En situer le coeur n'est pas tout dire et Marx se rendait bien compte qu'on n'en avait jamais fini avec la description des mécanismes du Capital. Il ne s'agit pas, en effet, d'un problème théorique mais d'une situation historique. Loin du fait que le capitalisme puisse être un état naturel, c'est le résultat d'un processus historique d'accumulation de capitaux et de connaissances. Les conditions du Capitalisme, c'est à dire de la soumission de la production à la circulation, sont au moins :
- L'existence d'un marché mondial (supra-Etatique), voir
Wallerstein.
C'est-à-dire qu'il faut des États mais ouverts au commerce
extérieur représentant la totalité de l'économie-monde,
de la circulation, au-dessus des États.
- Et donc de la monnaie, de la valeur d'échange,
principe d'équivalence des marchandises
- L'accumulation et la concentration du capital marchand
- Mais aussi la concurrence des capitaux entre eux, ainsi qu'une
limitation de cette concurrence
- Le travail salarié (ou le travail dépendant)
et donc la privatisation des terres communes mais aussi le Droit nécessaire
au contrat de travail et la mesure de la valeur-travail par sa durée
(base de l'équivalence des marchandises, leur substance commune
pour le machinisme).
- La science, la technique, les ressources naturelles et sociales (externalités)
appropriés par l'investissement pour accroître sans cesse
la productivité du travail salarié.
- L'extension enfin des marchés et de la masse monétaire
(crédit, expansion, redistribution) accompagnant la croissance de
la production.
En faisant l'énumération de ces conditions du productivisme capitaliste, on pose aussi bien les limites du Capitalisme. Ainsi, il ne peut y avoir de Capital universel, ce qui supprimerait la concurrence des capitaux entre eux, alors que c'est cette concurrence qui pousse à l'augmentation constante de la productivité, à la mobilisation d'externalités encore non-exploitées. Il ne peut pas plus exister une concurrence parfaite décourageant toute initiative, Internet est peut-être ici une limite en supprimant les délais de réponse dans un marché presque parfait. Une autre limite est bien l'existence de ces externalités qui ne sont pas inépuisables et qu'il faut protéger ou reproduire. "A l'origine, les dons de la nature sont abondants et il suffit de se les approprier" p290, c'est ce qui constitue la rente capitaliste, l'appropriation de l'inappropriable, mais il y a une limite planétaire écologique. Moins visible mais tout autant problématique pour le salariat et le capitalisme, il y a aussi la crise de la mesure ne permettant plus d'exprimer la valeur en temps de travail. Enfin il ne peut y avoir de Capitalisme si un véritable État planétaire contrôle le marché mondial (Wallerstein) car il ne sera plus possible de s'approprier indûment ces externalités qui sont un autre nom pour ce qui est bien commun. Cela ne veut pas dire que le capitalisme pourrait exister sans l'existence d'États garantissant les dettes et les inégalités au nom du Droit et de l'équivalence. Plusieurs tensions participent à la dynamique du capitalisme : État national-marché mondial, valeur d'usage-valeur d'échange, salaire-produit, concentration-concurrence, public-privé, équivalence-inégalités, entropie-différenciation, innovation-inertie. Ces tensions dialectiques constituent des oscillateurs déterminant les pôles du cycle économique de l'économie-monde capitaliste. La véritable limite de cette domination de la circulation semble bien son achèvement dans la mondialisation de la civilisation et de la division du travail.
Il ne faut pas confondre les différents types de marché : marché financier, marché des biens et marché du travail qui n'ont pas du tout le même rôle. Le marché financier étant le plus mobile, c'est celui où la concurrence pourrait être la plus parfaite mais, comme nous le verrons, trop de concurrence tue la concurrence. La concurrence représente surtout pour le capitalisme l'abrogation de l'ordre féodal, l'ouverture des marchés, l'universalisation des droits commerciaux mais pas du tout un ordre idéal et transparent. La concurrence signifie une suppression de barrières et non pas une communication généralisée ni un principe entropique permettant d'homogénéiser des différences à la longue. Il y a bien homogénéisation des marchandises et des cultures mais il y a aussi une augmentation des inégalités qui se creusent. La principale limite à la concurrence dans le capitalisme consiste dans la concentration des capitaux qui est un facteur de puissance générant des rentes de situation, et d'abord celle du propriétaire des moyens de production par rapport au salarié. Seuls les capitaux de taille équivalente se font concurrence dans une fourchette de profit donnée qui doit augmenter avec la concentration. La concurrence est tellement loin d'être parfaite qu'elle se réduit souvent à deux (on appelle cela la "loi des deux"), en considérant que l'idéal est une répartition 60/30/10 entre 3 concurrents ! Même pour le salariat, la concurrence est le plus souvent limitée à une catégorie précise de la population. Les autres limites à la concurrence sont l'inertie des structures et la mobilité relative des acteurs, mais l'État garde aussi son rôle de protection de la classe dominante et des rigidités sociales. La concurrence sauvage ne vaut pas mieux. Les crises montrent le caractère auto-référentiel, s'entretenant lui-même et donc pas du tout entropique des marchés (lois du Chaos). Les euphories spéculatives sont souvent caricaturales. L'entropie et la rationalité ne sont pas notre seule réalité qui connaît des divergences à partir des conditions initiales (comme un ouragan qui se forme, un fleuve qui se creuse, un réseau qui se renforce de sa fréquentation). Plus de concurrence n'améliorerait pas forcément les choses. Si la généralisation des marchés et de la concurrence produit les plus grandes inégalités c'est bien qu'on y perd quelque part, c'est bien que l'échange est inégal sous une fausse équivalence et un semblant de concurrence. "Quand on parle des compensations par la concurrence, on suppose qu'il y a toujours quelque chose à compenser, donc que l'accord n'est que le résultat du mouvement tendant à la suppression du désaccord" p492. Cet échange inégal basé sur ce que Marx appelle exploitation et plus-value, nous l'appellerons une rente, pour en généraliser la fonction et différencier ses formes, mais nous verrons que cette rente doit être temporisée, déterminant les différentes phases du cycle. Le processus capitaliste peut ainsi être décrit comme un cycle de la rente ou de la rentabilité, limitant la concurrence en milieu ouvert.
Comme Schumpeter l'a bien montré, l'équilibre général de Walras est statique et ne peut rendre compte de l'évolution cyclique du capitalisme, ni même du profit qui est impossible en circuit stationnaire. Introduire l'entrepreneur et l'innovation est donc nécessaire mais c'est encore insuffisant, de l'ordre de la justification idéologique car d'une part c'est rarement l'innovateur qui en tire profit plutôt les investisseurs, d'autre part l'innovation est le mythe qui renforce les positions acquises pour le restant du cycle. C'est le déséquilibre qu'il faut introduire d'abord. A l'inverse des théories de l'équilibre ou de la main invisible des marchés, il faut comprendre, en effet, le capitalisme comme rente de position plutôt que par la concurrence ou l'industrie (Braudel). Innovation, productivité et concurrence ont certes un rôle indispensable mais limité, imparfait et temporaire comme barrière d'accès protégeant la position de rentier. La généralisation au concept de rente (terme sans doute contestable mais renvoyant à un rapport de force ou un privilège garanti par le droit et le marché) permet de penser la continuité et la permanence du capitalisme marchand dans le capitalisme industriel (le Capital unifie production et circulation). La rente est toujours ce qui assure la reproduction des rapports de production (inégalités et dominations). Surtout il va nous permettre de dégager un cycle type plus réaliste que les représentations idéologiques et s'appliquant à différents niveaux, micro ou macro économique, notamment les cycles longs de 60 ans, cycles de l'innovation appelés cycles de Kondratieff. Le caractère temporaire de cette rente est une réinterprétation de la baisse tendancielle du taux de profit ramenée à un phénomène cyclique, conformément au Marx des Grundisse, différencié mais analogue du cycle de la plus-value. C'est ce que les néo-classiques marginalistes appréhendent par la loi des rendements décroissants s'opposant aux économies d'échelle.
Ainsi, plutôt que de supposer une concurrence parfaite et l'égalité
du prix avec la valeur-travail, nous supposerons l'inégalité
des prix et de la valeur qui ne vont s'égaliser qu'après
un certain temps de réponse des marchés. Ce délai
est dû à une concurrence et une information imparfaite (dissymétrie
des marchés) autant qu'à l'inertie devant l'innovation ou
au temps de propagation d'une nouvelle technique (formation). Ce délai
temporel, indispensable au profit capitaliste, est ce qui constitue le
cycle de la plus-value, comme rente temporaire dont le cycle de Kondratieff
parcourt les différentes formes, mais il est couplé aussi
avec les cycles démographiques caractérisés par le
délai entre conception, investissement immobilier et participation
à la production (baby boom 1944, papy boom
2004).
Pour Richard Easterlin (Birth and Fortune) les cycles alternent
générations creuses et générations nombreuses,
les générations creuses connaissant le manque de main d'oeuvre
n'hésitent pas à faire des enfants alors que les générations
qui ont plus de difficultés à trouver du travail sont moins
fécondes (à partir de
1965 début
du Baby Krach). Le décalage des quantités, de l'inflation
et de la dette serait dû à la constitution d'un patrimoine,
à l'immobilier donc, alors que l'amplitude de 15-20 ans est à
mettre au compte de l'arrivée sur le marché du travail de
classes d'âge soudain plus nombreuses. Notons que les cycles démographiques
ont tendance à s'allonger alors que les nouvelles communications
réduisent le cycle de la plus-value. Comprendre les différentes
phases du cycle permet de comprendre que, selon le moment du cycle, ce
ne soit pas la même stratégie qui est dominante, ni les mêmes
vérités qui ont cours, ni les mêmes politiques économiques
qu'il faut mener. La question à poser est celle de "l'avantage concurrentiel"
dominant à une période donnée du cycle.
Au-delà de cette position passive du rentier en bout de course, qui se réduit au simple rapport de force, la rente peut s'interpréter comme une captation des externalités positives, une privatisation des biens publics ou l'exploitation de ressources communes : que ce soit la terre pour la rente foncière, la technique et la science pour l'innovation ou bien les infrastructures, la formation des travailleurs dont bénéficient les industriels ou même l'intervention directe de l'État pour protéger les grandes entreprises et les rentiers (en luttant contre l'inflation par exemple, au risque du chômage, ou en baissant les impôts). Sans parler des externalités négatives, des pollutions, des destructions qu'on abandonne gracieusement aux industries. Cette rente semble justifiée par le gain de productivité inaugurant le cycle, le rôle actif du Capitaliste qui peut considérer le terme de rentier comme inadéquat mais son rôle est de plus en plus réduit. Non seulement, au long d'un cycle, le capitaliste est de moins en moins actif mais d'un cycle à l'autre le pouvoir passe de plus en plus au manager plutôt qu'au propriétaire dont le parasitisme devient de moins en moins supportable. Plus la production est socialisée, moins la rente de l'actionnaire se justifie alors qu'il peut désormais être remplacé par une machine, un programme d'optimisation des placements.
L'innovation a besoin de mobilité mais elle se justifie surtout par la baisse du taux de profit et l'épuisement des avantages concurrentiels, la recherche de nouvelles réserves de productivité, de plus en plus rentables (capital-risque) par rapport à la concentration monopolistique. Il semble d'ailleurs que l'innovation ait besoin d'être accompagnée, à chaque début de cycle, d'un progrès des transports, une accélération de la circulation permettant de réduire les stocks (flux tendus) et de s'adapter aux fluctuations de la demande encore déprimée (cf. Marx, I, 1323). Les innovations majeures exigeant des changements structurels ne sont acceptées qu'en dernier recours, c'est une des bases du cycle, l'inertie des structures. On peut interpréter cette inertie comme la nécessité de la stabilité de la société, de la conservation de la valeur et des rapports de production, et donc encore comme rente qui est une inertie des revenus. L'innovation a bien un effet destructeur auquel on doit résister pour persister dans l'être mais surtout, il faut être conscient que par définition les risques sont immenses tant qu'une innovation n'a pas fait ses preuves. Valoriser l'innovation en soi n'a pas de sens dans la technique productive, ce qu'on appelle ainsi n'est que la pénétration d'une ancienne innovation éprouvée dans des structures plus anciennes. Un exemple frappant de cette inertie des structures est l'utilisation de la micro-informatique par les entreprises, qui a été improductive pendant 10 ans avant de tirer parti de gains de productivités considérables en se réorganisant autour des nouvelles technologies. On ne saurait faire de l'innovation l'unique moteur du cycle puisque la résistance à l'innovation y est tout aussi essentielle. On constate que les stratégies d'intensification, de protection, de dégraissage, de spéculation et de concentrations lui succèdent. L'innovation est loin d'être la stratégie dominante du profit. La phase qualitative d'innovation est assez courte et spéculative (10 ans). La plus longue période est celle de la généralisation de l'innovation (de moins en moins neuve), de sa montée en puissance industrielle et d'une économie de l'offre purement quantitative qui retrouve la sécurité d'une valeur-travail objective (pour autant qu'on puisse encore la mesurer en temps de travail) et reproductible. La poussée démographique qui l'accompagne n'est pas celle de l'innovation mais de la sécurité d'une croissance économique retrouvée qu'elle renforce dans l'immobilier par exemple et, comme le rappelle Schumpeter, là où il y a croissance, il y aura nécessairement décroissance. Le processus de concentration lui-même est nécessaire à la normalisation, à l'universalisation de la technique. La rente qui se justifie par l'innovation passée s'oppose tout au long du cycle à de nouvelles innovations majeures mais profite de la croissance de la population tout en préservant ses positions acquises contre les nouvelles générations. Le cycle du Capital commence ainsi avec l'innovation qui génère l'investissement, la croissance mais aussi la dette jusqu'au krach de l'immobilier qui amplifie la surproduction et enclenche le cercle de la dépression par le désendettement, la destruction de capacités productives, le chômage massif diminuant encore la consommation dans un contexte de baisse de la natalité. Derrière ces phénomènes, le cycle est constitué par une oscillation entre les pôles libéralisme/protectionnisme/concentration/innovation, cycle vital de croissance et régénération, de l'invention et de la norme.
Les mécanismes autoréférentiels du marché[1] amplifient ces logiques cycliques car les bénéfices attirant les capitaux, trop d'anticipations aujourd'hui font les surproductions de demain, c'est aussi certain que les embouteillages du soir et le reste s'en suit. La folie du rail ne pouvait que mal se terminer au premier accident (1842-43), il n'y a pas de mystère, pas plus que dans la nouvelle économie. La théorie des catastrophes donne une bonne représentation du krach mais la raison principale de l'effet de seuil brutal de la crise économique est la nécessité pour la production capitaliste de produire du profit, sinon de tout arrêter. La logique du krach contamine l'État fiscal[2] régulateur : épuisé par la stagflation montrant qu'il ne peut faire face à la dépression par une régulation conjoncturelle adaptée aux récessions à court terme, l'État entre dans une phase de privatisation (pour se désendetter) ainsi que de dérégulation où il doute de son rôle de stabilisateur et libère sans doute l'innovation mais constitue aussi une rupture de la cohésion sociale nécessaire à l'économie jusqu'à quelque catastrophe de l'ultra-libéralisme appelant de nouvelles régulations (à l'exemple du spéculateur G. Soros). Le libéralisme n'est ici qu'un moment du cycle, sa panique finale. Comme le montre Wallerstein le capitalisme, malgré son idéologie libérale, ne saurait se passer de l'État qui "socialise les coûts et privatise les profits". Les excès du libéralisme serviront plutôt de fondement aux nouvelles réglementations du cycle suivant (Taxe Tobin). Il y a aussi, c'est le point qui m'intéresse le plus et sur lequel je voudrais attirer l'attention, un krach des luttes sociales qui ne s'intensifient pas à mesure de l'extension du chômage et de la misère, comme le voudrait la justice, mais s'épuisent au contraire, ne reprenant qu'au début de chaque cycle, marqués la plupart du temps par des "révolutions" où se régénèrent le pouvoir et le droit pour le restant du cycle. Les revendications renaissent seulement lorsque la dépression a terminée la destruction de la société et qu'apparaissent de nouvelles ressources qu'une misère accumulée exige immédiatement. Les hommes n'ont pas perdu toute dignité ni toute colère. La révolte n'était pas morte, elle était désarmée et vaincue, en attendant le retour du temps des cerises.
Nous avons vu que l'État fiscal est fortement impliqué dans les cycles économiques et participe à ses crises mais il soutient aussi largement la croissance économique. Son rôle change selon les tendances du moment : fournissant des infrastructures aux innovations, soutenant la consommation et l'investissement par l'inflation dans la période d'expansion puis protégeant ses marchés lorsqu'ils arrivent à saturation, enfin favorisant une bulle immobilière en baissant les impôts et l'inflation. Ceci mène droit au krach et à la dépression dont nous avons déjà parlé. Le krach de l'État suit le krach démographique et précède celui de la finance, pour les luttes c'est plus difficile à dire.
J'espère avoir montré qu'il ne faut pas se limiter à
une explication démographique ou psychosociologique du cycle de
Kondratieff mais le considérer globalement, expliquant ses
différentes phases comme une propriété du capitalisme
lui-même comme totalité qui peut clairement s'exprimer par
les quantités, les prix et la dette, comme nous allons le voir ensuite,
mais tout autant comme mobilité, productivité, spéculation
et concentration du point de vue de la stratégie des acteurs et
donc de leur psychologie ou de leur idéologie. La notion de cycle
implique celle de la totalité du processus qui est parcouru, ne
pouvant se réduire à un point de vue partiel.
La possibilité des cycles et des crises est, pour Marx, dans la séparation du vendeur et de l'acheteur, du producteur et du consommateur. La loi des débouchés oublie cette séparation et le rôle intermédiaire de la monnaie. L'augmentation de la productivité a besoin dans les faits d'une augmentation de la masse monétaire (p720), du développement du crédit. L'armée de réserve industrielle des chômeurs (que Marx appelle surpopulation et qu'on nomme aujourd'hui précarité) est la variable d'ajustement nécessaire aux cycles conjoncturels, le crédit et l'innovation en sont la cause. Cette course au profit, au productivisme aboutit à une surproduction et à une destruction de capital[3]. Dans le tome II, Marx pensait relier cette explication des crises au temps de rotation du capital (production+circulation), identifié à ses mouvements périodiques de 10 ans. La crise serait déclenchée par une surabondance cyclique du capital-argent. Ces crises de liquidités existent bien et seront théorisés par Keynes, permettant d'éviter ce type de récessions. Marx reconnaissait pourtant aussi des cycles plus longs de 50 ans mais pensait qu'ils avaient la même base indistinctement liée à l'investissement et à l'innovation technique. L'embêtant est qu'il y avait encore une autre explication, celle de la baisse tendancielle du taux de profit tantôt pensée comme cyclique, tantôt comme absolue. D'ailleurs chaque contradiction du capitalisme, lui semblait pouvoir provoquer la crise, notamment, préfiguration de Keynes et Ford, la contradiction du salarié comme producteur devant être payé le moins possible, avec le consommateur qui doit pouvoir acheter la production (Capital II, p695). C'est, à mon avis, une cause de l'échec de Marx à terminer le tome II du Capital.
Il nous donne pourtant bien la liste des stratégies pour accroître le degré d'exploitation, continuer l'accumulation et reconstituer la plus-value : L'innovation, l'intensification du travail, la baisse des coûts, des salaires mais aussi le développement des services, des produits de luxe, le commerce extérieur (les colonies) et enfin le développement de la finance-épargne, des actions investies, des obligations acceptant un revenu financier inférieur reconstituant le profit des industriels, leur part de plus-value. Mais il ne constitue pas ces stratégies en moments différenciés du cycle.
S'il a été aussi loin que possible à son époque
dans la reconnaissance des cycles économiques, sa volonté
d'unification ne lui a pas permis de conclure. Le recul de l'histoire,
en soulignant les différences met en évidence la confusion
première inévitable entre les cycles courts et les cycles
longs, les progrès mineurs et les innovations structurelles, la
baisse de la plus-value et la baisse du taux de profit ; confusion enfin
entre les conditions de possibilité de la crise et ce qui détermine
la périodicité du cycle. Le temps de rotation du capital
n'a vraisemblablement pas plus que les cycles saisonniers d'influence notable
sur le cycle long car les différentes phases ne sont pas homogènes
et le temps de rotation de l'investissement n'a rien à voir avec
le temps de généralisation de l'innovation, alors que la
population a sans doute un rôle plus important qu'il ne le pense,
trop occupé à réfuter Malthus. Nous pensons résoudre
la question en distinguant les différentes stratégies dominantes
à chaque phase du cycle où la rente de situation n'est que
momentanément innovation et plus-value avant d'être subventionnée
puis d'entrer dans une phase de concentrations et de dégraissage
pour enfin repartir dans un nouveau cycle d'innovation. Cette succession
doit être correctement interprétée mais elle doit d'abord
être décrite, identifiée dans le cycle.
II
Le cycle de Kondratieff
"Quand les générations les plus jeunes sont dominantes, elles imposent des politiques inflationnistes, favorisant la consommation et l'immobilier au détriment de l'épargne et des actifs financiers, du moins jusqu'à ce qu'une crise inflationniste de type 1980 ou 1920 survienne. Quand ces mêmes classes d'âge vieillissent, elles font faire aux autorités économiques un revirement complet, favorisant cette fois l'épargne et les placements financiers, au détriment de la consommation. Cette attitude permet de reconstituer le stock de capital qui va nourrir la vague ascendante du cycle long suivant." Le bonheur économique p26Il ne faut pas voir là une quelconque volonté des peuples, tout au plus l'intérêt des classes dominantes mais surtout la nécessité du cycle. L'augmentation de la productivité doit produire de l'inflation pour écouler ses produits, soit par apport d'or ou par crédits, soit par redistribution. Tous les investisseurs et producteurs ont intérêt à une inflation facilitant les remboursements et les adaptations salariales, seuls les rentiers inactifs y perdent. Il faut noter que pour Ricardo, suivant Malthus, l'accroissement de la population entraînait un renchérissement du prix des subsistances, augmentant le revenu des propriétaires fonciers et appauvrissant les autres catégories. Ce phénomène agricole est comparable dans le résultat inflationniste mais bien différent, dans le mécanisme et les conséquences, des effets de la démographie sur l'inflation industrielle dans une société de consommation, un capitalisme totalement intégré. Pour Marx "la croissance de la population étant déjà en elle-même à la fois la condition et le résultat de l'accroissement des valeurs d'usage" II p273, la démographie accompagne donc nécessairement le cycle, comme l'inflation suit la croissance. Mais on peut constater que finalement, c'est bien le même phénomène foncier auquel on aboutit avec la bulle immobilière précédant le krach financier, la rente trouvant refuge en fin de course dans la plus ancienne tradition, le refuge dans la pierre.
Il faut distinguer les phénomènes analogues de la récession (cycles courts) et de la dépression (cycles longs). La récession est produite par la hausse des taux d'intérêt, la dépression par la hausse de la dette qui vient en dernier. Mais les quantités précèdent systématiquement les prix : à la hausse, comme à la baisse, puis vient la dette. Les évolutions de l'activité réelle sont premières. C'est parce que l'investissement productif, par lequel passe l'innovation schumpetérienne (au commencement est l'entrepreneur), s'ajoute à la consommation, que les prix et les taux d'intérêt montent (mais la dette continue à baisser d'abord). Cette reprise de la production est elle-même stimulée par un rajeunissement de la population (actuellement l'émergence de pays plus jeunes). On a donc jeunes -> production -> inflation -> dette -> vieux -> rigueur -> krach. Le cycle étant d'à peu près 60 ans, une génération étant d'à peu près 30 ans (de travail actif), il y a une génération sur deux qui est sacrifiée et dominée par la précédente (y compris numériquement, cf. Richard Easterlin). La génération sacrifiée commence avec les derniers surnuméraires du baby boom et s'étend de 1953 à 1974 (on y compte plus de suicidés, Le Monde 20/05/2000).
Depuis les débuts de la révolution industrielle, il y a 4 cycles complets répertoriés (de 1783 à 1997). Chaque cycle comprend 5 phases : 1) âge d'or de reprise sans inflation, 2) Prospérité avec reprise de l'inflation puis de la dette immobilière, 3) Stagflation (inflation+ralentissement) 4) Bulle immobilière (stagnation et rigueur) 5) Dépression (récession et baisse des prix). Chaque changement de phase est ordinairement marqué par une crise plus ou moins forte (parfois décalée d'un an). Ces crises peuvent être couplées avec les cycles intradécennaux, appelés Juglar (8-11 ans), relatifs à l'investissement ou les cycles Kitchin (3 ans) liés aux stocks et aux élections présidentielles américaines, elles n'en sont pas moins spécifiques aux cycles à long terme (passage au +bas prix, +haut quantité, +haut prix, +haut dette, +bas quantité). Il ne suffit pas d'emboîter comme Schumpeter 3 Kitchin par Juglar et 6 Juglar dans un Kondratieff, ne faisant comme d'habitude que reformuler ce que Marx avait écrit. Au contraire, on doit remarquer que ce sont les singularités du cycle qui provoquent des catastrophes (la théorie des catastrophes vient de la théorie des singularités comme changements de seuil, de "puits de potentiel"). Ceci nous oblige à distinguer 6 phases, et donc à diviser la phase de prospérité en deux. La crise consécutive au plus bas de la dette n'affecte pas fondamentalement la prospérité mais elle lui donne un autre sens et par la relance de la dette immobilière enclenche le décalage du cycle. Il faudrait aussi marquer une autre coupure dans la phase de prospérité à partir du baby krach.
Au commencement il y a, non pas l'innovation qui peut dater, mais une nouvelle génération d'innovateurs. La cause du cycle et des crises est largement dans l'épuisement de l'innovation (ou délai de réaction de la concurrence, de saturation des marchés) qui prend la forme d'un délai temporel de 7 à 10 ans entre quantité, prix (Gaston Imbert 1959) et dette (Irving Fischer 1933). La démographie y joue sur plusieurs tableaux : par la variation du nombre de consommateurs accompagnant les capacités productives et par le délai entre conception, formation et production mais aussi par la résistance aux changements des élites vieillissantes. Son rôle est direct sur les retraites et l'investissement immobilier sans doute crucial dans le décalage du cycle. S'il y a une influence évidente de la démographie sur l'économie, en retour il y a aussi une action directe de l'économie sur la démographie. On a pu montrer la corrélation du prix du blé avec le nombre de morts et de conceptions (Sartre dit qu'on "choisit ses morts" dans Critique de la raison dialectique voir Guibert). La pilule ne peut que renforcer ce phénomène de synchronisation et de reproduction à distance des cycles économiques et des cycles démographiques (Manfred Neumann 1997). De même que la première crise du capitalisme naissant était une crise agricole (1788), de même nous pouvons avoir encore une crise démographique à l'ancienne mode, à peine rallongée, alors que nous entrons dans des temps de vie beaucoup plus longs dans les pays développés. Notre situation actuelle suggère que le rajeunissement ne consiste pas dans l'arrivée d'une masse de population plus jeune mais plutôt dans le départ des plus vieux laissant des places aux jeunes. La fécondité commence à remonter seulement avec la prospérité retrouvée, donc avec le même retard que les prix et l'immobilier suivra avec un retard supplémentaire de 7-10 ans. Le départ du cycle est bien un effet générationnel, plus que numérique, se développant sur les ruines de la dépression (destructions créatrices) et qui peut se régler par une révolution, rajeunissant les cadres politiques, une guerre, une peste décimant les travailleurs ou peut-être une simple mise à la retraite mais il faudra y puiser la légitimité politique pour le reste du cycle comme avec la résistance ou l'affaire Dreyfus. La courbe de la population suit la courbe de l'inflation et non pas la courbe des quantités qui la précède et mène la danse. La démographie est plus un effet qu'une cause dans son aspect numérique, c'est au niveau générationnel qu'elle est déterminante mais uniquement parce que la dépression a dégagée la voie pour des innovations majeures, un bouleversement des structures.
On peut identifier le retard de 7-8 ans entre les quantités,
les prix et la dette avec les 7 années de vaches grasses et les
7 années de vaches maigres de la Bible mais c'est aller trop vite.
D'abord, il faut rappeler qu'il ne s'agit jamais d'une correspondance point
à point, mais seulement d'une moyenne grossière. Ensuite
ces délais ne sont pas homogènes. On peut sans doute en donner
une représentation subjective en 2 temps. Le premier donne raison
à Hayek accusant les États d'appliquer toujours la politique
de la période précédente mais c'est tout autant le
délai de réaction de la concurrence. Le second temps est
celui d'une prise de conscience hésitante. On ne peut éviter
un délai dans la perception d'une tendance, surtout d'un retournement
de tendance immémorial de 30 ans (sauf à pouvoir le prévoir).
Le temps pour s'adapter pourrait être plus court si tout le monde
n'avait pas intérêt à poursuivre la course en avant
(après-nous le déluge, mot d'ordre de Louis XV). C'est
un problème encore d'inertie devant des changements structuraux
s'ajoutant à l'incertitude et au délai de la transmission
de l'information. Du point de vue de la rente ce délai correspond
à la durée d'efficacité d'une stratégie d'avantage
concurrentiel qu'il faut adapter ensuite à la nouvelle phase. Pourtant,
c'est bien la démographie qui est déterminante. Le premier
délai entre les quantités et les prix tient plus à
la généralisation de l'innovation jusqu'à une masse
critique impliquant l'ensemble de la société, ce qui ne va
jamais sans une crise majeure. Ensuite la nouvelle prospérité
favorise un retour de l'accroissement démographique qui relance
l'immobilier avec un délai de 7-10 ans, le reste suit, y compris
cette concentration qui va de paire avec le vieillissement et une normalisation
appelant le rajeunissement et l'innovation.
Mais pratiquement, peut-on réguler les cycles ? Pour la démographie, c'est difficile. Par contre, des politiques économiques contra-cycliques sont possibles, et efficaces (Greenspan sait y faire avec un keynésianisme très interventionniste aux moments de crise). On a accusé la politique keynésienne d'une stagflation qui est cyclique, alors que les cycles courts et décennaux ont presque disparus grâce à cette politique monétaire. Reste la question de savoir si on peut se passer des mouvements cycliques, si on peut se passer de "destructions créatrices". Au moins dans le cadre du capitalisme, il semble bien que non, ce serait renoncer au profit. L'alternance de l'exubérance et de la destruction est une facteur de la "dynamique du capitalisme" tout comme les inégalités. En retardant le krach américain, Greenspan a financé une bulle spéculative de plus en plus énorme qu'il essaie de réduire en douceur, mais c'est impossible a priori. Il a trop profité de la position dominante américaine qu'ils devraient perdre tôt ou tard. Une régulation excessive n'est souvent qu'un abus de pouvoir au service des privilèges des dominants qui devront payer leurs prétentions comme à la guerre. Il faut donc plaider pour une régulation modérée, délivrée des fantasmes de toute puissance mais ferme contre l'inflation spéculative. Car on peut au moins éviter d'aggraver la situation, sur ce point le rejet du protectionnisme a été un progrès décisif mais beaucoup plus les protections sociales qui maintiennent la demande (la meilleure politique contra-cyclique est une rente universelle : le revenu garanti pour tous). Certaines évolutions peuvent aussi supprimer des cycles classiques. Ainsi le cycle décennal s'atténue dans une économie du zéro stock de même que les crises économiques se sont déconnectées des crises agricoles à partir de 1873. Jusqu'en 1938 les crises se succédaient bien pourtant à un rythme assez régulier (1817, 1825, 1830, 1839, 1847, 1857, 1866, 1873, 1882, 1893, 1900, 1907, 1913, 1921, 1929, 1938). 1857 étant la première crise mondiale. On doit pouvoir faire mieux encore sur ce plan sans pouvoir éviter des effets de régénération.
On ne peut se réduire pourtant au seul cycle de Kondratieff. Mon hypothèse est plutôt que les transformations de la production immatérielle introduisent une rupture au moins comparable à celle de la révolution industrielle et donc de 1789. Dans ce cadre, Greenspan n'aurait fait que retarder une crise d'ancien régime (comme 1788 a été une crise agricole grave au début de l'industrialisation). Des questions restent ouvertes comme celle de la durée d'une économie de la demande qui semble définitive dans un univers informatisé. D'ailleurs la question change sans doute de sens en changeant de mode de production (passage du salariat à la valorisation de la personne, de l'économie à l'écologie). On ne peut jamais se fier à un cycle car il y en a plusieurs. Il n'y a aucune raison de penser qu'il n'y aura plus de cycle démographique un jour mais il changera sûrement de forme.
Par contre, chaque cycle de croissance est à la fois technique
(bien que les inventions sont souvent anciennes), générationnel
(plus déterminant et s'allongeant avec la vie ?) mais implique aussi
une expansion du marché à des pays jeunes (couplé
à la cause sociologique pour le dynamisme). L'écologie, en
tant que pensée de la mondialisation achevée, introduit ici
une limite même si après l'Asie, l'Afrique reste encore presque
vierge. Un autre cycle est possible, c'est certain, ce n'est pas forcément
souhaitable dans les conditions actuelles, la planète n'y résistera
pas. C'est bien pour cela qu'il faut se persuader de la réalité
d'une nouvelle croissance longue pour empêcher qu'elle ne soit trop
destructrice alors que la tempête et les ouragans commencent déjà
leurs ravages. Malgré les fantasmes de toute puissance du capitalisme
industriel, il ne peut franchir toutes les limites et pourrait bien s'arrêter
à cette limite planétaire de la globalisation. On ne peut
donc jamais savoir si un nouveau cycle pourra se reproduire, on peut en
tirer pourtant bien des enseignements. Notamment, les cycles nous montrent
qu'on peut compter, en ces périodes de redémarrage, sur l'énergie
révolutionnaire longtemps contenue pour corriger nos erreurs et
dérives précédentes, préparer l'avenir et donner
une vie nouvelle à la liberté, à la solidarité
et à notre responsabilité planétaire.
Politique | Profit | État | Salariés | Population | Durée | |
Âge d'or
Reprise+déflation Futurisme |
Libéralisme | Innovations
Opportunités Spéculation |
Externalités | Mobilité | Retraités |
|
+bas prix Crise | Révolution | Pouvoir | Droits | Grève | Génération | |
Prospérité
Croissance+inflation Symbolisme Réalisme +haut quantité |
Etat-providence | Expansion
Productivité |
Réglementation
Consommation |
Protection sociale | Baby boom
Immigration |
|
Stagflation
Stagnation+inflation Classicisme +haut prix |
Conservatisme
Protectionnisme Repli identitaire |
Rente de situation | Guerre | Statut | Maison
+haut population |
|
La bulle immobilière
Stagnation+rigueur Snobisme +haut dette Krach |
Monétarisme
Individualisme |
Baisse des coûts
Immobilier Spéculation |
Baisse des impôts
Privatisations |
Dualisation,
mérite, golden boys |
Vieillissement |
|
La dépression
Récession+déflation Romantisme + bas quantité |
Libéralisme, globalisation | Dégraissages
Concentrations Luxe |
Baisse des salaires
Dérégulation |
Chômage
Services Précarité |
Surpopulation
Racisme solidarité familiale |
|
Le passage de l'âge d'or à la prospérité est sans doute le plus délicat puisque marqué par les révolutions les plus importantes, accélération des transports et passage d'une économie de la demande, de la qualité et de l'innovation à une économie de l'offre, de la quantité et de l'expansion, mais surtout adaptation à la "nouvelle donne" et passage à une nouvelle normalisation. On passe donc d'une valeur spéculative des opportunités commerciales à une valeur-travail plus objective. Du point de vue de l'État on passe de l'État fournisseur de services pour le capitalisme, d'externalités au moment de la reprise, à un Etat-providence plus social organisant les conditions de reproduction de la productivité sociale, financés en partie par les prélèvements obligatoires (compromis colonial, compromis fordiste). La période d'innovation est encore sous la domination du libéralisme alors qu'une fois la nouvelle génération arrivée au pouvoir c'est la réglementation qui domine, une production et une justice collective. L'inflation favorable à l'investissement productif reprend à la fin de l'âge d'or qui coïncide souvent avec de nouveaux gisements monétaires (ruée vers l'or, mines d'Afrique du Sud, Bretton-Woods). La déflation de la dette continue encore 7-8 ans divisant cette phase en deux périodes jusqu'à la reprise de l'immobilier.
La croissance démographique (baby boom, exode rural, immigration) accompagne la prospérité qu'elle renforce et qui atteint avec la stagflation sa limite quantitative puis la limite dans la hausse des prix et des intérêts ainsi que de la croissance de la population (alors que l'immobilier continue un temps). Le marché se restreint, les tensions montent, c'est le protectionnisme et la guerre. Krach de l'État fiscal, dévaluation.
On entre ensuite dans une Bulle financière, de spéculation immobilière à vouloir revenir à l'orthodoxie du monétarisme en luttant contre l'inflation. Cette politique favorable aux rentiers, pratique des baisses d'impôts et tourne l'investissement vers l'immobilier qui est pris dans une surenchère spéculative pendant que l'industrie s'oriente vers une économie de la demande (toyotisme) et réduit ses coûts grâce aussi à la baisse des impôts (politique de l'offre). Les privatisations de l'État pour financer ses déficits favorisent aussi la spéculation et l'endettement, jusqu'au véritable Krach boursier, le dégonflement de la bulle immobilière, annonçant la crise de surproduction et la vague de concentrations.
La Dépression voit tout décliner, quantité, prix et dettes pendant 10 ans de concentrations et de restructurations douloureuses où le chômage explose au point qu'on parle de fin du travail. Plus ça va mal, plus l'impuissance de l'État éclate mais aussi l'impuissance des mouvements sociaux. C'est le moment où le libéralisme se fait le plus virulent, la prétention que tous les problèmes viennent de nos barrières à l'harmonie divine du marché libre ! En fait c'est surtout l'innovation qui doit préparer la relève d'un marché devenu monopolistique. Il n'y a pourtant ni fin du travail, ni fin de l'État mais la reprise voit la fin du chômage et du libéralisme. L'abondance de bras favorise les services et les fabrications de luxe, la baisse des salaires et la précarité. Enfin, le profit cherchant fortune ailleurs, c'est le temps de la globalisation (c'est toujours avec un esprit mercantiliste qu'on s'ouvre aux échanges, chacun étant persuadé qu'il peut seulement y gagner).
On peut parcourir l'évolution de nombreux paramètres se
transformant à chaque phase du cycle comme la notion de justice
qui passe de la valorisation du risque de l'aventurier à
la justice, égalitaire et collective, du temps de travail dans l'économie
de l'offre des années de croissance. La justice se fait ensuite
plus relative, identitaire et légitimiste au moment du repli sur
soi protectionniste des avantages acquis. Puis on passe de cette justice
conservatrice et communautaire à une justice individualiste de la
proportionnalité des gains avec la productivité effective
au moment de la Bulle spéculative amplifiant les inégalités
! Pendant la dépression, la justice n'est plus qu'une solidarité
familiale, un sauve-qui-peut devant la misère qui gagne.
C'est le moment protestant où il faut bien se persuader que les
perdants sont coupables de leur sort et ceux qui s'en sortent des élus
de Dieu, la justice va aux vainqueurs alors même que personne ne
peut s'illusionner sur leurs mérites d'être bien né.
Tableau des cycles de Kondratieff Les leçons de l'histoire |
La notion de cycle est une notion délicate à manier et qu'il faut méditer longtemps car ce n'est pas une réalité solide qu'on peut vérifier dans le réel, ce n'est pas une horloge mais une bombe à retardement. Il faut se garder à la fois d'une trop grande confiance dans le savoir qu'on en tire, mais aussi de croire qu'on pourrait se passer de ce savoir si fragile sur les dynamiques en jeu dans notre moment historique. Longtemps, il n'y a eu que des mathématiciens pour mettre en évidence la réalité des cycles.
Comment devons nous procéder pour tirer de ces cycles toute l'information utile ? Pour ma part, j'essaie de caractériser chaque cycle en opposition aux autres afin de dégager une typologie colorant tout le cycle puis en parcourant chacun des cycles noter les correspondances et les différences qui peuvent être des alternances, des rythmes. Il faut essayer d'éliminer les résidus sans signification autre que locale. C'est ce qui est le plus délicat à faire car on peut ainsi supprimer un élément indispensable à la découverte d'un rapport mais il vaut mieux avancer prudemment en commençant par le plus évident. Rappelons la difficulté de manipuler les cycles, on se trompe très facilement, il faut réfléchir longtemps pour corriger la précipitation des premières conclusions.
On peut repèrer des cycles démographiques de croissance, jusqu'aux invasions barbares vers 450, puis une décroissance de 450 à 750, une nouvelle croissance continue jusqu'en 1250 avec une hausse des températures. La surpopulation crée alors des famines et la peste noire diminue la population de moitié, restant endémique jusqu'à la renaissance.
1492-1543 Espagne, Renaissance, Grandes découvertes
La découverte de l'Amérique va se traduire par un afflux
d'or et d'argent appauvrissant les autres nations et leur capacité
à financer leurs armées.
1543-1610 Protestantisme, Unification, Henri IV (1589), formation des
Etats
Ce passage de la domination de l'Espagne à celle des Hollandais
(et des anglais), se caracérise par l'abandon de toute préoccupation
religieuse, de toute volonté de conversion des autres peuples au
profit du pur commerce entre étrangers, constitution du marché
mondial comme Etat de nature, Etat de guerre entre Etats. Séparation
de l'économie et de l'éthique, constitution de l'économie-politique
comme champ autonome. Début du petit âge glaciaire.
1610-1673 Hollande, Cromwell, Richelieu, Mazarin, Formation de la langue
et de la culture française.
Le besoin d'or pour assurer la défense des États a développé
le mercantilisme participant à l'extension du marché
mondial pour en profiter tout en s'en protégeant (chacun se voulant
seulement exportateur). C'est pour renforcer l'Etat (Colbert), par un protectionnisme
agressif que le marché mondial est valorisé.
1673-1730 France, Louis XIV. Philosophes, lumières
Le déclin de la Hollande est dû à la faiblesse
de son Etat qui faisait sa force commerciale, ne pouvant soutenir la guerre
contre la France sans s'y épuiser. Réchauffement.
1730-1783 Angleterre, Louis XV, Libertins et libéraux
Puis les physiocrates ont cru que l'unique richesse était
dans la production de la Terre mais ils vont étendre le marché
en supprimant les péages au nom du mot d'ordre "laisser faire, laisser
passer", des lois naturelles. C'est en Angleterre que le libéralisme
(Hume) prépare la révolution industrielle.
1783-1837 Formation des nations, Code civil
Le premier cycle de Kondratieff qui est celui de la révolution
française et de l'empire, le début de la révolution
industrielle, est dominé par Londres (remplaçant Amsterdam).
Moment d'élaboration des Droits, de renversement des anciennes structures
féodales remplacées par les nations industrielles. C'est
une crise agricole, en 1788, crise de l'ancien système de production
qui provoque la Révolution et le retour de l'inflation. Manufactures.
1837-1883 Libéralisme, individualisme
Guizot : "Enrichissez-vous". L'État fiscal transformé
en société anonyme, folie du rail. Fabriques. Nationalisme
comme union des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités
(guerre des 2 races Francs-Gaulois ou Normands-Saxons) dans une même
langue et une même armée. Chemin de fer. Fin du petit âge
glaciaire.
1883-1937 Colonialisme, impérialisme, fascisme, racisme, scientisme, communisme, monopoles, Taylor, usines, scolarisation, ingénieurs
1937-1997 Société salariale, keynésianisme et communisme, société de consommation et du spectacle (fordisme, Etat-providence), multi-nationales, globalisation (conquête de l'espace), formation, cadres.
1997-2057 Information, post-fordisme, immatériel, Internet, réseaux, écologie, indépendants, biotechnologies, espace, valorisation de la personne, production de l'homme par l'homme. On peut déterminer cette économie comme étant véritablement une économie d'abondance avec le sens négatif que peut avoir un excès d'informations (abondance de biens nuit). Au-delà de la société de consommation, l'abondance d'une société de l'automation n'est pas sans poser des problèmes au capitalisme par la déconnexion du travail et de la valeur comme du revenu et de l'emploi.
Kondratieff 0 : 1730-1783
1783-1837 54 ans |
1837-1883 46 ans |
1883-1937 54 ans |
1937-1997 60 ans |
1997-2047? 50? ans |
|
Dominante | Nationalisme
république, empire, droits, propriété |
Libéralisme
bourgeoisie, Bourse, Inde |
Colonialisme
Impérialisme, monopoles, Étatisme |
Fordisme
Etat-providence consommation, formation |
Immatériel
Toyotisme globalisation, Espace, biotechnologies |
Rente | Mobilité | Propriétaire | Concentration | Planification | Mobilité |
Économiste | Smith | Ricardo | Taylor, List | Keynes |
|
Idéologie | Rationalisme | Individualisme | Scientisme, racisme | Spectacle | Écologie |
Fin | Féodalisme | Politique | Individualisme | Colonialisme | Salariat, URSS |
Centre | Londres | (Vienne) | New York | (Tokyo) | Hong-Kong |
Expansion | Europe | USA | Australie, Japon, Argentine, Chili | Asie | Afrique ? |
Capital | Marchand | Actions | Banques (concentration) | État, salariés | Capital-risque |
Énergie | Bois, eau | Charbon | Électricité | Pétrole | Information |
Organisation | Manufacture, filature | Atelier, Fabrique | Usine, Chaîne | Multi-nationale | Réseaux |
Direction | Maître | Patron | Directeur | Manager | Animateur |
Qualité | Audace | Épargne | Obéissance | Gestion, calcul | Adaptabilité |
Travailleurs | Esclaves | Salariés | Ingénieurs | Cadres | Indépendants |
Mobilité | Marine | Chemin de fer | Automobile, radio, poste | Aviation, téléphone | Internet |
Innovation | Machine à vapeur, métier à tisser | Acier, mécanique | Organisation,
chimie |
Électronique, cinéma, télé | Informatique, biotechnologies |
Pour les cycles antérieurs voir la tentative de Tableau étendu
|
|
|
|
|
|
Âge d'or
reprise+déflation Innovations, Économie de la demande, qualité Opportunités, externalités spéculation |
1783
Machine à vapeur filatures Montgolfière Néo-classicisme 1788 crise agricole |
1837
Chemin de fer, charbon acier, Victoria, Guizot 1843 folie du rail
|
1883
Électricité, Taylor, Automobile, Colonies, Boulanger, anarchistes 10H crise 1893 |
1937
électronique, aviation, téléphone, cinéma fordisme Droit au travail, grands travaux
|
1997
Asie Informatique Internet Euro Droit au revenu
|
+bas prix
Crise d'adaptation Nouvelle génération |
6
1789
Révolution 89 Révolte esclaves Haïti 1790 |
10
1847
Révolution 48 Droit au travail, ateliers nationaux |
13
1896
Dreyfus ruée vers l'or Alaska |
3
1940
Guerre mondiale Pétain, résistance |
6
2003
Papy boom |
Prospérité
croissance+inflation Économie de l'offre Réglementation Productivité Quantité Exode rural, immigration |
révolution industrielle,
corsaires Napoléon Hegel Malthus 1799
|
49 ruée vers l'or Californie
Libre échange, fête impériale, Napoléon III, Haussmann Disraéli (union races) Marx Réalisme 12H |
or Afrique du Sud
Belle époque, compromis colonial Bergson, Husserl crises 1900, 1907
|
Bretton-Woods, FMI, plan Marshall
30 glorieuses compromis fordiste baby boom Sartre, Debord Pilule
|
Immigration
Écologie Taxe Tobin société d'assistance |
+ haut quantité |
18
1807 |
10
1857
Grundisse |
17
1913 |
33
1973 |
12
2015? |
Stagflation
stagnation+inflation rareté+antagonisme Protectionnisme Guerre emprunt dévaluation |
blocus | guerre de crimée
Darwin 1860 Libre échange
|
1914 fin étalon or
guerre 14-18, Ford Proust, DADA |
Vietnam, Friedman |
Russie, Chine, Inde
énergie |
+haut prix et intérêts |
7
1814
Waterloo |
9
1866
guerre de sécession |
7
1920
révolution russe |
7
1980 |
10
2025? |
Bulle immobilière
stagnation+rigueur Vieillissement monétarisme spéculation Baisse des coûts, politique de l'offre dégraissage privatisations Chômage |
Ricardo 1817, inflation appauvrit
Romantisme
|
Pasteur
Capital
Commune 1871
|
Harding
Années folles Surréalisme Lukács, Heidegger 1921 baisse d'impôt, rigueur, chômage
|
Reagan
Golden boys, yuppies Euro-dollars Actionnariat salarié Islamisme Micro informatique 1981 baisse d'impôt, rigueur, chômage
|
|
+haut endettement
Krach immobilier Surproduction |
12
1826
krach Londres |
7
1873
krach Vienne |
9
1929
krach New-York |
9
1989
Guerre Golfe krach Tokyo, Moscou |
10
2035? |
Dépression
récession+déflation Concentrations dérégulation libéralisme |
révolution 1830
Richard Jones 1833 baisse profit |
Walras 1874
Thiers Impressionnisme |
années 30
Protectionnisme |
chute URSS, GATT
globalisation néo-libéralisme Marchés dérivés |
|
+ bas quantité |
11
1837
Banqueroute État français Rothschild |
9
1883 |
9
1937
36, New Deal, Hitler, Keynes 1936 |
10
1997
Crise asiatique |
12
2047 |
Wallerstein situe le point de retournement, annonçant la fin du capitalisme et le début de l'écologie, en Mai 68 qui a vu le retour du mouvement de libération associé en 1789 à la modernisation économique mais qui avait été réduit par le libéralisme comme par le léninisme à la seule "libération" technique. Le changement introduit par l'informatique et les réseaux est lui d'une telle ampleur qu'il modifie le travail et la civilisation elle-même. Il y a là un empilement de cycles où on peut voir le véritable alignement des planètes de la fin d'un monde. Le nouveau cycle est certes comparable aux trente glorieuses d'il y a 60 ans, mais plus encore à la révolution industrielle qui a 250 ans, et encore plus à la Renaissance, au livre, à Gutenberg il y a 500 ans. L'histoire des religions suggère aussi que nous sommes à l'aube d'une nouvelle religion comme il y a 2000 et 4000 ans, précédés de périodes sans dieux comme au temps de la fondation de l'Empire Romain qui n'est pas sans évoquer notre globalisation. Enfin, même si cela paraîtra exagéré, je prétends que les transformations du travail nous renvoient au néolithique, il y a 10 000 ans (sans qu'un cycle puisse être décelé à cette distance) et les changements climatiques un peu au-delà sans doute (même si c'est l'homme qui provoque le déluge, cette fois par ses fautes vraiment). Il ne s'agit pas de prétendre qu'on entre dans un nouvel âge où plus rien ne sera comme avant, mais de montrer qu'on ne peut pas se fier à un seul cycle. Tout reste donc possible, l'avenir ne se réduit pas aux cycles économiques mais le retour de la croissance n'est pas forcément une bonne chose et devrait mobiliser toute notre responsabilité, il y a urgence. Pour l'instant rien ne nous pousse à l'optimisme ni pour l'écologie planétaire, ni pour la guerre et la misère (Wallerstein encore nous promet 50 ans de chaos avant un monde écologique mettant fin au capitalisme par l'unification politique du marché mondial). Les retournements de conjoncture et la Science des cycles nous enseignent pourtant avec les poètes qu'il ne faut jamais désespérer, même au plus noir de la nuit, du retour d'un nouveau jour.
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Apollinaire
Les citations de Marx sont tirées de La Pléiade,
Économie I et II
[Tableau étendu]
[La transition] [Les
Cycles]
[Kondratieff 1]
[Index]