Le mystère de la complexité de la vie
L'histoire de l'origine de la vie est passionnante, non qu'il n'y ait
plus aucun
mystère comme certains le prétendent avec
quelque précipitation, mais au contraire parce qu'elle les
multiplie et dessine un tracé approximatif qui va du chimique au
biologique, des ARN autocatalytiques à la constitution de la
cellule et toute l'évolution qui a suivi jusqu'à nous.
C'est une histoire dont on connaît la fin et les principales
étapes mais où subsistent de multiples
trous plus ou moins obscurs, dont certains d'une importance
considérable. Pourtant, depuis une dizaine d'années on peut
s'enorgueillir d'avoir percé ce qui semblait si obscur
jusqu'ici, et compris les grandes lignes
de l'apparition de la vie sur Terre il y a 3,8 milliards
d'années. Pour la plupart des spécialistes,
désormais l'essentiel est acquis, en fin de compte tout se
réduit à la chimie ! et certes il n'y a plus aucune
nécessité d'un "dessein intelligent" encore moins du
doigt de Dieu dans la création du vivant et de son
évolution. C'est un fait acquis, il faudra que la foi aille se
faire voir ailleurs.
On
peut regretter la place que prennent les
religions
dans le débat
biologique (et le livre de Christian de Duve), y compris dans
l'opposition militante au créationnisme qui va jusqu'à
refuser toute
finalité au
vivant, à l'encontre de l'évidence la plus manifeste,
par peur de donner prise au finalisme religieux ! Il y a donc une vue
relativement claire des différents stades de l'émergence
de la vie, mais cela n'empêche pas que leur
interprétation est encore trop incertaine
et réductionniste. La plupart du temps on ne fait rien d'autre
que de se persuader que ce qui s'est passé devait se passer
ainsi (tout ce qui apparaît est bon) ! Il est
très exagéré de prétendre avoir tout
compris ("
Aujourd'hui, il n'est pas exagéré d'affirmer que nous connaissons le secret de la vie"
CdD 24) car ce qui est remarquable, c'est que les points d'achoppement,
les trous
de l'histoire, coïncident à chaque fois avec des sauts
inouïs de
complexification. Effectivement, la complexité du fonctionnement des
cellules dépasse l'imagination, chaque processus multipliant les
intermédiaires à foison et l'équilibre entre
réactions contradictoires. Il faut en retenir deux choses :
1. Comme le dit Christian de Duve dans
La Recherche, "
La direction vers une complexité croissante me paraît un phénomène de stricte observation". John Maynard Smith
n'a sans doute pas tort de répondre à cette constatation qu'"
aucune règle de l'évolution ne dit que les choses doivent devenir plus complexes",
car il y a des régressions ou des bactéries n'ayant pas
du tout évolué, ce qui est aussi indéniable.
Certains pensent même que la
cellule originelle était plus complexe que les bactéries
qui en sont issues. Ce n'est pas une raison pour penser que cette
complexité aurait pu apparaître d'un seul coup sans passer par des
stades plus primitifs. Il faut admettre que la complexification est
malgré tout une loi reliée à
celle de
l'entropie, d'ordre statistique elle aussi et fonction du temps
passé. La complexification ne
s'applique pas aux espèces mais seulement à un niveau
plus global où les probabilités s'ajoutent, où les
événements improbables finissent par se produire. Ce
n'est pas une loi qui concerne le court terme, au contraire de
l'entropie cette fois, mais uniquement le
long terme.
Au fond la
complexification inverse l'entropie sur le long terme car si le court
terme va presque toujours au plus probable et ramène tout
à la moyenne, plus le temps passe et plus
l'improbable peut se produire et laisser sa trace pour toujours,
organiser
durablement l'espace (c'est une forme d'auto-organisation!). Peu
importe le temps qu'il faudra mais le meilleur l'emportera un jour et
pour toujours même si dans l'immédiat tous les autres
passent devant. La complexification à long terme est tout
simplement la contrepartie du caractère statistique de
l'entropie contre laquelle la vie se défend par le nombre,
abandonnant au vent des semences par milliers.
Ce qui
est une loi, indubitablement, c'est que la complexité prend du
temps, chaque stade se construisant sur le stade
précédent grâce à des circonstances
exceptionnelles. La loi de l'évolution c'est que le
simple précède le complexe et qu'on ne passe pas de la
bactérie à l'homme immédiatement, il faut du temps
et de nombreuses étapes. Plus le
temps passe et plus les organismes peuvent devenir complexes. Ce n'est
certes qu'une possibilité mais il
semble bien que toutes les possibilités de la combinatoire
génétique finissent par être actualisées (il
n'y a pas de hasard à ce niveau même si les
périodes de radiations accélèrent les mutations). Il suffit qu'elles trouvent des
conditions où elles se révèlent favorables. A
condition d'avoir un certain degré
d'isolation des populations (condition de la biodiversité), le
plus probable est
une
diversification génétique, et sur une période ou
un éventail de populations plus
large, l'apparition d'une
complexification.
La simple observation démontre que c'est effectivement ce qui se produit. La
complexité a donc bien un avantage reproductif à
long
terme ("
loi de la variété requise"
de Ashby, stipulant qu'il faut un degré de complexité
interne équivalent à la complexité des
phénomènes qu'on veut contrôler). Cet avantage
adaptatif est fonction des changements
environnementaux et des cataclysmes que le vivant a dû traverser,
et qui marquent sa mémoire génétique. Ce sont
souvent des extinctions de masse qui favorisent l'émergence
d'organismes plus complexes, d'autant qu'ils provoquent un morcellement
des populations et libèrent des niches écologiques. Il
faut se méfier pourtant des mots,
il ne s'agit pas
d'une simple complexité quantitative car, sur ce plan, on
atteint vite un
maximum au-delà duquel les performances
s'effondrent. Il
s'agit d'organisation et d'optimisations, qui peuvent être
simplificatrices, d'une mémoire cumulée et de
l'incarnation de stratégies éprouvées d'adaptation
à des situations de crise qui font partie intégrante de
la vie qui les a surmontées (résilience). Il
apparaît que la complexité ne vient pas tellement d'une
perte de redondance comme le supposait Henri Atlan, ce qui est
plutôt une conséquence, mais se construit par
découpage, par division et multiplication des
intermédiaires (des conditions supplémentaires à
remplir) ainsi que par la réutilisation de l'existant ou par
branchements genre GOTO en programmation.
2. On se heurte à chaque stade à une complexité
telle qu'on ne peut en rendre compte au-delà des
mécanismes de base et de la sélection naturelle. Ce "
mur
de la complexité"
est
peut-être infranchissable, même si on peut
considérer que cela n'a pas vraiment d'importance dès
lors qu'on tient les deux bouts de la chaîne. Les sauts
évolutifs restent pourtant des boîtes noires et notre
maîtrise du vivant très approximative. On fait des
modèles simplifiés dont le détail nous
échappe. La "sélection naturelle" est la formule magique
sensée
résoudre la question, comme s'il suffisait de
secouer la boîte, de faire "abracadabra" et d'attendre un
moment pour que tout s'arrange. Le problème, c'est qu'il
faudrait attendre très très longtemps ! En fait la place
incontournable de la sélection darwinienne dans
l'évolution devrait réfuter les prétentions de
contrôler le vivant, encore plus de faire mieux ! On peut le
réparer voire le modifier mais dans l'optimisation des fonctions
rien ne remplace le travail des années.
Il y a beaucoup de choses qu'on sait tout-de-même mais voyons quels sont ces événements improbables qui
ponctuent l'histoire de la vie (les transitions de Maynard Smith et
Szathmàry) après la formation de la Terre, il y a 4,6
milliards d'années et l'apparition de la vie il y a 3,8 milliards d'année :
1 - L'apparition inexpliquée de molécules réplicantes (ARN auto-catalytique)
2 - Leur confinement dans un compartiment (argile puis membrane), cellule
3 - Le passage de réplicateurs indépendants aux chromosomes qui les regroupe (monde à ARN)
4 - Le passage de l'ARN comme enzyme et gène (LUCA, Last Universal Common Ancestor) à l'ADN (code génétique) et aux
protéines (enzymes).
5 - Le passage des procaryotes (bactéries) aux eucaryotes (cellules à noyau), il y a 2,7 milliards d'années (laissant des traces de stéroïdes)
6 - L'apparition de la reproductions sexuée (900 millions ?)
7 - L'apparition des organismes pluricellulaires : plantes, animaux,
champignons (différenciation cellulaire) au moins vers 800
millions d'années, avec les premiers bilatériens vers 600
millions d'années (après terre gelée et
réchauffement) puis l'explosion du
cambrien inaugurant le paléozoïque (542 millions
d'années) après de grandes extinctions et une
remontée de l'oxygène
8 - La constitution de colonies animales, d'individus sociaux
9 - L'apparition du langage
Le fondement chimique de la vie est donc la
catalyse,
molécule facilitant une réaction chimique sans en
être affectée (souvent en constituant une étape
intermédiaire divisant par 2 l'énergie de chaque
réaction.
La forme de la molécule détermine sa fonction
catalytique par son "site actif"). C'est ce qu'on appelle une enzyme
(zyme signifiant levain
ou ferment, un pain azyme est un pain sans levain. Ce sont des enzymes
qui produisent de l'alcool fermenté par exemple). Les ARN puis
les
protéines, constituent les enzymes du vivant qui sont des
catalyseurs
biologiques très complexes, de véritables machineries
à l'échelle nanométrique. Il faut souligner que
les premières bactéries anaérobies utilisaient le
mécanisme de la fermentation pour se nourrir de molécules
organiques en rejetant du CO2. La
faculté d'auto-catalyse de certains ARN peut engendrer leur
réplication, et donc leur sélection ce qui enclencherait tout
le mécanisme de l'évolution.
A partir du quatrième point, c'est l'information qui mène la barque. Les
sauts
de complexité les plus importants se situent à
la formation de la cellule sans noyau (bactérienne),
déjà extraordinairement complexe, puis
à la cellule avec noyau (eucaryote), beaucoup plus grosse et
complexe encore. Le passage au stade pluricellulaire serait moins
extraordinaire, s'étant produit plusieurs fois
(végétaux, animaux, champignons), mais il permettra de
faire
éclater cette complexité en une exubérance de
formes taillée à coups de dents par la course entre
prédateurs et proies dans l'espace des possibles, course sans fin entre
contraintes de l'organisme et de l'environnement en co-évolution constante.
La reproduction et l'information
Qu'est-ce que la vie ? Elle résulte de
processus chimiques complexes où interviennent principalement
trois types de molécules géantes capables de transmettre
de l'information : les protéines et deux familles d'acides
nucléiques, l'acide ribonucléique (ARN) et l'acide
désoxyribonucléique (ADN). La Recherche p34
L'évolution
est une diversification et une complexification mais, avant tout
organisme complexe, il faut une solide reproduction de l'information.
Tout découle de la
reproduction
qui
ajoute à la
chimie l'information, aussi bien dans la suite d'acides aminés
des protéines que dans la suite des gènes de l'ADN
combinant 4 bases : Adénine, Guanine, Cytosine, Thymine (ou
Uracile pour l'ARN) désignés par leur initiale (AGCT). En
fait on peut dire que la vie, ce n'est pas
autre chose que la reproduction elle-même. C'est ce qui fait que
dès qu'une chimie de la reproduction se met en route
(autocatalyse de l'ARN), on quitte le domaine de la chimie pour celui
de la "sélection darwinienne", c'est-à-dire de la
sélection par le résultat, par rétroaction
extérieure, par "causalité descendante" et non plus par
causalité chimique : seul ce qui se reproduit le mieux continue
à se reproduire, même s'il est très improbable au
départ, à cause de son amplification ultérieure
par la reproduction justement. L'évolution procède en
effet par
pression adaptative, mutation,
sélection, et amplification (reproduction). Il faut d'ailleurs
distinguer les mutations majeures, qui apportent de nouvelles fonctions
et changent d'environnement, des mutations adaptatives qui vont suivre.
La vie (ou l'évolution) naît de la reproduction, quand la chimie est sous
contrainte et n'est plus déterminante mais étroitement
contrôlée par l'
information
qui émerge du processus
par rétroaction après un temps plus ou moins long de
reproduction et de
sélection. On peut dire que l'information comme mémoire
sélective résulte d'une optimisation de la
réaction, et donc de la reproduction finale. Cette inversion de
causalité est le coeur du darwinisme, toujours aussi difficile
à comprendre pour le réductionnisme car le
déterminisme devient extérieur. En effet, la causalité vient désormais de l'environnement qui
n'a de sens que pour un organisme vivant, c'est-à-dire fait pour
durer et se reproduire dans un espace limité et un temps qui
reste imprévisible. Dès lors, il vaut mieux dans le court terme ne pas occuper tout
l'espace (être trop bien adapté) afin de garder ses
capacités d'adaptation et de reproduction à plus long terme.
Car le temps long est une dimension fondamentale de la vie et de son
inversion de l'entropie au travers de toutes sortes de cataclysmes et
d'extinctions de masse.
Les phénomènes biologiques relèvent d'abord de la
loi des grand nombres et de temps
géologiques.
Comment
peut-on décrire la vie d'une cellule de
l'intérieur ? C'est
essentiellement
une production incessante, par l'ARN à partir de l'ADN, de
protéines, molécules
géantes se
repliant en formes
complexes et qui ont des fonctions catalytiques (enzymes), participant
au métabolisme de la cellule (constitué du catabolisme
destructeur et de l'anabolisme constructeur), notamment les divers
cycles du cytoplasme qui
maintiennent l'homéostasie (les cycles permettent de
rétablir alternativement les excès et les manques de
l'équilibre interne). A la base de cette
énergie vitale,
il y a une horloge biologique dont le principe est très simple :
Un gène produit une ou plusieurs protéines (PER/CRY) qui l'inhibe jusqu'à
ce que la protéine se décompose réactivant le
gène qui la produit à nouveau, etc. Le temps de
décomposition de cette protéine est donc l'unité
de base d'une horloge interne sur laquelle de nombreux processus vont
se greffer, dans une programmation complexe des cycles biologiques. Ce n'est pas si
différent d'un ordinateur dont la cadence d'horloge détermine le
temps de traitement de l'information.
L'énergie vitale de
la cellule est catalytique, c'est une chaîne de réactions
qui s'engendrent constamment. A ce sujet, il est intéressant de préciser que certains vers microscopiques (
tardigrades)
peuvent s'arrêter de vivre en séchant (cryptobiose), se
conserver ainsi indéfiniment, puis reprendre vie avec un peu d'eau
comme des graines !
La
fonction d'horloge de base, ou d'énergie vitale, pourrait
d'ailleurs s'appliquer de façon plus pertinente encore au
déplacement incessant de l'ARN-polymérase le long de
l'ADN, effectuant la transcription de l'ARN-messager qui sera traduit
ensuite en protéine dans le ribosome, s'il ne pouvait y avoir plusieurs
ARN-polymérase décodant en même temps des parties
différentes de l'ADN. L'intéressant ici,
c'est la sélection des parties à transcrire, des
commandes à effectuer, car c'est une toute petite partie de
l'ADN qui sera lue à chaque fois, même si cela
représente déjà des milliers de base. Ainsi chaque
cellule de notre
corps possède tout notre matériel génétique
mais seule une partie des gènes est activée dans chacune,
selon sa fonction, par des "facteurs d'expression", protéines
produites par des gènes régulateurs (ou
"supergènes"). Le mécanisme d'expression des
gènes,
découvert par Jacob et Monod, (Nobels 1965) ressemble au
mécanisme d'horloge décrit plus haut dont le principe est
significativement
celui d'une levée d'
inhibition.
En effet, un
"opéron" (gène opératoire) commence normalement
par un code
de départ, codon-start dit "promoteur" (le plus souvent, pour
les
eucaryotes, TATAAT, appelé TATA box, alternance de
Thymine et Adénine, mais qui peut être parfois ATG entre
autres). C'est l'équivalent d'un
X-on en
informatique. L'opéron se termine aussi par une
séquence terminale de 3
codons-stop (UAG, UAA et UGA), équivalent d'un X-off. Or, le
code de
départ se trouve la plupart du temps inhibé par un
"répresseur"
spécifique qui le rend illisible et s'applique sur un ensemble
fonctionnel de gènes. Il
faut que surgisse un "inducteur" venant se fixer sur le
répresseur pour que celui-ci lâche prise et libère
la lecture du codon-start, ce qui enclenche
la
production de la protéine codée par le gène
concerné.
L'inducteur, le plus souvent signal d'un déséquilibre
à réduire, représente l'information circulante,
une perception
extérieure codifiée, une commande externe.
L'opéron qui y répond
est
l'information structure, l'organisation matérielle, la
production de protéines en cascade, la
procédure interne mémorisée.
L'
énergie chimique
est
stockée sous forme d'ATP
(adénosine
triphosphate) qui fournit de l'énergie en se réduisant en
ADP
(adénosine diphosphate) grâce à des
"transducteurs". Il faut souligner que l'ATP lorsqu'il perd 2
phosphates sur 3 n'est
rien d'autre que l'Adénine et qu'on trouve aussi, bien que
beaucoup moins, CTP, GTP et UTP basés sur les autres acides
nucléiques. Dans la cellule, énergie et information sont
donc reliés. L'énergie (ATP) précède
l'information (Adénine) mais si l'information est
inactive par elle-même, l'énergie est bien guidée par l'information
puisqu'elle est au service de la
production de protéines. On peut dire qu'elle alimente les
catalyses qui sont le
véritable
moteur, les
protéines produites servant ensuite de "
pompes"
à travers
la
membrane de molécules spécifiques aussi
bien que d'évacuation, voire de toxine contre un agresseur,
assurant
l'homéostasie interne, la défense et la reproduction de
la cellule (méiose et mitose). Il doit être clair que ce
qui organise la cellule, ce n'est pas la
complexité des cascades de réactions chimiques,
sélectionnées à la longue, mais bien la fonction,
l'avantage reproductif (et ce n'est évidemment pas le
gène qui se reproduit, hypothèse imbécile, mais la
fonction qu'il permet avec l'introduction de cette protéine, sa
justesse, son optimisation, la vérité qu'il dit sur le
monde, une sorte de mémoire perceptive, de rémanence du
vivant, de caractère acquis au cours de l'évolution,
sélectionné par sa
fonction, même si c'est bien par le gène que tout commence
et qu'il y a des mutations neutres ou d'abord inutiles). "
Un
stade doit nécessairement arriver où la sélection
des molécules ne se fonde plus sur ce qu'elles sont, mais sur ce
qu'elles font" CdD p107.
L'évolution renforce le rôle de l'information au fur et
à mesure de ces reproductions et sélections qui ne
mènent pas à l'uniformité mais à la
complexification, la diversification, la différenciation pour
faire face à l'imprévisibilité du monde.
Le caractère de
totalité du vivant (de clôture opérationnelle) va se renforcer dans
le même mouvement, de la membrane cellulaire au noyau central,
puis totalité sexuelle, totalité d'un organisme,
totalité sociale, langage...
Il est remarquable que l'avantage reproductif de la
sexualité
n'ait absolument rien d'évident pour les spécialistes puisque le coût reproductif des mâles (qui
n'enfantent pas) est la division par 2 de la fécondité
à chaque génération ! On s'imagine que c'est le
mélange des gènes qui expliquerait son succès
adaptatif mais c'est contredit par le fait que les bactéries
échangent souvent leurs gènes ("
c'est le voisinage écologique des partenaires qui favorise les échanges"
p44). Le véritable
avantage me semble plutôt à chercher du côté
de la communication qui doit s'élaborer entre sexes, sur la
sélection qui s'opère par le choix
du partenaire, du partage d'un code commun, d'une capacité de
coopération et de réactivité commune à
l'environnement, un début de solidarité de groupe et de
normalisation. De plus la sexualité introduit un certain
degré de divergence génétique (dimorphisme sexuel)
permettant une division des fonctions et donc leur optimisation,
véritable complémentarité.
La complémentarité
Le principe de base de l'information biochimique et de la reproduction,
c'est la complémentarité, ce qu'on appelle l'
appariement
des bases qui permet la transcription de l'ADN à l'ARN puis la
traduction de l'ARN en protéines (mais c'est aussi le principe des
récepteurs des cellules avec les neuromédiateurs par
exemple, sans parler de la sexualité) :
-
Les
acides nucléiques(ARN
et ADN) se caractérisent
par
l'association d'un sucre (ribose pour l'ARN, désoxyribose pour
l'ADN), d'un acide phosphorique et d'une base azotée. Ils se
lient en longues chaînes. La transcription de ces longues
chaînes se fait par un
système de moule, ou de négatif plutôt puisque les
codons seront traduits en anti-codons par l'ARN avant de servir
à sélectionner les acides aminés dans les
protéines ou recopier un brin d'ADN. L'ADN est une sorte d'ARN
désactivé,
très peu réactif et plus rigide, une mémoire
inerte. L'ARN plus réactif et fragile, est devenu
son messager. Tout ceci n'est possible qu'à disposer d'un nombre
réduit de bases (A, G, C, T/U) pouvant se combiner 2 à 2
(A-U ou G-C) et constituant un code correspondant à des acides
aminés, ce n'est
pas rien. Ainsi un ARN porteur uniquement d'Uracile produit de la
phenylalanine (Nirenberg, 1961). La complémentarité est
aussi ce qui explique les deux brins d'ADN permettant une reproduction
presque parfaite en assurant une redondance de l'information qui permet
de contrôler sa validité (mécanisme de correction
d'erreur). Le mécanisme de reproduction est si parfait qu'il
produit un peu moins d'une erreur sur 1 milliard ! Cependant "
remarquons
que cela fait encore une demi-douzaine d'erreurs chaque fois qu'une
cellule humaine recopie son génome avant de se diviser" CdD p54
- Les
acides aminés,
qui sont les briques
élémentaires des protéines,
présents dans la "soupe primitive" (Stanley Miller, 1953), se
caractérisent par
un groupement
acide et un groupement amine, ainsi qu'un autre groupement
différent
pour les 20 acides aminés qui constituent l'alphabet
utilisé par toutes les protéines dans les cellules
vivantes (sous leur forme, on dit leur chiralité, tournée
vers
la gauche à l'exclusion de la droite tout aussi courante
chimiquement,
sans doute pour ne pas mélanger les formes). La liaison du
groupement
acide au groupement amine d'un autre
acide
aminé constitue une "liaison peptidique", principe d'assemblage
de
longues chaînes d'acides aminés (par les ribosomes,
qui sont des
ARN servant d'enzymes et qui ajoutent des séquences
d'acides aminés aux protéines).
C'est ainsi que se forme
une
chaîne de polypeptides, de centaines ou
milliers d'acides aminés, qu'on appelle une
protéine, véritable machinerie biologique. En effet,
l'interaction entre les liaisons peptidiques replie la
protéine en hélice. L'interaction entre les
différents radicaux lui donne une forme tridimensionnelle. Enfin
l'interaction entre les différentes unités lui donne une
conformation globulaire, spiralée, etc. On peut dire que c'est
cette forme qui est
codée dans une séquence de gènes et qui
détermine ses
propriétés (c'est une structure dynamique en mouvement,
une véritable machine). Chaque protéine "reconnaît"
spécifiquement une ou plusieurs molécules
selon un principe de complémentarité de type
clé-serrure, grâce à des
sites de reconnaissance et de fixation situés à sa
surface. La biochimie, basée sur le carbone, est une chimie des formes, une
chimie in-formée par l'ADN qui est la mémoire de la vie.
Liaison peptidique
La sainte trinité
A partir de là, on peut dire que
l'évolution suit son cours, les
organismes coulent de source jusqu'aux
origines de l'homme, passant d'un seuil de complexité au suivant.
Le passage aux
organismes
pluricellulaires est inévitable
puisqu'il a eu lieu trois fois de façon indépendante avec
les animaux (700 millions), les végétaux (500 millions) et les champignons (600 millions?).
D'après
Ameisen,
ce qui fait corps c'est un "module de
dépendance" associant toxine et protection. On peut penser
que c'est plutôt l'origine commune et la spécialisation
des organes qui
crée un code commun (hormones régulatrices), une
unité de réaction (système immunitaire), un
système vivant traversé
par une même information à laquelle on répond d'un
seul choeur. En effet, contrairement aux colonies de bactéries,
les organismes pluricellulaires se constituent à partir d'une
seule cellule eucaryote (oeuf) et partagent le même code
génétique, condition de la spécialisation des
organes qui n'en expriment qu'une partie grâce à un
rôle renforcé des gènes régulateurs. Nous avons donc un certain degré de
communauté avec toute forme de vie puisque nous descendons
finalement d'un ancêtre commun et d'une cellule unique.
Correspondance entre les gènes Hox de la mouche et de la souris
En
tout cas, ce qui sera décisif c'est l'émergence des
organismes, d'abord indifférenciés (tribolites,
méduses, éponges) puis organisés par les
gènes Hox
(sans doute à partir d'un ver marin annelé et
bilatéralisé comme le Néréis de la photo, si cela ne remonte pas au minuscule
vernanimalcula)
séparant les parties du corps (tête, yeux, système
nerveux, pattes, tube digestif, pompe circulatoire) et donnant
naissance d'abord aux arthropodes (crustacés, araignées,
insectes). Nous partageons ces "gènes
architectes" (ou
homéotiques) avec la mouche par
exemple (et une seule mutation d'un de ces gènes suffit pour que des pattes poussent sur sa
tête!).
C'est cette nouvelle structure qui produira l'explosion du
cambrien,
après des épreuves répétées (Terre
gelée, réchauffement, retour glaciations) et la
multiplication des prédateurs (dans une dialectique
prédation/stratégies de défenses), inaugurant le
paléozoïque il y a 542 millions
d'années, bien avant la colonisation de la Terre par les
araignées et scorpions vers 410 millions d'années, suivis
par les amphibiens.
Il ne restera plus ensuite, à travers une série
d'
extinctions
(440, 365, 250, 145, 65 millions d'année), dont la
pire aura été celle du permien (250 millions),
qu'à
développer les
neurones (liés au mouvement animal et à la
prédation) pour optimiser le traitement de l'information et
constituer
des individus capables d'apprendre, adaptables et sociaux, permettant
d'aboutir enfin à
l'espèce humaine et au langage qui sont bien le dessus du panier
de l'évolution, quoiqu'on dise, car cela ne pouvait guère
venir beaucoup plus tôt. Chaque pas compte et prend du temps. Les
extinctions de masse constituent un accélérateur au
moins, un nouveau départ qui fait place nette, remettant toutes
les espèces à égalité dans la
compétition de l'espace. Car le reste du temps, il y a rarement
compétition des espèces et encore moins de colonisation
d'espaces vierges. Beaucoup plus souvent, on a un équilibre des
populations prédateurs/proies relativement régulé
et ne laissant aucune place à de nouveaux entrants (le
prédateur protégeant son territoire des autres
prédateurs et des autres espèces. Les prédateurs
sont des marqueurs de la stabilité écologique car ils ont
besoin de la stabilité des proies. La stabilité
écologique est la condition du prédateur qui la
renforce).
C'est sans doute après l'explosion du
Cambrien
où ils étaient encore anarchiques que les rapports
prédateurs/proies ont fini par devenir régulés
(par les couleurs notamment, mais surtout par la défense d'un
territoire),
stabilisant l'évolution et figeant les plans d'organisation du
vivant (macroévolution et biodisparité étaient
achevées à la fin du Cambrien). En effet, on peut penser
que les prédateurs sans limites (comme les humains peuvent l'être) ont fini par être
éliminés par manque de proies. Là aussi, avec le
temps, l'information a pris le pas sur la force pure (comme l'élevage a pris le pas sur la chasse).
Ce sont seulement les
extinctions qui isolent d'abord,
et font dériver génétiquement, puis mettent
en
concurrence l'adaptabilité des organismes, ce qui permet l'émergence de la complexification après chaque
catastrophe. Ainsi après les amphibiens, le Carbonifère
sera à partir de 360 millions d'années, la période
des reptiles et des fougères. Ensuite, les
premiers dinosaures apparaissent vers 280 millions d'années mais
ne s'épanouiront qu'après le désastre du permien,
par leur adaptation au manque d'oxygène, ne laissant place aux mammifères qu'après leur quasi
disparition à la fin du Crétacé (et du
secondaire), il y a 65 millions d'années.
A chaque seuil de complexité franchi, le temps se ralentit et notamment avec
l'organisme animal, "
le
champ des mutations efficaces va se rétrécissant de plus
en plus [...] A partir d'une certaine complexité, les mutations
efficaces sont presque exclusivement celles qui affectent des
gènes qui règlent la transcription d'autres gènes"
p25. Les
mutations génétiques sont donc de plus en plus
pathogènes et néfastes (cancers). On peut juste
espérer par ce biais accélérer
ou ralentir, augmenter ou réduire, changer de place,
guère plus. Et encore, à condition d'avoir une isolation
des populations pendant un certain temps. L'évolution
naturelle est en bout de course,
passant le relais à l'apprentissage et aux progrès de la
technique. Nous en sommes là !
Ce n'est pourtant pas le dernier
mot de l'histoire de
la vie dont nous essayons bien imprudemment de prendre les commandes
(il n'y a pas que les OGM et le clonage. On crée des ADN avec de
nouvelles bases, certains espèrent créer des formes de
vie artificielles...). Ce n'est d'ailleurs que la suite d'une évolution humaine accélérée par une
sélection culturelle
proche de la création artificielle de races animales.
"
L'univers
c'est de la pensée qui émerge de la vie, qui
elle-même émerge de la matière dite inerte" Christian de Duve,
La Recherche, p26.