Le désir comme désir de l’Autre

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On ne peut rien comprendre au monde sans dialectique, on ne peut rien comprendre à la succession des idéologies libérales, totalitaires, néolibérales, etc. Ce n'est pas seulement l'identité des contraires, fondement de l'ésotérisme et d'un savoir paradoxal réservé au petit nombre, ni même leur complémentarité ("L'erreur n'est pas le contraire de la vérité. Elle est l'oubli de la vérité contraire". Pascal). Il s'agit bien de leur contradiction active dont nous sommes plutôt les sujets, produits de l'époque que nous produisons, de même que nous sommes les produits des autres, d'une culture et d'un langage que nous participons à (dé)former et transmettre. Le désir illustre parfaitement cette dialectique entre intérieur et extérieur en tant qu'il est désir de désir.

Si la dialectique est indispensable, à condition de n'être pas un simple artifice, pour penser les renversements de situation, les changements de mode et d'idéologie, elle l'est tout autant pour sortir de la logique d'identité et de l'illusion du moi autonome alors qu'on est entièrement pris dans les discours institués et les relations sociales. Il faut bien dire que le dévoilement de la dialectique du désir comme désir de désir peut avoir un véritable effet de désidération en découvrant soudain que, ce qu'on croyait le plus nôtre, notre désir obstiné de ceci ou cela, n'est que le désir de l'Autre (de sa mère par exemple) ! Difficile à avaler, sans doute, mais pour en finir avec l'individualisme méthodologique, il faut marteler ce que la psychanalyse enseigne de l'inconscient : vous ne savez rien de votre désir qui se joue de vous, sur une autre scène. On n'est pas cause de soi, c'est l'Autre qui nous cause. La philosophie y trouve sa limite mais c'est bien le fétichisme du désir qui s'y dénonce et sa perversion intrinsèque qui n'est pas imputable à sa dénaturation causée par les conditions modernes d'existence. Le désir comme désir de l'Autre constitue un des apports fondamentaux de Lacan qui ne semble pas avoir été intégré encore dans notre culture pourtant, refoulé systématiquement sous des métaphores trompeuses machiniques ou biologisantes, quand elles ne sont pas morales ou religieuses, alors que c'est l'énonciation qui est en cause, qui parle et à qui ?

Ce qui reste tout de même inscrit dans notre culture, c'est le désir mimétique de René Girard et surtout la littérature chargée de décrire ce que le concept rate des situations interpersonnelles en les figeant dans leurs positions. C'est d'ailleurs de la littérature que René Girard est parti avec "Mensonge romantique et vérité romanesque" constat de la stupéfiante opposition entre la dure réalité et son idéalisation, entre la vérité romanesque, qui est celle de l'échec amoureux, et le mensonge romantique qui voudrait nous faire croire à l'amour éternel, pur et sincère. On sait que les romans à l'eau de rose d'Harlequin sont tout ce qu'il y a de plus fabriqués, ce n'est pas de la littérature justement de n'être que la projection de nos désirs, mais il ne suffit pas de s'arrêter comme René Girard à la jalousie ni au désir mimétique dans une sorte de marché concurrentiel généralisé. Il ne s'agit pas d'imitation, ni d'une simple rivalité, c'est un peu plus compliqué qu'une relation duelle, de l'ordre de la signification du désir de l'Autre. C'est la nature du désir comme désir de l'Autre qu'il faudrait comprendre, désir excentrique qui n'est pas l'expression des besoins ni le développement de notre nature. Malgré ou à cause de nos liens d'amour et d'amitié, ce sont les autres qui nous font souffrir et nous font tellement désirer d'être un Autre !

La plupart des philosophes et la totalité des idéologies politiques ont du désir humain une conception on ne peut plus simpliste, de l'homo economicus aux socialistes, écologistes, libertaires, etc. Tout au plus admet-on que ce désir puisse être perverti et détourné de son but quand on ne pense pas qu'il a besoin d'être (ré)éduqué et réprimé. La critique se croit audacieuse à dénoncer une publicité qui sert de leurre pour nos pulsions animales, nous engageant à retrouver un désir authentique, libéré de toute contrainte ou désir de domination, mais se croyant obligé, tout comme une vulgaire réclame, de nous promettre une jouissance enfin satisfaisante cette fois et qui ne se dérobe pas. On peut critiquer des marchandises inutiles, cela ne peut remettre en cause la structure du désir s'il n'y a pas de désir "naturel" réduit à la mécanique des instincts mais que le désir est plutôt causé par l'émotion de nos relations sociales et qu'il se renforce paradoxalement de ses contrariétés, pris dans une récursivité qui n'a plus rien de naturel.

Pour Hegel, la dialectique des désirs (du maître et de l'esclave) est déjà conflictuelle, résultant de la conscience de l'existence d'autres consciences dont on veut être reconnu comme conscience et liberté, au risque de sa vie biologique. Ce n'est cependant qu'une reconstruction abstraite d'un désir de reconnaissance bien réel pourtant mais qui s'ancre plutôt dans le narcissisme. Le narcissisme illustre bien tous les paradoxes du désir comme désir de l'Autre, de ce qui me fait me voir comme un Autre, avec les yeux de l'Autre. Si le regard était dans la tombe et regardait Caïn, c'est que c'était son propre regard qui le jugeait, sa propre conscience, et que c'est même pour cela qu'il y a de l'inconscient, parce qu'on se la joue, qu'on frime, qu'on tente de se persuader qu'on est quelqu'un de bien, à ses propres yeux, ou qu'on culpabilise et se complait dans l'univers morbide de la faute: on se regarde de l'extérieur, on juge sur les apparences plus qu'on n'exprime notre intériorité.

Freud a introduit le narcissisme juste avant la seconde topique qui rend compte de cet idéal du moi qui scinde le conscient et l'inconscient, le moi et le surmoi qu'on peut considérer comme une sorte d'incorporation du désir de l'Autre plus que de son autorité et dont il n'y a aucun sens à vouloir sortir, pas plus que du désir de reconnaissance, même s'il faudrait le rendre un peu moins tyrannique, question d'éthique du désir non pas de morale. A rebours de ce qu'on s'imagine, le surmoi est bien ce qui fait de la jouissance un devoir insatiable, d'autant plus à l'interdire ! Le piège, en effet, c'est de croire que ce devoir de jouissance nous serait naturel, animal, tout comme l'égoïsme présumé par la concurrence et qu'on est fâché de ne pas retrouver chez les fourmis, alors qu'il est en son fond désir de l'Autre, non pas tant pulsion interne que Loi commune inflexible qui nous poursuit de ses reproches et moqueries assassines.

Je m'affirme être un homme, de peur d'être convaincu par les hommes de n'être pas un homme.

Mouvement qui donne la forme logique de toute assimilation "humaine", en tant précisément qu'elle se pose comme assimilatrice d'une barbarie... (Le temps logique et l'assertion de certitude anticipée, 1945)

On était déjà très loin de Nietzsche ou Wilhelm Reich (et plus proche de La Rochefoucauld) mais Lacan va encore radicaliser cette dialectique du désir qui s'ancre dans un narcissisme primaire, celui du stade du miroir où la conscience du corps passe par le regard de l'Autre qui me constitue en sujet. Ensuite, "le temps logique" "manifeste combien la vérité pour tous dépend de la rigueur de chacun, et même que la vérité, à être atteinte seulement par les uns, peut engendrer, sinon confirmer, l'erreur chez les autres". Le désir de reconnaissance est entraîné sur le terrain de la vérité et du mensonge par le langage qui est tout sauf un média neutre, transformant profondément le désir pulsionnel en demande d'amour et renvoyant les interlocuteurs au tiers comme arbitre, Autre supposé garant de la vérité dont le mensonge se réclame et qui devra dès lors authentifier la jouissance. Après "le champ de la parole et du langage", c'est donc ce qui noue le désir à la Loi que va aborder "Kant avec Sade", étape essentielle où l'interdit exaspère un désir qui n'est plus confronté à une satisfaction immédiate plus ou moins décevante mais trouve à fixer un sens sur l'absence de l'Autre. Ainsi, une morale universelle trop logique se révèle aussi perverse dans son formalisme que le droit à la jouissance de Sade et ses montages fantasmatiques, tout comme la folie se manifeste habituellement comme un excès de certitude et de logique. La leçon, fatale à tous les moralismes, c'est que plus le surmoi sera renforcé, plus la loi morale sera inflexible, et plus le surmoi sera insatiable, toujours pris en faute.

"Si j'ai dit que l'inconscient est le discours de l'Autre avec un grand A, c'est pour indiquer l'au-delà où se noue la reconnaissance du désir au désir de reconnaissance. Autrement dit cet autre est l'Autre qu'invoque même mon mensonge pour garant de la vérité dans laquelle il subsiste. A quoi s'observe que c'est avec l'apparition du langage qu'émerge la dimension de la vérité". L'instance de la lettre dans l'inconscient, p524

"C'est ainsi que le désir n'est ni l'appétit de la satisfaction, ni la demande d'amour, mais la différence qui résulte de la soustraction du premier à la seconde," Signification du phallus, p691.

De toute façon, l'homme ne peut viser à être entier (à la "personnalité totale", autre prémisse où se dévie la psychothérapie moderne). Signification du phallus, p692

"A la base de chaque être, il existe un principe d'insuffisance" (Georges Bataille, Principe d'incomplétude), en particulier du fait qu'on parle et qu'on est sexué, ce qui pourrait être la même chose en tant que désir de l'Autre. Le désir comme désir de l'Autre sexe va trouver son représentant imaginaire avec le phallus, signifiant du manque à combler, où il s'agit d'être le phallus plutôt que de l'avoir, être l'objet du désir de l'Autre et en éprouver le pouvoir. Le complexe d'Oedipe illustre la structure ternaire de la signification du désir où l'interdit de l'inceste désigne la Mère comme le fruit défendu d'autant plus désiré, où le désir de la Mère est identifié au phallus du Père (à quelque supériorité qu'elle est supposée aimer en lui), où le désir d'amour enfin, comme désir du désir de la Mère, voudra le lui dérober pour, comme on dit, "tuer le Père". Cette structure s'applique à toute autre situation de rivalité, sans se réduire à un simple désir mimétique, mais l'objet y est bien l'inessentiel qui découvre sa vacuité dès qu'on le possède, le drapeau saisi à l'ennemi n'étant finalement qu'un bout de chiffon. Nous courons après l'objet du désir comme après des bulles de savon qui nous éclatent dans les mains, comme on peut courir après l'objet qui manque à notre collection sans pouvoir la compléter jamais pourtant, car ce n'est pas l'objet qu'on vise mais le désir de l'Autre. En déduire que les choses s'arrangeraient mieux si on avait "moins de biens, plus de liens" paraît bien aventureux au regard de ce dont témoigne l'opéra qui met en scène ce jeu de dupes de l'amour : "si tu ne m'aimes pas, je t'aime, si je t'aime, prend garde à toi !". L'objet transitionnel a plutôt une fonction apaisante.

C'est enfin, à partir du mot d'esprit, que Lacan élabore "subversion du sujet et dialectique du désir" (p793-827) étudié ici, aboutissement des Ecrits où il tente de rendre compte du circuit du désir, qu'on retrouve dans l'hystérie aussi bien que dans le transfert, aux 2 niveaux de l'énoncé et de l'énonciation, du manifeste et de l'inter-dit. Le schéma qui illustre l'article représente le "point de capiton" où le sens se constitue à la fin de la phrase (la chute de l'histoire) par rétroaction, rebouclage sur son début, à un premier niveau, celui du contenu de la phrase, en même temps qu'à un autre niveau l'énonciation signifie son désir sous-jacent, son intentionalité, au-delà de l'énoncé lui-même (on en dit toujours plus qu'on ne croit). Le désir est une métonymie (p528), désignant le manque à être de celui qui parle, la question de ce qu'il me veut (Che vuoi ?). Si le désir est la métonymie du manque à être, le Moi est la métonymie du désir (p640). Lorsque Lacan affirme que "c'est de l'Autre que le sujet reçoit même le message qu'il émet" (p807), c'est que son effet sur l'interlocuteur décide après-coup de l'intention préalable du sujet, et même de son être, comme dire "tu es ma femme" décide qu'il est son homme ! Je dois dire que lorsque j'étais encore lycéen, j'étais fasciné par ce message qui nous vient de l'Autre sous une forme inversée, allant imaginer je ne sais quelle télépathie pour télécommander nos propres paroles alors qu'il s'agit simplement qu'on se découvre à soi-même à mesure qu'on parle aux autres et qu'ils nous assignent à notre place, nous donnent un nom et nous désirent, ou non...

Effet de rétroversion par quoi le sujet à chaque étape devient ce qu'il était d'avant et ne s'annonce : il aura été, - qu'au futur antérieur. p808

C'est le désir comme désir de l'Autre qui empêche de réduire la psychanalyse à la remémoration d'un passé traumatisant ou refoulé et fait de l'analyse du transfert son enjeu principal. Le transfert incarne d'autant plus le désir de l'Autre qu'il refuse d'y répondre, trahissant ainsi le désir de l'analysant confronté au sujet supposé savoir dans sa nudité pour lequel il construit ses récits successifs, ces "mythes individuels du névrosé". Dans cette reconstruction de soi après-coup qui n'est pas réductible à une relation duelle, la méconnaissance et le mensonge ont une place essentielle pour nous conformer à notre image, de même que la Loi laisse une grande place à la transgression qu'elle constitue comme telle ("c'est la loi qui me rend pêcheur" dit Paul) au point que le désir n'ait souvent pas d'autre raison que l'interdit qui lui fait obstacle. C'est la conséquence logique de l'absence de garanti (pas d'Autre de l'Autre), c'est-à-dire de l'inexistence de Dieu, mais surtout du fait qu'il n'y a pas de métalangage ou, si l'on veut, qu'il n'y a pas de sens de l'existence donné d'avance. C'est selon la même logique que le fantasme va se structurer autour des trous du corps, des objets qui nous mettent en rapport avec l'Autre, avec son désir (voix, regard). Bien qu'elle soit à l'évidence effective cette fois, la jouissance transgressive doit être tout de même tempérée par le fait que la castration fonde le désir sur la perte, le sacrifice, l'interdit, la séparation.

Ce à quoi il faut se tenir, c'est que la jouissance est interdite à qui parle comme tel, ou encore qu'elle ne puisse être dite qu'entre les lignes pour quiconque est sujet de la Loi, puisque la Loi se fonde de cette interdiction même. p821

La castration veut dire qu'il faut que la jouissance soit refusée pour qu'elle puisse être atteinte sur l'échelle renversée de la Loi du désir. p827

Mais Freud nous révèle que c'est grâce au Nom-du-Père que l'homme ne reste pas attaché au service sexuel de la mère, que l'agression contre le Père est au principe de la Loi et que la Loi est au service du désir qu'elle institue par l'interdiction de l'inceste.

Car l'inconscient montre que le désir est accroché à l'interdit, que la crise de l'Oedipe est déterminante pour la maturation sexuelle elle-même.

Le psychologue a aussitôt détourné cette découverte à contre-sens pour en tirer une morale de la gratification maternelle, une psychothérapie qui infantilise l'adulte, sans que l'enfant en soit mieux reconnu.

C'est donc plutôt l'assomption de la castration qui crée le manque dont s'institue le désir. Le désir est désir de désir, désir de l'Autre, avons-nous dit, soit soumis à la Loi. Du Trieb de Freud et du désir du psychanalyste, p852

Lacan ne s'est pas arrêté là, explorant la grammaire de la sexuation, du rapport à l'Autre et au Tout, notamment dans la sexualité féminine, mais aussi en démontant la structure des discours qui nous déterminent (discours du Maître, de l'hystérique, de l'Université, de l'analyste) puis les noeuds du Réel, du Symbolique et de l'Imaginaire (RSI) avec l'objet a central, dialectique ternaire recouverte par le symptôme véritable fétichisation de la réalité psychique dans une identité figée. Citer la suite a l'intérêt de montrer qu'on ne peut épuiser le sujet. Il y aurait encore tant à dire, il ne faudrait pas s'imaginer que c'est le dernier mot de l'histoire, que ce serait le tout du désir et qu'on pourrait en tirer des préceptes positifs pour notre épanouissement, comme osent le faire certains psychanalystes, alors que les enseignements qu'on peut en tirer sont plutôt négatifs, limites mises à la maîtrise de nos désirs comme à ce qu'on peut espérer de leur réalisation. Il n'empêche qu'il serait bien utile de s'arrêter un peu plus sur la détermination du désir comme désir de désir et désir de l'Autre, au fait qu'on est parlé plus qu'on ne parle, qu'on parle de nous parce qu'on parle et qu'on se raconte des histoires...

Il y aurait un intérêt certain à réintroduire Hegel et Lacan en politique pour sortir des illusions de la morale (y compris celle de Nietzsche) au profit d'une éthique du désir qu'on peut certes trouver réactionnaire de simplement tenir compte de ses contradictions et ne pas surestimer notre pouvoir de domestication d'un désir qui se joue de nous. On voudrait le dresser, le conformer à nos valeurs si ce n'est à nos contrats, on ne fait qu'en renforcer le surmoi qui ordonne la jouissance par l'interdit même. Ce qui est fustigé par quelques fanatiques comme un manque de détermination révolutionnaire est la nécessaire résistance à la normalisation, au renforcement des contraintes sociales et du moralisme ambiant. Il est vital de comprendre pourquoi on ne peut forger un homme nouveau idéal (ni abolir la prostitution ni la drogue, notamment, comme on s'y obstine en vain mais à un coût humain exorbitant au lieu d'en réduire les risques).

Dire qu'il y a une limite à ce qu'on peut faire ou obtenir, n'est pas prétendre qu'il ne faudrait rien faire mais se donner des objectifs réalisables. Ce n'est pas non plus devoir se limiter à un simple réformisme mais l'extrémisme ne mène à rien qu'à s'auto-admirer de sa propre audace car ni le narcissisme, ni la compétition des désirs, ni la domination n'épargnent les milieux qui se disent révolutionnaires. Il ne faut pas se cacher qu'il y a incontestablement un usage de Lacan qui peut servir tous les conservatismes, on le voit trop souvent, ce n'est pas une raison pour refouler ce qu'il met au jour.

Notamment, on peut trouver déplacé de ne pas devoir toujours donner raison à la plainte par principe maintenant qu'on sait à quel point conforter la plainte peut renforcer inutilement la souffrance par la confirmation d'une jouissance dont on serait exclu, renforcement d'une injonction de jouissance surmoïque sans issue. Aucune raison là de vouloir assommer les pauvres pour leur bien, comme le voulait Baudelaire, ni de délaisser les luttes sociales pour la réduction des inégalités mais sur d'autres plans il y a une autre stratégie qui s'impose du fait que le désir est désir de l'Autre. C'est ce que Lacan impute au saint dans Télévision, saint qui ne fait pas la charité dit-il, mais "décharite" plutôt en se dépouillant de la jouissance supposée. C'est la stratégie de la simplicité volontaire, que je pratique d'une certaine façon bien que je la critique fortement en tant que moralisme et stratégie individuelle, et qui consiste simplement à prêcher d'exemple dans la critique des jouissances publicitaires mais aussi dans l'aveu de son propre manque (il ne s'agit pas de prétendre à une jouissance supérieure, tout est là, ni à une "joie de vivre" imbécile). Une autre stratégie, tout aussi efficace et complémentaire, consiste à jouer de l'ironie pour ridiculiser la jouissance supposée et faire honte aux petits frimeurs, les ringardiser.

Le péché originel, c'est de prétendre à plus qu'on est, c'est la déception originaire de ne pas être à la hauteur de nos rêves et ne pouvoir séduire celle qu'on désire mais c'est aussi ce qui fait que l'homme dépasse infiniment l'homme, et tout l'intérêt de l'existence : c'est le désir de l'Autre qui nous fait vivre et nous motive. Il n'y a aucune culpabilité, aucune indignité qui puisse nous toucher si nous n'avions une haute idée de nous-mêmes, désir de reconnaissance par les autres, pur désir de désir, mais inutile d'espèrer s'en délivrer car c'est encore pire si le manque vient à manquer, impossible de vivre sans désir, sans amour, sans illusions. C'est ce qui fait le tragique de la vie autant que son sel et le progrès de l'humanité. Aucune révolution ni retour à la nature ne produira une meilleure harmonie des désirs mais seulement une réduction des inégalités et une meilleure qualité de vie peut-être, sans pouvoir jamais prétendre être satisfaisante pour autant ni gagnée d'avance, sans jamais éteindre la question de l'existence et du désir de l'Autre, questions auxquelles il faudra bien toujours donner réponse, jour après jour.

Je suis à la place d'où se vocifère que "l'univers est un défaut dans la pureté du Non-Etre".

Et ceci non sans raison, car à se garder, cette place fait languir l'Etre lui-même. Elle s'appelle la Jouissance, et c'est elle dont le défaut rendrait vain l'univers.

En ai-je donc la charge ? - Oui sans doute. Cette jouissance dont le manque fait l'Autre inconsistant, est-elle donc la mienne ? L'expérience prouve qu'elle m'est ordinairement interdite, et ceci non pas seulement, comme les croiraient les imbéciles, par un mauvais arrangement de la société, mais je dirais par la faute de l'Autre s'il existait : l'Autre n'existant pas, il ne me reste qu'à prendre la faute sur Je, c'est-à-dire à croire à ce à quoi l'expérience nous conduit tous, Freud en tête : au péché originel. p819-820

L'inconscient, ce n'est pas que l'être pense, l'inconscient c'est que l'être en parlant jouisse, et, j'ajoute, ne veuille rien en savoir de plus. Encore p95

Ce texte a été suivi de l'affirmation qu'on tient au "désir plus que la vie" mais il m'a semblé, plus tardivement, qu'il fallait compléter ce survol de l'enseignement de Lacan, surtout jusqu'aux Ecrits, par l'examen moins sommaire de ce qui sera ensuite le passage du désir à la jouissance.

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47 réflexions au sujet de “Le désir comme désir de l’Autre”

  1. en tout cas merci pour ce texte excessivement rigoureux ( à mes yeux) qui me laisse entrevoir tout un pan de vos écrits sur lacan que je ne soupçonnais même pas . beaucoup de travail en perspective , encore un monstre de l'espace ! le rencontrer me ravis.

    sur les rapports entre psychanalyse et politique , si les civilisation naissent et meurent dans l'hubris , la question des psychoses me semble assez incontournable . il y a bien des psy par centaine de milliers qui disent soigner les psychotiques mais , à ma connaissance il n'existe pas une théorie des psychoses , à part dire qu'il y a forclusion des nom du père , ce qui n'est quand même pas grand chose .

    comment vous voyez cette question ? qui a de l'avenir ....

    j'ai un sentiment sur le sujet , qui me concerne de très près , guidé par ce drole de sentiment , celui de vivre la fin du monde ( en tout cas le sein) , le fou furieux ne semble pas avoir d'autres solutions que de tout reconstruire pour le meilleure comme pour le pire jusqu'à se sentir enfin chez lui . pour cela son délire est cosmique , il délire sur à peu près tout , il fait jazzer les mots il erre dans la langue jusqu'à pouvoir y jouer un coup décisif , une trouvaille au fin fond de l'ivresse. et ça ça me semble potentiellement très politique ( sublime ou criminel) .

  2. @brunet :

    j'ai un sentiment sur le sujet , qui me concerne de très près , guidé par ce drole de sentiment , celui de vivre la fin du monde ( en tout cas le sein) , le fou furieux ne semble pas avoir d'autres solutions que de tout reconstruire pour le meilleure comme pour le pire jusqu'à se sentir enfin chez lui

    le sein ou le sien ???
    intéressant 😀 😀 😀

  3. Je ne suis pas adepte de l'analyse sauvage qui est une forme de l'insulte par l'objectivation de l'interlocuteur mais je dois dire que je trouve amusant que ce soit le sein qui fasse retour alors que je l'avais volontairement passé sous silence dans la liste des" objets a" ou objet des pulsions qui ne se limitent pas au regard et à la voix puisqu'on y compte aussi le sein et la merde. Il me semble évident qu'on ne peut réduire complètement le désir au désir de l'Autre et qu'il faut compléter le tableau par la répétition et le fantasme au moins mais justement, l'objet de l'article est d'insister sur le désir de l'Autre qui a tendance à passer à la trappe dans la focalisation sur la pulsion et le plus-de-jouir, facilement récupérés par les idéologies individualistes et économicistes. Le fétichisme du désir qui est au coeur de l'article, a tendance à se reporter de l'objet du désir à celui de la pulsion, mais si on ne peut se passer du fétichisme de l'objet transitionnel, c'est un enjeu théorique et politique important de lui restituer sa causalité comme venant de l'Autre. Ce n'est pas tant l'objet a qui est cause du désir, comme dit Lacan, mais l'Autre à travers le média du regard ou des autres objets pulsionnels.

  4. @brunet : Je n'ai pas réponse à tout et je n'ai pas assez fréquenté les fous pour avoir un avis sur la question. Ce qui me semble certain, c'est que les drogues donnent le modèle de certaines folies et qu'il y a au moins dans de nombreux cas, une composante biologique dans la folie, notamment dans la paranoïa et la psychose maniaco-dépressive (comme dans la dépression). Le pourcentage des fous étant, je crois, relativement stable, c'est sans doute une constante anthropologique. Cette composante biologique me semble un facteur décisif mais qui ne détermine pas le contenu du délire qui lui relève bien de la psychanalyse. Par contre, il semble difficile du coup de viser une véritable "guérison".

    Le sentiment d'effondrement ou de fin du monde me semble pouvoir avoir, comme les pulsions suicidaires, un substrat hormonal bien qu'il puisse venir aussi d'une construction chancelante, d'un refoulement qui ne tient plus ou de menaces véritables sur nos vies.

    Pour la folie ordinaire telle qu'on la rencontre dans le quotidien, le rôle de la logique me semble prépondérant et le "vouloir ne rien en savoir". Le rôle du Père dans le délire semble bien proche des théories du complot où la suspicion sur le discours manifeste donne évidence aux théories les plus absurdes auxquelles ont tient plus qu'à la vie. En tout cas, c'est bien pour les fous qu'il est évident que l'inconscient, c'est le discours de l'Autre et qu'il y a une fabrique de la folie.

    Je ne suis pas plus convaincu que ça par la théorie lacanienne de la psychose dont la sortie pourrait être par le symptôme névrotique. Je ne considère pas Lacan comme la vérité révélée, mais je considère plutôt la part de vérité qu'il a effectivement révélée, sans croire que c'est le dernier mot. Sur ce sujet, il en savait tellement plus que moi que je n'ai rien d'autre à en dire...

  5. Pour la psychose maniaco dépressive , il semble que ce qui l'explique c'est le modèle bio-psycho sociologique . il semble indéniables qu'il y ai une composante génétique et physiologique ( ce pourquoi on ne peut pas se passer des psychotropes et ce pourquoi peut être une thérapie génétique encore hors de portée pourrait peut être guerrir) mais ce n'est pas la seule . sur l'aspect sociologique ( désaffiliation , milieux délirants, ... ) l'analyse sauvage qui est effectivement une insulte se justifie un peu . c'est sans doute cette composante qui est politique . l'expropriation signe la dissolution de toute autonomie du sujet dans le discours de l'autre ( alienation) je ne dis pas le contraire , le pendant pour aller mieux , c'est de ce reconstituer un monde propre ( à soi , ou chez soi ). c'est le chemin de l'autonomie .

  6. Reconnaître le désir comme désir de l'Autre permet d'externaliser les problèmes et de les politiser effectivement, tout comme la souffrance des précaires vécue comme un échec intime se révèle être une question sociale partagée, notamment par les femmes seules, pouvant déboucher sur une solution politique. Ce n'est pas pour autant rendre les autres responsables, sinon dans notre inconscient, mais élucider la structure du désir et de son ratage pour s'en détacher. De même, il est certain que l'analyse sauvage est inévitable, c'est l'effet de sens, c'est que ça parle. L'analyse sauvage fait partie de l'inconscient, de ce que l'Autre entend où le son et le lapsus trahissent ce qu'on voulait refouler. Cela fait partie de la persécution de la langue et n'a rien à voir avec l'analyse elle-même mais est du même ordre que le discours de l'Autre et la vérité portée par le délire.

    Sinon, on peut renverser le discours de l'aliénation. D'une certaine façon, c'est de se donner une trop grande autonomie par rapport aux autres qui mène souvent au délire où paradoxalement le discours de l'Autre a libre cours car il n'a plus de limites. Vouloir penser par soi-même, c'est paradoxalement perdre son autonomie, alors que savoir que notre pensée vient des autres permet de s'y orienter et de s'en détacher. Au lieu de vouloir se reconstituer un monde propre pour s'y enfermer, il vaudrait mieux rejoindre le monde commun pour y circuler plus librement. D'une certaine façon se plaindre d'entendre des voix, c'est croire qu'on pourrait arrêter de penser et d'être pensé par les autres (quoiqu'il y aurait des raisons neurologiques parfois à ces voix) mais le plus difficile sans doute pour guérir de la folie, c'est de n'être plus fou aux yeux des autres. Ce sont les autres qui nous enferment dans notre folie, d'autant plus qu'on voudrait en dénier les preuves à ne pouvoir en assumer les dérapages. Tout cela ne se voulant pas une analyse sauvage mais seulement l'illustration de l'application de la dialectique au sujet au lieu de prendre la plainte pour argent comptant et s'en tenir au discours manifeste.

  7. sauf que l'enfermement chez soi dissoud toute conscience de soi . comme vous le dite c'est un peu la parole qu'on adresse à l'autre qui nous fait être , la psychée semble comme perpuetellement co construite , sans quoi elle s'éffondre et il n'y a plus rien . juste un cadavre blafard que je croise dans la glace . pour moi le chez soi c'est un sentiment qui se construit pour qu'ils puisse se faire lui même ( comme la solitude qui se construit sur l'isolement) et qui dépends pour beaucoup de politiques particulière , de toute une extériorité qui s'étalle par strates successives du système domestique au système monde ; strates où sur chacune desquelles des politiques auront des effets sensibles .

    d'ailleurs peut être qu'une politique du désir peut recouper une politique du chez soi . qui exite déjà sans qu'on la nomme comme cela . pour être concrêt ce qui me semble définir le sentiment de "chez soi" au delà de l'ambiance du quartier et du rapport immédiat avec les voisins , de la présence de parents où d'ami(e)s à proximité , c'est très certainement la surface du lieux d'habitation et son prix, les conditions d'entrée et de sortie , mais aussi l'aménagement intérieure ( et la présence d'un facteur animal ( animaux de compagnies) et végétal ( jardin , forêt à proximité ) .

    il y a de la macroéconomie : bulle immobilière, subprime , déflation salariale, délocalisations et mobilité professionnelle , économie de la demande en flux tendu, ...

    il y a des conditions juridiques ( garantie , cautions , titre de propriété ou bail de location ) ...

    il y a l'impact des politiques publiques ( construction de logements sociaux , dispositifs particuliers , crédits d'impots ,volonté d'appliquer la loi de réquisition ...)

    il y a le rapport entre le travail ( stressant souvent ) et la vie privée qui est moins étanche que par le passé et qui fait que l'on ramène les ennuis du travail à la maison .

    il y a le talent aménageur des gens ...

    .... brefs autant de facteurs , j'en oublie tellement , qui au delà de l'urbanisme et de l'architecture conditionent notre sentiment d'être chez soi, dont on pourrait presque écrire l'histoire .qui est l'histoire des agencements ultra complexe du moécullaire au molaire dans lesquelles coule ou s'arraite ( et meurt) le désir .

    mais d'après votre article il semble que le devenir du désir dépend beaucoup du dénouement de la crise oedipiènne ?

  8. Je ne crois pas trop à cette histoire de dénouement heureux du complexe d'Oedipe. C'est une structure, l'agencement d'une métaphore qui permet de donner une signification au désir de l'Autre, d'accrocher le désir à un objet et donc de donner sens à l'existence. C'est une scène qu'on rejoue à chaque fois, qui n'est pas jouée une fois pour toutes même s'il y a répétition qui renvoie à une situation vécue mais je suis d'accord sur le fait que la réalité résulte d'un empilement de causalités multiples, toujours plus complexes qu'on ne dit même si la lecture qu'on en fait a la simplicité de l'évidence.

    Je crois que dès qu'on est classé comme déviant, la normalité devient mythique, de même que lorsqu'on a subi un traumatisme réel on se persuade plus facilement qu'on ne peut plus être tout-à-fait normal, disposant d'une excuse toute faite pour tous nos écarts... Le problème, c'est que la vérité n'est pas celle qu'on voudrait et que la vie n'est pas facile, il vaut mieux être un peu fou, ou, comme dit Pascal, "Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou par un autre tour de folie, de n'être pas fou" ! Il y a une folie "normale" car ce qu'on a tendance à prendre pour la normalité, c'est le cadre speedé, l'imbécile heureux qui est du côté "maniaque" à l'opposé de la dépressio, état caractérisé par un excès de dopamine et facilement reproductible avec la cocaïne ou les amphétamines du moins dans la montée, la descente étant très dépressive. L'idéal de normalité n'a donc rien à voir avec la véritable normalité plus fluctuante, reflet de la situation.

    Sinon, je confirme qu'à être tout seul trop longtemps on devient complètement dingue. Au-delà de la semaine, j'ai besoin de voir du monde, d'aller en ville faire mes courses. C'est quand le désir de l'Autre s'estompe qu'on se rend compte à quel point il nous soutient et donne sens à notre vie, mais si je protège ma vie d'ermite, c'est bien pour prendre mes distances avec (distance limitée, surtout avec internet, et qui n'empêche pas que ce sont les autres qui me soutiennent, me maintiennent en vie, mieux aujourd'hui qu'hier, il faut le dire).

  9. Je crois comprendre ce billet tout en ayant le sentiment de ne l'avoir vraiment compris. Mais le désir et désir de l'autre me fait
    penser à un drôle de montage, celui de la carotte et du bâton.

    Un âne ayant un bâton accroché sur son dos avec son museau devant la carotte suspendue au bâton l'amenant à une course sans fin vers la carotte fuyante.

    Il ne semble pas possible d'arrêter la course.

  10. Sinon, d'accord sur le fait que la psychanalyse sauvage est une insulte, une forme de transgression socialement admise, c'est comme ça que je l'ai reçu souvent. Mais ça fait partie des
    stratégies de pouvoir sécurisantes dont on se passe mal.

    J'ai toujours été étonné qu'elle soit si pratiquée, que ceux qui la pratiquent, moi parfois, ne s'en rendent pas compte, n'en aient même pas honte.

    Comme quoi la subversivité psychanalytique peut devenir un outil renversé de pouvoir normalisateur. Sans doute un effet de bord...

  11. hélas on ne peut tous avoir étudier pendant de longues années lacan hegel , levy strauss , aulagnier . on se dépatouille comme on peut dans la merde des rapports humains , prisonier de toute sorte de sortillèges qu'on ne brise que très rarement. il serait bien plus populaire de l'assumer cet art de l'insulte . comme un sport national . en tout cas ça vaut tout autant que de ce faire greffer un ballon de football à la place du cerveau. le slam ou le hip hop , ce n'est que ça . une fureur du dire laique ( populaire) bien préférable à l'hypnose des imams ou des maffias . c'est la rue ,avec sa violence , mais où la notion d'interaction de face à face prend tout son sens .

    et l'insulte ça peut aussi être très raffiné on peut avoir avec un rapport esthétique, voir comique ou affectueuse . ce dont témoigne l'IS justement et même coluche . je crois même qu'il y a des psy qui revendique une certaine forme d'insulte pour la direction de la cure .

    moi les insultes que je trouve les plus pitoyables , car bobo, c'est tout ce qui tourne autour de la vulgate psychanalytique , d'un psychanalisme pseudo intello qui est juste là pour montrer la distinction tout en étant très loin de la vérité , une pédanterie insupportable prise dans l'hypnose universitaire de seconde zone avec l'assurance des winneur . mais sinon tout est bon dans le cochon .

  12. @ olaf (comm12)
    plutôt qu'à ce cycle carotte-bâton, ne veut-il pas mieux songer pour illustrer cette dialectique complexe fabricatrice d'identité à cette brève de comptoir géniale" Sans Goliath, David n'aurait été qu'un petit merdeux qui lançait des cailloux"?

  13. C'est une bonne chose de ne pas comprendre, c'est le commencement de la pensée. Je ne prétends pas comprendre moi-même à donner les éléments que je trouve chez Lacan et qui me semblent une partie de la vérité mais pas toute... On peut juste conseiller d'examiner si nos pensées, nos désirs, nos affects ne nous viendraient pas des autres, examiner à qui on adresse ainsi un message et pourquoi.

    Il est effectivement absurde de poursuivre un désir qui n'a pas de fin, ou plutôt dont la fin sombre dans l'ennui sinon dans l'angoisse. Ce n'est pas plus absurde que de courir après un ballon ! Lacan dit que l'amour c'est donner ce qu'on n'a pas, à quelqu'un qui n'en veut pas ! Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas un plus-de-jouir dans le processus lui-même qui n'est pas à somme nul : ce n'est pas pour rien qu'on se raconte des histoires mais pour fuir le non-sens et l'absence.

    La psychanalyse sauvage est effectivement ce qu'il y a de plus naturel puisque c'est l'inconscient qui parle, le discours de l'Autre, mais ce n'est pas du tout de la psychanalyse justement. En tout cas, c'est une chose que j'ai souligné à plusieurs reprises que pratiques et théories libératrices se transformaient systématiquement en instruments d'oppression. C'est la dialectique.

    C'est pour cela aussi qu'il vaut mieux l'insulte assumée que l'hypocrisie des bonnes manières. Moi, j'insulterais bien la terre entière mais c'est un peu répétitif. Il est vrai que Debord avait un véritable art de l'insulte que je valorise dans le texte pour ridiculiser les fausses jouissances. L'inconvénient, c'est que cela a valu à Debord des admirateurs béats comme François Georges en fait l'aveu dans son livre sur ses chers disparus. Je préfère me taire. Comme dirait l'autre, il faut être avare de son mépris étant donné le nombre de nécessiteux... Il n'empêche que l'insulte peut faire coupure salutaire, notamment dans un discours qui ne se sait pas insultant, et Lacan, à la fin, était de plus en plus brusque envers ses analysants, tentative de briser le transfert et l'installation dans la jouissance de l'analyse. Tout dépend à qui l'on parle. Il ne faut pas avoir de principes trop rigides mais il ne faut pas hésiter à dégonfler les prétentieux qui font des lapsus, pas se moquer de ceux des dominés. Il y aussi les Bouddhistes Zen chinois qui savent manier l'insulte comme il faut pour dégonfler les boursouflures du narcissisme.

  14. La folie aurait des fondements biologiques, soit, on peut d'ailleurs faire l'hypothèse que certains ont un génome plus exposé aux circonstances défavorables, ce qui ne veut pas dire comme le laissait entendre Sarkozy que tous les dépressifs soient génétiquement dépressifs, mais que certains sont plus ou moins pré disposés biologiquement, à prouver quand même...

    Mais la folie de certains qui ont subit des traumatismes comme l'expérience de la guerre trouve son origine dans cet évènement qui s'inscrit dans le biologique sous une forme qui à son tour entretient chroniquement la folie quand la résilience
    n'a pas pu dépasser le choc.

    Comme quoi le psychique et le biologique sont des causes mutuelles.

    La psychiatrie d'il y a peu œuvrait aussi par la psychanalyse, ça semble être moins courant si l'on en croit les témoignages de ce milieu.

    Il est par ailleurs étonnant que le Tchan chinois ait précocement usé à l'occasion de l'insulte pour couper les ponts de la béatitude. Nos ancêtres, y compris chinois, étaient parfois inspirés.

  15. Oui, biologique ne veut pas du tout dire génétique. La dépression est l'effet d'un stress trop prolongé. Il y a une causalité circulaire entre le psychique et le biologique. Comme disait Lacan, l'âme (les hormones) décharge de la pensée. Du coup, pour les lacaniens, la psychose n'est pas du tout biologique, c'est un défaut de structuration, ce qui ne me semble pas impossible mais il y a différentes formes de folie. Le danger de toute théorie, de toutes façons, c'est de ne plus s'intéresser à la folie mais lui coller un schéma.

    Beaucoup de psychiatres utilisent toujours la psychanalyse qui s'impose dans toute une série de névroses ou psychoses, pas dans toutes mais le cognitivisme, qui n'est pas aussi dominant qu'on le dit, est bien limité avec ses techniques primaires : habituer le phobique à ce qui le panique n'est pas le guérir de sa phobie ! Les psychiatres n'hésitent pas par contre à utiliser des médicaments.

  16. "Le cognitivisme, qui n'est pas aussi dominant qu'on le dit, est bien limité avec ses techniques primaires : habituer le phobique à ce qui le panique n'est pas le guérir de sa phobie !"

    J'ai cru comprendre que la psychanalyse amène éventuellement l'abandon ou oubli d'un désir de guérir. L'oubli du désir de la guérison, probable désir corolaire du désir de l'autre, amènerait t il l'oubli de sa cause après s'en être souvenu ?

    Pour reprendre Nietszche, la fonction de l'oubli, même si je me suis mis en retrait de Nietszche, après quelques enthousiasmes illusionés.

  17. c'est quand même tant mieux . moi je ne vois pas comment je ferais sans médoc, je serais mort de puis longtemps où j'aurai définitivement perdu la tête . quand c'est bien ajusté ( sinon ça fonctionne comme une camisole chimique ) les drogues restaurent la sensation de soi et rendent supportable des situations qui ne le son pas ( au risque de la post humanité). effectivement on en paye un prix : les effets secondaire d'une part son parfois génant et non sans conséquences graves ( parfois) , il y a aussi les risques d'intoxications ( heureusement pas si fréquent que ça) , et enfin , et il me semble que c'est une donnée historique nouvelle de la maladie ( qu'on peut imputer au médicaments ? mais peut être aussi au stress et aux modes de productions ) , à défaut d'être rare mais aigue la maladie mentale et plus une maladie chronique qu'on se coltine toujours un peu mais avec des symptômes presque inperceptibles .

    moi personnellement je trouve que c'est un progrès pour la psychanalyse de s'allier avec la psychiatrie , déjà parce que c'est remboursé par la sécu ( les entretiens de face à face d'ordre plus psychotérapeutique avec un eclairage psychanalytique ) et que ça limite les risques , le traitement jouant le rôle d'amortisseur sécurisant et pouvant être d'autant mieux ajusté que le regard psychanalytique en mesure tous les effets sur le patient . c'est un morceau de choix dans une médecine du stress qui reste largement à inventer . et des psychiatres qui sont formés à la psychanalyse c'est de plus en plus rare. la vérité est qu'on les trouve surtout , et en tout petit nombre , dans les grandes villes , au mieux dans les préfectures , ce qui rendant cette medecine inaccessible à une majorité de gens .

  18. je vois bien malgré moi que la discusion tourne sur la maladie . alors que si la psychanalyse ne soigne personne , mais nous soigne seulement de notre désir de guerison , son interet est plus ( pour moi n'entamera jamais une psychanalyse) dans les eclairages qu'elle apporte sur les phénomènes anthropologiques et politiques, notemment en montrant un peu pourquoi les gens passent leur temps à entendre ou raconter des histoires qui n'ont ni queue ni tête !

  19. @brunet :

    "en montrant un peu pourquoi les gens passent leur temps à entendre ou raconter des histoires qui n'ont ni queue ni tête"

    Je crois que ça ne montre pas si simplement pourquoi mais ça montre quand même, c'est l'important. Ça montre aussi pour nous même, qui pour ma part, nous racontons des histoires à en être éberlués après coup, comme à la sortie d'un rêve. J'en sais quelque chose de ces rêves, agréables ou moins, qui sont presque une réalité lors de leur souvenir.

    S'effaçant au réveil, ce qui nous fait presque apprécier le réel.

  20. Ce que je pense que Jean Zin évoque de la psychanalyse, en termes de psychanalyse révolutionnaire me parait rejoindre les tentatives de La Borde, Deleuze s'en est mêlé.

    http://www.cliniquedelaborde.com/

    Essayer d'abstraire la folie de son exclusion sociale, de cette condamnation presque sans appel, irréversible et pas si loin du criminel sans le savoir, la société définissant le fou sans le vivre du fou qui n'est qu'un plus ou moins fou parmi d'autres.

  21. @olaf : Le cognitivisme prétend guérir et même évaluer la guérison. Il est exact qu'une psychanalyse ne peut promettre aucune guérison bien qu'elle parte de la demande de guérison en général. C'est pourquoi on peut dire que c'est une arnaque, mais dont on dévoile le tour. L'issue d'une psychanalyse est paradoxale au point que Lacan a voulu instituer la "passe" pour en rendre compte. S'il s'agit effectivement d'analyser le transfert et le désir de guérison, non d'y répondre, on ne peut dire qu'il n'y a pas malgré tout guérison. Là encore on est proche du Zen : l'éveil, c'est qu'il n'y a pas d'éveil ! S'il y avait une guérison, il y aurait un homme nouveau, une normalité qu'il n'y a pas, ce qui n'empêche qu'il y a des degrés dans la folie et la souffrance (ce qui me fait douter de la causalité structurale) et qu'on peut aller mieux.

    Je me sens effectivement proche de La Borde bien que je ne connaisse pas vraiment et si je n'ai aucune considération pour les théories de Guattari, je me sens malgré tout proche de ses pratiques...

  22. @brunet : Il est clair que je suis pour les médicaments et contre la religion psychanalytique pour qui tout est langage, ayant abordé depuis longtemps les interactions bio-socio-psychologiques et l'effet des drogues sur la pensée, sans jamais refouler pour autant le symbolique et le langage, les effets de sens.

    En tirer les conséquences politiques, c'est tout ce qu'on peut faire ici, en effet, et d'abord qu'on se raconte des histoires comme tout être parlant, ou (citation rajoutée à la fin de l'article) "que l'être en parlant jouisse et ne veuille rien en savoir de plus" . Il est amusant qu'en ce moment on a justement un neurologue qui se répand dans les médias pour nous assurer que l'imagerie cérébrale confirme Freud, du fait qu'on peut constater neurologiquement qu'on se raconte des histoires... Kristeva, elle, dit que toute phrase est un fantasme ! C'est pour cela qu'il faut être matérialiste, ne pas se fier à ce qu'on dit mais aux processus matériels qui s'imposent aux discours plus que les discours ne décident de leur effectivité.

  23. @Jean Zin :

    C'est en lisant ce blog que j'ai commencé à entrevoir cette question du transfert alors qu'avant je croyais que c'était l'anamnèse qui est clou de la psychanalyse. Enfin, ce qu'on en dit en général, à savoir revenir sur un évènement traumatique pour le dénouer. Un peu comme dans un labyrinthe où l'on doit revenir de là où on est (mal)parti pour prendre une autre direction. Je me demande quand même si c'est possible cette idée de revivre un évènement pour en dissoudre ses séquelles.

    Après tout, notre mémoire des évènements est pour une bonne part une fiction bien souvent...y compris pour les évènements traumatiques.

  24. On peut prendre la question à plusieurs niveaux. Il semble qu'au niveau neurologique on puisse réencoder un souvenir en le réactivant, sorte d'apprivoisement. A ce niveau, il ne s'agit pas de revenir en arrière comme un retour dans le passé qui permettrait de revenir avant une bifurcation, comme si on pouvait refaire sa vie (fantasme du voyage dans le temps), mais uniquement d'atténuer la charge émotionnelle d'un souvenir, voire sa place dans notre mythe individuel. Paul Jorion défend cette idée saugrenue d'une bifurcation cognitive, comme si nos problèmes venaient d'une erreur cognitive et qu'à trouver une meilleure conceptualisation on pourrait s'en sortir, comme si le capitalisme, c'était des valeurs, une morale qui nous aurait saisi alors que c'est matériellement que le capitalisme britannique s'est imposé au monde, avec ses canons, notamment contre la Chine si sage qui voulait refuser cet opium.

    Il est certain que Freud est parti du souvenir du traumatisme et de la scène primitive. C'est ce qu'on retient en général. Il y a même une "micro-analyse" qui tente de reconstituer réellement les faits par enquête poussée. C'est certainement conforme au récit qu'on s'en fait mais Freud ne s'est pas arrêté là et qu'on intègre pas cela est significatif. Une bonne part des "cinq psychanalyses" est consacré à la question de la réalité de cette scène primitive dont le caractère fantasmatique et reconstruit après-coup s'impose finalement. Cela a beaucoup de conséquences puisqu'on n'est plus dans un développement sexuel arrêté par le traumatisme ou l'interdit mais dans une construction fantasmatique qui soutient le désir tout comme l'interdit. C'est donc le contraire de Reich et rend la libération sexuelle ou la lutte contre l'aliénation bien plus difficile.

    On peut dire de la dissolution du transfert comme fin de l'analyse que c'est le récit qu'on laisse tomber, le baratin séducteur, en même temps que celui à qui il était adressé. Ceci dit, les fins d'analyse ressemblent rarement à ça !

  25. Merci pour ces précisions, comme disait Brunet, on se raconte des histoires bien souvent. Ca n'empêche pas les traumas, mais remet en cause ses conséquences narratives mythologiques.

    Le retour au point de bifurcation, comme si l'on referait l'histoire est bien l'une des incompréhensions de la psychanalyse telle que vulgarisée, promettant un retour, forme de réversibilité, à un paradis perdu mythique qui n'a jamais existé. Ach so ! Comme on dit dans mon presque chez moi.

  26. Je trouve en grande partie stupide la promotion inconsidérée de la "résilience", sauf Boris Cyrulnik qui m'a toujours semblé raisonnable (ce qui est rare), mais la résilience quand elle est possible n'est pas un retour en arrière qui effacerait le traumatisme. C'est un peu comme le corps qui guérit d'une infection et ne revient pas à son état précédent ("normal") mais s'en trouve souvent amélioré, plus résistant (au virus).

    Il y a de vrais traumatismes comme les traumatismes à l'origine des névroses de guerre répétitives. Le stress post-traumatique est une réalité. Tout le monde, surtout dans son enfance, a eu de nombreux traumatismes bien que provoqués par des événements relativement insignifiants. Ce que montre la psychanalyse, c'est que ce n'est pas l'essentiel mais la fonction du traumatisme dans le discours, le sens qu'on lui donne après-coup. Cette notion d'après-coup a aussi une grande importe pour le dernier Lukàcs (et dans la cybernétique!) mais pour Freud, elle signifie une reconstruction où la réalité du traumatisme a moins d'importance que le fantasme qu'il structure. Dès lors on peut changer de discours et faire perdre au traumatisme son caractère traumatisant, ce qui n'est pas un retour en arrière, ni l'abolition d'un traumatisme qui peut n'avoir jamais existé.

    Pour prendre un exemple, la séduction supposée d'un adulte sur un enfant, voire ce qu'on peut considérer comme un viol, peut n'avoir pas grand sens pour l'enfant au moment où ça se produit et pourtant se vivre après-coup comme un traumatisme insupportable (la perte de l'enfance). La dramatisation renforce le traumatisme alors que pour d'autres discours ne valorisant pas autant l'innocence enfantine, le fait lui-même n'aurait pas d'importance. Il faut quitter ici le domaine des faits pour celui des récits, des fantasmes, des idéologies, de la structure, du rapport à l'Autre.

  27. @Olaf
    le propre du mythe ne me semble pas devoir constituer une sorte de modèle perdu, ni une quelconque distorsion (comme un accident ?) d'un idéal de Vérité. Du sens s'y ex-prime dans une narration dont la fonction est symbolique. Le point de bifurcation dont vous parlez n'est pas un embranchement dans une histoire, où faire retour.Pas un commencement pour re-commencer. Mais un recours à l' heur ( cf.bonheur et ou malheur) de la fable ou du mythe ( ou aux traces passées de notre être fabuleux ) pour rebondir
    ( Ursprung en alld),. rebond à partir de notre être-là( da-sein), tout autre ( heureusement sans réitération à un modèle possible, pas même notre propre passé, ou futur antérieur) Mais je m'avance trop ici , pour un autodidacte qui cherche à suivre?..

  28. Je n'ai pas moi-même subi de véritable traumatisme (sauf une éducation un peu trop catholique!), mais cela n'a pas suffi à me donner un heureux caractère. Il y a des gens comme Jacques Robin qui semblait n'avoir jamais eu aucun problème ni névrose, ayant connu réussite matérielle, intellectuelle et même heureux en amours ! Il semblait d'accord avec Boris Cyrulnik qui expliquait cette anomalie par le fait d'avoir été désiré par sa mère. Freud qui se classait dans la même catégorie pensait effectivement que cela rendait indestructible, mais, comme tout le reste, il ne faut pas trop prendre ça au mot...

  29. Oui je l'ai lu, il y a longtemps quand même, et je l'ai trouvé très délirant. Sûrement ce qu'ils ont écrit de pire. On peut dire que mon article, en insistant sur le désir comme désir de l'Autre prend l'exact contrepied des machines désirantes et des constructions fantasmagoriques de l'anti-oedipe.

  30. Etant atteint de schizophrénie, je l'ai trouvé très éclairant, et comme vous le dites, c'est un peu comme l'exact contraire. Mais je ne trouve pas que c'est pour autant inconciliable, vu que ce n'a pas du tout la même problématique. je pense que c'est un système conceptuel de pensée propre à une problématique donnée : l'idéologie familialiste de la psychanalise et ses dangers.
    De plus Deleuze admirait Lacan... Et puis c'est bien qu'il y ait quelques ouvrages qui éprouvent oedipe comme explication essentielle de l'inconscient (ils sont très rare).

  31. Finalement d'où lui vient à l'avoir (notamment l'autre) son sens? Peut-être de ce que la vie, par opposition au mort, est ce vide qui par suite s'aliène avidement dans l'extériorité? Ce remplissement de soi par de l'autre n'est que le pendant de ce vide qu'est un soi, à savoir un tuyau de mort-vivant? Ce serait le sens de la vie, autrement dit le sens de l'avoir (l'être étant du mort). Ainsi le temps, qui est avoir ou vie (c'est même de l'argent dit-on), se manifeste comme trouée portant sur de l'être ou du mort. L'intellectualité du 20ième siècle aurait consisté alors en une sorte de praxéisation de l'ontologie plutôt que l'inverse (une ontologisation de la praxis) - étant entendu que la théoria ou l'ontologie est le monde de l'être par opposition à la praxis, monde de l'avoir. Pourtant le pivot de cette intellectualité reste la structure, et que pourrait-elle bien être d'autre que le squelette du mort? Ou alors le circuit de la vie vu au travers d'un négatif du mort? D'où un avoir ou une vie qui se montreraient au service de l'être ou du mort?

    Par défaut un avoir à soi, c'est-à-dire une conscience réflexive. Mais qui croyant avoir est finalement eue.

  32. Il est certain qu'à viser l'être on se fait avoir puisqu'on se constitue comme manque à être mais, plus généralement, c'est l'ontologie qui est fautive à vouloir nous fixer dans l'être alors qu'il n'y a que des processus, des interactions, des relations. L'être n'est qu'un arrêt sur image, sous le regard de l'Autre, ce pourquoi toute ontologie est une onto-théologie, pur effet du langage pour le parlêtre puisqu'il n'y a d'être que nommé, notamment de notre nom propre.

    C'est cependant un principe plus général que le vivant dépend des autres et de ses interactions avec son milieu, ce qui se constate aussi bien pour les neurones, qui meurent s'ils ne sont pas excités, que pour les bébés qui ne peuvent survivre s'ils n'ont aucune interaction affective. Il n'y a pas d'individu isolé, pas d'être en soi, seulement un devenir collectif, de même qu'il n'y a pas de vie qui ne soit évolution.

    Sinon, pour l'anti-Oedipe, je ne peux répondre, il faudrait que je le relise ce que je n'ai aucune envie de faire ayant le souvenir d'un des plus mauvais livres que je me suis forcé à lire d'un bout à l'autre ! Il est certain qu'il a trouvé son public, ce qui n'est pas un critère de vérité. L'idéologie familialiste doit bien sûr absolument être combattue, mais l'interprétation de l'Oedipe comme signification du phallus et donc comme structure du langage la réfute beaucoup mieux.

  33. je serais curieux d'avoir votre avis sur cet article qui partant dans la percepetive de canguilhem , foucould , deleuze , raccroche les wagon à une certaine psychanalyse , finalement pas très éloignée de ce que vous ditesnotament sur l'analyse révolutionnaire ( comme expression du négatif) .

    http://stl.recherche.univ-lille3.fr...

    c'est une petite analyse sur un livre de guillaume leblanc . on y trouve notamment ceci :

    C’est à partir du « reste psychique » évoqué qu’une politique ou une clinique de la souffrance est possible. Cette idée s’inscrit à la suite des analyses de Sabine Prokhoris, qui la propose du point de vue de la psychanalyse. L’analyse de la vie psychique ainsi conçue comme reste, avec sa positivité et son caractère créateur dont l’homme normal s’efforce de venir à bout, nous achemine vers ce que Sabine Prokhoris, dans Le sexe prescrit. La différence sexuelle en question (Champs Flammarion, 2002) appelle une « politique de la psychanalyse ». Elle demande : « quelle sera la politique au jour le jour de la clinique, cette clinique confontée aux divers « ratés » de la subjectivation ? « Ratés » qui sont autant de questionnements des normes, et à ce titre indices d’une très puissante santé, entravée cependant » (p.12). Le reste à la normalisation, ou encore le raté de la subjectivation, c’est bien le lieu d’une mise en question des normes, et cette mise en question est la santé même. Il s’agit, dans cette clinique, d’un traitement de la souffrance psychique qui s’appuie sur l’inventivité de la vie psychique et sa capacité de déplacements. Sabine Prokhoris, citée et suivie sur ce point par Guillaume le Blanc, s’oppose à l’idée d’une psychanalyse sommée de donner d’être experte, garante de l’ordre des identités, du symbolique ou encore de la différence des sexes. Il s’agit de faire jouer Canguilhem contre Legendre, contre une certaine idée du symbolique, et ce à partir du dispositif de parole de l’analyse conçu comme « ce qui permet à qui s’y confie l’accès à des espaces et à des dimensions d’existence inconnus de lui, ni répertoriés, ni configurés encore, mais que la commune perception des frontières pourrait très vite conduire à qualifier de « barbares ». » (p.16-17). Ce que l’ouvrage de Guillaume le Blanc retient ici, c’est que si la psychanalyse peut se présenter comme une clinique de la souffrance psychique, il n’est pas question de réadaptation. Il ne s’agit pas de susciter les conditions d’une vie normale, mais celles d’une vie « pouvant être menée dans les normes mêmes que la vie psychique est parvenue à créer, à partir de son attachement à des normes enfin assumées et de devenirs créateurs enfin désirés » (p.156). Il n’est donc pas question de se déprendre des normes, puisqu’aucune sortie hors des normes n’est possible - et à ce titre il n’y a pas d’anormalité. Il s’agit au contraire de repenser l’attachement aux normes. La psychanalyse est alors un lieu privilégié, si l’analyse est pensée comme augmentation des facultés créatrices. Cela suppose de s’intéresser avec Freud aux mécanismes de résistance, pour y « lire l’attachement subjectif du malade à sa maladie » (p.158). Il faut autrement dit envisager les forces psychiques de la personnalité malade, porter attention au transfert (comme capacité d’aimer autre chose que soi) et aux possibilités de déplacement (modifier son attachement plutôt que se déprendre des normes).

    « La transformation de soi qui s’opère dans l’analyse ne signifie pas un abandon du soi malade au profit d’un nouveau soi, la création d’une personnalité nouvelle sans rapport avec la personnalité malade, mais la possibilité qu’un nouveau rapport à soi s’institue. » (p.159)

    La souffrance psychique ne disparaît pas, mais la vie psychique devient praticable. La formule selon laquelle « la psychanalyse vise moins à faire sans qu’à faire avec » montre qu’il est impossible de revenir à une normalité première, qui serait l’équivalent d’une innocence biologique. La guérison redonne simplement une marge de mobilité à la vie psychique dans la souffrance même.

  34. Je n'ai pas trop le temps ces jours-ci mais ça a l'air intéressant bien que le danger soit de valoriser la déviance, ce que ne vise pas l'expression du négatif, et de confondre normalité avec excès de normalité. On est forcément avec les normes dans le contradictoire, c'est ce qui fait la difficulté de l'analyse à recréer de l'idéal. J'ai une formule qui tente d'en rendre compte "jamais trop de trop", ce qui veut dire aussi qu'il faut aller au trop, mais pas trop ! Legendre est critiquable mais on ne peut balayer de la main ce qui relève du droit où effectivement le non respect des normes mène à la barbarie. Un droit qui n'a plus de règles strictes, n'est plus un droit. Il croit un peu trop que c'est aussi nécessaire dans la vie mais il fait l'erreur inverse de ceux qui valorisent la transgression érigée en nouvelle norme.

  35. @Jean Zin :
    Selon certains psychanalystes comme Serge Tisseron, on pourrait n'avoir subit aucun traumatisme mais pourtant porter le traumatisme de ses ancêtres à travers les non dits ou mal dits, maux dis...

    Sortes de fantômes transgénérationnels qui dépasserait les faits visibles d'une vie individuelle. Les choses deviennent plus compliquées selon cette hypothèse. L'idée d'une couche sous jacente et adjacente de fiction historique me parait intéressante.

  36. Il n'y a pas que Serge Tisseron, on sait depuis Freud à quel point les secrets de famille peuvent nourrir la névrose, prouvant que c'est bien le langage qui nous traumatisme bien plus que le réel et qu'on est parlé plus qu'on ne parle, héritiers d'une histoire qui nous marque par notre nom. On peut dire que le refoulement est structurant par le vide qu'il instaure et autour duquel on tourne. C'est d'ailleurs ce qui fait les résurgences de l'histoire elle-même, notamment la transmission du ressentiment. Occasion de préciser que le désir de l'Autre ne se confond pas forcément avec le désir de notre partenaire actuel qui doit endosser des projections "névrotiques" archaïque, ce que le transfert manifeste amplement (mais qui n'empêche pas que les désirs mutuels s'exacerbent réellement dans l'amour).

  37. Et ben, j'en ai mis du temps à lire ce texte... si j'ai pas une migraine aujourd'hui! En tout cas, ça m'a l'air très intéressant Lacan. Mais je ne suis pas sûr d'être capable de le lire, intellectuellement j'entend.
    Sinon, je suis bien d'accord avec vous sur le rapport de la folie avec des raisonnements trop logiques qui induisent la paranoïa. J'en ai fait l'amère expérience (ça s'est arrangé avec avec l'aide temporaire de la chimie), même si d'autres éléments entrent en jeu, problèmes familiaux notamment puisque j'ai un frère qui lui est resté malade et se soigne malgré lui depuis des années... La schizophrénie, pour ne pas l'évoquer, trouve un terrain propice avec la toute puissance de la logique chez l'individu, celle-ci permettant de trouver dans l'espace entourant une logique abstraite complètement délirante au bon sens commun, mais parfaitement cohérente pour le malade atteint de schizophrénie.
    P.S: j'utilise un pseudo pour ce commentaire, puisque je parle de mon frère.(paranoïa???:))

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