"Le travail théorique, j'en suis chaque jour plus convaincu, réussit mieux dans le monde que le travail pratique : dès qu'une révolution se produit dans le royaume de la représentation, la réalité effective ne tient plus en place." 28/10/1808
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La réflexion naïve s'arrête à la première pensée venue : qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil ou que tout change tout le temps, que les besoins de l'homme sont satisfaits ou qu'il suffirait de les satisfaire enfin, que rien n'est vrai ou que le sens commun est la chose du monde la mieux partagée. Dans sa certitude subjective immédiate, la pensée rejette toute contradiction sans tenir compte du fait qu'elle se contredit en passant d'une pensée à l'autre, que son discours concret, son existence d'être parlant non seulement suppose des énoncés contradictoires mais exige de prendre la mesure de cette contradiction originelle dont la philosophie n'est que le déploiement.
Il y a des corps et il y a l'esprit. Les corps sont sujets à la mort, l'esprit au mépris éternel, sans doute, mais il nous précède comme le langage et nous porte au delà de la mort, dans les coeurs glorieux ou dans l'écriture décisive. Il y a du sens qui s'impose aux corps, de l'extérieur, et le sens n'est pas plus réductible au corps que la grammaire au son. Il n'y a sujet qu'à vouloir s'inscrire dans un langage comme sujet du désir de l'Autre, responsable de sa position (partenaire), mais le sens s'adresse à un Autre universel, en tiers, comme vérité nécessaire au mensonge, et le sujet doit représenter dans ce langage hérité sa propre histoire, sa responsabilité envers ses proches et envers le langage public, sa liberté qui est son existence même. Il n'y a d'histoire que du sens, le corps y a peu de parts sinon celle, essentielle, d'être là. Et c'est le sens de toute religion, de toute initiation de faire renaître à une autre vie que celle des corps : vie "culturelle", cultuelle, spirituelle, abaissement du corps, ascétisme et mortifications, exaltation de la volonté négatrice, de la liberté de l'esprit, de la maîtrise du corps par la raison. Mais l'esprit est toujours dans un corps.
Il n'y a de réel que dialectique, c'est-à-dire trinitaire, la dialectique consistant à rejeter l'unilatéralité simple du jugement pour mettre en évidence la contradiction irrémédiable de l'universel et du singulier, de l'esprit et du corps, et fonder une unité supérieure qui rend compte de leur division.
La méthode n'est pas une forme extérieure, mais elle est l'âme et le concept du contenu". Ency.§243
"Selon l'universalité de l'idée, la méthode dialectique est autant la manière d'être du connaître, du concept se sachant subjectivement, que la manière d'être objective, ou plutôt la substantialité des choses, - c'est-à-dire des concepts dans la mesure où à la représentation et à la réflexion ils apparaissent tout d'abord comme des autres. Logique III p371
L'idée n'est le vrai que par la médiation de l'être, et inversement, l'être ne l'est que par celle de l'idée. Enc. 133
La science elle-même doit saisir le concept de la science et, ce faisant, le concept premier, - et puisqu'il est premier, il inclut la séparation consistant en ce que le penser est objet pour un sujet. Enc.90
En tant que sujet la substance vivante est pure et simple négativité, processus qui divise le simple, dédouble les termes et les met en opposition. Ph. 17-18, (Lefebvre MD p48)
Le passage de sa détermination à sa réalisation a lieu grâce à la conscience et à la volonté, lesquelles sont tout d'abord plongées dans leur vie naturelle immédiate ; pour objet et fin, elles ont d'abord la détermination naturelle comme telle, qui, du fait que c'est l'esprit qui l'anime, est elle-même infinie quant à sa prétention, sa puissance et sa richesse. Ainsi l'esprit s'oppose à lui-même en soi ; il est pour lui-même le véritable obstacle hostile qu'il doit vaincre ; l'évolution, calme production dans la nature, constitue pour l'esprit une lutte dure, infinie contre lui-même. Ce que l'esprit veut, c'est atteindre son propre concept; mais lui-même se le cache et dans cette aliénation de soi-même, il se sent fier et plein de joie.
De cette manière, l'évolution n'est pas simple éclosion, sans peine et sans lutte, comme celle de la vie organique, mais le travail dur et forcé sur soi-même ; de plus elle n'est pas seulement le côté formel de l'évolution en général mais la production d'une fin d'un contenu déterminé. Cette fin, nous l'avons définie dès le début ; c'est l'esprit et certes, d'après son essence, le concept de liberté.
Leçons sur la philosophie de l'histoire Vrin p51
Discerner que la nature du penser même est la dialectique, que, comme entendement, il ne peut aboutir qu'au négatif de lui-même, à la contradiction, tel est un aspect capital de la logique. Enc. 84
En fait le penser est essentiellement la négation de quelque chose qui-se-trouve-présent de façon immédiate. Enc. 85
La réflexion est tout d'abord l'acte par lequel on dépasse la déterminité isolée et par lequel on la met en relation. La dialectique, au contraire, est cet acte immanent de dépassement, où le caractère unilatéral et limité des déterminations qui relèvent de l'entendement se représente tel qu'il est, c'est-à-dire comme leur négation. Enc. 140
Cette détermination-progressive (dialectique) est à la fois un acte par lequel le concept qui est auprès de lui-même se situe hors de lui même et de la sorte se déploie, et, en même temps, l'acte par lequel l'être va en lui-même, s'approfondit en lui-même. Enc. 142
En tant qu'il est activité, le penser est donc l'universel actif, l'universel qui se met-en-acte. Enc. 94
Mais en fait la conscience de soi est la réflexion sortant de l'être du monde sensible et du monde perçu; la conscience de soi est essentiellement ce retour en soi-même à partir de l'être-autre. Comme conscience de soi, elle est mouvement. Donc pour elle l'être-autre est comme un être, ou comme un moment distinct.
Mais l'unité de la conscience de soi avec cette différence est aussi pour elle, comme second moment distinct.
Cette unité doit devenir essentielle à la conscience de soi, c'est-à-dire que la conscience de soi est désir en général. Désormais, la conscience, comme conscience de soi, a un double objet, l'un, l'immédiat, l'objet de la certitude sensible et de la perception, mais qui pour elle est marqué du caractère du négatif, et le second, elle-même précisément, objet qui est l'essence vraie et qui, initialement, est présent seulement dans son opposition au premier objet. La conscience de soi se présente ici comme le mouvement au cours duquel cette opposition est supprimée, mouvement par lequel son égalité avec soi-même vient à l'être. Ph I, 146
"Le mot de la réconciliation est l'esprit étant-là qui contemple le pur savoir de soi-même comme essence universelle dans son contraire, dans le pur savoir de soi comme singularité qui est absolument au-dedans de soi - un reconnaissance réciproque qui est l'esprit absolu... Le savoir universel de soi-même dans son contraire absolu... Le Oui de la réconciliation, dans lequel les deux Moi se désistent de leur être-là opposé, est l'être-là du Moi étendu jusqu'à la dualité. Moi qui reste égal à soi-même, et qui dans sa complète aliénation et dans son contraire complet a la certitude de soi-même. Ph II 198"
Le Concept, sous cet aspect, est d'abord à voir, de façon générale, comme le troisième terme par rapport à l'Être et à l'Essence, par rapport à l'immédiat et par rapport à la réflexion. Être et Essence sont, dans cette mesure, les moments de son devenir, mais lui est leur base et vérité, comme l'identité dans laquelle ils se sont perdus et sont contenus. Ils sont contenus dans lui parce qu'il est leur résultat, mais non plus comme Être et comme Essence ; cette détermination, ils ne l'ont que dans la mesure où ils ne sont pas retournés dans cette unité qui est la leur. (Logique III p36 Cf. Aussi Logique I 6-7, 25-27, 33-34, 46)
C'est pourquoi l'essence de l'esprit est formellement la liberté, la négativité absolue du concept comme identité avec soi. Selon cette détermination formelle, il peut faire abstraction de tout ce qui est extérieur et de sa propre extériorité, de sa présence même; il peut supporter la négation de son immédiateté individuelle, la souffrance infinie, c'est-à-dire se conserver affirmatif dans cette négation et être identique pour lui-même. Cette possibilité est en elle-même l'universalité abstraite de l'esprit, universalité qui-est-pour-elle-même. (Enc.§382 Cf. aussi §11-12, §79-82)
Dire que l'Absolu est non seulement Substance, mais encore Sujet, c'est dire que la Totalité implique la Négativité, en plus de l'Identité. C'est dire aussi que l'être se réalise non pas seulement en tant que Nature, mais encore en tant qu'Homme. Et c'est dire enfin que l'Homme, qui ne diffère essentiellement de la Nature que dans la mesure où il est Raison (Logos) ou Discours cohérent doué d'un sens qui révèle l'être, est lui-même non pas être-donné, mais Action créatrice (= négatrice du donné). L'Homme n'est mouvement dialectique ou historique (= libre) révélant l'être par le Discours que parce qu'il vit en fonction de l'avenir, qui se présente à lui sous la forme d'un projet ou d'un "but" (Zweck) à réaliser par l'action négatrice du donné, et parce qu'il n'est lui-même réel en tant qu'Homme que dans la mesure où il se crée par cette action comme une oeuvre (Werk). (Kojève. Introduction... p 533)[Il faut ajouter que l'étude de la logique oblige à distinguer non pas 3 mais 4 (voire 5) temps, le moment dialectique se divisant en deux (opposition et division) et ce qu'on appelle synthèse étant plutôt la rétroaction de l'épreuve du réel sur l'idée initiale qui n'en sort pas indemne mais se déplace et se complexifie. Ainsi, toute position (1) se défait par l'opposition à l'autre (2) et par division interne (3) avant la prise de conscience de ces contradictions et l'abandon de la position initiale par l'intégration de ce qui était rejeté dans une nouvelle synthèse, "négation de la négation" qui est toujours partielle, comme toute négation, et ne revient pas au point de départ ni au point de vue opposé mais compose avec l'expérience (4), ce qui constitue la dynamique cognitive et historique dans sa contrariété constitutive]
Hegel n'est pas à blâmer parce qu'il décrit l'être de l'état moderne tel qu'il est, mais parce qu'il donne pour l'être de l'état ce qui est.
Critique de la philosophie de l'état de Hegel. 134
La grandeur de la Phénoménologie de Hegel et de son résultat final - la dialectique de la négativité comme principe moteur et créateur - consiste donc, d'une part, en ceci, que Hegel saisit la production de l'homme par lui-même comme un processus, l'objectivation comme désobjectivation, comme aliénation et suppression de cette aliénation ; en ceci donc qu'il saisit l'essence du travail et conçoit l'homme objectif, véritable parce que réel, comme le résultat de son propre travail. Le rapport réel actif de l'homme à lui-même en tant qu'être générique ou la manifestation de soi comme être générique réel, c'est-à-dire comme être humain, n'est possible que parce que l'homme extériorise réellement par la création toutes ses forces génériques- ce qui ne peut à son tour être que par le fait de l'action d'ensemble des hommes, comme résultat de l'histoire, - qu'il se comporte vis-à-vis d'elles comme vis-à-vis d'objets, ce qui à son tour n'est d'abord possible que sous la forme de l'aliénation. 132
Il voit seulement le côté positif du travail et non son côté négatif. Le travail est le devenir pour soi de l'homme à l'intérieur de l'aliénation ou en tant qu'homme aliéné. Le seul travail que connaisse et reconnaisse Hegel est le travail abstrait de l'esprit. 133
La manière d'être de la conscience, et de tout ce qui est pour la conscience, c'est le savoir. Le savoir est l'acte unique de la conscience. Une chose n'existe pour lui que dans la mesure où il la connaît. Le savoir est le seul comportement objectif de la conscience. Il sait que l'objet n'est rien, n'est rien d'autre que lui-même, ou est pour lui un non-être parce qu'il le connaît comme sa propre aliénation; autrement dit, il se reconnaît - comme objet - parce que l'objet n'est qu'une illusion, un semblant d'objet, un et identique dans son essence avec la connaissance elle-même. Marx II-132
La négation de l'être est l'essence, la négation de l'essence est le concept, la négation du concept est... l'Idée absolue. Mais qu'est-ce, maintenant, que l'Idée absolue? Elle se nie elle-même à son tour, si elle ne veut pas parcourir à nouveau toutes les étapes de l'abstraction depuis son commencement ni se contenter d'être une totalité d'abstractions ou l'abstraction consciente de soi. Mais l'abstraction qui se conçoit comme telle se reconnaît comme néant; elle doit renoncer à elle-même comme abstraction, et elle aboutit ainsi à un être qui est précisément son contraire: la nature. La logique toute entière est donc la preuve que la pensée abstraite n'est rien pour soi, que l'Idée absolue n'est rien pour soi, que seule la nature est quelque chose. Marx II-138
De la même façon, la qualité "déniée" devient quantité, la quantité "déniée" devient la mesure, la mesure "déniée" devient l'être, l'être "dénié" devient le phénomène, le phénomène "dénié" devient la réalité, la réalité "déniée " devient l'idée absolue, l'idée absolue "déniée " devient la Nature, la nature "déniée" devient l'esprit subjectif, l'esprit subjectif "dénié " devient l'esprit objectif moral, l'esprit moral "dénié " devient l'art, l'art "dénié" devient religion, la religion "déniée" devient savoir absolu. Marx II-135
Marx refuse une pensée non située, le point de vue de Sirius, l'auto contemplation de l'Esprit. C'est la défense du contenu contre la forme, de la finitude contre l'universel, de la réalité contre la méthode. Au fonds pour Marx, c'est ce que Mao a bien vu, il n'y a pas de synthèse. Le mouvement dialectique aboutit au scepticisme ou au formalisme en tant qu'historicisme assumé.Si nous avions l'intrépidité de M. Proudhon en fait de hégélianisme, nous dirions: La raison pure se distingue en elle-même d'elle-même. Qu'est-ce à dire ? La raison impersonnelle n'ayant en dehors d'elle ni terrain sur lequel elle puisse se poser, ni objet auquel elle puisse s'opposer, ni sujet avec lequel elle puisse composer, se voit forcée de faire la culbute en se posant, en s'opposant et en composant - position, opposition, composition. Pour parler grec, nous avons la thèse, l'antithèse et la synthèse. Quant à ceux qui ne connaissent pas le langage hégélien, nous leur dirons la formule sacramentelle : affirmation, négation et négation de la négation... De même qu'à force d'abstraction nous avons transformé toute chose en catégorie logique, de même on n'a qu'à faire abstraction de tout caractère distinctif des différents mouvements, pour arriver au mouvement à l'état abstrait, au mouvement purement formel, à la formule purement logique du mouvement. Si l'on trouve dans les catégories logiques la substance de toute chose, on s'imagine trouver dans la formule logique du mouvement la méthode absolue, qui non seulement explique toute chose, mais qui implique encore le mouvement de la chose... Ainsi qu'est-ce donc que cette méthode absolue ? L'abstraction du mouvement. Qu'est-ce que l'abstraction du mouvement ? Le mouvement à l'état abstrait. Qu'est-ce que le mouvement à l'état abstrait ? La formule purement logique du mouvement ou le mouvement de la raison pure ? A se poser, à s'opposer, à se composer, à se formuler comme thèse, antithèse, synthèse, ou bien encore à s'affirmer, à se nier, à nier sa négation... Mais une fois qu'elle est parvenue à se poser en thèse, cette thèse, cette pensée, opposée à elle-même, se dédouble en deux pensées contradictoires, le positif et le négatif, le oui et le non. La lutte de ces deux éléments antagonistes, renfermés dans l'antithèse, constitue le mouvement dialectique. Le oui devenant non, le non devenant oui, le oui devenant à la fois oui et non, le non devenant à la fois non et oui, les contraires de balancent, se neutralisent, se paralysent. La fusion de ces deux pensées contradictoires constitue une pensée nouvelle, qui en est la synthèse. Cette pensée nouvelle se déroule encore en deux pensées contradictoires qui se fondent à leur tour en une nouvelle synthèse. Ce groupe de pensées suit le même mouvement dialectique qu'une catégorie simple, et a pour antithèse un groupe contradictoire. De ces deux groupes de pensées naît un nouveau groupe de pensées, qui en est la synthèse. Misère de la philosophie 115-117
C'est le point décisif, rétablir l'histoire comme création humaine, non donnée à l'avance. Les considérations formelles n'en saisissant pas l'enjeu pratique, le sujet de l'histoire ne peut-être réduit au savoir et à la conscience de soi. Même si cette contestation peut être considérée comme hégélienne, appel à l'histoire conçue et à la conscience de soi du Prolétariat, il n'en reste pas moins que l'effet du système hégélien était plutôt l'inaction contemplative ou critique.Chaque principe a eu son siècle, pour s'y manifester : le principe d'autorité, par exemple, a eu le XIè siècle, de même que le principe d'individualisme le XVIIIè siècle. De conséquence en conséquence, c'était le siècle qui appartenait au principe, et non le principe qui appartenait au siècle. En d'autres termes, c'était le principe qui faisait l'histoire, ce n'était pas l'histoire qui faisait le principe... Approfondir toutes ces questions, n'est-ce pas faire l'histoire réelle, profane des hommes dans chaque siècle, représenter ces hommes à la fois comme les auteurs et les acteurs de leur propre drame ? Mais du moment que vous représentez les hommes comme les acteurs et les auteurs de leur propre histoire, vous êtes, par un détour, arrivé au véritable point de départ, puisque vous avez abandonné les principes éternels dont vous parliez d'abord... Nous avons vu qu'avec toutes ces éternités immuables et immobiles, il n'y a plus d'histoire; il y a tout au plus l'histoire dans l'idée, c'est-à-dire l'histoire qui se réfléchit dans le mouvement dialectique de la raison pure. Misère de la philosophie 124
Hegel n'avait plus à interpréter le monde, mais la transformation du monde. En interprétant seulement la transformation, Hegel n'est que l'achèvement philosophique de la philosophie. Il veut comprendre un monde qui se fait lui-même. Cette pensée historique n'est encore que la conscience qui arrive toujours trop tard, et qui énonce la justification post festum [..] Hegel a fait, pour la dernière fois, le travail du philosophe, "la glorification de ce qui existe"; mais déjà ce qui existait pour lui ne pouvait être que la totalité du mouvement historique. La position extérieure de la pensée étant en fait maintenue, elle ne pouvait être masquée que par son identification à un projet préalable de l'Esprit, héros absolu qui a fait ce qu'il a voulu et voulu ce qu'il a fait, et dont l'accomplissement coïncide avec le présent. Ainsi la philosophie qui meurt dans la pensée de l'histoire ne peut plus glorifier son monde qu'en le reniant, car pour prendre la parole il lui faut déjà supposer finie cette histoire totale où elle a tout ramené; et close la session du seul tribunal où peut être rendue la sentence de la vérité. (§76 Debord)
L'ontologie marxiste mettant la contradiction, le processus, le mouvement ou la lutte (comme détermination interne), à la base de l'être comme forme, apparition, phénomène (matérialisme dialectique) ne peut être confondue avec son épistémologie dialectique qui reste fondatrice et affirme le primat de la pratique, transformant l'objet et se transformant soi-même en retour (dialectique historique ou matérialisme pratique) dans les limites pratiques d'un système de production historique (matérialisme historique) et donc d'une idéologie de classe objectivante (science bourgeoise) opposée à la logique de la connaissance dialectique (science prolétarienne). Celle-ci n'est pas l'unité objectivante (hégélienne) de tous les points de vues possibles mais opposition subversive du vivant à l'abstraction du pouvoir qui l'objective. Cette science révolutionnaire est passage au concept, détermination du rapport pratique à la totalité comme rapport social, retour au sujet de l'énonciation et parti pris du négatif comme histoire conçue (consciente).
1. Le principal défaut de tout matérialisme jusqu'ici (y compris celui de Feuerbach) est que l'objet extérieur, la réalité, le sensible ne sont saisis que sous la forme d'Objet ou d'intuition, mais non en tant qu'activité humaine sensible, en tant que pratique, de façon subjective...
11. Les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde, ce qui importe, c'est de le transformer.
Cette insistance sur la pratique matérielle est ce qui constitue l'épistémologie marxiste, sa théorie de la connaissance comme apprentissage par essais erreurs, abstractions, corrections et spécifications : la théorie est constituée par la pratique (théorie de la pratique) et tournée vers la pratique (pratique de la théorie) où s'éprouve son efficacité et se construit une nouvelle théorie, de moins en moins soumise à son idéologie, à son point de vue, mais constituée de part en part de sa pratique. Mao ne s'y trompe pas, en bon chinois, mettant la pratique comme premier principe du matérialisme dialectique qui est ici une interaction, un ajustement et une limitation, dans un échange particulier entre la théorie et la pratique (ce qui laisse place à l'idéologie).
Mais, cela se complique car s'il n'y a pas de savoir sans pratique, ni de pratique sans savoir, le savoir peut être aussi un obstacle à la pratique comme abstraction effective de l'argent ou du droit, idéologie de domination enfin. La religion illustre bien la capacité d'illusion de la théorie, d'inversion du sujet et de l'objet, tout comme le capitalisme qui est substitution de la science à la vie réduite à des rapports d'objet à objets. Ainsi, on peut noter que la marchandise même sous sa face de valeur d'usage contient sa propre pratique, la technique dépassant le rapport du sujet à la physis, à la nature comme donnée dans sa vivante présence. Le moment de la séparation extrême du savoir est pourtant celui du retournement, comme le plus profond de l'hiver annonce déjà le renouveau de la vie. C'est bien ce qui fait le caractère dialectique de cette épistémologie marxiste qui n'est pas simple accumulation de connaissances mais contradiction de la vérité et du savoir, expérience de l'erreur entêtée de l'abstraction, illusion suivie du repentir, objectivation totale reniant la subjectivité qui dans sa perte même éprouve ce savoir comme celui d'un sujet souffrant.
On peut étendre l'espitémologie marxiste, comme le fait Marx lui-même, à l'inter-subjectivité comme fondement de l'objectivité pratique. La dialectique retrouve alors le sens de dialogue tout autant que de conflit. Si la connaissance du réel est construite (comme l'attesteront - après Kant et Hegel - Piaget, Husserl, Freud et bien d'autres) et soumise à l'erreur, toujours vacillante, en dehors de la pratique l'accord inter-subjectif seul lui donne objectivité (fût-ce uniquement le Père), comme le langage est ce qui objective notre pensée. L'absence de référent dans une chose en soi incontestable, fait tout l'enjeu de vérité des rapports humains et leur dialectique historique comme travail et lutte.
Hegel est tombé dans l'illusion de concevoir le réel comme résultat de la pensée qui se résorbe en soi, s'approfondit en soi, se meut par soi-même, tandis que la méthode de s'élever de l'abstrait au concret n'est pour la pensée que la manière de s'approprier le concret, de le reproduire en tant que concret pensé. Mais ce n'est nullement là le processus de la genèse du concret lui-même.
Introduction générale à la critique de l'économie politique (1857), Marx I p255
Le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l'homme. Marx I, 558
Dans la conception positive des choses existantes, la dialectique inclut du même coup l'intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire, parce que, saisissant le mouvement même dont toute forme faite n'est qu'une configuration transitoire, rien ne saurait lui en imposer ; parce qu'elle est essentiellement critique et révolutionnaire. Marx I, 559
Pour Mao, la dialectique est bien d'abord dialectique de la connaissance où la pratique d'un sujet constitue l'objet de perception d'abord qui sera ensuite objet de réflexion théorique (retour au sujet) où se construit le concept logique de l'objet (de l'abstrait au concret). Cette dialectique (hégélienne) de la connaissance est corrigée par le matérialisme marxiste (Idéologie allemande) qui insiste sur la validation de la théorie dans la pratique, selon l'épistémologie de l'apprentissage et de l'adaptation, par essais, erreurs et corrections. L'interaction du sujet et de l'objet dans une pratique est même référée à la physique atomique et à sa limitation quantique. Cette présentation escamote l'aspect contradictoire de l'espitémologie marxiste, l'opposition de l'abstraction à la réalité vivante, contradiction du savoir. Une autre dialectique s'ajoute cependant, issue du Capital cette fois, comme lutte des contraires et développement des contradictions, processus auquel la théorie doit adapter la pratique (Le moment de la crise est venu lorsque l'antagonisme et la contradiction s'accentuent entre les rapports de distribution et les forces productives. Capital III, p240). Cette historicité qui multiplie les contradictions ne se comprend pas pourtant sans le but pratique, permettant l'abstraction du processus concret, en distinguant contradiction principale et contradictions secondaires, et ne se justifiant que de ce but pratique (comme la dialectique de l'apprentissage dont la fonction principale est d'inscrire l'objet dans son utilité immédiate pour la pratique, mais qui doit apprendre effectivement que les choses changent, sont vivantes). Mais la contradiction a été évacuée du savoir lui-même. Ainsi, la contradiction principale entre forces productives et rapports de production recouvre bien la pratique sociale et permet d'en tirer des lois pratiques (lutte des classes) mais le glissement à la "contradiction objective" (qu'il suffirait d'observer et d'analyser) refoule la pratique du sujet et son rapport social constituant.
Il faut distinguer contradictions, pour lesquels nous ne pouvons rien, et lutte dans laquelle nous pouvons tout, sans jamais oublier la contradiction du savoir et du pouvoir.
Althusser dans Pour Marx réduit lui, pour des raisons "matérialistes", la dialectique aux contradictions concrètes, complexes et surdéterminées, dont l'analyse objective permet de découvrir la contradiction principale et les contradictions secondaires, qui "reflètent" (comme Marx s'est laissé allé à le dire) la contradiction économique ontologique de la lutte des classes. Son idée de procès sans sujet, d'une histoire déterminée par son infrastructure matérielle s'oppose bien à l'humanisme, sans doute, mais surtout à la volonté constante de Marx lui-même, depuis sa jeunesse, à réintroduire le sujet dans l'économie devenue autonome. On ne comprend plus vraiment le passage au Communisme sinon comme réappropriation de la plus-value transformant magiquement tous les rapports sociaux par suppression de la contradiction alors que pour Marx, jusqu'au Capital qui commence par le caractère fétichiste de la marchandise, la clef reste la domination de l'économie elle-même, la réintroduction du prolétariat, sujet produit par le capitalisme et le produisant, devenant conscience de soi comme rapport social (désobjectivation de l'idéologie). C'est ce qui devient chez Althusser, en lieu et place de dialectique, réduite à la contradiction, le primat des rapports de production sur les forces productives, thèse au moins aussi idéaliste (malgré Lénine et Mao) que l'hégélianisme qu'il combat (non seulement dans les écrits de jeunesse de Marx mais aussi dans la préface à la contribution de l'économie politique et jusqu'à l'analyse de la marchandise du Capital !). En remplaçant le concept de Pratique (déterminant un champ d'action, donné et non pas créé bien sûr mais sur lequel la pratique peut agir) par celui de problématique, purement théorique, il évince le sujet et supprime toute possibilité d'action réelle (déviation théoriciste) au nom de l'efficace de la structure sur ses éléments.
On peut illustrer ce structuralisme psychotique sans sujet ni histoire, non dialectique enfin (sans véritable interaction et d'inspiration spinoziste) car coupé de la pratique, par cette citation :
L'enfant portera le nom de son père, aura donc une identité, et sera irremplaçable [qu'on pense aux drames des substitutions d'enfants dans les maternités ou de "reconnaissance" de paternité, ou d'enfants confiés à la mère, arrachés au père, etc., et à toutes les horreurs (mot biffé) qu'ils engendrent]. Avant de naître, l'enfant est donc toujours-déjà sujet, assigné à l'être dans et par la configuration idéologique familiale spécifique dans laquelle il est "attendu" après avoir été conçu ("volontairement" ou "accidentellement"). Inutile de dire que cette configuration idéologique familiale est, dans son unicité, terriblement structurée, et que c'est dans cette structure implacable plus ou moins "pathologique" (à supposer que ce terme ait un sens assignable), que l'ancien-futur sujet doit "trouver"" sa" place, c'est-à-dire "devenir" le sujet sexuel (garçon ou fille) qu'il est déjà par avance. Reproduction p228
Le point de vue révolutionnaire, dialectique ("prolétarien" et historique), s'oppose pourtant à la reproduction de la transformation bourgeoise du monde (et son idéologie de la fin de l'histoire, de l'individualisme et du laisser faire) par la conscience de cette transformation et la réintroduction du sujet vivant dans la totalité du processus identifié comme système de production (d'où proviennent et où s'expriment ses contradictions), devenu rapport abstrait d'objets à objets. Il ne s'agit pas seulement d'un dépassement du point de vue du spécialiste, remontant du détail à la totalité du processus, mais bien de l'opposition du sujet vivant à l'abstraction du pouvoir et de l'argent, la transformation révolutionnaire de la totalité par la pratique de son sujet (prolétariat) qui fait irruption dans le système, en le perturbant. L'objectivité des lois économiques et le fétichisme de la marchandise sont dépassés comme rapport social dans la lutte des classes. Il s'agit bien d'une désobjectivation, d'une lutte contre une économie séparée de la société, d'un retour du sujet pratique sur son action et de son historicité, sa négativité première. C'est la conquête de sa liberté, du temps libre.Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuel. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. A un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production existants. Préface de la Contribution... I, 273
Il faut rajouter, en conséquence seconde sur la théorie, cette dimension essentielle à la pratique de classe de la dialectique marxiste, qui est celle de la critique subversive (commencée par la critique de la religion) : c'est le parti pris du négatif (que j'ai repris dans l'analyse révolutionnaire comme expression du négatif), car l'extrême de la séparation est son abolition, et du dépassement du contenu unilatéral, objectivé (fétichiste) pour réintroduire le sujet dans le processus total, comme rapport social. C'est une conséquence seconde, sur la théorie, de la position première d'opposition vivante à l'abstraction.
La division en classes est toujours la division entre dominants et dominés qui peut être surmontée mais non pas supprimée. L'expérience du travail et de la force déchaînée de l'économie capitaliste suffit à faire de la contradiction des forces productives et des rapports de production la détermination principale de l'action effective, comme système de production, totalité déterminant la pratique donc l'idéologie (il y a d'autres totalités et d'autres idéologies). Ces concepts, issus de la méthode dialectique, relèvent de l'idéologie "prolétarienne", c'est-à-dire d'une pratique engagée, à l'opposée de la science bourgeoise qui veut des lois éternelles et intangibles, rejetant tout sujet et refoulant sa propre pratique comme automatismes aveugles. Le pouvoir bourgeois traitant l'administré en simple objet de sa gestion, s'enfonce dans le détail, séparé d'une totalité inaccessible à l'individu isolé, atomisé et autonome (science bourgeoise, du spécialiste). Il faut être du côté des "administrés" pour réclamer le pouvoir du Citoyen sur la totalité d'un processus global afin de le transformer (science prolétarienne, écologique). La dialectique du travail réalise la dialectique de la connaissance par la médiation de la lutte.
La confrontation de la dialectique avec les trois dimensions lacaniennes fait du Symbolique le premier temps, correspondant à la différenciation du sujet et de l'Autre, sa position pratique symbolique comme séparation et pure égalité avec soi-même. Le deuxième temps est celui de l'Imaginaire où l'extériorité est intériorisée et où le sujet s'identifie à son image actuelle, opposé aux autres sujets dans une lutte imaginaire (sous les yeux d'un tiers) et trouvant dans le corps l'incarnation du désir de l'Autre. Ce moment imaginaire de l'opposition et de la conscience de soi (identification) est dépassé par le Réel qui vient faire trou dans la représentation, l'abstraction imaginaire se donnant comme simple moment d'un processus de représentation, renvoyé à son énonciation constituante (contra-diction); sauf à se nouer dans le Sinthome qui renforce l'absorption du sujet dans l'objet, sa fascination première, garantissant l'éternité d'une "réalité psychique" un peu tordue mais qui est négation de la temporalité elle-même, c'est-à-dire du sujet du désir. La dialectique n'est plus simple description, ni méthode d'action ou de connaissance mais solidarité constitutive du sujet, de sa reproduction (ontologie). L'universalité des concepts en jeu menace toujours cette pure abstraction de n'être qu'une tautologie. Mais énoncer cette ontologie comme vérité détachée de la pratique ne peut que barrer tout accès à sa temporalité alors que la théorie psychanalytique n'est rien sans la pratique analytique elle-même.
Le besoin, la dépendance première de la mère, passe par la demande et donc par le langage maternel, le désir résultant de cette nécessité d'épouser le langage de sa mère (savoir lui parler), et donc comme désir de son désir. Opération recommencée à chaque demande. S'il y a plusieurs origines au langage (origine historique, phylogenèse), apprentissage de la langue par l'enfant (ontogenèse) et causalité d'une énonciation située (désir), Hegel ne rend pas compte de la naissance au langage d'un sujet qui ne se constitue pas dans la lutte à mort mais dans le recouvrement du besoin par la demande qui soumet au langage maternel, au sens et au désir de l'Autre un sujet originairement symbolique et social pour qui la mort est plutôt l'ab-sens, la castration.
Le sujet est absorbé d'abord dans l'immédiateté
de son objet et de sa certitude. Éprouvant sa séparation
et voulant combler ce manque, il se trouve précipité dans
le sens.
Là où Hegel réduit le corps au biologique, aux déterminations naturelles qui sont la négation de l'universel aussi bien que son incarnation, la psychanalyse introduit le corps comme image pour l'Autre, originellement sexué, renvoyant imaginairement toute altérité à cette différence sexuelle inscrite dans le corps.
Le sujet parvient à la conscience de soi dans sa relation au père comme privation de la mère et comme sexué plutôt que dans la privation de jouissance de l'esclave soumis au maître. C'est la même structure, il s'agit toujours du sacrifice du particulier à l'universel, la culpabilité, par quoi la singularité s'universalise, s'inscrit dans un langage et le sujet devient conscience de soi divisée mais libre (universel inconditionné et individualité singulière déterminée) qui ne s'atteint qu'à travers une autre conscience de soi.
La jouissance consiste à posséder l'objet dont la valeur est authentifiée par la possession du rival et son interdit (il n'y a de jouissance que de l'Autre).
La dialectique est, ici, celle du tiers comme garant de la signification, de l'objectivation phallique.
C'est donc l'interruption de la jouissance, le retour de l'énonciation, de sa responsabilité, de sa présence qui relance la dialectique temporelle inter-subjective, la reconnaissance du sujet en acte.
La signification Phallique comme moment de l'énoncé objectivant se complète de l'après-coup de l'énonciation où ce qui compte, ce n'est pas le contenu vrai du discours mais la forme qui règle le rapport à l'Autre, vérité selon la Loi de la parole : Liberté, égalité, fraternité.
Le symptôme peut être surmonté lorsque le sujet peut y réintroduire sa responsabilité, abandonner la stabilité du symptôme, sa jouissance garantie pour retrouver le processus instable où il est engagé. La pratique analytique pose d'abord un sujet supposé savoir pour le réfuter ensuite, c'est l'escroc qui vend la mèche mais seulement après avoir réussi son tour. L'énoncé voulant se poser comme vrai, oublie son énonciation pratique mais, en même temps procède, dans le processus de signification, à une identification de cette énonciation réduite à l'après-coup de l'énoncé. La responsabilité de cette identification fait entrer l'analysant dans une dialectique de reconstruction de son image jusqu'à renoncer enfin à s'objectiver dans le discours, non pour s'identifier au processus lui-même (d'une impuissance créatrice) mais bien plutôt aux rapports sociaux où s'inscrit l'énonciation, son adresse. Cette dialectique reste proche de celle du Hegel de la Phénoménologie mais n'admet pas de sagesse (génitalité accomplie ou autonomie du moi) ni absence de refoulement, seulement la possibilité de surmonter temporellement l'objectivation par la prise de conscience, qui est ici mise en cause du savoir plutôt que savoir de la cause. En effet, l'important est de bien voir que l'objectivation est absolument indispensable à son dépassement de même que le Père (ou le Sujet supposé savoir du transfert) est indispensable à représenter l'échec de la fonction de garantie. La pure et simple absence de garantie n'a aucune réalité en soi. C'est l'urgence d'une certitude sur le désir de l'Autre qui donne au besoin de garantie sa forme impérative (il faut un Père qui tranche) à laquelle ne pourra se mesurer qu'une impuissance effective, révélant pourtant le monde par son idéalisation objectivante, médiation indispensable mais qui doit être dépassée (meurtre du Père) comme moment historique, ou se figer en symptôme (réalité psychique).
La seule différence avec la dialectique hégélienne est, comme pour le marxisme, que la dialectique n'y est pas abstraite ou contemplative mais prise dans le concret de la pratique analytique qui l'objective dans le transfert et la résout pratiquement. Mais si le Marxisme corrige la dialectique hégélienne, la psychanalyse corrige le Marxisme en abandonnant toute prétention à un "homme total" même révolutionné (l'homme nouveau !), et à l'abolition des classes sociales ; ce qui n'empêche pas l'urgence de transformer la logique de l'économie. La maîtrise de l'économie et de l'écologie ne fait que rendre un peu moins lourde et absurde l'activité objectivante des hommes divisés. Éviter la catastrophe n'est pas gagner un impensable Paradis. Le Marxisme réfutait le Savoir absolu, la psychanalyse réfute toute idée d'"homme total", apaisé, satisfait, lui qui ne veut que brûler de désir. La dialectique n'est pas seulement celle de la lutte extérieure mais le travail dur et forcé sur soi-même. L'idéologie semblait rejeter la conscience du sujet en dehors de lui, mais la dialectique psychanalytique rend mieux compte du rapport du sujet à sa représentation, comme désir de désir, et fonde une nouvelle idéologie révolutionnaire.
La leçon pratique de l'analyse, son éthique qui réfute toute normalité idéale, en rajoute sur la nécessité de l'expression du négatif qu'un refoulement au nom du positif ne sait qu'exaspérer. Le parti du négatif en sort bien renforcé. C'est le sens du terme d' "analyse révolutionnaire" rejoignant la subversion de toute objectivation idéologique, de tout refoulement de l'énonciation dans l'énoncé aliénant. Il s'agit bien de subversion, de retour du sujet de l'énonciation comme rapport social (discours), sans pouvoir dépasser cependant la division du sujet et le refoulement "ontologique" du discours, c'est-à-dire sa temporalité.
Il ne s'agit pas d'un débat théorique et abstrait mais bien de la nécessité pour tout discours politique de tirer les enseignements de la dialectique. Ainsi, il faut répéter qu'il ne suffit pas d'être marxiste mais l'après-communisme nous renvoie la question de Hegel lui-même, comprenant l'essence du processus dialectique à partir de la Révolution française et sa proclamation d'une liberté universelle dont l'abstraction va se retourner en Terreur, supprimant toute liberté réelle, avant de trouver en Napoléon un ordre nouveau qui réalise enfin cette liberté par le Code civil sous les apparences du retour à l'ordre ancien. C'est bien cette ruse de l'histoire, qui se refuse à l'abstraction immédiate mais la réalise effectivement dans la médiation (qui la réfrène et la compromet avec la réalité concrète mais sans y être jamais tout à fait engloutie). Il faut tirer les leçons de la terreur soviétique répétant la première Terreur pour réintroduire les médiations dans le processus révolutionnaire. Marx reste l'indispensable dépassement de la contemplation hégélienne dans la pratique et Freud achève de ruiner tout espoir de réconciliation finale, de finitude du désir.
La dialectique est quelque chose de très simple, trop simple même et qui n'est difficile à concevoir qu'à heurter le mouvement naturel de la pensée. En effet la dialectique est ce qui nous délivre de l'être, pas moins, de cette infatigable passion de l'être qui est passion de l'ignorance, de l'aveuglement voulu, du refoulement actif. Que nous enseigne la dialectique ? Que les choses changent, et non pas seulement d'un changement calme et paisible mais en oppositions et ruptures. Chose très simple assurément mais qui ne nous empêchera pas de toujours rester fasciné par notre situation présente, avant de concevoir ses éléments en relation et les potentialités à venir. La prise en compte de ce devenir impose l'évidence que tout progrès de la connaissance, comme tout progrès de la spécification dans l'objet de la connaissance lui-même, exige le niveau logique précédent pour se constituer comme objet, la connaissance n'étant possible qu'après-coup de cet objet. La supériorité de la dialectique n'est pourtant pas seulement son épistémologie historiciste mais son enseignement moral et politique qui consiste à faire sortir le positif de la négation de la négation alors que la métaphysique de l'être et de la positivité ne peut comprendre (sinon comme mal absolu) la négativité pourtant essentielle à l'esprit pour qui rien n'existe que les différences (les singularités de la théorie des catastrophes) qui expriment le fond dont elles se détachent.
Il n'y a d'être que de relation ce qu'exprime tout verbe comme rapport constituant du sujet et de l'objet, sauf l'être justement, pure négation, verbe vidé de toute action, de toute relation, identification à l'Un tout seul ou au signifiant Un qui pourtant ne représente le sujet que pour un autre. L'être ici est adéquat à la représentation du fantasme, la constitution du désir comme impossible, fiction ne pouvant ni ne devant être atteinte, comme signification de l'au-delà et pourtant, en même temps fondement de toute existence, privilège de toute action qui ne peut jamais être le repos de toute inquiétude. Le bon infini de Hegel, ou l'infini en acte de Spinoza, comme rapport irrationnel, incommensurabilité, est identique au réel de Lacan résultant de l'incommensurabilité du Symbolique et de l'Imaginaire. Cet infini est inséparable de la finitude où il s'inscrit (comme 2/7 ou, mieux ,le rapport de cercles inégaux de Spinoza) sans laisser aucune chance pourtant à un être infini.