Kant voulait tout au contraire fonder une morale universelle (qui sera celle des Droits de l'homme). Il faudrait en effet comprendre la reprise du scepticisme de Hume par Kant, limitant ce qu'on peut savoir aux conditions de possibilité de nos connaissances, comme l'équivalent du doute cartésien balayant tous les anciens dogmatismes métaphysiques, les fausses certitudes sur le monde extérieur et les choses-en-soi, mais pour atteindre à la certitude absolue de la pensée et de la liberté du sujet affirmée par la morale qui la contraint. Le contraste se veut d'autant plus frappant entre la loi morale éprouvée et les incertitudes de la représentation.

Pour Kant, en effet, le doute sur nos représentations, laisse place à la certitude d'une volonté libre ("Tu dois, donc tu peux") mais la liberté s'identifie ici au devoir rationnel d'universalité, libre car indépendant des choses comme des nécessités matérielles, détaché du corps comme de tout déterminisme, liberté cependant paradoxalement absolument contraignante, auto-nomie de la raison ne se fondant que sur soi mais qui est impératif catégorique, à l'exact opposé de l'arbitraire, du caprice ou du plaisir. "Je dormais, et rêvais que la vie était plaisir. Je me réveillais, et je vis qu'elle est devoir". A la place d'une chose-en-soi extérieure inatteignable, c'est la présence à soi de la volonté et du devoir qui incarne dès lors pour nous la chose-en-soi et l'activité effective face aux douteuses représentations subjectives (mais comme le fera remarquer Renouvier, la liberté n'échappe pas à la représentation et donc à l'illusion).

Le fait de souligner la présence de la contradiction aussi bien dans les "antinomies de la raison pure" que dans l'opposition de la raison pratique à la raison pure, le rapprocherait aussi de Pascal dont l'insistance sur les contradictions humaines et la misère de l'homme sans Dieu ne sert qu'à mieux faire apparaître la nécessité d'un Dieu sensible au coeur, personnel, bien qu'inaccessible à notre raison. C'est exactement ce que vise Kant, occasion de remarquer comme ce grand admirateur de Rousseau était bien plus proche de la philosophie française que de Leibniz et de la métaphysique allemande, même s'il était bien allemand par son protestantisme subjectiviste et rigoriste. On a du mal à réaliser comme toutes ces philosophies, y compris donc celle de Kant, sont empêtrées dans la croyance. S'il faut renoncer à prouver métaphysiquement l'existence de Dieu, c'est pour retrouver la loi morale en nous et la croyance naïve dans notre Dieu intérieur, contre l'athéisme tout autant. "La critique peut seule couper dans leurs racines le matérialisme, le fatalisme, l'athéisme, l'incrédulité des libres penseurs autant que le fanatisme, la superstition, fléaux qui peuvent devenir nuisibles à tout le monde" (Raison pure, préface 2ème édition). On a tendance à glisser aujourd'hui sur son affirmation : "J'ai supprimé la science pour rétablir la croyance" alors que c'était essentiel pour lui et ce qui fait qu'on ne peut plus être kantiens.


Ce qui est acquis, en tout cas, c'est que le Dieu intérieur ne saurait relever d'un dogme et Fichte, le Robespierre allemand, ne fait semble-t-il que prolonger Kant avec son "Essai d'une critique de toute révélation" qu'il publie en 1792 et qui lui apportera la célébrité car, paru sans mention de l'auteur, il avait été pris pour un écrit de Kant ! Très vite pourtant, avec ses "Principes de la Doctrine de la science" de 1794, il voudra dépasser son maître voire le renverser ("que l'objet soit posé et déterminé par la faculté de connaître et non la faculté de connaître par l'objet". Préface, p242) en poussant la critique épistémologique jusqu'à une prétendue science de la science, savoir absolu déduisant forme et contenu du savoir à venir par l'acte du Moi opposé au réel. Ce projet voulant tout ramener à l'autonomie de la conscience de soi devait enthousiasmer les étudiants et faire époque malgré son caractère confus, et qu'on peut même dire absurde, mais qui sera un jalon essentiel vers la philosophie de Schelling puis celle de Hegel, influençant Marx tout autant. Ses défauts expliquent qu'il reste méconnu, ce qui n'empêche pas que son activisme et ses conceptions autocentrées imprègnent notre culture (pas seulement allemande), par exemple pour le droit des peuples à l'autodétermination qui peut facilement dériver en xénophobie. Fichte lui-même ne cessera de réécrire sa doctrine de la science intenable, passant d’une philosophie du Moi et de l’agir à une philosophie de l’Être, jusqu'à lasser ses partisans et ne retrouvant un public que par ses "Discours à la nation allemande", en réaction à l'invasion napoléonienne, qui illustrent bien le passage du révolutionnaire universaliste à un national-socialisme quasiment mystique. La loi n'est plus universelle mais particulière, on passe de l'autonomie à l'affirmation de soi comme effort pour rester soi-même contre le non-Moi (ne conduisant finalement qu'à la loi du plus fort).

Fichte retient donc du kantisme la séparation de la connaissance et de la moralité. La tache théorique de la science consiste à déterminer un Non-Moi, objet de la connaissance. La tâche pratique de la morale, au contraire consiste à réduire toute division intérieure. p84

La solution fichtéenne du problème posé par le dualisme kantien consiste à se défaire de la réserve kantienne concernant la possibilité d'une connaissance métaphysique. Si l'on tient cette connaissance pour possible, on pourra reconnaître en l'homme l'intuition de la causalité nouménale. L'esprit s'apercevra lui-même, dans la conscience immédiate, qu'il agit et de ce qu'il fait en agissant. p85

Pour lui, toujours la volonté précède la pensée. Notre essence la plus intime est un vouloir, un acte et toutes nos représentations et toutes nos pensées ont pour condition cette faculté pratique qui est la racine la plus intime de notre moi. p75

Ici le devoir-être affirme sa supériorité radicale sur l'être, l'activité du sujet pensant devient puissance créatrice absolue, l'œuvre de la science paraît, comme celle de la morale, commandée par l'impératif du devoir, le moi transcendantal et le moi personne morale sont assimilés. On voit donc s'abolir toute distinction entre raison théorique et raison pratique ; mais cette assimilation loin de s'opérer, comme dans la métaphysique classique, au profit de la raison théorique, s'opère en faveur de la raison pratique. La liberté du Moi est absolue. Si elle semble limitée par l'obstacle, c'est seulement parce que l'obstacle est la condition même de la liberté. Ainsi le Moi s'oppose-t-il au Non-moi et à une Nature comme raisons d'être de son activité morale. p85-86 (Harold Höffding 1906)

Sa doctrine de la science part du fait que la caractéristique de la science serait de faire système, ce devoir-être unificateur ne pouvant procéder pour lui que du sujet, de son amour de la vérité, de ses finalités, ses visées, sa volonté (ce qu'on appellera plus tard l'intentionalité). Cet "idéalisme subjectif" faisant de la science une création humaine est assez général aujourd'hui, l'idée d'une humanité autonome se créant elle-même et surtout que sciences et techniques seraient oeuvre humaine, à notre image, alors qu'elles sont si souvent inhumaines et que nous en sommes plutôt le produit sinon le jouet. Poincaré soulignait déjà que la part de l'homme dans la science n'est que la part de l'erreur ! Les sciences procèderaient sans doute de notre liberté si leur savoir accumulé ne s'imposait à tous dans l'après-coup par son efficacité matérielle et son impersonnalité (son universalité dans tout l'univers), distinguant justement la science de nos savoirs pratiques et contredisant nos intuitions ou représentations. Les religions qui procèdent de la subjectivité ont ainsi bien du mal à accepter la théorie de l'évolution et certains prétendent encore que la science ne serait qu'une idéologie ! Mais voyons ce qu'en disait Fichte en 1794 :

La science n'est pas quelque chose qui existerait indépendamment de nous et sans notre intervention, mais elle est quelque chose qui ne doit être produit que par la liberté de notre esprit agissant dans une direction déterminée. Si une telle liberté existe, là non plus nous ne pouvons pas encore le savoir. Déterminons auparavant cette direction ; forgeons nous un clair concept de ce que notre œuvre doit être! Si nous pouvons ou non la produire, cela ne se démontrera que si nous la produisons effectivement. p37

Supposé que le Moi soit le concept suprême et qu'au Moi un Non-Moi soit opposé, il est alors clair que ce dernier ne pourrait être opposé sans être d'abord posé, et à vrai dire sans être posé dans le Moi, l'élément le plus élevé. Donc le Moi serait à considérer de deux points de vue ; comme ce dans quoi le Non-Moi est posé ; et comme ce qui serait opposé au Non-Moi.

Mais le Moi devrait être absolu et déterminé absolument par lui-même : s'il est déterminé par le Non-Moi, il ne se détermine pas lui-même, ce qui est donc absolument en contradiction avec le principe suprême promis. Pour effacer cette contradiction, nous devons admettre que le Non-Moi, qui doit déterminer la représentation, soit lui-même déterminé par le Moi qui en l'occurrence ne serait pas simplement représentant, mais aurait une causalité absolue. Une telle causalité ne peut être comprise comme supprimant complètement le Non-Moi opposé et, avec lui, la représentation qui en dépend, il faut donc qu'elle soit représentée comme hors de la représentation, comme non représentable, comme une causalité qui n'est pas une causalité. Or, le concept d'une causalité qui n'est pas causalité est le concept d'un effort. p70

Il y a trois absolus. Un Moi absolu, soumis à des lois qu'il se donne à lui-même, et qui sont représentables sous la condition d'une action du Non-Moi ; un Non-Moi absolu, indépendant de toutes nos lois et libre, représentable sous la condition qu'il exprime ces lois positivement ou négativement, mais toujours à un degré fini; et enfin une faculté absolue en nous – représentable sous la condition qu'elle distingue une action du Non-Moi d'un effet du Moi - faculté de nous déterminer absolument nous-mêmes selon la mesure de l'un et de l'autre. p71

Toute notre recherche doit viser la fin suprême de l'humanité, l'ennoblissement de l'espèce dont nous sommes les membres, et, en partant des pupilles de la science, l'humanité au sens le plus élevé du terme doit rayonner et se propager comme à partir d'un centre. Tout apport que reçoit la science, accroît les devoirs de ses serviteurs. Il sera donc toujours plus nécessaire de méditer très sérieusement les questions suivantes : quelle est la destination propre du savant, à quelle place est-il assigné dans l'ordre des choses, quelles relations les savants entretiennent-ils entre eux, avec les autres hommes en général, et notamment à l'égard des différents états, comment et par quels moyens peuvent-ils s'acquitter au mieux des devoirs qui leur sont assignés par ces relations, et comment doivent-ils se former à cette fin ? p71-72

Il ne s'agit pas tant de comprendre le cheminement tortueux de Fichte que l'introduction de ce concept d'autodéveloppement de l'histoire dans l'idéalisme allemand et la conscience occidentale, concept qu'on peut faire remonter à Herder mais qui ne va pas de soi et n'était guère pensable avant la Révolution ou le progrès des sciences et techniques. En dehors de l'histoire universelle de Kant, qui précède de 5 ans 1789 et tente déjà d'introduire la finalité dans l'histoire, les philosophies de l'histoire étaient jusque là plutôt cycliques ou théologiques. Cette tentative folle de reconstruction de la totalité du savoir part comme Descartes du sujet immédiat, du moi comme identité du sujet et de l'objet, unique certitude accessible d'une chose en soi réelle que nous sommes. C'est l'introduction du Dasein, préfigurant aussi bien la phénoménologie que l'existentialisme, d'un moi qui a à être, à s'affirmer, sauf que le moi se relève ici dans l'acte entièrement libre de son opposition au non-moi. Cette reconstruction des principes de la science à partir de l'identité comme acte posant A=A, pure auto-affirmation, se présente d'abord comme une négation de l'histoire antérieure et des savoirs accumulés (comme de tout ce qui détermine le sujet par l'extérieur), le savoir n'étant plus que le nom de la rencontre du moi et du non-moi, savoir de l'expérience vécue donc, au lieu de sa transmission dogmatique, et entièrement constitué par l'action pratique : "la conscience immédiate que j'agis et de ce que je fais dans cet agir est ce par quoi je sais quelque chose, parce que je le fais" (deuxième introduction, 1797, p132). [à rapprocher de Vico pour qui l'humanité est son oeuvre et Verum ipsum factum]

C'est pour qu'un savoir transindividuel puisse trouver à s'incarner qu'il lui faudra forger un moi historique dépassant le moi individuel de départ et qui sera d'abord les savants, puis la "communauté des saints" voire l'humanité toute entière pour finalement se réduire au peuple allemand - dont le savoir est recueilli dans la langue, son histoire se résumant à sa progressive affirmation comme peuple et prise de conscience de soi (l'Allemagne n'existait pas encore). Cette histoire, qu'elle soit vue comme rationalisation et hominisation du monde ou mission d'un peuple, élaboration de son essence au lieu d'une évolution naturelle extérieure, n'est pas si éloignée de la conscience de classe ou de la façon dont le travail sera pour Marx l'expression de notre humanité, l'objectivation de notre subjectivité au lieu de contraintes matérielles et d'une nécessité extérieure. Cette essence substantielle supposée ne peut être finalement que l'imaginarisation d'une identité qui n'est que différence puisqu'on ne se pose qu'en s'opposant. Fichte ira assez loin dans son délire patriotique, de la mission donnée au peuple allemand, peuple défini par sa prise de conscience de soi et son adhésion à cette mission, dont s'excluent ceux qui s'y dérobent...

S'il y a bien une spécificité des cultures, des institutions, des histoires, des styles de vie qui changent et se mélangent, ils ont de plus en plus de mal à s'incarner dans un peuple et, surtout, ne peuvent plus prétendre à un auto-développement. Avec les ravages de l'industrie, son productivisme mortifère, la puissance destructrice de la techno-science, les soubresauts de l'économie, c'est la figure de l'humanité elle-même qui s'efface derrière ses déterminations extérieures, humanité qui n'est plus triomphante, ramenée à son statut de créature, devenue plutôt le résultat de l'évolution technique (les populations les plus avancées remplaçant les anciennes populations, chasseurs-cueilleurs, agriculteurs, cavaliers, jusqu'à l'industrie et le numérique), occupée à en corriger les effets pervers et réduire le négatif de ses propres actions, car nos actes nous échappent surtout en leurs effets de masse.

Le plus fascinant chez Fichte est sans doute la façon dont il résout la contradiction entre déterminisme et liberté, dans la lignée de la raison pratique de Kant qui contredit la raison pure théorique où rien n'est sans cause. La défense d'une liberté métaphysique inconditionnée qui nous laisse entièrement coupables est toujours sophistique, la véritable liberté est bien plus limitée, relative, incertaine, sous influence, motivée. Au nom du fait que le moi ne se pose qu'en s'opposant, le tour de force de Fichte pour préserver son autonomie aura été de prendre ce qui résiste à la liberté comme étant tout bonnement la preuve et la condition d'une liberté. C'est ce qui prouverait que le Moi n'est pas déterminé par le Non-Moi auquel il s'oppose, et que sa liberté se confond au contraire avec son effort qui se cogne au déterminisme et le détourne, s'en sert à ses fins, affirmation d'un devoir-être supérieur à l'être (qui préfigure l'intentionalité phénoménologique). Grâce à ce tour de passe-passe, le réel extérieur n'est plus là que pour révéler un moi intérieur supposé autonome, d'autant plus libre qu'il affronte l'hostilité et peut montrer sa fermeté d'âme ("jamais aussi libres que sous l'occupation"). Il y a là certainement de quoi susciter l'enthousiasme et l'engagement dans ces périodes révolutionnaires.

J'ai la perception intime d'être absolument libre, d'être moi-même source d'une force, maître d'une activité indépendante, capable de modifier ma nature et de développer ma personne. Ma conscience n'est pas simple spectatrice de mes actes, elle les engendre. Un élan invincible de moralité et d'amour m'écarte du déterminisme et celui-ci reste pourtant le seul système capable d'expliquer mon élan. Rien n'est plus intelligible, ou personne n'est plus responsable. Faut-il abandonner la possibilité de la science ou celle de l'action morale ? Quelque soit la réponse, mon cœur protestera, car le savoir, comme l'agir, compte parmi mes aspirations. Terrible dilemme! "Alors que rien ne se contredit dans la nature, l'homme seul est-il un être contradictoire ?". p81

Fichte résout la contradiction par sa théorie de la science selon laquelle l'univers de rigoureux enchaînement, loin de s'imposer du dehors à ma liberté, n'existe pas en soi et procède de ma propre conscience. A la conscience immédiate et superficielle de ma passivité se substitue la conscience de mon activité. Elle nait de la réflexion approfondie sur mes sensations, mes perceptions et mes raisonnements, sur mes sentiments et mes vouloirs. L'intuition, à laquelle cet effort me conduit, me manifeste que ces états, que je considérais à tort comme des signes des choses, ne sont en réalité que des objectivations du moi. Il n'existe donc pas de choses en soi hors de ma pensée et, l'enchaînement déterminé n'existant que dans ma pensée, je n'ai à redouter aucune contrainte de l'extérieur. C'est l'idéalisme absolu, qui prétendrait sauver à la fois ma double exigence d'intelligibilité totale et d'autonomie personnelle. Mais si le moi lui-même n'est que le produit de la pensée, sa réalité s'évanouit en même temps que celle du monde extérieur. "Toute réalité se change en rêve merveilleux... L'intuition est un rêve et la pensée le rêve de ce rêve". p81-82

La croyance va restaurer le réel, mais un réel tout autre que celui de la nécessité extérieure qui menaçait de m'écraser. C'est le cœur, instrument de cette croyance, qui se substitue à l'intuition, trop faible, pour m'arracher au doute. Le cœur m'est témoin de ma conscience morale. Or, celle-ci me dicte mon devoir d'agir. La fin de l'action qu'elle exige est l'amélioration de ce monde, qui est le germe d'un univers supra-terrestre. Dans l'acte volontaire, je produis absolument la pensée, c'est-à-dire le concept de fin, qui sert de modèle à mon action, et je produis aussi l'être, c'est-à-dire ce qui est réalisé par l'action, conformément à ce concept. Ainsi le besoin d'agir restitue-t-il la réalité que le doute de la science avait dissipé. p84
Jean Chevalier, 1939 sur "La destination de l'homme"

La philosophie de Fichte est à la fois méconnue et le soubassement d'un subjectivisme communément partagé dont il faudrait sortir. Son importance historique est indéniable, faisant date bien qu'oublié, ce pourquoi ses concepts restent la plupart du temps incritiqués, notamment l'autonomie du moi dont Lacan se moquait (avec les sciences humaines, contre Descartes, Fichte, Sartre), mais aussi l'histoire et la science comme auto-développement de l'humanité, le peuple (la classe) comme conscience de soi agissante, le primat de la pratique (faisant de l'idéalisme la part active, le règne de la finalité et non des causes), etc. C'est en tout cas la première avant-garde (dans la suite du Sturm und Drang), modèle des philosophies révolutionnaires qui suivront, toujours au nom d'une liberté exaltée et avec la prétention de changer le réel par le changement de l'Idée ou par une réforme de l'entendement. On peut dire que cette première philosophie post-1789 retrouve la dimension politique de la philosophie mais sous un mode prophétique et identitaire, non du bon gouvernement, pur rapport de force. C'est ce qui le distingue de l'idéalisme absolu de Berkeley, qui prétendait que "Être, c'est être perçu", s’appuyant lui aussi paradoxalement sur l'empirisme de Hume pour tout réduire au subjectif. Cela le différencie plus encore d'un Schopenhauer réactionnaire dont pourtant "Le monde comme volonté et représentation" se voudra également une radicalisation de Kant mais en portant le soupçon sur nos représentations et notre conscience, et bien plus pessimiste (de la souffrance à l'ennui), sans véritable recours (sinon dans l'Art).

Dépasser Fichte, c'est redonner la primauté aux causalités extérieures, à la nature si l'on veut, et c'est bien ce qu'a voulu faire Schelling dans un premier temps en passant d'une philosophie du moi, opposé au monde, à une philosophie de la nature intégrant l'opposition en elle-même, passant ainsi de l'idéalisme subjectif à l'idéalisme objectif dont Hegel, témoin de cette dialectique en acte, montrera l'insuffisance (nuit où toutes les vaches sont noires). Même s'il n'y a pas chez lui de prétention à "réaliser la philosophie", en faisant de l'ombre à ses prédécesseurs, le monument hégélien, de l'importance d'Aristote, empêche qu'on puisse en critiquer la fragilité des fondements qu'il y a trouvé, transformant l'histoire humaine en l'histoire de l'esprit (d'un peuple) alors qu'on comprend mieux aujourd'hui qu'elle se confond amplement, sur le long terme au moins, avec l'évolution technique, dialectique contre la nature plutôt, et qui n'a pas de fin. Le devoir moral reste aussi pressant, mais le devoir-être ne se réconcilie pas avec l'être, il n'y a pas d'identité du sujet et de l'objet, la morale ne peut plus être aveugle, commandement inconditionnel, mais doit devenir conséquentialiste, attentive à ses effets réels, passant d'une éthique de conviction à une éthique de responsabilité, c'est à dire au politique comme art du possible.

Texte inclus dans ma petite histoire de la philosophie. Voir aussi L’invention des peuples de Herder à Heidegger (en passant par Fichte).

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18 réflexions au sujet de “De Kant à Fichte”

  1. On retrouve peut être indirectement cette idée que "ce qui résiste à la liberté comme étant tout bonnement la preuve et la condition d'une liberté", dans la notion de rapports de domination, qui n'ont de signification que dans le cadre de rapports entre libertés. Ou encore dans l'idée que la liberté est au fondement de la servitude (la servitude volontaire). Mais cette résistance de l'obstacle comme manifestation de la liberté concrète, peut être aussi interprétée comme le "conatus" spinoziste. L'obstacle, c'est ce qui s'oppose au conatus, ce qui le révèle. Tout est question de signe finalement (la liberté comme négation de l'obstacle ou bien l'obstacle comme négation de l'affirmation de l'effort à persévérer dans l'être.

    • (Je me corrige) Sauf que l'effort chez Spinoza reste in fine, déterminé par l'extériorité. Par ailleurs, bizarrement, et même s'il prenait en considération la matière ouvrée, Sartre condamnait la prééminence de l'extériorité sur l'humain, de l'Autre de soi, sur le soi au nom ... de valeurs morales ("toute philosophie qui subordonne l'humain à l'Autre que l'homme, a pour fondement et pour conséquence la haine de l'homme", CRD, page 292). On retrouve sans doute un peu cette posture morale dans toute philosophie subjectiviste.

      • Même s'il n'en a jamais rien dit, il semble bien que Sartre doit beaucoup à Fichte, en tout cas, il y a de nombreux points communs, un certain extrémisme de la liberté supposée entière par principe, d'autant plus dans l'adversité et sous la torture. Ce qui est, effectivement, le contraire du spinozisme pris dans la chaîne des causes. Faire de "l'humain" un sujet est problématique, tout comme de faire du "peuple" un sujet, ce que refusait Hegel, ne voyant sa réalité que dans ses institutions, esprit objectif.

  2. Cher Jean Zin,
    lecteur régulier de vos productions, pardonnez moi ce (relatif) hors sujet ici : je viens de découvrir qu'un intervenant dans un fil de discussion que vous avez fermé (sans quoi j'aurai posté là-bas), le "Qu'est-ce que la démocratie" du 22 septembre 2017, sous le pseudonyme de "Olaf", est venu y annoncer que je suis "un petit con borné, dogmatique et prétentieux" qu'il a "envoyé chier".
    Je n'ai aucune idée de l'identité de "Olaf", mais je me permets d'envoyer ici un lien vers ce que j'ai effectivement écrit sur le sujet dont il était question. Un rapide survol de ce fil me donne à penser que nous ne serons probablement pas d'accord sur celui-ci, mais que quoi qu'il en soit vous ne m'enverrez pas "chier", tel un vulgaire "Olaf" :
    https://blogs.mediapart.fr/vincent-presumey/blog/011117/catalogne-truismes-et-realite
    Sur ce, au plaisir !

    • Il suffit de lire vos réponses aux commentateurs de votre billet Mediapart que vous citez pour voir à quel point vous êtes pénible.

      Et pourtant, ces commentateurs ont de l'humour et de la patience, bien plus que moi. Mais à la fin, ils finissent eux aussi par sentir la moutarde montant au nez devant vos polémiques puériles sur le tutoiement et divers points Godwin en pagaille qui tournent à la querelle de cour de récréation.

    • Votre billet me semble charrier beaucoup d'illusions, notamment qu'une Catalogne indépendante serait plus progressiste, même si se débarrasser de la royauté serait un progrès. Les marges de manoeuvre en Europe ne sont pas si grandes et si les indépendantiste ne sont pas loin de la majorité, ils ne sont pas vraiment majoritaires alors qu'il faudrait qu'il y ait dans les 2/3 pour que ce soit légitime et que l'autre moitié ne se sente pas "colonisée". C'est donc juste une machine à fantasme comme Podemos ou le Brexit, on se raccroche à n'importe quoi quand plus rien ne semble possible alors que les véritables enjeux sont ailleurs.

      En fait, on ne se raccroche pas tout-à-fait à n'importe quoi mais à de vieilles idéologies dépassées sans qu'on le sache encore, comme cette "autodétermination des peuples" qui n'a plus aucun sens dans le capitalisme mondialisé, la seule autodétermination qu'on a étant de ruiner le pays comme au Venezuela. Il est d'autant plus intéressant de remonter à Herder et Fichte qui sont à l'origine de cette revendication qui ne s'est imposée cependant au niveau de l'ONU que dans un contexte de décolonialisation où elle est bien sûr légitime (bien qu'ayant produit des pouvoirs autoritaires et corrompus dont souffrent les dits peuples). L'autre application de cette souveraineté du pouvoir plus que du peuple, était de pouvoir choisir entre l'Est et l'Ouest quand il y avait encore des pays communistes et des économies fermées (dont Fichte est le premier théoricien). Ce qui reste d'auto-détermination, c'est d'expulser les étrangers et de ne pas payer pour les pauvres. Bien sûr, la Catalogne habille sa revendication d'histoire et de culture, pas de calculs sordides, mais c'est un fait qu'elle est la plus riche et peut se le permettre, ce n'est pas le sud qui va faire sécession, il n'en a pas les moyens ! Racisme et xénophobie se sont toujours appuyés sur une supposée supériorité culturelle.

      Le printemps des nations était certainement progressiste et correspondant à la période industrielle, ce n'est plus le cas aujourd'hui et il faut bien admettre que ce sont les nations qui ont forgé leur peuple plutôt que le contraire (la disparition des dialectes notamment) par l'école républicaine et la guerre. Car les nations, c'est la guerre, pour la raison très fichtéenne qu'on ne se pose qu'en s'opposant. Ce qui resserre les rangs, c'est d'être attaqué. Quand une nation nous fait la guerre et nous prend pour cible, on sait qu'on a un ennemi et qu'on fait partie du même peuple attaqué. Dès que la paix revient, les divisions intérieures reviennent et chacun revendique d'être le peuple.

      Ce qui est le plus contestable et que faisait Fichte, c'est d'assimiler un peuple à un individu doté d'une volonté et d'une particularité (récusant l'universel contrairement à Herder et Kant). On peut dire que c'est une conséquence de la démocratie supposée exprimer une volonté générale conformément à Rousseau croit-on alors qu'il ne pensait pas plus qu"Aristote qu'une démocratie puisse être autre chose qu'une démocratie locale, de face à face comme dit Bookchin. La démocratie nationale, forcément représentative, n'est qu'un régime de débats publics et de compromis sociaux, institutions pacificatrices précieuses mais qui n'ont rien de "l'expression populaire" et sont d'ailleurs dominées le plus souvent par la droite et la bourgeoisie.

      La Révolution française a échoué, il ne faut pas l'oublier, tombée dans l'Empire, ce qui est revenu de démocratie inspiré plutôt par l'Angleterre et Montesquieu n'avait plus rien à voir avec le projet premier de fédération et de pouvoir du peuple. Si on peut reprocher à Robespierre d'avoir entretenu l'illusion d'une démocratie nationale qui pourrait s'épurer en éliminant les ennemis du peuple, du moins il n'y avait pas encore de nationalisme dans cette notion de peuple, ce qu'on défendait, c'était la Révolution qu'on voulait étendre à tous les peuples européens. Le basculement s'est fait quand cela s'est transformé en conquête napoléonienne où la force étrangère suscitait la résistance de la particularité écrasée. Fichte ne fait rien d'autre qu'exprimer son époque, celle des peuples, des masses et des guerres industrielles, époque qui prend fin avec la globalisation numérique. Raviver ces mythologies dépassées est à la fois dangereux et trompeur, hors de notre temps, cette idée folle d'autonomie quand nous faisons partie d'un écosystème fragile qui doit nous mobiliser par nécessité et non par notre bon vouloir (l'autonomie effective n'étant pas au départ mais une production sociale).

      • " Bien sûr, la Catalogne habille sa revendication d'histoire et de culture, pas de calculs sordides, mais c'est un fait qu'elle est la plus riche et peut se le permettre, ce n'est pas le sud qui va faire sécession, il n'en a pas les moyens !"

        Le fait est que ceux qui menacent sérieusement de sécession sont souvent les plus nantis, l'Italie du Nord, la Bavière allemande, dans une certaine mesure, qui ne veut plus payer pour Berlin et les autres Länder moins riches. Les histoires d'argent comme celles d'amour finissent souvent mal.

        L'argument de Présumey serait que la Catalogne paye trop pour le clergé ou l'armée espagnole en oubliant qu'il s'agit d'une péréquation budgétaire commune. En bref, il résume un conflit budgétaire tout en prétendant qu'il ne s'agit pas d'argent, double discours enfumeur quand tu nous tiens...

        Dans bien d'autres domaines, les histoires d'argent sont toujours prétexte pour noyer son chien accusé d'avoir la rage au nom de grand principes éthiques.

  3. Je ne souhaitais pas relancer ici un débat sur la Catalogne. Par contre, dans la mesure où vous avez, Jean Zin, éprouvé le besoin d'intervenir sur ce sujet ici, j'eusse trouvé tant intelligent qu'humainement correct de se démarquer des propos injurieux et scatologiques de "Olaf", qui confirme et signe. Vous n'en faites rien, et nous servez un pavé de considérations inactuelles sur les "mythologies dépassées" tout en reprenant les pires antiennes de café du commerce (façon Olaf, justement). Vous faites même de "la Catalogne" une quasi personne qui habille ses mauvais instincts d' "histoire et de culture" !
    Il s'agit de démocratie. Et ni la violence des insultes des uns, que vous soutenez de fait et la répression avec eux, ni la fausse dimension éthérée des considérations d'apparence profonde que vous nous servez ici, ne prennent en compte ce fait. Très franchement, il est inutile d'en dire plus.
    Cordialement.

    • " se démarquer des propos injurieux et scatologiques de "Olaf", qui confirme et signe."

      Il est tellement vrai que vous êtes en revanche si aimable avec vos commentateurs.

      Quant à l'appartenance à l'UE d'une Catalogne indépendante, vous feignez d'oublier qu'il faudrait l'accord de tous les états de l'UE, donc faisable aux prochaines calendes grecques.

      • " se démarquer des propos injurieux et scatologiques de "Olaf", qui confirme et signe."

        Ce Présumey est tout de même curieux. Des expressions comme envoyer chier, merde, Heilige Scheiße, emmerder, shit, bullshit, holy shit, fucking thing... c'est le langage d'un peu tous les prolos avec qui j'ai bossé dans des usines partout en Europe.

        Donc avec des gus qui mettent les mains dans le cambouis, et jurent quand il y a une machine qui pète, qui fuit du gaz ou de l'huile.

        Présumey n'est qu'un intello aux mains propres qui n'a jamais bossé sur une chaîne de production, sur un chantier du bâtiment, là où on sue, dans un champ, en chie au soleil pour produire des trucs utiles, se tape des charges sur le dos...

        Alors il vient faire son Brahmane hygiéniste du langage. Et maintenant, ce Tartarin de Tarascon qui n'a jamais fait aucun job de prolo vient expliquer aux Brésiliens la lutte armée :

        https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/011118/elements-de-reflexion-sur-la-situation-bresilienne-par-vincent-presumey

        A t il seulement tenu un flingue dans sa main un jour, fait une veille ou opération commando, se péter des phalanges en sport de combat, pour expliquer de quelle expérience il se revendique pour conseiller les brésiliens au combat ?

        Ce type n'est qu'une outre enflée de sa vacuité.

        • Cela n'a aucun intérêt de rentrer dans les attaques personnelles, par contre il est intéressant de voir à quel point l'idéologie fonctionne comme une entreprise de refoulement massif qui tente de reconstruire sa cohérence (en chambre) sur la négation des faits.

          C'est un fonctionnement humain, inévitable, mais alors que Vincent Presumey prétendait que seule comptait la "démocratie", devant laquelle on n'a que le droit de fermer sa gueule, pour une indépendance de la Catalogne même pas soutenue par une majorité de la population, il dénie le caractère démocratique de l'élection d'un aspirant dictateur au Brésil, pourtant largement élu, car cela ne rentre pas dans sa conception mystique et révolutionnaire de la démocratie.

          C'est une chose qui m'avait frappé depuis longtemps qu'on déniait au fascisme et au nazisme une assise populaire. On nous prouvait qu'ils n'avaient jamais eu une vraie majorité car le peuple est bon et sage, ils ne peuvent vouloir qu'une gentille révolution pacifique pas la violence autoritaire et xénophobe. La vérité, c'est que le fascisme et le nazisme ont suscité un très grand enthousiasme et soutien populaire. Hannah Arendt témoigne de l'adhésion soudaine de ses relations au nazisme et les Italiens ont été aussi fortement séduits par Mussolini comme le montre un livre:

          https://laviedesidees.fr/La-seduction-fasciste.html

          Il faut arrêter de ne voir dans les fascistes que des monstres qui voulaient le mal alors que c'est au nom du Bien que le plus grand Mal a été fait. Il y a un désir d'unité mais qui se révèle mortifère (ne se concrétisant que dans l'opposition à l'autre pour revenir à Fichte). Le refus de penser les vaincus autrement que du point de vue des vainqueurs préparait le retour des mêmes fantasmes ravageurs et la répétition de l'histoire (atténuée quand même). Il faut reconnaître la séduction totalitaire pour la contrer mais on est dans une dialectique entre une gauche qui paye ses fautes et une extrême-droite oubliée qui revient et peut promettre à nouveau la lune.

          • Bolsonaro est une grande gueule, comme Trump et même Sarkozy, et ainsi de beaucoup de tribuns actuels ou passés. Entre ses gesticulations oratoires et ce qu'il fera, il est très difficile de savoir.

            Hitler était un tribun hors pair, et pas si peintre raté qu'il est dit. Certaines peintures de Hitler ne sont si inintéressantes que ça.

            https://fr.timesofisrael.com/un-tableau-dhitler-dans-un-musee-italien-endommage-par-un-homme-muni-dun-tournevis/

            Le parti nazi n'était pas majoritaire, mais suffisamment puissant et infiltré pour orchestrer une prise de pouvoir par des moyens plus ou moins légaux :

            https://www.nouvelobs.com/le-dossier-de-l-obs/20130726.OBS1194/hitler-n-aurait-pu-prendre-le-pouvoir-sans-la-complicite-d-elites-bourgeoises.html?fbclid=IwAR0tYbudWoFGsBvaQSe_uyZ92w_sjL7o2dSA0OeWkrMYtgqocovfrrVThzo

            De toutes façons, la sensibilité des masses au verbe et à la théâtralisation des tyrannies restent toujours présentes.

          • Hitler était un très mauvais peintre et l'histoire est bien connue de sa prise de pouvoir comme celle de Mussolini. Je trouve que c'est une présentation bien trop simpliste et rassurante mais qui donne à Hitler une toute-puissance délirante. Déjà être le premier parti et monter à 37% ce n'est pas rien mais si Hitler n'était pas majoritaire à son arrivée au pouvoir, il l'est devenu ensuite, encore plus après la victoire éclair sur la France. Beaucoup de ceux qui n'étaient pas nazis avant le sont devenus très vite et non par opportunisme mais par contagion émotionnelle et l'ivresse de l'appartenance. Même Heidegger n'est devenu nazi qu'après la victoire d'Hitler, avant il était déjà pangermaniste (fichtéen) mais ne se rangeait pas derrière le parti national-socialiste.

            S'il n'y avait pas eu Hitler, il n'y aurait sûrement pas eu l'extermination des juifs, mais un autre dictateur nationaliste fascisant reprenant l'idéologie hitlérienne en grande partie déjà là et répondant à l'aspiration identitaire et antilibérale qui revient aujourd'hui à cause de la crise et l'échec du marché.

          • "Hitler était un très mauvais peintre"

            Je ne suis pas d'accord, c'était pas du tout un peintre de la dimension de Picasso, Dali, Bonnard, Nicolas de Staël, Van Gogh ou du Caravage, mais certaines de ses croûtes montrent un travail intéressant qu'il a cessé dès qu'il a fait de la politique, alors qu'il aurait mieux fait de rester peintre de seconde zone en s'améliorant par la suite.

            De toutes façons, il a su maléfiquement utiliser toute la palette des idées morbides déjà existantes de son époque pour favoriser l'apparition d'une catastrophe meurtrière.

    • Au niveau métaphysique où Kant prend la liberté, c'est universel et ne dépend pas de la culture, seulement de la raison mais c'était l'objection de Herder que la raison n'était pas innée, qu'il fallait qu'elle soit apprise en passant par une culture, introduisant le relativisme des valeurs et des sens (des langues).

      Le sens du mot liberté varie certainement pas seulement avec les cultures mais dans de nombreux usages, et son exercice encore plus. En France la liberté évoque le libertin ou le révolutionnaire alors que les philosophes allemands ont tendance à assimiler la liberté avec le devoir et l'obéissance.

      Si on assimile la liberté à l'autonomie, c'est alors une production sociale, très différente de la supposée liberté de l'esprit par rapport aux causes matérielles alors que l'individualisme n'est qu'une conséquence de l'évolution cognitive, technique, économique, juridique (mais commence avec Epicure et l'Empire), on s'en plaint depuis l'origine.

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