Les cycles de Kondratieff

(Le bonheur économique François-Xavier Chevallier - Albin Michel 1998)

Trois cycles décalés (d'environ 7 ans) constituent les cycles longs (60 ans) : production (quantités), prix et dette.

Il faut distinguer les phénomènes analogues de la récession (cycles courts) et de la dépression (cycles longs). La récession est produite par la hausse des taux d'intérêt, la dépression par la hausse de la dette qui vient en dernier. Mais les quantités précèdent systématiquement les prix : à la hausse, comme à la baisse, puis vient la dette. Les évolutions de l'activité réelle sont premières. C'est parce que l'investissement, par lequel passe l'innovation schumpetérienne (au commencement est l'entrepreneur), s'ajoute à la consommation, que les prix et les taux d'intérêt montent. Cette reprise de la production est elle-même stimulée par un rajeunissement de la population (actuellement l'émergence de pays plus jeunes). On a donc jeunes -> production -> inflation -> dette -> vieux -> rigueur -> krach. Le cycle étant d'à peu près 60 ans, une génération étant d'à peu près 30 ans (de travail actif), il y a donc une génération sur deux qui est sacrifiée et dominée par la précédente (y compris numériquement).

Pour une analyse plus approfondie voir Les cycles du capital (03/2000).
I
II
III
IV
V
Âge d'or 
reprise+déflation 
Innovations, jeunes 
+bas prix
1783-1789 
Révolution 89 
Machine à vapeur, filatures
1837-1847 
Révolution 48  
Chemin de fer, acier
1883-1896 
Colonies, Boulanger, Anarchistes, 
Automobile, Taylor
1937-1940 
Guerre 
Electricité, électronique
1999-? 
Asie  
Informatique, Internet
Prospérité 
reprise+inflation 
+haut quantité
1789-1807 
révolution industrielle
1847-1857 
fête impériale
1896-1913 
Belle époque
1940-1973 
30 glorieuses
Stagflation 
stagnation+inflation 
+haut prix
1807-1814 
blocus, Waterloo
1857-1866 
guerre de sécession
1913-1920 
guerre 14-18, révolution russe
1973-1980 
Vietnam, choc pétrolier
Bulle financière 
stagnation+rigueur 
Vieillissement 
+haut endettement
1814-1826 
krach Londres 
Ricardo 1817
1866-1873 
krach Vienne
1920-1929 
krach New-York
1980-1989 
krach Tokyo, Moscou
Dépression 
récession+déflation 
+bas quantité
1826-1837 
révolution 1830
1873-1883 
Thiers 
Walras 1874
1929-1937 
36, New Deal, Hitler, Keynes 1936
1989-1999 
Chute URSS, GATT, Euro
J'ai repoussé "l'âge d'or" à 1999, Chevallier le voyait en 1997. La datation n'est pas vraiment possible, on ne peut se servir des cycles pour prédire les cours car différents cycles se combinent dans le court terme, l'essentiel est de savoir qu'un nouveau cycle peut commencer, après, sans doute, des "destructions créatrices". Il faut bien sûr voir dans cet "âge d'or" le paradis des financiers et non pas le règne de l'abondance (il suffit de voir les dates 1789, 1848, 1937 pour ne pas confondre le bonheur économique avec le bonheur des peuples).

Une leçon qu'il semble qu'on puisse tirer de cette mise en série, outre les cycles générationnels est l'étonnant parallélisme des idées (entre autres économiques) avec les situations économiques, mais aussi que les révolutions se produisent plus volontiers au moment de la reprise, lorsque la dépression a terminée la destruction de la société et qu'apparaissent de nouvelles ressources que la misère accumulée exige immédiatement. Il s'agit là encore d'une adaptation aux conditions nouvelles.

On ne peut être certain que la nouvelle révolution de l'information pourra continuer le même modèle économique. D'ailleurs l'auteur hésite à mettre cette révolution au même plan que les autres révolutions industrielles. Enfin les contraintes écologiques ne permettront plus une croissance mondiale aussi importante, c'est le modèle actuel de la croissance et du travail qu'il faut remettre en cause.


Annexes
 
 

Le boom actuel aux Etats-Unis ressemble à celui de 1929,
quand le taux de chômage y était de 4%. "Bien que le pouvoir d'achat des
salariés se fut accru, la composition du revenu national se modifia. La part
des salariés se réduisit comparativement aux profits. Le progrès technique
conduisait à une surcapitalisation relative. la demande intérieure se
contractait. La prospérité de certaines industries se reflétait dans la valeur
des actions sans que celles-ci aient représenté de nouveaux équipements ;
d'autre part, une nouvelle couche de petits spéculateurs accéda à la Bourse.
Le rôle joué par les Investments trusts contribua à accélérer le mouvement.
La nouvelle répartition du revenu national favorisait plus le capital que le
travail et relançait la spéculation. Les cours ne cessaient de s'élever alors
que le rendement des actions s'orientait à la baisse" (Maurice Flamant,
professeur de Sciences économiques à l'Université de Paris I). La crise se
déclencha, et le chômage augmenta régulièrement jusqu'à 35% en 1932.


Réponses à François-Xavier Chevallier
à propos de son livre "Le Bonheur économique".

Je suis assez content que vous me fassiez repenser aux cycles de Kondratieff car j'ai toujours cru à l'importance des cycles (agricoles, religieux, sociaux, astrologiques...) compte tenu surtout de notre penchant naturel à faire de simples extrapolations linéaires à partir de la situation présente (ce qui est valable sur le court terme ne l'est pas sur des périodes plus longues). Je ne pense pas que les cycles ne s'appliquent qu'à l'économie donc, ni que seuls les cycles existent (il y a des processus purement cumulatifs soumis eux aux effets de seuil). La modélisation des cours de la bourse par Mandelbrot a permis sa généralisation (les fractales) pour décrire la plupart des phénomènes naturels à partir d'une instabilité. Mais, pour moi, la notion de cycle temporel, de fonction d'onde, n'est pas assez intégré aux fractales ni à la théorie des catastrophes.

Donc je crois vraiment aux cycles de Kondratieff et leur fondation sociologique qui m'a paru tout-à-fait convaincante. Le seul problème entre nous, mais il est énorme, c'est celui de votre optimisme. La croyance dans les cycles devrait pourtant vous persuader du retour périodique des catastrophes dans une histoire faite de fureur et de sang. Les révolutions ou les guerres reviennent régulièrement comme la révolution des astres pour redonner vie à ce qui était mort, éliminer les survivances inutiles d'un passé révolu. Les chiffres ne sont pas tout, il faut voir ce qu'ils recouvrent (il y a beaucoup de créances douteuses). La courbe qui remonte ignore tous les morts, toutes les destructions qu'elle laisse derrière elle, toutes les tensions qu'elle accompagne, les ambitions qu'elle nourrit. Il est donc sage de regarder la concordance des situations sociales et politiques avec les différents moments du cycle. C'est cela le travail de typologie qu'il faut mener pour affiner des perspectives trop globales de progression des cours. On ne peut jamais arriver à prédire, mais parfois à prévoir. Il y a des combinaisons de cycles courts et longs impossibles à évaluer, des facteurs comme la colonisation qui peuvent éviter une véritable guerre ou révolution. On peut du moins établir des probabilités statistiques et la probabilité de troubles est bien plus forte au redémarrage du cycle qu'au moment des 30 glorieuses.

M'en apercevoir a été important pour moi car j'avais là l'explication de la passivité que nous avons connue malgré la misère profonde d'une grande partie de la population (25%) et que ce n'était pas là le signe d'une perte définitive de nos ressources de révolte mais l'époque du découragement. Lorsqu'on connaît la misère réelle (la misère est toujours relative à la société où l'on vit) qui touche de plus en plus de monde, il ne fait pas de doute qu'à la moindre reprise de force et de confiance en soi, toutes ces années d'humiliations crieront vengeance. Il n'est pas raisonnable de croire simplement que la reprise va créer assez d'emploi pour satisfaire tout le monde et qu'il ne se passe plus jamais rien ! On ne peut détacher l'économie de la société même si les guerres ou les révolutions peuvent être favorables à certaines fortunes car les nouveaux riches prospèrent sur la destructions d'anciennes richesses, rétablissant le taux de profit. C'est d'ailleurs ce qui est impliqué par votre schéma quantité->prix->dettes->rigueur->krach qui est très "marxiste".

Ainsi, je ne crois pas qu'on puisse se réjouir tant que cela du fait que le Japon semble sauver ses banques. C'est empêcher des destructions créatrices et la réorganisation de l'économie. Certains me reprocheraient de souhaiter ces destructions mais ce n'est pas moi qui les exige, c'est la logique du profit que je combats mais qui est dominante. Pour commencer un nouveau cycle il faut avoir touché le fond. Or, tout indique qu'on n'y est pas encore mais qu'on y sera très bientôt, malgré le savoir faire de Greenspan qui a eu la sagesse de prévenir les effets de la crise asiatique mais n'a rien fait d'autre que financer une nouvelle bulle spéculative (il en est conscient). Greenspan lui-même prévoit une baisse très significative des actions. La situation de l'actionnariat aux USA est préoccupante pour une part importante d'insolvabilité. Il y a bien un risque systémique qui a déjà commencé et dont témoigne la baisse des prix des matières premières précipitant la Russie et maintenant le Brésil dans la crise financière, aggravant la spirale déflationniste. Les États-Unis n'y résisteront pas sans une crise grave, bien que sans doute courte mais, de l'autre côté, la Chine sera bien amenée à dévaluer et devrait entraîner le Japon dans une réorganisation dont l'Asie devrait sortir renforcée en compétitivité. Des guerres sont probables (Russie, Chine)...

A mon avis, rien de bien optimiste pour le court terme. La certitude des cycle long donne un grand espoir dans l'avenir à plus long terme après avoir touché le fond mais nous n'y sommes pas encore. L'activité est première or on a déjà une baisse des matières premières, on va vers une baisse commerciale et un nouveau krach boursier. Ensuite, dans une ambiance de reconstruction et de reprise devrait s'affirmer une nouvelle force sociale et un nouveau droit à l'existence qui prenne en compte les limitations planétaires pour imposer un nouveau mode de développement, plus adapté à la civilisation du savoir, de la créativité, de la résolution de problèmes que le productivisme du capitalisme qui nous a délivré de la "force de travail" grâce à l'automatisation... (pour faire court)

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Une dernière réflexion. J'ai tendance à penser que vous avez raison de
placer le début du cycle derrière nous au niveau technologique et
sociologique. On pourrait même le placer un peu avant à ce point de vue,
c'est l'affirmation de l'empire universel américain et de la connexion
universelle des réseaux planétaires grâce à l'Internet. L'Europe pourra,
un jour, faire contrepoids à la puissance américaine mais il ne sert à
rien d'en nier la domination actuelle, y compris technologique, qui est
bien effective et explique la prospérité américaine dont le déficit est
financé par la rigueur et la misère des autres. Ce n'est pas une
victoire du "libéralisme" qui n'existe pas beaucoup plus aux USA qu'ici,
mais le résultat de la puissance.

Le nouveau cycle pourrait être déjà commencé, donc, mais grâce ou à
cause, de la liberté humaine et du savoir faire de Greenspan, la
contagion financière aurait été retardée ainsi que les destructions de
capital nécessaires à la reconstitution du taux de profit réel. C'est
pourquoi nous n'avons pas encore touché le fond, mais c'est pour
bientôt, alors que le nouveau cycle est déjà commencé. On peut rendre
compte aussi de ce paradoxe par la combinaison de cycles court avec le
cycle long. Il n'en demeure pas moins que c'est difficilement crédible
pour un observateur de la situation actuelle à moins de reconnaître
cette possibilité que malgré le nouveau cycle on puisse avoir une grave
dépression passagère. Bien sûr, si on reconnaît que, dès le début, un
nouveau cycle n'évite pas les catastrophes et n'apporte pas le bonheur,
le titre ne tient plus. Il ne s'agit pas de bonheur, il s'agit simplement de
tirer tout son potentiel de perspectives à long terme qui, par définition,
ne disent rien sur le court terme qui est notre quotidien.


Le valeur scientifique de votre ouvrage ne peut être perçue si on ne dépasse
pas les propositions idéologiques qui sont à beaucoup insupportables (le
bonheur est la première valeur promise par toute idéologie). Ce qui
m'apparaît c'est que vos erreurs sont bien à chaque fois imputables à
des préjugés idéologiques alors que l'analyse du Kondratieff reste très
convaincante. Ce qui manque c'est le recul idéologique que donnerait une
analyse de l'évolution des mentalités en fonction du Kondratieff, en
particulier la pensée économique dominante et les événements sociaux
majeurs, historiques qui accompagnent l'évolution démographique.

1. D'abord, il y a, comme nous en avons discuté, les révolutions qui
contredisent le "bonheur" supposé. 1897 semble échapper à la règle mais
c'est le moment de l'affaire Dreyfus qui a une intensité très grande et
qui a laissé une marque comparable aux révolutions (1871 était sans
doute trop proche pour que cela débouche sur une véritable révolution),
sans compter l'activisme anarchiste de l'époque (assassinat de Sadi
Carnot en 1894). Pour 1937, remarquons que l'idéologie nazi se voulait
révolutionnaire, comme la base du Front populaire. La guerre de 39-45
était une guerre idéologique, identitaire.

2. dire que les guerres ne sont pas au début de cycle néglige les
guerres révolutionnaires de 1792, guerre de Crimée 1853, il est plus
difficile d'isoler une guerre à partir de 1897 car il y a plusieurs
guerres coloniales, dont la guerre à la Chine en 1900. Il est vrai que
ce ne sont pas les mêmes types de guerre que celles de milieu de cycle,
mais aucun bonheur économique ne protège de la guerre, l'histoire
continue.

3. Vous avez un bon mouvement page 155 en disant que "il semblerait que
la dépression contribue à une redistribution plus démocratique des
cartes (New Deal), en même temps qu'elle apporte avec elle une vision
plus socialiste des problèmes économiques (Keynes contre Friedman)."
pour ensuite contester cette conséquence aujourd'hui sous prétexte que
l'État est contesté partout. Pourtant tout montre que depuis 1997 la
tendance néo-libérale et économisciste est dépassée au profit d'une
vision plus sociale (le dernier prix nobel, Davos même). C'est le retour
de l'État, pas des nationalisations. Ce qui est le plus condamnable dans
votre livre est l'appel à la "révolution conservatrice" qui correspond à
la politique d'avant 1933 ou d'avant 1997, comme votre plaidoyer pour
l'actionnariat populaire (fonds de pension) qui accroît les pressions
sur le travail salarié. Si vous respectiez les cycles, vous ne
défendriez pas ces positions qui correspondent, par contre, à
l'idéologie de votre milieu. Cela n'empêche pas que vous pouvez prévoir
un bon rendement des actions sur le long terme, quoiqu'il faille plutôt
attendre le prochain krach imminent suite au Brésil et au déficit des
USA.

4. De la même façon, la condamnation de la réduction du temps de travail
néglige le fait qu'il en a toujours été ainsi à ce moment du cycle :
limitation de la journée de travail en 1848, Loi des 11h en 1900, 40h en
1936 (Roosevelt a failli limiter la durée du travail à 30h).

Enfin votre vision de l'Amérique me semble aussi éloignée des réalités
que votre vision du bonheur et je persiste à dire que ce qui fait la
réussite des Etat-Unis c'est leur puissance, le dollar notamment qui
reste la monnaie de référence et finance leur déficit, mais aussi la
puissance militaire qui est liée à la technologie largement
subventionnée (Internet est une création du pentagone).

Un débat sur le travail à la télé m'a aussi un peu déprimé, eux aussi
semblaient croire à un redémarrage sur la technologie mais la société de
la réussite individuelle que vous prêchez tous n'a aucun sens pour la
plupart. Il y a erreur sur la personne et c'est à quoi servent les
mouvements sociaux, à dire ce que nous sommes vraiment : des humains pas
des commerciaux. Je pense que les techniques communicationnelles et
créatives ne peuvent se mesurer ni en temps de travail, ni en argent,
donc que l'avenir n'est pas à l'économie. Ce qui est vrai aussi, c'est
que c'est une réflexion d'une vieille civilisation, d'une société très
riche qui abrite trop de pauvreté. Le point de vue des asiatiques (hors
Japon) est différent, la soif de progrès et de réussite y sera immense
encore longtemps, ils sortent du moyen-âge. ici, c'est de richesse
sociale dont nous avons besoin.
 
 
 



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