L'origine de la vie

A l'écoute du vivant, Christian de Duve, Odile Jacob, 2002
L'histoire de la vie, La Recherche, mai-juillet 2005

Le mystère de la complexité de la vie

chronologie de la vie L'histoire de l'origine de la vie est passionnante, non qu'il n'y ait plus aucun mystère comme certains le prétendent avec quelque précipitation, mais au contraire parce qu'elle les multiplie et dessine un tracé approximatif qui va du chimique au biologique, des ARN autocatalytiques à la constitution de la cellule et toute l'évolution qui a suivi jusqu'à nous. C'est une histoire dont on connaît la fin et les principales étapes mais où subsistent de multiples trous plus ou moins obscurs, dont certains d'une importance considérable. Pourtant, depuis une dizaine d'années on peut s'enorgueillir d'avoir percé ce qui semblait si obscur jusqu'ici, et compris les grandes lignes de l'apparition de la vie sur Terre il y a 3,8 milliards d'années. Pour la plupart des spécialistes, désormais l'essentiel est acquis, en fin de compte tout se réduit à la chimie ! et certes il n'y a plus aucune nécessité d'un "dessein intelligent" encore moins du doigt de Dieu dans la création du vivant et de son évolution. C'est un fait acquis, il faudra que la foi aille se faire voir ailleurs.

Adam et EveOn peut regretter la place que prennent les religions dans le débat biologique (et le livre de Christian de Duve), y compris dans l'opposition militante au créationnisme qui va jusqu'à refuser toute finalité au vivant, à l'encontre de l'évidence la plus manifeste, par peur de donner prise au finalisme religieux ! Il y a donc une vue relativement claire des différents stades de l'émergence de la vie, mais cela n'empêche pas que leur interprétation est encore trop incertaine et réductionniste. La plupart du temps on ne fait rien d'autre que de se persuader que ce qui s'est passé devait se passer ainsi (tout ce qui apparaît est bon) ! Il est très exagéré de prétendre avoir tout compris ("Aujourd'hui, il n'est pas exagéré d'affirmer que nous connaissons le secret de la vie" CdD 24) car ce qui est remarquable, c'est que les points d'achoppement, les trous de l'histoire, coïncident à chaque fois avec des sauts inouïs de complexification. Effectivement, la complexité du fonctionnement des cellules dépasse l'imagination, chaque processus multipliant les intermédiaires à foison et l'équilibre entre réactions contradictoires. Il faut en retenir deux choses :

complexification 1. Comme le dit Christian de Duve dans La Recherche, "La direction vers une complexité croissante me paraît un phénomène de stricte observation". John Maynard Smith n'a sans doute pas tort de répondre à cette constatation qu'"aucune règle de l'évolution ne dit que les choses doivent devenir plus complexes", car il y a des régressions ou des bactéries n'ayant pas du tout évolué, ce qui est aussi indéniable. Certains pensent même que la cellule originelle était plus complexe que les bactéries qui en sont issues. Ce n'est pas une raison pour penser que cette complexité aurait pu apparaître d'un seul coup sans passer par des stades plus primitifs. Il faut admettre que la complexification est malgré tout une loi reliée à celle de l'entropie, d'ordre statistique elle aussi et fonction du temps passé. La complexification ne s'applique pas aux espèces mais seulement à un niveau plus global où les probabilités s'ajoutent, où les événements improbables finissent par se produire. Ce n'est pas une loi qui concerne le court terme, au contraire de l'entropie cette fois, mais uniquement le long terme. Au fond la complexification inverse l'entropie sur le long terme car si le court terme va presque toujours au plus probable et ramène tout à la moyenne, plus le temps passe et plus l'improbable peut se produire et laisser sa trace pour toujours, organiser durablement l'espace (c'est une forme d'auto-organisation!). Peu importe le temps qu'il faudra mais le meilleur l'emportera un jour et pour toujours même si dans l'immédiat tous les autres passent devant. La complexification à long terme est tout simplement la contrepartie du caractère statistique de l'entropie contre laquelle la vie se défend par le nombre, abandonnant au vent des semences par milliers.

diversification extinctions
Ce qui est une loi, indubitablement, c'est que la complexité prend du temps, chaque stade se construisant sur le stade précédent grâce à des circonstances exceptionnelles. La loi de l'évolution c'est que le simple précède le complexe et qu'on ne passe pas de la bactérie à l'homme immédiatement, il faut du temps et de nombreuses étapes. Plus le temps passe et plus les organismes peuvent devenir complexes. Ce n'est certes qu'une possibilité mais il semble bien que toutes les possibilités de la combinatoire génétique finissent par être actualisées (il n'y a pas de hasard à ce niveau même si les périodes de radiations accélèrent les mutations). Il suffit qu'elles trouvent des conditions où elles se révèlent favorables. A condition d'avoir un certain degré d'isolation des populations (condition de la biodiversité), le plus probable est une diversification génétique, et sur une période ou un éventail de populations plus large, l'apparition d'une complexification. La simple observation démontre que c'est effectivement ce qui se produit. La complexité a donc bien un avantage reproductif à long terme ("loi de la variété requise" de Ashby, stipulant qu'il faut un degré de complexité interne équivalent à la complexité des phénomènes qu'on veut contrôler). Cet avantage adaptatif est fonction des changements environnementaux et des cataclysmes que le vivant a dû traverser, et qui marquent sa mémoire génétique. Ce sont souvent des extinctions de masse qui favorisent l'émergence d'organismes plus complexes, d'autant qu'ils provoquent un morcellement des populations et libèrent des niches écologiques. Il faut se méfier pourtant des mots, il ne s'agit pas d'une simple complexité quantitative car, sur ce plan, on atteint vite un maximum au-delà duquel les performances s'effondrent. Il s'agit d'organisation et d'optimisations, qui peuvent être simplificatrices, d'une mémoire cumulée et de l'incarnation de stratégies éprouvées d'adaptation à des situations de crise qui font partie intégrante de la vie qui les a surmontées (résilience). Il apparaît que la complexité ne vient pas tellement d'une perte de redondance comme le supposait Henri Atlan, ce qui est plutôt une conséquence, mais se construit par découpage, par division et multiplication des intermédiaires (des conditions supplémentaires à remplir) ainsi que par la réutilisation de l'existant ou par branchements genre GOTO en programmation.
 
2. On se heurte à chaque stade à une complexité telle qu'on ne peut en rendre compte au-delà des mécanismes de base et de la sélection naturelle. Ce "mur de la complexité" est peut-être infranchissable, même si on peut considérer que cela n'a pas vraiment d'importance dès lors qu'on tient les deux bouts de la chaîne. Les sauts évolutifs restent pourtant des boîtes noires et notre maîtrise du vivant très approximative. On fait des modèles simplifiés dont le détail nous échappe. La "sélection naturelle" est la formule magique sensée résoudre la question, comme s'il suffisait de secouer la boîte, de faire "abracadabra" et d'attendre  un moment pour que tout s'arrange. Le problème, c'est qu'il faudrait attendre très très longtemps ! En fait la place incontournable de la sélection darwinienne dans l'évolution devrait réfuter les prétentions de contrôler le vivant, encore plus de faire mieux ! On peut le réparer voire le modifier mais dans l'optimisation des fonctions rien ne remplace le travail des années.

Il y a beaucoup de choses qu'on sait tout-de-même mais voyons quels sont ces événements improbables qui ponctuent l'histoire de la vie (les transitions de Maynard Smith et Szathmàry) après la formation de la Terre, il y a 4,6 milliards d'années et l'apparition de la vie il y a 3,8 milliards d'année :
1 - L'apparition inexpliquée de molécules réplicantes (ARN auto-catalytique)
2 - Leur confinement dans un compartiment (argile puis membrane), cellule
3 - Le passage de réplicateurs indépendants aux chromosomes qui les regroupe (monde à ARN)
4 - Le passage de l'ARN comme enzyme et gène (LUCA, Last Universal Common Ancestor) à l'ADN (code génétique) et aux protéines (enzymes).
5 - Le passage des procaryotes (bactéries) aux eucaryotes (cellules à noyau), il y a 2,7 milliards d'années (laissant des traces de stéroïdes)
6 - L'apparition de la reproductions sexuée (900 millions ?)
7 - L'apparition des organismes pluricellulaires : plantes, animaux, champignons (différenciation cellulaire) au moins vers 800 millions d'années, avec les premiers bilatériens vers 600 millions d'années (après terre gelée et réchauffement) puis l'explosion du cambrien inaugurant le paléozoïque (542 millions d'années) après de grandes extinctions et une remontée de l'oxygène
8 - La constitution de colonies animales, d'individus sociaux
9 - L'apparition du langage

Catalyse enzyme
Le fondement chimique de la vie est donc la catalyse, molécule facilitant une réaction chimique sans en être affectée (souvent en constituant une étape intermédiaire divisant par 2 l'énergie de chaque réaction. La forme de la molécule détermine sa fonction catalytique par son "site actif"). C'est ce qu'on appelle une enzyme (zyme signifiant levain ou ferment, un pain azyme est un pain sans levain. Ce sont des enzymes qui produisent de l'alcool fermenté par exemple). Les ARN puis les protéines, constituent les enzymes du vivant qui sont des catalyseurs biologiques très complexes, de véritables machineries à l'échelle nanométrique. Il faut souligner que les premières bactéries anaérobies utilisaient le mécanisme de la fermentation pour se nourrir de molécules organiques en rejetant du CO2. La faculté d'auto-catalyse de certains ARN peut engendrer leur réplication, et donc leur sélection ce qui enclencherait tout le mécanisme de l'évolution.

archéobactérie A partir du quatrième point, c'est l'information qui mène la barque. Les sauts de complexité les plus importants se situent à la formation de la cellule sans noyau (bactérienne), déjà extraordinairement complexe, puis à la cellule avec noyau (eucaryote), beaucoup plus grosse et complexe encore. Le passage au stade pluricellulaire serait moins extraordinaire, s'étant produit plusieurs fois (végétaux, animaux, champignons), mais il permettra de faire éclater cette complexité en une exubérance de formes taillée à coups de dents par la course entre prédateurs et proies dans l'espace des possibles, course sans fin entre contraintes de l'organisme et de l'environnement en co-évolution constante.

La reproduction et l'information

Qu'est-ce que la vie ? Elle résulte de processus chimiques complexes où interviennent principalement trois types de molécules géantes capables de transmettre de l'information : les protéines et deux familles d'acides nucléiques, l'acide ribonucléique (ARN) et l'acide désoxyribonucléique (ADN). La Recherche p34

codonL'évolution est une diversification et une complexification mais, avant tout organisme complexe, il faut une solide reproduction de l'information. Tout découle de la reproduction qui ajoute à la chimie l'information, aussi bien dans la suite d'acides aminés des protéines que dans la suite des gènes de l'ADN combinant 4 bases : Adénine, Guanine, Cytosine, Thymine (ou Uracile pour l'ARN) désignés par leur initiale (AGCT). En fait on peut dire que la vie, ce n'est pas autre chose que la reproduction elle-même. C'est ce qui fait que dès qu'une chimie de la reproduction se met en route (autocatalyse de l'ARN), on quitte le domaine de la chimie pour celui de la "sélection darwinienne", c'est-à-dire de la sélection par le résultat, par rétroaction extérieure, par "causalité descendante" et non plus par causalité chimique : seul ce qui se reproduit le mieux continue à se reproduire, même s'il est très improbable au départ, à cause de son amplification ultérieure par la reproduction justement. L'évolution procède en effet par pression adaptative, mutation, sélection, et amplification (reproduction). Il faut d'ailleurs distinguer les mutations majeures, qui apportent de nouvelles fonctions et changent d'environnement, des mutations adaptatives qui vont suivre.

La vie (ou l'évolution) naît de la reproduction, quand la chimie est sous contrainte et n'est plus déterminante mais étroitement contrôlée par l'information qui émerge du processus par rétroaction après un temps plus ou moins long de reproduction et de sélection. On peut dire que l'information comme mémoire sélective résulte d'une optimisation de la réaction, et donc de la reproduction finale. Cette inversion de causalité est le coeur du darwinisme, toujours aussi difficile à comprendre pour le réductionnisme car le déterminisme devient extérieur. En effet, la causalité vient désormais de l'environnement qui n'a de sens que pour un organisme vivant, c'est-à-dire fait pour durer et se reproduire dans un espace limité et un temps qui reste imprévisible. Dès lors, il vaut mieux dans le court terme ne pas occuper tout l'espace (être trop bien adapté) afin de garder ses capacités d'adaptation et de reproduction à plus long terme. Car le temps long est une dimension fondamentale de la vie et de son inversion de l'entropie au travers de toutes sortes de cataclysmes et d'extinctions de masse. Les phénomènes biologiques relèvent d'abord de la loi des grand nombres et de temps géologiques.

transcriptionComment peut-on décrire la vie d'une cellule de l'intérieur ? C'est essentiellement une production incessante, par l'ARN à partir de l'ADN, de protéines, molécules géantes se repliant en formes complexes et qui ont des fonctions catalytiques (enzymes), participant au métabolisme de la cellule (constitué du catabolisme destructeur et de l'anabolisme constructeur), notamment les divers cycles du cytoplasme qui maintiennent l'homéostasie (les cycles permettent de rétablir alternativement les excès et les manques de l'équilibre interne). A la base de cette énergie vitale, il y a une horloge biologique dont le principe est très simple : Un gène produit une ou plusieurs protéines (PER/CRY) qui l'inhibe jusqu'à ce que la protéine se décompose réactivant le gène qui la produit à nouveau, etc. Le temps de décomposition de cette protéine est donc l'unité de base d'une horloge interne sur laquelle de nombreux processus vont se greffer, dans une programmation complexe des cycles biologiques. Ce n'est pas si différent d'un ordinateur dont la cadence d'horloge détermine le temps de traitement de l'information. L'énergie vitale de la cellule est catalytique, c'est une chaîne de réactions qui s'engendrent constamment. A ce sujet, il est intéressant de préciser que certains vers microscopiques (tardigrades) peuvent s'arrêter de vivre en séchant (cryptobiose), se conserver ainsi indéfiniment, puis reprendre vie avec un peu d'eau comme des graines !

ARN polyméraseLa fonction d'horloge de base, ou d'énergie vitale, pourrait d'ailleurs s'appliquer de façon plus pertinente encore au déplacement incessant de l'ARN-polymérase le long de l'ADN, effectuant la transcription de l'ARN-messager qui sera traduit ensuite en protéine dans le ribosome, s'il ne pouvait y avoir plusieurs ARN-polymérase décodant en même temps des parties différentes de l'ADN. L'intéressant ici, c'est la sélection des parties à transcrire, des commandes à effectuer, car c'est une toute petite partie de l'ADN qui sera lue à chaque fois, même si cela représente déjà des milliers de base. Ainsi chaque cellule de notre corps possède tout notre matériel génétique mais seule une partie des gènes est activée dans chacune, selon sa fonction, par des "facteurs d'expression", protéines produites par des gènes régulateurs (ou "supergènes"). Le mécanisme d'expression des gènes, découvert par Jacob et Monod, (Nobels 1965) ressemble au mécanisme d'horloge décrit plus haut dont le principe est significativement celui d'une levée d'inhibition. En effet, un "opéron" (gène opératoire) commence normalement par un code de départ, codon-start dit "promoteur" (le plus souvent, pour les eucaryotes, TATAAT, appelé TATA box, alternance de Thymine et Adénine, mais qui peut être parfois ATG entre autres). C'est l'équivalent d'un X-on en informatique. L'opéron se termine aussi par une séquence terminale de 3 codons-stop (UAG, UAA et UGA), équivalent d'un X-off. Or, le code de départ se trouve la plupart du temps inhibé par un "répresseur" spécifique qui le rend illisible et s'applique sur un ensemble fonctionnel de gènes. Il faut que surgisse un "inducteur" venant se fixer sur le répresseur pour que celui-ci lâche prise et libère la lecture du codon-start, ce qui enclenche la production de la protéine codée par le gène concerné. L'inducteur, le plus souvent signal d'un déséquilibre à réduire, représente l'information circulante, une perception extérieure codifiée, une commande externe. L'opéron qui y répond est l'information structure, l'organisation matérielle, la production de protéines en cascade, la procédure interne mémorisée.

cycle ATP L'énergie chimique est stockée sous forme d'ATP (adénosine triphosphate) qui fournit de l'énergie en se réduisant en ADP (adénosine diphosphate) grâce à des "transducteurs". Il faut souligner que l'ATP lorsqu'il perd 2 phosphates sur 3 n'est rien d'autre que l'Adénine et qu'on trouve aussi, bien que beaucoup moins, CTP, GTP et UTP basés sur les autres acides nucléiques. Dans la cellule, énergie et information sont donc reliés. L'énergie (ATP) précède l'information (Adénine) mais si l'information est inactive par elle-même, l'énergie est bien guidée par l'information puisqu'elle est au service de la production de protéines. On peut dire qu'elle alimente les catalyses qui sont le véritable moteur, les protéines produites servant ensuite de "pompes" à travers la membrane de molécules spécifiques aussi bien que d'évacuation, voire de toxine contre un agresseur, assurant l'homéostasie interne, la défense et la reproduction de la cellule (méiose et mitose). Il doit être clair que ce qui organise la cellule, ce n'est pas la complexité des cascades de réactions chimiques, sélectionnées à la longue, mais bien la fonction, l'avantage reproductif (et ce n'est évidemment pas le gène qui se reproduit, hypothèse imbécile, mais la fonction qu'il permet avec l'introduction de cette protéine, sa justesse, son optimisation, la vérité qu'il dit sur le monde, une sorte de mémoire perceptive, de rémanence du vivant, de caractère acquis au cours de l'évolution, sélectionné par sa fonction, même si c'est bien par le gène que tout commence et qu'il y a des mutations neutres ou d'abord inutiles). "Un stade doit nécessairement arriver où la sélection des molécules ne se fonde plus sur ce qu'elles sont, mais sur ce qu'elles font" CdD p107.

L'évolution renforce le rôle de l'information au fur et à mesure de ces reproductions et sélections qui ne mènent pas à l'uniformité mais à la complexification, la diversification, la différenciation pour faire face à l'imprévisibilité du monde. Le caractère de totalité du vivant (de clôture opérationnelle) va se renforcer dans le même mouvement, de la membrane cellulaire au noyau central, puis totalité sexuelle, totalité d'un organisme, totalité sociale, langage...

Bob et Alice Il est remarquable que l'avantage reproductif de la sexualité n'ait absolument rien d'évident pour les spécialistes puisque le coût reproductif des mâles (qui n'enfantent pas) est la division par 2 de la fécondité à chaque génération ! On s'imagine que c'est le mélange des gènes qui expliquerait son succès adaptatif mais c'est contredit par le fait que les bactéries échangent souvent leurs gènes ("c'est le voisinage écologique des partenaires qui favorise les échanges" p44). Le véritable avantage me semble plutôt à chercher du côté de la communication qui doit s'élaborer entre sexes, sur la sélection qui s'opère par le choix du partenaire, du partage d'un code commun, d'une capacité de coopération et de réactivité commune à l'environnement, un début de solidarité de groupe et de normalisation. De plus la sexualité introduit un certain degré de divergence génétique (dimorphisme sexuel) permettant une division des fonctions et donc leur optimisation, véritable complémentarité.

La complémentarité

Le principe de base de l'information biochimique et de la reproduction, c'est la complémentarité, ce qu'on appelle l'appariement des bases qui permet la transcription de l'ADN à l'ARN puis la traduction de l'ARN en protéines (mais c'est aussi le principe des récepteurs des cellules avec les neuromédiateurs par exemple, sans parler de la sexualité)  :

translation

nucléotide- Les acides nucléiques(ARN et ADN) se caractérisent par l'association d'un sucre (ribose pour l'ARN, désoxyribose pour l'ADN), d'un acide phosphorique et d'une base azotée. Ils se lient en longues chaînes. La transcription de ces longues chaînes se fait par un système de moule, ou de négatif plutôt puisque les codons seront traduits en anti-codons par l'ARN avant de servir à sélectionner les acides aminés dans les protéines ou recopier un brin d'ADN. L'ADN est une sorte d'ARN désactivé, très peu réactif et plus rigide, une mémoire inerte. L'ARN plus réactif et fragile, est devenu son messager. Tout ceci n'est possible qu'à disposer d'un nombre réduit de bases (A, G, C, T/U) pouvant se combiner 2 à 2 (A-U ou G-C) et constituant un code correspondant à des acides aminés, ce n'est pas rien. Ainsi un ARN porteur uniquement d'Uracile produit de la phenylalanine (Nirenberg, 1961). La complémentarité est aussi ce qui explique les deux brins d'ADN permettant une reproduction presque parfaite en assurant une redondance de l'information qui permet de contrôler sa validité (mécanisme de correction d'erreur). Le mécanisme de reproduction est si parfait qu'il produit un peu moins d'une erreur sur 1 milliard ! Cependant "remarquons que cela fait encore une demi-douzaine d'erreurs chaque fois qu'une cellule humaine recopie son génome avant de se diviser" CdD p54

acide aminé - Les acides aminés, qui sont les briques élémentaires des protéines, présents dans la "soupe primitive" (Stanley Miller, 1953), se caractérisent par un groupement acide et un groupement amine, ainsi qu'un autre groupement différent pour les 20 acides aminés qui constituent l'alphabet utilisé par toutes les protéines dans les cellules vivantes (sous leur forme, on dit leur chiralité, tournée vers la gauche à l'exclusion de la droite tout aussi courante chimiquement, sans doute pour ne pas mélanger les formes). La liaison du groupement acide au groupement amine d'un autre acide aminé constitue une "liaison peptidique", principe d'assemblage de longues chaînes d'acides aminés (par les ribosomes, qui sont des ARN servant d'enzymes et qui ajoutent des séquences d'acides aminés aux protéines).

ProtéineC'est ainsi que se forme une chaîne de polypeptides, de centaines ou milliers d'acides aminés, qu'on appelle une protéine, véritable machinerie biologique. En effet, l'interaction entre les liaisons peptidiques replie la protéine en hélice. L'interaction entre les différents radicaux lui donne une forme tridimensionnelle. Enfin l'interaction entre les différentes unités lui donne une conformation globulaire, spiralée, etc. On peut dire que c'est cette forme qui est codée dans une séquence de gènes et qui détermine ses propriétés (c'est une structure dynamique en mouvement, une véritable machine). Chaque protéine "reconnaît" spécifiquement une ou plusieurs molécules selon un principe de complémentarité de type clé-serrure, grâce à des sites de reconnaissance et de fixation situés à sa surface. La biochimie, basée sur le carbone, est une chimie des formes, une chimie in-formée par l'ADN qui est la mémoire de la vie.
liaison petidique
Liaison peptidique


La sainte trinité

Le vivant sait compter jusqu'à 3. Il n'y a pas que l'unité primordiale de la cellule et la complémentarité 2 à 2 dans la vie car on retrouve des structures ternaires à différents niveaux:

- L'assemblage des acides aminés se fait par groupes de 3, correspondant aux triplets de bases de l'ADN appelés codons. Si les bases sont des bits qui peuvent avoir des valeurs de 1 à 4, les codons sont des bytes (ou octets) constitués de 3 bases permettant de coder 64 acides aminés différents (même s'il n'y en a que 20 qui marchent et sont traduits par des ARN de transfert).

- Les protéines correspondent aux fonctions et caractéristiques d'une cellule, y compris sa reproduction. Elles font partie d'un système triple ADN/ARN/protéines où chaque partie dépend des autres. L'ADN contient l'information génétique de base (codons), l'ARN les traduits en protéines, les protéines assurent la reproduction et l'homéostasie de l'ensemble. On a donc séparation entre mémoire, lecture (commande) et fonction. L'ARN d'où vient la vie n'est plus que son médiateur qui se sert de moins réactif que lui (ADN) pour produire plus réactif que lui (protéine).

- Il y a aussi 3 sortes de cellules : bactéries, archéobactéries (ou archées) et cellules eucaryotes. Ici, on a sans doute d'abord 2 sortes d'ADN, puis une cellule qui réunit les deux en symbiose puisque le noyau de la cellule eucaryote serait à l'origine une archéobactérie intégrée dans une bactérie (ou le contraire, ou un virus).

- Il y a enfin 3 sortes d'organismes pluricellulaires. Pourquoi 3 ? Sans doute les champignons (levures, moisissures) sont une forme intermédiaire, proche des cellules animales (de la chair plus que de la cellulose), et qui vivent en parasite ou symbiose d'autres organismes leurs fournissant énergie et carbone. La division entre végétal et animal oppose plante "autotrophe", qui trouve son énergie directement dans la matière inanimée (photosynthétiques ou chimiosynthétiques), et l'animal hétérotrophe qui retire son énergie chimique d'autres matières organiques : tous les animaux sont des prédateurs, même les herbivores, et toutes les plantes sont des capteurs d'énergie. Les champignons sont au milieu, "absorbotrophes", plutôt du côté animal mais sans vouloir la mort de ceux qui les nourrissent, en parasites ou en symbiose (lichens), apportant minéraux et protection bactérienne à leurs hôtes. Leur rôle d'équilibre bactérien est sans doute ce qui leur procure un espace vital irremplaçable.

On voit que la vie incarne 4 sortes de dialectiques : celle qui de 3 fait 1, celle qui fait du tiers l'entre-deux, le médiateur, celle qui fait un troisième de la réunion des deux, enfin celle de la voie moyenne, du compromis. Le rôle du troisième n'est pas le même à chaque fois. Le premier est quelconque, partie d'un tout, le second est liaison active entre l'un et l'autre, le suivant intègre l'un dans l'autre, le dernier est composé, mélange, ni l'un, ni l'autre, au milieu. On occuperait ainsi tout l'espace des possibles ? Mais voyons comment ça c'est passé, du moins ce qu'on croit en savoir à ce jour.

La naissance de la vie (reconstitution)

L'ARN est une molécule déjà très complexe, qui n'a jamais été synthétisée en laboratoire sans enzymes. La plupart des chercheurs pensent aujourd'hui que l'apparition de la vie est antérieure à celle de l'ARN. La Recherche, p35

origine ARN

L'origine nous échappe toujours. Nous ne savons pas ce qui a précédé l'ARN, nous savons que la vie a commencé avec des molécules d'ARN autoréplicatives (Walter Gilbert 1986), peut-être elles-mêmes le produit d'une autre molécule autoréplicante (acide aminés "activés", soufrés, ou thioesters en chaînes peptidiques, qu'on trouve dans les cheminées hydrothermales sous-marines), mais ce serait encore un miracle que de l'ARN se forme spontanément, même si ce n'est pas tout-à-fait de l'ordre de l'impossible (à partir d'une réaction dite de formose qui consiste à polymériser les molécules de formaldéhyde en longue chaîne. D'autres hypothèses partent du monoxyde d'azote). En tout cas, il est certain que ce devait être au début des petits ARN (dits ARN interférents) constitués d'une vingtaine d'acides nucléiques seulement (quoique la capacité catalytique soit reliée à la capacité de se plier de l'ARN qui doit donc être assez long pour cela). On peut considérer qu'à partir de là tout est joué, mais comment y parvenir sinon déjà par une reproduction sélective ? (Ce que Antoine Danchin appelle une chimie sélective, aboutissant selon lui à l'auto-réplication de ptéridine-phosphate ou autres peptides). Hélas, il n'est pas possible de remonter au-delà de la mémoire du vivant, fixée dans l'ARN jusqu'à nos jours. En tout cas, ce qu'il faut au début de la vie, c'est l'emballement d'un mécanisme de reproduction chimique plus simple et d'abord sans mémoire, véritable réaction en chaîne qui dure encore. On ne peut dire qu'on sait vraiment ce qui a mis en mouvement ce monde de la vie, pas plus d'ailleurs qu'on ne connaît la cause du Big Bang à l'origine de notre univers. Pas de quoi donner à quelque dieu ce petit rôle de starter (de premier moteur d'Aristote qui enclenche le mouvement) mais il faut reconnaître que la cause première reste hors de notre portée, l'étincelle initiale (il y en a eu d'innombrables sans doute).

membraneLa reproduction et la sélection de l'ARN autocatalytique a peut-être déjà commencé à constituer un proto-métabolisme dans les pores de l'argile. La prochaine étape qui tient encore du miracle, c'est la constitution d'une membrane, du moins son intégration au matériel génétique porté par l'ARN. Bien sûr les membranes n'ont rien de mystérieux. Ce sont des molécules phospho-lipidiques (acides gras) dont un côté est hydrophile et l'autre hydrophobe, ce sont des petites bulles huileuses comme il y en a tant, mais on ne sait comment ça s'est produit. Il est possible que les membranes lipidiques aient été précédées de membranes protéinoïdes qui se produisent quand on chauffe des acides aminés. Selon Christian de Duve il n'est pas nécessaire que la membrane soit intégrée au code génétique car toute membrane vient d'une membrane et peut donc avoir une vie autonome. Remarquons qu'il n'est pas impossible que proto-métabolisme et membrane soient antérieurs à l'ARN, et même que tout ait commencé par la reproduction de membranes (c'est l'hypothèse d'Antoine Danchin mais semble contredit par le fait que bactéries et archéobactéries n'ont pas les mêmes membranes).

Le rassemblement de tout le matériel génétique en chromosomes rassemblant les ARN codants et représentant des centaines de gènes paraît moins extraordinaire, dicté par l'efficacité reproductive (ainsi notre ADN est constitué de 23 paires de chromosomes qui s'assemblent au moment de la méiose avant de se séparer en 2 brins distincts pour se reproduire. La surprise a été de constater que nous avions moins de 32 000 gènes, peut-être même seulement 25 000, mais, par exemple, le chromosome X a 931 gènes ce qui fait déjà 154 millions de paires de base!). Ce qui est sans doute trompeur car les mammifères ont une codification plus compacte que les autres vivants, saut évolutif bien plus tardif.

Là où les mammifères se différencient du reste des organismes, c'est dans le recours plus fréquent à l'épissage alternatif : en fonction de l'environnement cellulaire, ils fabriquent différentes combinaisons d'exons [parties codantes d'un gène séparées par des "introns" non codants qui sont éliminés] En moyenne, un gène donne naissance ainsi à 3 ARN différents. Mais certains gènes tels que le gène de la neurexine [protéines récepteurs des neurones], peuvent donner 2000 ARN distincts!
[...]
On découvre que le nombre de partenaires impliqués dans la régulation d'un gène pourrait être nettement plus important que ce que l'on pensait. Il est possible que cela explique une partie de la complexité des organismes supérieurs. Le concept de réseau au sein du génome, reposant sur de multiples boucles de rétroaction positives et négatives, réapparaît.
[...]
Il y a aussi toute une panoplie d'ARN non codants [ne fabriquant pas de protéines]. Ce qui est surprenant, c'est que ces derniers sont codés par des régions situés "entre" les gènes, zones que l'on pensait non transcrites jusqu'à présent. Par ailleurs, on a découvert que certains ARN non codants étaient produits par des gènes codant aussi des protéines. Notre ignorance à leur sujet est quasi complète.
[...]
Avec une redéfinition du gène, il pourrait donc y avoir des dizaines de milliers de gènes supplémentaires [actuellement autour de 25000].  La Recherche, octobre 2005

ARN-protéineLe stade suivant de production de protéines à partir de l'ARN ne présente pas beaucoup de mystère non plus puisque c'est ainsi que les protéines sont formés dans les ribosomes des cellules, par des ribozymes qui sont des ARN enzymes (les ribosomes sont des ribozymes!). Comment c'est arrivé ? C'est une autre histoire ! Il est possible que ce soit venu petit à petit, en attachant des acides aminés au bout d'un ARN devenu ainsi plus réactif (sur le modèle des ARN de transfert ci-contre, assurant la traduction anticodons-acides aminés). En tout cas, avec les protéines ce sont les fonctions de la cellule qui se multiplient, ses capacités de réaction et de communication, l'étendue de son vocabulaire, puisqu'on passe de 4 bases à 20 acides aminés. On peut parler désormais d'un véritable métabolisme et d'un saut de complexité avec ce qui est sans doute l'ancêtre commun de toute cellule (appelé LUCA, Last Universal Common Ancestor). Actuellement on pense que le nombre minimum nécessaire pour un métabolisme complet serait de l'ordre de 300 protéines (gènes). [En fait l'hypothèse d'un ancêtre commun à ce niveau me semble absurde car il faudrait que cette cellule évolue très longtemps sans se diviser. Il est plus probable qu'il y a eu une population de départ avec échanges de gènes et sélection tardive d'une structure très optimisée]

ADNA partir de là, la formation de l'ADN par les protéines semble moins difficile qu'on pourrait le croire sous prétexte qu'il s'est imposé universellement après. Il suffit que des protéines ou un rétro-virus aient transformé le ribose de l'ARN en désoxyribose, ensuite la rigidité de l'ADN, sa stabilité et son caractère inerte, lui ont donné un avantage reproductif décisif, séparant la mémoire génétique de la catalyse elle-même, ce que renforcera le noyau dans un deuxième temps. Il est possible, voire probable, que l'ADN soit apparu d'abord chez les virus (selon Patrick Forterre, p39) mais ce n'est pas un événement tellement improbable puisqu'il s'est peut-être produit deux fois à peu près à la même époque, de façon différenciée chez les bactéries et les archéobactéries (ou archées, bactéries des milieux extrêmes, thermophiles, fonds marins, 10 fois plus petites que les bactéries et sans doute plus originaires). L'apparition de l'ADN en stabilisant le génome, puis en substituant la thymine à l'uracile, ce qui permettra d'éliminer une des sources d'erreur les plus courantes (la dérive de cytosine en uracile), va diminuer brutalement la vitesse d'évolution des protéines en améliorant considérablement la fiabilité de la reproduction. C'est ce que Carl Woese appelle la "cristallisation génétique". On passe dès lors dans un tout autre régime.

eucaryote

Le stade suivant, au moins vers 1,8 milliards d'années si on en croit les traces de stéroïdes qui en témoignent, c'est le passage des bactéries "procaryotes" (sans noyaux où l'ADN est libre) aux cellules "eucaryotes" (avec noyaux). Ce n'est pas une mince affaire, même si on peut penser que c'est le résultat d'une phagocytose d'une archéobactérie par une bactérie (ou le contraire), puis de leur symbiose, car on retrouve dans le noyau des gènes reproducteurs appartenant aux archéobactéries tandis que les gènes opérationnels du cytoplasme sont d'origine bactérienne. L'accroissement de complexité est inimaginable dans ces cellules au moins dix mille fois plus grosses que des bactéries et dont nous sommes faits. C'est sans doute une conséquence de la constitution d'un noyau, d'une nouvelle amélioration de la fiabilité de reproduction et de la division des tâches, plutôt qu'une condition préalable. La reproduction de la cellule passe d'ailleurs sous le contrôle de gênes régulateurs qui peuvent la bloquer et devient beaucoup moins rapide que pour les bactéries. Une reproduction fiabilisée jointe à une plus grande complexité va empêcher l'optimisation du génome eucaryote, encombré comme un vieux programme informatique de vestiges inactifs depuis longtemps ("introns", appelés aussi "ADN poubelle" mais qui pourrait avoir un rôle dans la conformation spatiale de l'ADN, voir Pour la Science, no334, août 2005). Cela va renforcer aussi le rôle des virus dans les mutations génétiques et favoriser sans doute l'apparition de la reproduction sexuée (vers 900 millions d'années?). Un des avantages décisifs des cellules à noyau sur les bactéries c'est leur mécanisme de digestion interne (lysosomes) alors que les bactéries déversent leurs enzymes à l'extérieur pour se nourrir. Une autre différence encore plus essentielle, c'est la bien plus grande capacité de communication avec l'extérieur à travers la membrane (récepteurs), condition de la formation d'organismes pluricellulaires (c'est d'ailleurs sans doute la plus grande porosité de la membrane qui a dû forcer les eucaryotes à protéger son ADN par une autre membrane, celle du noyau).

mitochondrieLes eucaryotes vont intégrer ensuite (au moins vers 800 millions d'années) des mitochondries, bactéries symbiotiques transformant l'oxygène en énergie (comburant du glucose et des acides gras), ce qui est devenu à la fois possible et nécessaire lorsque les cyanobactéries ont commencé à produire de l'oxygène. L'oxygène, sous-produit de la vie (à partir de 2,2 milliards d'années), a été d'abord un terrible poison décimant la plupart des cellules qui étaient toutes forcément "anaérobies" au départ puisque nées dans un monde sans oxygène. L'oxygène nous est devenu vital et nous protège des radiations grâce à la couche d'ozone qu'il produit mais il est toujours agressif et on sait bien que nous avons besoin de notre dose quotidienne d'anti-oxydants. Cette fonction de protection de l'oxygène a d'abord été assurée par les peroxysomes. Une lignée d'eucaryotes intégrera aussi des cyanobactéries qui donneront les chloroplastes permettant de capter l'énergie solaire pour fixer le carbone, et donnant naissance ainsi au royaume végétal qui entretient  toujours la production d'oxygène pour les animaux qui le respirent, et produisent en retour du gaz carbonique respiré par les plantes. Il faut souligner que la séparation des fonctions de production d'énergie, prises en charge par les mitochondries, permet d'en centraliser la régulation (par le NO) et, surtout, libère les échanges électriques à travers la membrane à des fins de signalisation cellulaire (permettant une cohésion d'ensemble).

l'arbre du vivant

A partir de là, on peut dire que l'évolution suit son cours, les organismes coulent de source jusqu'aux origines de l'homme, passant d'un seuil de complexité au suivant. Le passage aux organismes pluricellulaires est inévitable puisqu'il a eu lieu trois fois de façon indépendante avec les animaux (700 millions), les végétaux (500 millions) et les champignons (600 millions?). D'après Ameisen, ce qui fait corps c'est un "module de dépendance" associant toxine et protection. On peut penser que c'est plutôt l'origine commune et la spécialisation des organes qui crée un code commun (hormones régulatrices), une unité de réaction (système immunitaire), un système vivant traversé par une même information à laquelle on répond d'un seul choeur. En effet, contrairement aux colonies de bactéries, les organismes pluricellulaires se constituent à partir d'une seule cellule eucaryote (oeuf) et partagent le même code génétique, condition de la spécialisation des organes qui n'en expriment qu'une partie grâce à un rôle renforcé des gènes régulateurs. Nous avons donc un certain degré de communauté avec toute forme de vie puisque nous descendons finalement d'un ancêtre commun et d'une cellule unique.

gènes Hox
Correspondance entre les gènes Hox de la mouche et de la souris

Néréis gènes HoxEn tout cas, ce qui sera décisif c'est l'émergence des organismes, d'abord indifférenciés (tribolites, méduses, éponges) puis organisés par les gènes Hox (sans doute à partir d'un ver marin annelé et bilatéralisé comme le Néréis de la photo, si cela ne remonte pas au minuscule vernanimalcula) séparant les parties du corps (tête, yeux, système nerveux, pattes, tube digestif, pompe circulatoire) et donnant naissance d'abord aux arthropodes (crustacés, araignées, insectes). Nous partageons ces "gènes architectes" (ou homéotiques) avec la mouche par exemple (et une seule mutation d'un de ces gènes suffit pour que des pattes poussent sur sa tête!). C'est cette nouvelle structure qui produira l'explosion du cambrien, après des épreuves répétées (Terre gelée, réchauffement, retour glaciations) et la multiplication des prédateurs (dans une dialectique prédation/stratégies de défenses), inaugurant le paléozoïque il y a 542 millions d'années, bien avant la colonisation de la Terre par les araignées et scorpions vers 410 millions d'années, suivis par les amphibiens.

crise biodiversité Il ne restera plus ensuite, à travers une série d'extinctions (440, 365, 250, 145, 65 millions d'année), dont la pire aura été celle du permien (250 millions), qu'à développer les neurones (liés au mouvement animal et à la prédation) pour optimiser le traitement de l'information et constituer des individus capables d'apprendre, adaptables et sociaux, permettant d'aboutir enfin à l'espèce humaine et au langage qui sont bien le dessus du panier de l'évolution, quoiqu'on dise, car cela ne pouvait guère venir beaucoup plus tôt. Chaque pas compte et prend du temps. Les extinctions de masse constituent un accélérateur au moins, un nouveau départ qui fait place nette, remettant toutes les espèces à égalité dans la compétition de l'espace. Car le reste du temps, il y a rarement compétition des espèces et encore moins de colonisation d'espaces vierges. Beaucoup plus souvent, on a un équilibre des populations prédateurs/proies relativement régulé et ne laissant aucune place à de nouveaux entrants (le prédateur protégeant son territoire des autres prédateurs et des autres espèces. Les prédateurs sont des marqueurs de la stabilité écologique car ils ont besoin de la stabilité des proies. La stabilité écologique est la condition du prédateur qui la renforce).

explosion du cambrienC'est sans doute après l'explosion du Cambrien où ils étaient encore anarchiques que les rapports prédateurs/proies ont fini par devenir régulés (par les couleurs notamment, mais surtout par la défense d'un territoire), stabilisant l'évolution et figeant les plans d'organisation du vivant (macroévolution et biodisparité étaient achevées à la fin du Cambrien). En effet, on peut penser que les prédateurs sans limites (comme les humains peuvent l'être) ont fini par être éliminés par manque de proies. Là aussi, avec le temps, l'information a pris le pas sur la force pure (comme l'élevage a pris le pas sur la chasse).

Ce sont seulement les extinctions qui isolent d'abord, et font dériver génétiquement, puis mettent en concurrence l'adaptabilité des organismes, ce qui permet l'émergence de la complexification après chaque catastrophe. Ainsi après les amphibiens, le Carbonifère sera à partir de 360 millions d'années, la période des reptiles et des fougères. Ensuite, les premiers dinosaures apparaissent vers 280 millions d'années mais ne s'épanouiront qu'après le désastre du permien, par leur adaptation au manque d'oxygène, ne laissant place aux mammifères qu'après leur quasi disparition à la fin du Crétacé (et du secondaire), il y a 65 millions d'années.

espaceA chaque seuil de complexité franchi, le temps se ralentit et notamment avec l'organisme animal, "le champ des mutations efficaces va se rétrécissant de plus en plus [...] A partir d'une certaine complexité, les mutations efficaces sont presque exclusivement celles qui affectent des gènes qui règlent la transcription d'autres gènes" p25. Les mutations génétiques sont donc de plus en plus pathogènes et néfastes (cancers). On peut juste espérer par ce biais accélérer ou ralentir, augmenter ou réduire, changer de place, guère plus. Et encore, à condition d'avoir une isolation des populations pendant un certain temps. L'évolution naturelle est en bout de course, passant le relais à l'apprentissage et aux progrès de la technique. Nous en sommes là ! Ce n'est pourtant pas le dernier mot de l'histoire de la vie dont nous essayons bien imprudemment de prendre les commandes (il n'y a pas que les OGM et le clonage. On crée des ADN avec de nouvelles bases, certains espèrent créer des formes de vie artificielles...). Ce n'est d'ailleurs que la suite d'une évolution humaine accélérée par une sélection culturelle proche de la création artificielle de races animales. "L'univers c'est de la pensée qui émerge de la vie, qui elle-même émerge de la matière dite inerte" Christian de Duve, La Recherche, p26.


Chronologie de la Terre et du climat

http://anthro.unige.ch/evolution/OrigineVie.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Génération_spontanée
http://www.ustboniface.mb.ca/cusb/abernier/Biologie/home-bio-2000.html
http://www.nirgal.net/ori_life2.html
http://tolweb.org/tree/phylogeny.html
Jean Zin 15/07/05-22/07/05
http://jeanzin.fr/ecorevo/sciences/originvi.htm


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