Eléments d’une philosophie écologique (de l’extériorité)

Temps de lecture : 28 minutes

J'ai tenté de regrouper ici, pour un travail préparatoire, les éléments d'une philosophie écologique, d'une évolution déterminée par l'extériorité aussi bien matérielle et biologique, économique et technique, que sociale et culturelle.

Il faut partir des causes matérielles : écologie, économie, technique qui s'imposent à nous au moins sur le long terme, notre part de liberté étant locale, comme toute réduction de l'entropie. Un bref survol de l'histoire de l’homme, produit de la technique permet de mesurer comme l'évolution nous a façonnés, en premier lieu nos mains pour tailler la pierre, au lieu du développement d'une supposée essence humaine plus ou moins divine. La part de l'homme est celle de l'erreur, comme disait Poincaré du rôle de l'homme dans le progrès des sciences. Ce n'est pas qu'il y aurait pour autant une essence de la technique qui se déploierait de façon autonome quand elle est, là aussi, produite par son milieu, par le réel extérieur au-delà de la technique, ce pourquoi on ne choisit pas ses techniques pas plus que l'état des sciences ni celui du monde qui nous a vu naître. On est bien dans un pur matérialisme mais qui est écologique et non pas mécaniste, y compris pour le milieu technique.

Ce n'est pas non plus qu'il y aurait une harmonie préétablie entre l'homme et la technique, pas plus qu'entre nous et le monde. Comme dit René Passet "La loi des milieux naturels et humains n'est pas l'équilibre qui les fige, mais le déséquilibre par lequel ils évoluent" (p901). Avec le vivant se produit une scission dans l'être par son opposition locale à l'entropie universelle, vie définie par Bichat comme "l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort". Un se divise en deux, c'est la loi du vivant et de sa différenciation, l'unité brisée se reconstituant en unité de l'organisme confronté à son extériorité en même temps qu'il en est le produit. Tout organisme est inséré dans son milieu tout en y étant séparé ("Au sens ontique, le monde est l'étant que le Dasein, qui est au monde, n'est manifestement pas lui-même", étant l'objet de sa préoccupation. p245). C'est ce dont témoigne l'information supposant la division de l'émetteur et du récepteur, d'un savoir qui n'est pas inné et de la possibilité de l'erreur au principe de la sélection naturelle. Il faut rapprocher théorie de l'évolution et théorie de l'information dans un monde changeant et incertain, incertitude de l'avenir sans laquelle il n'y a pas d'information qui vaille, avec toutes les conséquences qu'on peut tirer d'une philosophie de l'information inséparable de nos finalités mais qui nous coupe de la présence immédiate, fondant plutôt une éthique de la réaction et de la correction de nos erreurs. Nous agissons toujours dans un contexte d'informations imparfaites, un peu à l'aveuglette, soumis au verdict du résultat final, dans le temps de l’après-coup qui n'est ni la présence du présent, ni la fidélité au passé, ni la projection dans l'avenir mais le temps de l'apprentissage, de l'adaptation et des remises en cause. Ce temps de la culpabilité et des remords rejoint les vieux principes de la prudence et d'une bonne méthode expérimentale, témoins là encore de l'extériorité du monde que nous avons à découvrir et de la prédominance des dures leçons de l'acquis sur l'expression d'une nature innée. Un cerveau a besoin d'interactions pour se développer mais la détermination écologique n'est pas pour autant immédiate, nous réduisant à un simple reflet de l'extérieur, se déployant au contraire sur une pluralité de temporalités (génétique, historique, cognitive, psychologique, intersubjective, locale, etc). Un nouveau survol historique suffit à montrer comme une telle philosophie écologique, d'une détermination par le milieu, par l'extériorité au lieu du développement d'une intériorité ou d'une essence humaine originaire, prend à rebours la plupart des philosophies (en dehors de Canguilhem notamment pour qui la vie est assimilation), aussi bien leur idéalisme ou essentialisme qu'un matérialisme mécaniste ou un biologisme vitaliste.

Avec une espèce invasive comme la nôtre, colonisant tous les milieux même les plus extrêmes, il n'y a pas de véritable "monde propre" ni de nature originaire insérée dans son milieu mais, comme dit Pascal, pour nous, "la coutume est une seconde nature. La nature de l’homme est toute nature, omne animal. Il n’y a rien qu’on ne rende naturel. Il n’y a naturel qu’on ne fasse perdre". On retrouve ainsi un certain existentialisme où la question n'est donc plus celle de notre identité éternelle mais de notre situation concrète, d'une existence située dans un monde commun où nous agissons et qui précède bien notre essence, ce qu'on a à être et ce qu'on pense (conformément à l'ethnologie et la sociologie), qui nous détermine socialement cette fois tout en restant là aussi extérieur, étranger, oppressant, injuste, nous confrontant douloureusement à la division de la pensée et de l’être, subjectivisme qui se cogne au réel, aux ratages et à ses propres limites. Ce point de vue d'un réel déceptif au regard du devoir-être ne laisse aucun espoir d'abolir la séparation ni de retrouver une authenticité perdue encore moins de se suffire à soi-même car pour se réaliser, partiellement, la morale doit passer à la politique en se confrontant aux réalités extérieures. On peut d'ailleurs reconstituer l'évolution de ce devoir-être en fonction des sociétés dans une généalogie de la morale, des Grecs à Nietzsche et Lévinas, morale qui commence avec le langage, la parole donnée et l'interdit, le don et la dette, la honte et la culpabilité, sans lesquels aucune parole n'est possible (en dehors de l'impératif). La dimension sociale de notre conscience est constitutive de notre discours intérieur, qui a la forme d'une conversation réelle. Le monde humain est bien celui du rapport à l'autre comme interlocuteur, se distinguant d'un simple étant comme de l'animal. Notre conscience morale fait sans aucun doute notre humanité, le fond des rapports humains qui occupent incontestablement une grande place dans nos vies et dans nos pensées, cependant ils ne prennent pas toute la place et il faut se garder de les idéaliser comme s'ils étaient toujours positifs alors qu'on peut dire tout autant que l'enfer c'est les autres. Pour revenir à leurs limites et leur ambivalence, il suffit de faire un retour aux choses mêmes, à la vraie vie, dans sa réalité la plus prosaïque. S'il est bien fondamental de reconnaître le poids de la pression sociale et notre identité relationnelle ou morale jusqu'à notre désir comme désir de l'autre, il ne faut pas mythifier pour autant notre rapport aux autres, en faire un amour universel ni une responsabilité infinie, mais reconnaître la solitude ordinaire d'un quotidien routinier menacé par la lassitude et l'ennui, disjonction là encore de l'idéal du moi et de sa triste réalité.

Il est primordial en effet de ne pas oublier dans cette détermination culturelle extérieure, l'incidence décisive pour notre humanité du langage narratif (différent d'un langage phonétique ou animal) et d'abord du récit de soi par lequel on reconstruit sans arrêt notre identité et une continuité factice sans lesquelles il n'y a pas de véritable conscience de soi se projetant dans l'avenir ni de conscience morale ni de dette. Il faut souligner l'évidence que la fonction première de la narration est, bien avant l'écriture,  de parler de ce qui n'est pas là, d'un monde lointain dans l'espace et le temps, monde virtuel au-delà de nos sens et pourtant posé comme monde commun, nous rattachant au grand récit de l'histoire du monde tout comme au monde des morts qui nous hantent. Notre milieu humain ni notre position sociale ne sont limités à l'espace physique (même avant le cyberspace). On a donc affaire à une double extériorité, du langage, de la culture, des mythes de la tribu, d'une part, et, d'autre part, du réel matériel extérieur qui fait effraction dans nos récits imaginaires. De quoi contester cette fois la propension de la philosophie à se focaliser sur le rapport direct sujet-objet alors que nos représentations, tout comme le développement de l'enfant, ne procèdent pas de l'individuel au social (de la perception au sens) mais du discours social à l'individuel, de même que l'ambiance générale influence notre humeur. Certes, le monde commun se manifeste dans l'organisation collective, notamment de la production, et dans les dispositifs ou les activités, les fonctions ou signes renvoyant à d'autres (p292) et finalement au fonctionnement social global, mais cette division du travail, ces processus, ces rites sont pris dans des récits communs, un storytelling, des mythes fondateurs, qui en sont la condition et lui donnent sens - même s'il y a toujours plusieurs récits concurrents. Comme le soulignait Lévi-Strauss, en effet, "on ne discute pas les mythes du groupe ; on les transforme en croyant les répéter". Notre monde commun ne se réduit pas à un système des objets, de même que le langage narratif qui nous humanise et nous donne place dans le récit, ne se réduit pas du tout au lexique et un jeu de différences, à la nomination, la désignation, un signal, ni seulement à l'expression, la communication, l'explication, l'argumentation, le jugement ou la parole adressée à l'autre (accord, demande, reproche, ordre) quand il est fait pour raconter des histoires avec un début et une fin, un parcours, une trajectoire. Même si le récit peut apparaître relativement minoritaire dans nos échanges (quoique commérages et ragots occupent une bonne part de nos conversations), il reste structurant de notre être au monde.

C'est effectivement ce qui nous rend conscients de la fin, conscience de notre mort qu'on passe son temps à refouler, et si le récit fait exister un monde commun, ce n'est pas sans la conscience aussi d'une fin du monde possible. Cela permet du moins de passer du souci de soi au souci du monde en réintégrant l'extériorité du monde, son évolution écologique (nouveau grand récit) dans le récit de soi. La nouvelle figure de l'individu qui émerge des menaces écologiques (ou épidémiques) est aussi différente de l'individu religieux que de l'individu libéral car, sans se réclamer d'un fondement dogmatique ni d'un acte de foi, il n'est plus délaissé par l'absence de tout fondement éprouvé depuis la mort de Dieu, et ne se réduit pas non plus au seul fondement moral du rapport aux autres car sa nouvelle conscience écologique rend la destinée de l'individu inséparable d'une communauté de destin planétaire qui donne sens à nos vies, lui donne un cadre, qu'on le veuille ou non. Au-delà de l'organisme individuel et de l'éthique comme rapport à l'autre, existe aussi le rapport à la totalité, au global et à l'histoire. La différence avec les idéologies totalitaires, c'est que ce n'est pas l'esprit qui nous unit mais le réel (climatique, écologique, économique, technique), la nécessité extérieure plus que la volonté subjective, et cela bouleverse déjà complètement la situation des individus dans le monde par rapport à l'ère des idéologies ou de la fin de l'histoire libérale. La réussite individuelle n'a plus de sens hors de la réussite collective et la subjectivité n'est plus sommée de se fonder sur elle-même à se trouver engagée dans une évolution extérieure, un réel qui donne un sens objectif à l'existence.

Cependant, ce monde qui suscite notre inquiétude n'est pas le monde enchanté d'une harmonie cosmique, c'est un monde hostile, étranger, dévasté, fragile qui exige notre action dans l'urgence et nous sort du temps immobile d'une fin de l'histoire, d'un dimanche de la vie où l'on n'aurait plus qu'à s'occuper de soi, pour nous tourner vers l'extérieur et la préservation de nos milieux comme de nos conditions de vie.


 

Le réel

Les causes matérielles : écologie, économie, technique, 09/03/18
La critique de la politique est le préalable pour ne pas trop en attendre et reconnaître que les déterminations ne sont pas idéologiques mais largement matérielles. Plutôt qu'une bataille des idées, ce sont nos actions locales qui peuvent convaincre et se multiplier. Les causalités matérielles ne sont pas immédiatement déterminantes, elles laissent une certaine marge de manoeuvre à court terme, nourrissant l'illusion de notre liberté, mais c'est à plus long terme qu'elles s'imposent, après-coup, selon différentes temporalités. Ainsi, l'écologie est certainement la contrainte la plus fondamentale mais celle qui s'exerce avec le plus de retard. Ce n'est pas l'amour de la nature qui rend l'écologie si indispensable mais bien la destruction de nos conditions de vie. La causalité économique se fait sentir plus rapidement sans doute, en tout cas, elle est bien déterminante en dernière instance. La troisième causalité matérielle est devenue plus sensible à notre époque avec l'accélération technologique qui s'impose de plus en plus rapidement même si les innovations sont toujours critiquées d'abord comme inutiles (puisqu'elles n'existaient pas jusqu'ici) et accusées de tous les maux, de nous faire perdre notre âme, avant de finir par les adopter comme si elles avaient toujours existé... Une fois qu'on a fait le constat de ces trois causalités matérielles qui s'imposent à nous, il faut construire une stratégie qui en tient compte et ne surestime pas le pouvoir politique. Au lieu de ne servir à rien (à vouloir trop, au-delà des possibilités politiques), il nous faut nous organiser pour obtenir les mesures les plus efficaces, en particulier localement.

Brève histoire de l’homme, produit de la technique, 15/03/17
Brève récapitulation à grands traits de l'histoire humaine d'un point de vue matérialiste, c'est-à-dire non pas tant de l'émergence de l'homme que de ce qui l'a modelé par la pression extérieure et nous a mené jusqu'ici où le règne de l'esprit reste celui de l'information et donc de l'extériorité. Cela peut suffire à montrer que nous ne sommes ni la cause du savoir ni de l'évolution ni de la langue, alors que nous en sommes plutôt les sujets.

Le réel extérieur au-delà de la technique, 18/06/17
Quand on a l'audace de remettre en cause la centralité de l'homme, la tentation est grande de remplacer cette centralité par celle de la technique, ce qui est tout autant trompeur, se focalisant sur des techniques qui ne sont que le résultat de nécessités extérieures (écologiques, économiques, militaires). L'évolution technique a beau sembler être autonome, prolongeant son état antérieur et se complexifiant, elle ne procède pas d'elle-même mais de son époque (ce pourquoi on a souvent des inventions simultanées) ainsi que des urgences du moment (sans quoi elles ne sont pas adoptées), de sorte qu'on peut dire aussi de la technique, qu'elle n'existe pas. Ce qui existe, ce sont des processus matériels en interactions et en évolution constante, la continuation de l'évolution biologique par d'autres moyens (externes). Ce qui disparaît à mettre la technique au premier plan, c'est le milieu, milieu d'où viennent ces techniques. S'obstiner à vouloir faire de l'homme la cause de la technique ou du capitalisme et de leurs dévastations, ne peut mener qu'à vouloir nous changer, retrouver notre nature perdue ou forger un homme nouveau, mais en tout cas opposer aux techniques du pouvoir des contre-techniques pour nous rééduquer, redresser notre désir, soigner nos perversion - dangereuse conception thérapeutique et normalisatrice de la philosophie comme de la politique.

Un se divise en deux, 10/01/09
Tout est matière, tout est solidaire mais tout ne forme pas une unité indistincte, il y a différentes dimensions, une pluralité de systèmes et d'organismes. Il n'y a pas que l'identité de tous avec tous, il y a aussi la différence de chacun avec chacun. Il n'y a pas que ce qui nous rassemble, il y a aussi ce qui nous divise voire nous oppose et après avoir tout réuni, il nous faudra séparer de nouveau. Il faut remonter très haut pour essayer de comprendre comment un se divise en deux, comment la vie s'oppose à l'entropie, l'homme à l'animal, l'individu au collectif auquel il appartient ; séparation originelle qui constitue le caractère tragique de la vie dont aucune utopie ne nous délivrera car il fait aussi tout le prix de l'existence. Il s'agit de restituer une anthropologie plus réaliste dans ses contradictions mêmes (et sa sexuation), qui ne soit ni libéralisme individualiste, ni totalitarisme communautaire mais une écologie de la diversité qui nous unit en tant que séparés et ne mutile pas notre double nature. Le sujet c'est toujours le perturbateur, qui se pose en s'opposant. Il n'y a pas que l'Un, il y a l'Autre aussi.

L'information

La théorie de l'évolution comme théorie de l'information, 09/11/13
L'interprétation de la théorie de l'évolution comme théorie de l'information et processus cognitif implique une causalité qui vient de l'extérieur, dans l'après-coup, évolution dont nous continuons d'être les sujets loin d'en être les auteurs, matérialisme historique rénové qui réduit notre horizon temporel mais où se dissout la figure de l'homme et les prétentions de la subjectivité comme de l'identité. C'est cette appartenance à une évolution qui nous dépasse qui est inacceptable à la plupart, tout comme le déterminisme économique longtemps dénié et pourtant si manifeste.

Pour une philosophie de l'information, 10/06/12
Il semble que la philosophie soit restée bloquée sur la question du langage sans arriver à intégrer la notion d'information sinon pour en faire une critique superficielle. C'est d'autant plus fâcheux qu'elle se trouve incapable dès lors de penser notre actualité qui est celle de l'ère de l'information, justement. Des actualités, il ne sera pas question ici pourtant, ni des journaux d'information ni même de la communication ou des réseaux, mais de considérations qui paraîtront beaucoup plus inactuelles sur le concept lui-même d'information tel qu'il s'est manifesté dans le numérique et l'informatisation du monde. Cet article va donc essayer de montrer ce qui relie information et finalité tout comme ce qui sépare l'émetteur du récepteur, l'information du fait, le logiciel du matériel, dualisme fondamental du corps et de l'esprit qui nous coupe de la présence immédiate mais devrait permettre de fonder un véritable matérialisme spirituel. De quoi renouveler le sens de la vie comme incertitude de l'avenir sans laquelle il n'y a pas d'information qui vaille. On pourrait tirer aussi de cette base, qui semble si mince, une éthique de la réaction et de la correction de nos erreurs.

Le temps de l’après-coup, 18/02/19
C'est la première leçon de l'existence, qu'il n'y a pas d'identité de l'être et du devoir-être et qu'il faut constamment s'y confronter. Impossible d'ignorer tous les ratés de la vie et la dureté du réel, toutes les illusions perdues et d'abord les illusions politiques, rêves totalitaires qui tournent mal de réalisation de l'idée. En ne se pliant pas à nos finalités, ce qui se manifeste, c'est bien l'étrangeté du monde et la transcendance de l'être, son extériorité. De quoi nous engager non pas à baisser les bras ni à foncer tête baissée à l'échec mais à régler notre action sur cet écart de l'intention et du résultat pour corriger le tir et se rapprocher de l'objectif. L'histoire reste une histoire subie car effectivement déterminée en dernière instance, c'est à dire après-coup (post festum dit Marx) par la (re)production matérielle et donc, d'abord, par le progrès technique. Celui-ci ne nous fait pas passer du temps des finalités à celui des moyens tout-puissants mais nous oblige plutôt à revenir au temps biologique, c'est-à-dire au temps de l'après-coup, de l'apprentissage et de la correction de nos erreurs, conformément à un darwinisme bien compris comme sélection par le résultat. Ce n'est plus le temps des projets grandioses ni même de l'ouverture au possible mais le temps de la culpabilité et des remords - sans être pour autant forcément irréversible, car renoncer aux finalités subjectives ne nous condamne pas à rester passifs ni aveugles au négatif du progrès et de notre industrie, ce qui a plutôt ouvert la voie à l'écologie politique. Notre tâche est d'essayer de comprendre ce qui nous arrive sans jamais être sûr d'y arriver, tâche toujours à recommencer dans l'après-coup. Il n'y a pas de retour glorieux à l'unité de l'Être (comme dans les transports amoureux) mais une pluralité de récits, de scénarios plus ou moins crédibles pouvant être contredits par l'événement à tout instant. C'est cette précarité de nos projections dans l'avenir qui caractérise la finitude de notre situation existentielle et cognitive. C'est à partir de cette nouvelle temporalité de l'après-coup (au-delà du passé, du présent et de l'avenir), temporalité plus originaire que la durée et le projet, que pourrait se redéfinir une pensée pratique sur le deuil de l'unité de la pensée et de l'être, rejoignant d'ailleurs les vieux principes de la prudence et d'une bonne méthode expérimentale.

Introduction à une philosophie écologique, 20/11/19
Il est sans doute contestable d'appeler philosophie ce qui ne promet aucune sagesse, philosophie sans consolation s'affrontant à une vérité déceptive et qu'on pourrait appeler à meilleur escient une anti-philosophie. Parler de philosophie écologique paraîtra tout autant spécieux par rapport à ce qu'on entend généralement sous ce terme puisqu'à rebours de l'unité supposée du vivant, il sera question ici de ses contradictions et d'un dualisme irréductible, d'une détermination par le milieu, par l'extériorité au lieu du développement d'une intériorité ou d'une essence humaine originaire. La question n'est donc plus celle de notre identité éternelle mais de notre situation concrète, d'une existence située qui précède bien notre essence, ce qu'on est et ce qu'on pense (conformément à l'ethnologie et la sociologie). La difficulté est de reconnaître le primat des causes matérielles en dernière instance (après-coup), opposant le matérialisme notamment économique à l'idéalisme volontariste, cela sans pour autant renier la dimension spirituelle et morale, le monde du langage et des récits, dualisme non seulement de la pensée et de l'étendue, de l'esprit et de la matière, du software et du hardware, mais de l'entropie et du vivant anti-entropique, du monde des finalités s'opposant au monde des causes, division de l'être et du devoir-être sans réconciliation finale. Ce matérialisme (ou plutôt réalisme) dualiste s'ancre à la fois dans l'évolution biologique ou technique et dans une philosophie de l'information et du langage, philosophie actuelle, qu'on peut dire post-structuraliste et reflétant les dernières avancées des sciences et des techniques (informatiques et biologiques) mais aussi la nouvelle importance prise par l'écologie en passe de devenir le nouveau paradigme du XXIème siècle.

Le devoir-être

La division de la pensée et de l’être, 12/01/19
La plupart des philosophies partent d'une division initiale suivie de la tentative de reconstituer l'unité perdue, fonction qu'on peut dire thérapeutique de nous délivrer de la contradiction manifeste tout comme de la peur de la mort. Jaspers dénoncera ces philosophies assimilées à des constructions mythologisantes servant à fuir les questions existentielles. On peut dater de la Critique de la raison pure de Kant la reconnaissance définitive de nos limites cognitives et la démonstration de la séparation de la pensée et de l'être avec la séparation de nos représentations et de la chose en soi inaccessible. Hannah Arendt fait de l'existentialisme une réaction à cette scission alors que dans le marxisme, la perspective d'unité finale dépassant la contradiction ne reconnaît la séparation de la pensée et de l'être qu'au titre d'une aliénation à dépasser pour retrouver un supposé homme total qui ne serait plus étranger dans le monde qu'il a créé par son travail. L'échec des régimes communistes partout aura constitué une nouvelle révélation de l'extériorité du monde. Le relativisme post-moderne qui résulte d'une nouvelle déstabilisation du sujet connaissant n'est rien d'autre qu'un post-marxisme. Ce subjectivisme est malgré tout relatif puisqu'il se cogne au réel et qu'on partage un monde commun dans lequel nous agissons. Il faut se garder d'absolutiser la séparation sous prétexte que l'unité de la pensée et de l'être se voulait absolue. Il y a bien une dialectique entre théorie et pratique mais qui expose l'expérience singulière aux ratages et à rencontrer ses limites. Se placer à ce point de vue d'un réel déceptif au regard du devoir-être devrait déboucher sur un post-existentialisme athée et matérialiste valorisant l'existant, le sort de la planète et le quotidien de la vie, mais moins centré sur l'individu, réinséré dans son milieu, et sans prétendre abolir la séparation ni retrouver une authenticité perdue encore moins se suffire à soi-même.

Généalogie de la morale, de Nietzsche à Lévinas, 19/04/19
La morale humaine commence avec le langage, l'interdit, le don et la dette, le prestige ou la honte. Au contraire des machines, nous pouvons en effet ressentir honte et culpabilité sans lesquels aucune parole n'est possible (en dehors de l'impératif). La dimension sociale de notre conscience est constitutive de notre discours intérieur, qui a la forme d'une conversation réelle. Nietzsche a bien vu l'importance du basculement de l'Empire romain dans la religion chrétienne mais fait simplement étalage de son incompréhension de la faillite des idéaux antiques, ce dont il ne peut trouver d'autres raisons que le ressentiment des faibles et des ratés, ne voulant pas voir que cette conversion religieuse résultait de l'échec des morales du maître et  des philosophies du bonheur enfermées dans le souci de soi, comme en témoigne Augustin. Par la rationalisation de la morale Kant supprime à la fois le besoin de la crainte de Dieu et cette dimension charitable mais ouvre la voie à l'athéisme moral. Le plus contestable dans cette morale rationnelle est surtout de se présenter comme atemporelle et c'est l'intérêt de Hegel d'avoir tenté de l'historiciser. Cette succession de figures et de leurs contradictions nous apprend la diversité des morales mais évacue immédiatement le rapport à l'autre au profit du commun et d'un retour au souci de soi, même dans son sacrifice. Ce rapport à l'autre sera assez secondaire aussi chez Alain qu'il vaut de citer pour la synthèse qu'il propose de la morale du maître avec la morale kantienne, l'excellence pour tous comme mot d'ordre des instituteurs de la République. Dans cette moralité, assez aristocratique bien que culpabilisante, il ne s'agit jamais que de se gouverner soi-même, faire son devoir mais en se mettant de nouveau hors de l'histoire, au niveau ontologique, Alain donne à la morale un statut primordial, l'identifiant à la conscience même - conformément à l'usage courant qui fait appel à notre (mauvaise) conscience. C'est Martin Buber qui réintroduira la figure de l'autre au coeur de la morale, insistant sur la différence ontologique entre la relation à l'Autre Je-Tu et la relation à l'Être du Je-Cela. Le monde humain est bien celui du rapport à l'autre plus qu'à l'Être (Sartre contre Heidegger). C'est comme interlocuteur (Dire) que l'être-humain (non pas l'être-là) se distingue d'un simple étant, et l'existence humaine de celle de l'animal mais Lévinas insiste avec raison sur le fait que l'autre échappe à notre intentionalité, limite de la phénoménologie. Il existe hors de nous et nous reste étranger, il peut toujours changer ou mentir, mais l'inconditionnalité du devoir altruiste et d'une responsabilité infinie est aussi intenable que celle de la maxime kantienne. La leçon de Hegel nous incite donc à refuser la dureté d'une exigence morale infinie de sainteté et d'y opposer au contraire une morale de notre finitude, imparfaite et fautive mais fraternelle et attentive aux conséquences de ses actes. Pour se réaliser, la morale ne peut s'en tenir à l'intersubjectivité, elle doit passer à la politique où le monde moral et le monde matériel se confrontent.

La vraie vie, 10/05/19
Notre conscience morale fait sans aucun doute notre humanité, le fond des rapports humains qui occupent incontestablement une grande place dans nos vies et dans nos pensées, cependant ils ne prennent pas toute la place et il faut se garder de les idéaliser. Pour revenir à leurs limites et leur ambivalence, il suffit de faire un retour aux choses mêmes, c'est-à-dire à la vie quotidienne dans sa réalité la plus prosaïque, aussi éloignée de celle de Heidegger que de Lévinas. Ce n'est pas une peinture flatteuse (il n'y a en effet que la vérité qui blesse), mais, après le monde matériel qui nous contraint et le monde moral qui nous oblige, il reste donc à faire la phénoménologie de notre vie concrète (matière des bons romans). S'il est fondamental de reconnaître notre identité relationnelle et morale jusqu'à notre désir comme désir de l'autre, il ne faut pas mythifier notre rapport aux autres, en faire un amour universel ni une responsabilité infinie, mais reconnaître tout autant ses limites dans un quotidien routinier menacé par la lassitude et l'ennui. Ainsi, dans la vraie vie, en dehors de l'amour naissant, on s'absente le plus souvent des autres dans l'activité ou le bavardage.

L'identité narrative

Le récit de soi, 12/03/20
Critique des philosophes (Kant, Husserl, Heidegger, Derrida) et prolongement de la philosophie écologique. Après avoir substitué à l'essentialisme identitaire, dominant la philosophie depuis Platon, une philosophie écologique insistant sur la détermination par le milieu (et donc l'extériorité), il ne faudrait pas négliger pour cela l'incidence du langage narratif car, là aussi, le développement de l'enfant ne procède pas de l'individuel au social mais du discours social à l'individuel. De quoi remettre en cause cette fois la propension de la philosophie à se focaliser sur le rapport sujet-objet, voire sur le dialogue avec l'autre, au lieu du rapport sujet-verbe, pourrait-on dire, celui du héros de l'histoire. Les faits doivent être à la fois réinsérés dans leur contexte global et la continuité d'une histoire, tout en dénonçant par cela même le caractère factice de cette continuité et l'illusion du continu créé par le récit où le réel extérieur fait effraction. La fonction première de la narration est en effet, bien avant l'écriture,  de parler de ce qui n'est pas là, d'un monde lointain dans l'espace et le temps, monde virtuel au-delà de nos sens qui est pourtant posé par le langage comme monde commun et nous rattache à l'Histoire, au grand récit de l'histoire du monde tout comme au monde des morts qui nous hantent. Il ne s'agit pas seulement de mots, de signe, de trace ni de structure, pas plus que l'idéologie serait une simple question de valeurs alors que c'est une mise en récit. Le langage narratif qui nous humanise ne se réduit pas au lexique et un jeu de différences ni même à la parole adressée à l'autre quand il est fait pour raconter des histoires avec un début et une fin, un parcours, une trajectoire. C'est ce qui nous rend conscients de la fin, conscience de la mort mais aussi d'une fin du monde.

Du souci de soi au souci du monde, 12/07/19
La nouvelle figure de l'individu qui émerge des menaces écologiques est aussi différente de l'individu religieux que de l'individu libéral car, sans se réclamer d'un fondement dogmatique ni d'un acte de foi, il n'est plus délaissé par l'absence de tout fondement éprouvé depuis la mort de Dieu, et ne se réduit pas non plus au seul fondement moral du rapport aux autres. En effet, la destinée de l'individu est devenue inséparable d'une communauté de destin planétaire qui donne sens à nos vies, lui donne un cadre, qu'on le veuille ou non. Au-delà de l'éthique comme rapport à l'autre, existe aussi le rapport à la totalité, au global et à l'histoire. Il est certes légitime de s'interroger sur le retour du concept de totalité, qu'on s'était échiné à déconstruire, mais ce n'est pas juste un retour de l'idée, c'est son retour dans le réel, incontournable et devenu une sorte de bruit de fond médiatique permanent. La différence avec les idéologies totalitaires, c'est que ce n'est pas l'esprit qui nous unit mais le réel (climatique, écologique, économique, technique) et cela bouleverse déjà complètement la situation des individus dans le monde par rapport à l'ère des idéologies ou de la fin de l'histoire libérale. En effet, c'est la nécessité extérieure qui prime désormais sur la volonté subjective. La réussite individuelle n'a plus de sens hors de la réussite collective et la subjectivité n'est plus sommée de se fonder sur elle-même à se trouver engagée dans une évolution extérieure, un réel qui donne un sens objectif à l'existence, où ce n'est pas notre opinion qui compte mais l'état de la science. Bien sûr, le souci du monde englobe le souci des autres et de nous-mêmes, mais ce monde qui suscite notre inquiétude n'est pas, en effet, le monde enchanté des écolos, c'est un monde hostile, étranger, dévasté, fragile. Ce n'est pas qu'on aurait fait le choix héroïque de viser plus grand que soi, c'est l'existence de totalités supérieures qui fait effraction dans la notre et nous sort du temps immobile d'une fin de l'histoire comme un dimanche de la vie où l'on n'aurait plus qu'à s'occuper de soi.

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6 réflexions au sujet de “Eléments d’une philosophie écologique (de l’extériorité)”

  1. Bonjour Jean Zin, lecture en cours, c'est vraiment bien (je suis en train d'écrire un texte sur "la nature" — au départ pour donner des billes à un étudiant qui à voulu poser le problème — et je vais dans le même sens que vous, en moins costaud, alors ça m'encourage), il manque un bout de texte là : "…la relation à l'Être du Je-Cela, suivi en cela par. Le monde humain est…".

    C'est un travail en vue d'une édition?

    • J'ai corrigé, merci. Je n'ai pas d'édition en vue mais il y a bien l'idée d'un ouvrage à écrire et d'un travail sur le long terme même si je ne suis pas sûr du tout de le mener à bien.

      En fait, je me méfie des grands systèmes qui sont toujours un peu forcés et peuvent souvent se résumer à leur intuition de départ. C'est plutôt le besoin d'exposer où j'en suis pour nourrir ma propre réflexion et tenter d'aller un peu au-delà si possible ou d'en corriger quelques défauts. En effet, mon plus grand plaisir n'est pas tant la rédaction des articles, bien qu'ils tentent de répondre à mes interrogations, que le travail de correction et d'enrichissement permettant de dépasser la position de départ ou d'en trouver des prolongements pratiques. C'est aussi une façon de bien marquer la différence de ma position avec celle des intellectuels à la mode dont je me sens si éloigné...

      • En fait le manque d'illusion (pour faire simple) qu'évoquait le commentateur Patrice dans un précédent billet, on le retrouve dans votre théorie générale qui tend à faire système (idéalisme prudent!). Aujourd'hui n'est-on pas coincé entre l'interprétation, qui a réellement lieu, du monde (idéalisme) et sa transformation, qui n'est que désirée (idéalisme encore). Match nul. Il est assez drôle de vous voir citer récemment Baudrillard (c'est l'objet qui nous pense) car en terme de pouvoir transformateur, et après avoir ferraillé pour la révolution depuis la participation au groupe-revue Utopie jusqu'à "L'échange symbolique", ses écrits étaient devenus volontairement nuls, intéressants poétiquement mais sans conséquence pratique. Qu'a t'on appris après avoir lu un livre de JB qui refuse de donner des outils? Rien sinon une façon de penser, un style, essayant de se tenir à distance du comptoir mais se laissant aller aux jeux de langage. Faire apparaître une vérité pratique, ou une pratique de la vérité, par le jeu des mots, ne nous renvoie-t'il pas au dilemne sophistes vs philosophes (Quessada)? Et tout ça, n'est-ce pas une histoire de jeunesse et de vieillesse. Bon c'est peut être un peu "flop" ce que je dis, mais ça me donne l'impression que c'est un travail de moraliste (au sens classique du terme) qui serait le mieux venu en ce moment, avec des scientifiques qui travaillent à côté d'eux!

        • J'ai toujours trouvé Baudrillard sans intérêt, dire que le monde nous pense n'est pas dire que l'objet nous pense, il y a le récit entre deux. Cela fait longtemps que je pratique une philosophie sans consolation dont je comprends qu'elle ne soit pas satisfaisante mais je lui crois malgré tout une portée pratique vitale, en particulier face aux menaces écologiques. Ce n'est pas juste un jeu de mots, encore moins du moralisme.

          On peut toujours dire que pour perdre ses illusions, il faut avoir vécu, simple effet de la vieillesse mais ce serait occulter qu'il ne s'agit pas d'une question personnelle, c'est l'expérience de toute une génération, un peu comme après la révolution française. L'échec du communisme est un traumatisme historique, ce n'est pas par inclination psychologique que ceux qui croyaient à la révolution en 1968 ne peuvent plus y croire mais un fait d'expérience.

          Les révolutionnaires actuels ne brillent pas par leur intelligence ne faisant qu'ânonner de vieilles lunes. Ce sont eux qui sont trop vieux pour évoluer. Les enjeux du réalisme sont trop sérieux pour ces petits rigolos attachés à leurs croyances. Les religions ne sont certes pas mortes avec toutes leurs illusions, mais ce ne sont pas ces balivernes qui nous sauveront. Il ne s'agit justement pas de faire la morale pour contempler sa propre excellence, mais bien de changer réellement le monde, à notre mesure certes bien décevante. Que cela ne fasse pas plaisir ni n'ait aucun succès face aux marchands d'espérance ne rentre pas en ligne de compte quand il s'agit simplement de dire ce qui est.

          • 1) Je n'ai pas une culture philosophique ou littéraire très approfondie, plutôt des intuitions en picorant à droite à gauche (façon de parler). Quand je dis "moraliste" j'entend "morale de l'histoire" (au sens propre comme au sens figuré, histoire avec ou sans grand "h"). L'autre sens "faire la morale" c'est faire des reproches à quelqu'un ou un groupe, j'entendais plus "tirer des leçons" sans "faire la leçon", c'est-à-dire user d'ironie (de la situation) plutôt que culpabiliser par un discours sur la faute.
            Mais je peux parler de ce que je fais tout simplement. Ironie de la situation : dans le travail de conception (architecture) j'observe les étudiants : ils font des choses qui ont peu à voir avec ce qu'ils disent, la plupart du temps ils disent des choses qui ne s'observent pas dans ce que j'appelle des "pièces à conviction" (leurs maquettes, leurs dessins). C'est normal : avec le discours on vient raconter quelquechose qui n'est pas là! Et en même temps c'est un défaut (au sens le plus vulgaire), car on souhaite que le discours soit en phase, soit vrai, pour éviter le bonimensonge.
            Je passe mon temps à leur montrer ce qui colle bien (qu'ils n'ont pas vu), et ce qui ne colle pas (qu'ils revendiquent), souvent ils en rigolent, ce n'est pas faire la morale, c'est apprendre de ses erreurs. Cela pose un problème tout de même : le sens commun que j'essaie de maintenir et de cultiver, le partagent-ils? Ils ont 25 à 30 ans de moins que moi. Je leur pose la question. Et puis à la fin j'évalue selon le "rephasage" qu'ils ont pu opérer ou non.
            Vraiment pas de leçon là-dedans à part une confrontation, pour eux, avec un savoir (une culture) et une réalité qui effectivement constituent l'extérieur. Ils découvrent l'extérieur, moi aussi, j'ai juste un peu plus l'habitude du fait que "c'est l'extérieur qui parle". On peut appeler ça philosophie ou morale, "l'erreur est humaine, persévérer est diabolique" c'est bien une morale non? Elle s'accompagne d'un examen scientifique (le plus réaliste possible) de ce qu'on fait : observer, comprendre, traduire.

            2) Je vois dans votre approche l'idée d'une pensée volontairement faible, comme il existe une pensée de l'urbanisme faible (Yves Chalas). Dogme de l'absence de dogme (!). Anti-tabula-rasa. Utiliser ce qui existe, l'améliorer, comme on cultive un jardin (à condition de le cultiver façon Gilles Clément).
            Le désir d'exprimer des choses fortes (qui fouettent le sang, spectaculaires) doit se corriger par l'expression des choses justes (sobres). La justesse étant sans doute une aussi bonne arme (meilleure?) que la vigueur. Encore une fois une histoire de style.

            3) Pour revenir aux propos du commentateur Patrice (je ne fais pas une fixation dessus mais suis toujours intéressé par ces petites polémiques qui mettent en cause la tonalité générale de votre blog) : c'est l'idée qu'une guerre est en cours et qu'il faut y aller pour empêcher la guerre de nous atteindre (la destruction généralisée). "Mais fait quelquechose!", "Donnes-moi des armes!", "Arrêtes de décourager les autres!"…
            Il est vrai que ce que vous écrivez et ré-écrivez sur votre blog depuis des années ne permet pas d'organiser des manifestations dans les rues ou de mettre en scène un affrontement dans des réunions militantes. On imagine mal un Parti pour la Déception Programmée, mais Patrice formulait comme la nécessité d'un Parti pour l'illusion Nécessaire… Qu'est-ce qu'être réaliste?
            Il est vrai également que vous êtes passé d'un intitulé "écologie révolutionnaire" (aujourd'hui barré!), formule qui reste juste mais pas pour donner un nom à un groupuscule autonome, à un menu "science politique philosophie" (en fait vous n'avez plus vraiment d'intitulé) volontairement moins engagé, et même moins engageant.

            Je suis moi-même déçu, pas de ce que vous dites dans vos textes ou vos réponses mais par l'espace des commentaires à chaque fois j'y participe. C'est ce qui m'étonne le plus : c'est notre participation qui est déceptive, comme dans une classe il y a quelquechose de l'ordre de la faible intensité, de l'absence de réponse ou de communication véritable, faible intensité qui est… normale.

            Grosso modo je suis d'accord avec vous, mais affirmez-vous encore, avec le même aplomb que par le passé, que "la situation est révolutionnaire?"

          • Bien sûr que la situation est plus révolutionnaire que jamais, n'est-ce pas ce qu'on vit ? Le problème, c'est que ce n'est pas nous qui bouleversons toutes les conditions de vie mais le réel extérieur, notamment technologique. Je ne suis pas du tout pour laisser faire, ni un tiède raisonnable, je suis pour l'action, l'engagement, c'est vital mais à condition d'avoir une chance de réussir. Il faut se résoudre au possible, pas s'en satisfaire, mais ce n'est pas une question morale.

            La condamnation morale du monde et l'idéalisme sont naturels aux parlêtres que nous sommes mais n'ont jamais mené à rien (l'aveuglement général est frappant, tout comme celui des religions). Je plaide pour qu'on s'attache plutôt aux puissances matérielles et aux opportunités concrètes (par exemple pour un revenu de base actuellement), toute stratégie devant tenir compte du terrain. J'ai essayé d'en donner une traduction concrète avec le triptyque de la relocalisation mais je viens de m'apercevoir que le slogan du blog n'apparaît plus, en effet, ne sais pourquoi. Je vais essayer d'y remédier. Il est donc toujours :

            Ecologie-politique, ère de l'information et développement humain

            Il est vrai que les commentaires sont souvent très décevants, il se peut que j'arrête un jour mais ils me donnent quand même l'occasion de préciser les choses.

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