L'énergie des mitochondries

Les raisons de s'intéresser aux mitochondries sont innombrables. Cela peut être pour comprendre l'adaptation des premières formes de vie à la respiration de l'oxygène à partir de 3,5 milliards d'années (quand la vie avait moins de 400 millions d'années et pas plus d'un milliard d'années après la formation de la Terre et du système solaire). On peut y voir aussi un exemple particulièrement important de symbiose, montrant son universalité (bien plus que la compétition dont on nous rabat les oreilles) au-delà des champignons ou de l'incroyable danse des insectes avec les fleurs culminant avec les orchidées. De façon beaucoup plus concrète, il est important de mesurer le rôle des mitochondries dans la production d'énergie du corps et le vieillissement ainsi que le rôle de la chaleur (d'actualité!) et du NO (dont le niveau est augmenté par de nombreuses panacées et par le Viagra) dans la régulation de cette production d'énergie. Enfin il est très instructif de constater comme la prise en charge par les mitochondries des flux énergétiques a pu libérer la créativité des formes de la vie.

Mitochondrie


Les mitochondries sont des petites bactéries sans noyau (procaryotes) présentes en plus ou moins grand nombre dans la plupart des cellules à noyau (eucaryotes) qui comportent aussi d'autres organites : ribosomes (producteurs de protéines), lysosomes et peroxysomes (enzymes digestives), appareils de Golgi (stockage des protéines). Les ribosomes constitués d'ARN, produisent les enzymes digestives qui passent dans les appareils de Golgi où elles sont emballées dans des petits sacs qui les empêchent de se répandre dans le cytoplasme (et de le digérer!), formant les lysosomes dont la fonction est de décomposer les grosses molécules en petites.

Une cellule vivante n'est pas figée mais agitée par un mouvement perpétuel constituant son métabolisme vital caractérisé par une destruction permanente de molécules (catabolisme) et la construction de nouvelles molécules (anabolisme). L'homéostasie est un équilibre dynamique dont les fluctuations et les cycles (cyclose du cytoplasme) assurent reproduction et adaptation par des corrections incessantes et non par un ordre mécanique et rigide. La vie ne peut donc être réduite à ses éléments puisqu'elle consiste en leur organisation et leur dynamique. C'est l'animation de ses constituants qui caractérise le vivant et l'apparente aux phénomènes thermodynamiques comme les structures dissipatives de Prigogine, ce qui nécessite un flux constant d'énergie. Le catabolisme (mitochondries et lysosomes) fournit l'énergie nécessaire pour l'anabolisme. Les mitochondries, qui ont leur propre ADN, produisent l'essentiel de l'énergie (ATP) des cellules eucaryotes par oxydation des acides gras, processus bien plus efficace que celui de la glycolyse (plus primitif et n'utilisant pas l'oxygène). On vient de s'apercevoir que pour cloner une souris par exemple, on ne pouvait se contenter de cloner l'ADN des chromosomes du noyau mais qu'il fallait aussi cloner son ADN mitochondrial, la communication entre l'ADN du noyau et celui des mitochondries n'étant pas encore élucidé (Le Monde 06/09/03).

Schéma

Les substances nutritives -acides aminés, acides gras et glucose- sont d'abord transformées en Acétyl coenzyme A, qui subit lui-même une oxydation en présence de l'oxygène amenée par le système sanguin. Cette oxydation (en fait, une déshydrogénation) est appelée "cycle de Krebs" ; les molécules des substances oxydées libèrent des atomes d'hydrogène, électrons chargés négativement. Ces électrons sont alors projetés dans les "chaînes de la respiration", sortes de chapelets de molécules disposées sur la membrane interne des mitochondries (une mitochondrie contient jusqu'à quinze mille de ces chaînes). Passant de molécule en molécule, les électrons transmettent leur énergie aux molécules d'une substance acceptrice, l'ADP (adénosine diphosphate), créant des molécules d'ATP (adénosine triphosphate). Cet ATP sera le véritable combustible fournissant l'énergie à la cellule. L'ATP non consommé immédiatement est stocké sous forme de graisse. L'intensité du flux d'électrons dépend, lui, de l'activité de l'organisme. Quand l'apport d'oxygène est insuffisant à fournir l'énergie nécessaire au travail des cellules, le surplus d'ATP est obtenu non plus par le cycle de Krebs, mais par la glycolyse ou désintégration directe des molécules de glucose. Il se produit alors de l'acide lactique (en fait c'est un peu plus compliqué puisque la glycolyse précède un court instant la respiration mitochondriale et reprend quand celle-ci s'effondre).

La cellule symbiotique

On respire par les mitochondries. Les cellules eucaryotes dépendent des mitochondries pour leur métabolisme oxydatif. Sans mitochondries, les cellules des animaux et des champignons seraient des organismes anaérobies. Il semble donc probable que les cellules eucaryotes sont les descendantes d'organismes primitifs anaérobies qui ont survécu dans un monde devenu riche en oxygène par intégration de bactéries aérobies les maintenant en symbiose par égard pour leur capacité de consommer l'oxygène atmosphérique et de produire de l'énergie.

La fonction énergétique a été "confiée" aux mitochondries dans les cellules eucaryotes. Il semble vraisemblable que la séparation des fonctions laissa la membrane plasmique des eucaryotes libre de développer de nouvelles caractéristiques importantes. En particulier, les cellules eucaryotes n'ayant pas besoin de maintenir un fort gradient H+ à travers leur membrane plasmique, comme le nécessite la production d'ATP chez les procaryotes, il devint possible d'utiliser des modifications contrôlées de la perméabilité ionique de la membrane plasmique dans un but de signalisation cellulaire. Ainsi, lors de l'apparition des eucaryotes, un assortiment de canaux ioniques apparut dans la membrane plasmique. Actuellement, ces canaux sont les médiateurs, dans les organismes supérieurs, de processus de signalisation électrique élaborés - notamment dans le système nerveux - et ils contrôlent une bonne partie du comportement d'eucaryotes unicellulaires indépendants, tels que les protozoaires.

Responsables de la respiration, les mitochondries sont en grande partie responsables du stress oxydatif étudié par Henri Laborit sur les plongeurs sous-marins, qui savent bien que l'oxygène reste un poison irritant pour des cellules qui nous viennent d'un temps où l'oxygène n'existait pas encore. On insiste avec raison de plus en plus sur la nécessité de prendre des anti-oxydants (qu'on trouve dans les fruits et légumes) pour être en bonne santé, éliminer les "radicaux libres". Henri Laborit était là aussi un grand précurseur.

Les mitochondries sont plus récentes que les cellules eucaryotes car elles métabolisent l'oxygène alors que les cellules à noyau ont à la base un fonctionnement anaérobique et peu énergétiques. Les nouvelles bactéries procaryotes en intégrant le milieu cellulaire eucaryote y trouvent la stabilisation de leur environnement originel et fournissent aux anciennes bactéries eucaryotes une source d'énergie bien supérieure, prélevée sur l'oxygène auxquelles elles n'étaient pas primitivement adaptées. L'existence de cellules à noyaux précède donc l'oxydation de l'atmosphère et, selon certains, il se pourrait même que les bactéries sans noyau ne soient qu'une dégradation, sous l'effet de chaleurs extrêmes par exemple, de cellules à noyau. C'est une hypothèse contradictoire avec la datation des cellules à noyau il y a 1,8 milliards d'années.

En tout cas on assiste à un empilement de plusieurs niveaux en symbiose, une division du travail antérieure à la formidable diversification des formes du vivant, au point qu'on peut légitimement penser qu'il ne s'agit plus vraiment du même phénomène mais d'une autre dimension, d'un niveau supérieur de complexité atteint grâce aux mitochondries par les eucaryotes (végétaux et animaux), bien que la complexité du fonctionnement des bactéries soit déjà exceptionnelle et sans commune mesure avec les équilibres physiques ou thermodynamiques, ne se réduisant déjà pas à une dynamique énergétique. D'ailleurs, il semble bien que, la fonction énergétique ayant été fixée dans des mitochondries très stables et isolées du reste du patrimoine génétique, les capacités de mutations viables en ont été complètement libérées. La cellule a donc connu elle aussi le passage de l'ère énergétique à la créativité de l'ère informationnelle et l'exubérance des formes.


mitochondries et NO

La régulation de l'énergie (NO)

Le nombre et le niveau d'activation des mitochondries sont la source de l'énergie corporelle et de la régulation thermique, constituant un système relativement autonome des cellules qui les abritent, reflétant un état énergétique global qui est donc régulé globalement par le système nerveux (par l'intermédiaire des récepteurs adrénergiques béta3) et plus localement par le niveau du monoxyde d'azote ou oxyde nitreux (NO). Cette régulation extérieure de la production énergétique, et donc l'indépendance des mitochondries, est sans doute indispensable à la constitution d'organismes pluricellulaires. C'est le froid qui stimule les récepteurs adrénergiques, et par leur intermédiaire, la production de NO qui va multiplier le nombre de mitochondries (qui se reproduisent en se divisant) tout en augmentant au début leur rendement, ce qui va dégager de la chaleur en brûlant les acides gras pour produire de l'ATP.

Le rôle du NO dans la régulation du nombre des mitochondries et de leur rendement suggère qu'il devait avoir un rôle majeur dans l'atmosphère d'origine des mitochondries et qu'il reproduit cet environnement originel comme le cytoplasme de la cellule reproduit le milieu marin initial. Ce qui compte, c'est bien de rester dans un certain équilibre, une homéostasie. En effet, au-delà d'un certain seuil, l'effet du NO s'inverse. Produit en excès au cours d'un état inflammatoire chronique il asphyxie les tissus inflammés et les détruit à la longue en bloquant la respiration des mitochondries alors même qu'il continue à en multiplier le nombre. Il devrait être possible de dater à peu près l'époque où les mitochondries sont apparues si on pouvait évaluer précisément les taux d'oxygène et de monoxyde d'azote entre 3,6 et 1,8 milliards d'années, mais c'est encore hors de notre portée même si les dates les plus anciennes semblent les plus probables.

Le rôle du froid dans la production d'énergie semble donner une base scientifique à la théorie des climats de Montesquieu ainsi qu'à l'efficacité du sauna. Les hommes du Nord ont effectivement plus d'énergie que ceux des climats tropicaux, quand on a trop chaud on n'est plus bon à rien comme on l'a constaté cet été caniculaire. Bien sûr un excès de froid aussi peut être fatal s'il épuise nos réserves mais la thermorégulation permise par les mitochondries est plutôt une adaptation aux périodes froides. On peut en déduire aussi que l'apport d'arginine, indispensable à la production du NO, est surtout utile en hiver, tout comme les acides gras (de poisson), et l'été quand la chaleur réduit le nombre de mitochondries, le glucose des fruits pourrait être préférable (à vérifier tout de même).

En tout cas il ne suffit sûrement pas d'un peu de l-carnitine pour redonner de l'énergie à nos cellules comme la mode du moment voudrait nous le faire croire sous prétexte que la l-carnitine permet aux acides gras de pénétrer dans la cellule. Les panacées éprouvées qui augmentent le NO sont sans doute préférables ainsi que l'apport de vitamines, notamment la vitamine C qui a un rôle crucial d'antioxydant et favorise la production de carnitine. La l-carnitine peut aider dans une approche plus globale mais les régulations biologiques sont constituées de tout un ensemble d'équilibres entre systèmes opposants qui maintiennent une homéostasie dans une fourchette plus ou moins large et avec plus ou moins de redondance qui lui assure une grande solidité de reproduction. Il est donc toujours délicat de perturber durablement ces régulations vitales, sauf en cas de déficit avéré. C'est ce qui fait le caractère exceptionnel de la vie, dès la première cellule et qui distingue l'organisme biologique des autres équilibres naturels, y compris des écosystèmes qu'on ne peut mettre sur le même plan qu'un corps vivant qui se maintient en vie, se nourrit et se reproduit.

Enfin, il semblerait qu'une dégénérescence des mitochondries se produise au-delà de 65 ans par altération de leur ADN. Phénomène que la chaleur doit accélérer puisqu'elle favorise les mutations (par le biais de la protéine Hsp90) mais on a découvert aussi des "Heat Shock Protein" (HSP) qui protègent les mitochondries des radicaux libres en cas de chaleur ou de stress. A suivre donc.

Jean Zin 30/08/03
http://jeanzin.fr/ecorevo/sciences/mitochon.htm

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