Désir et critique de la sagesse chez Socrate

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SocratePeu de gens lisent les premiers dialogues de Platon dont l'authenticité est mise en doute par certains car ils semblent à la fois maladroits et contredire ce qui deviendra sa philosophie ultérieure. C'est que, justement, ces dialogues sont plus socratiques que platoniciens, écrits du vivant de Socrate et nous donnant ainsi accès à son enseignement, en grande partie négatif, basé sur l'affirmation paradoxale qu'il ne sait rien.

C'est d'autant plus intéressant pour le Charmide que son thème est précisément celui de la sagesse, dont la philo-sophie se distingue par la recherche et le désir. Le Charmide pose cependant tout un tas de problèmes et d'abord celui de sa datation. Je ne sais comment procèdent ceux qui le datent de -388, bien après la mort de Socrate en -399 et surtout après la domination des Trente Tyrans, en -405, mais il paraît quand même fort étrange que Platon mette en scène après cela Critias et Charmide qui faisaient partie de sa famille mais s'étaient illustrés par leur cruauté et brutalité pendant l'oligarchie, se faisant détester de toute la population. Certes, il aurait pu vouloir illustrer ainsi qu'il ne suffit pas de prétendre être juste et sage pour l'être effectivement, mettant en scène leur ignorance et suffisance. C'est ce qui le rapprocherait du "premier Alcibiade" (qui a été promu, bien plus tard, par Proclus et les néoplatoniciens comme initiation à la philosophie), Alcibiade courtisé par Socrate ayant lui aussi mérité par ses multiples traîtrises la haine de ses concitoyens et servant à illustrer l'ignorance des politiciens qui ne date pas d'aujourd'hui...

Je laisse la question ouverte tout en privilégiant, à cause de son contenu, l'hypothèse d'une rédaction du Charmide du vivant de Socrate, avant le Lysis où apparaît pour la première fois l'idée de Bien suprême et qui aurait suscité, aux dire de Diogène Laërce, la critique acerbe de Socrate « Ἡράκλεις, ὡς πολλά μου καταψεύδεθ' ὁ νεανίσκος », citation contestée et souvent édulcorée, traduite par : "Dieux ! que de choses ce jeune homme me prête !", alors que Socrate parle explicitement de tromperie (kata-pseudo). En effet, comme on le verra, Socrate conteste cette idée de bien en soi, plus proche en cela d'Aristote à ne considérer que des biens (ou des savoirs) particuliers même s'il semble identifier le savoir, le beau, le bon et le bien (ou le juste et l'utile) mais dans les actions concrètes ou les différents métiers (pour l'artisan, c'est effectivement la connaissance, la maîtrise qui fait l'objet beau, bon, juste et utile à la fois). [On retrouve cette identification, du beau, du vrai et du bien, chez le jeune Hegel, mais au niveau bien plus problématique du politique, ce qui sera à l'origine des avant-gardes politico-philosophiques].

Il est assez troublant de voir comme Platon insiste un peu lourdement au début de plusieurs de ces dialogues sur l'excitation sexuelle de Socrate à la vue de beaux jeunes hommes (jalousie de sa part ou indice de la place du désir dans sa quête ?). On fera effectivement des recoupements très instructifs avec la psychanalyse, mais, dans la continuité des articles précédents, ce dont je voulais rendre compte, c'est de la critique originelle de la sagesse par Socrate (y compris du savoir de l'ignorance), contestant tout autant la prétention à se faire soi-même qui sera celle de tant de philosophes pourtant et qui est encore l'idéologie dominante, celle de l'individualisme libéral. La difficulté, spécialement dans ces premiers dialogues, c'est qu'ils examinent une idée et son contraire, conformément à la maïeutique socratique, sans arriver à conclure souvent (bien que le Charmide soit indiqué du "genre probatoire", il se termine par l'aveu de son échec), laissant au lecteur le soin de continuer la réflexion par soi-même, avec toujours le risque de comprendre de travers. Penser par soi-même n'a pas de sens (le savoir ne s'invente pas), sinon de faire vaciller ses anciennes certitudes, découvrir son erreur et chercher à savoir en s'informant et en confrontant son point de vue à d'autres.

Pour commencer, on peut trouver une bonne formulation de la position de Socrate dans l'Hippias mineur (ci-dessous), position qui est celle du non savoir, proche de ce que devrait être celle du psychanalyste, et que Platon abandonnera bien vite ensuite pour son système des formes ou des idées (des signifiants?). Il faut dire, qu'à la différence de Socrate, Platon s'appuyait comme Pythagore sur les mathématiques (que nul n'entre ici, s'il n'est géomètre) constituant effectivement un univers séparé de vérités éternelles car n'ayant plus affaire à des réalités concrètes (comme un champ à mesurer) mais aux déductions rigoureuses d'axiomes ou de définitions (d'un triangle rectangle par exemple). Aristote s'appuiera plutôt sur la biologie, délimitant ainsi les deux versants des sciences, celui du calcul et celui de l'observation (avant d'y introduire l'expérience).

Pour sa part, Socrate est plutôt un moraliste voire un politique, du côté des sciences sociales, peut-on dire, mais plus proche du scepticisme ou même des sophistes (si ce n'est de la déconstruction post-moderne, bien que trop relativiste). Il se limite aux savoirs incertains du juste et de l'injuste (dont l'Euthyphron montre tout le caractère problématique quand un fils fait un procès à son père) sans prétendre tant que cela à l'excellence alors qu'il se réclame au contraire de son insuffisance, son imperfection humaine et de son désir d'apprendre. On peut dire qu'il déblaie la place des faux savoirs (ce qui lui vaudra sa condamnation à mort pour l'insécurité culturelle qu'il produit) préparant ainsi la reconstruction de sciences objectives soumises à la réfutation, bien qu'il reste au seuil, ne se préoccupant pas de physique notamment. En tout cas, il ne fait aucun doute dans ces premiers dialogues de Platon, que le fameux "connais-toi toi-même" (ou "apprends à te connaître") ne vise pas tant une révélation de sa vérité (ou véritable identité) que de son ignorance (je sais que je ne sais rien, position interrogative qui met en question tout énoncé ou savoir inné). Il ne s'agit pas de s'adonner aux complaisances de l'introspection (pas d'auto-analyse) ni à de quelconques réminiscences ou intuitions (comme dans le Ménon) mais de se confronter à la contradiction et de se voir dans les autres ou bien de recevoir l'apprentissage d'un maître compétent (sujet supposé savoir, ayant lui-même appris un savoir pratique à transmettre). Lorsque la Pythie avait déclaré à celui qui l'interrogeait qu'il n'existait personne de plus sage que Socrate, Socrate en avait été fort étonné n'ayant pas conscience d'être un sage, et c'est en interrogeant de supposés sages qu'il comprit que sa sagesse était justement de ne pas s'y croire et tomber dans le panneau de l'identification, sagesse singulière complètement opposée à ce qu'on se représente comme sagesse puisqu'elle est l'aveu de ses propres limites, de son ignorance et de son désir.

(après avoir interrogé un prétendu sage:)
- Voilà un homme qui est moins sage que moi. Il est bien possible en effet que nous ne sachions, ni l'un ni l'autre, rien de beau ni de bon. Mais lui, il croit qu'il en sait, alors qu'il n'en sait rien, tandis que moi, qui n'en sais sans doute pas plus, je ne crois pas du moins que je sais ! J'ai l'air, en tout cas, d'être plus sage que celui-là, au moins sur un petit point, celui-ci précisément : que ce que je ne savais pas, je ne croyais pas non plus le savoir ! (Apologie de Socrate, p27)

- Tu vois, Hippias, que je dis la vérité quand je parle de ma ténacité à questionner les savants, et il se peut que, fort médiocre en tout le reste, je n’aie que cette unique qualité ; car je me trompe sur la réalité des choses et je ne sais pas ce qu’elle est. J’en ai une preuve convaincante, c’est que, quand je me trouve avec quelqu’un de vous qui êtes réputés pour votre science et dont tous les Grecs attestent l’habileté, il apparaît que je ne sais rien ; car il n’y a pour ainsi dire rien sur quoi j’aie la même opinion que vous. Or quelle meilleure preuve d’ignorance que de différer d’opinion avec ceux qui savent ? Mais j’ai une qualité merveilleuse, qui me sauve, c’est que je ne rougis pas d’apprendre, je m’informe, je questionne et je sais beaucoup de gré à ceux qui me répondent, et jamais ma reconnaissance n’a fait faute à aucun d’eux. Jamais je n’ai nié que je m’étais instruit auprès de quelqu’un et je ne me suis jamais attribué ce que j’avais appris comme ma propre découverte. Au contraire, je loue celui qui m’a instruit comme un homme qui sait, et je publie ce que j’ai appris de lui. (Hippias mineur, p79)

- Eh mais ! Critias, tu me parles comme si je prétendais connaître les choses sur lesquelles je pose des questions et comme s’il ne tenait qu’à moi d’être de ton avis. Il n’en est rien : j’examine avec toi les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent, parce que je n’en connais pas la solution. Quand je les aurai examinés, je te dirai volontiers si je suis d’accord avec toi ou non, mais attends que j’aie terminé mon enquête. (Charmide, p288)

Non seulement l'ignorance méthodique de Socrate est bien sincère mais, dans le Charmide, Platon va lui faire réfuter l'idée d'une connaissance de soi et même qu'on puisse connaître son ignorance, allant jusqu'à suggérer que nul ne peut agir sur soi (on est loin du développement personnel), qu'il n'y a de science que d'un objet extérieur particulier et que des vertus ne peuvent s'exercer sur elles-mêmes (p292). Tout cela semble en contradiction avec le premier Alcibiade, j'essaierais de montrer que ce n'est pas le cas, par contre dans la République (dédiée à la justice), Platon défendra effectivement la position opposée de la maîtrise et le savoir du sage censé diriger cette société "idéale" si effrayante (croire savoir ce qu'est la justice mène au pire). Il faut ajouter que, dans le Charmide, Critias définit la sagesse comme "la science des autres sciences et d’elle-même en même temps" p289, ce que Socrate conteste comme étant vide car il n'y a de science que d'autre chose qu'elle-même et d'un objet particulier. Pourtant, l'épistémologie qui viendra plus tard se présente bien comme la science des sciences, prenant beaucoup d'importance à partir de Kant et devenant avec Hegel l'histoire dialectique du savoir. Kojève définira justement la spécificité de la philosophie, opposée aux discours théoriques (sciences), par le fait de rendre compte d'elle-même, de son énonciation, revendiquant bien d'être la science des sciences, savoir circulaire de l'encyclopédie.

- En ce cas, le sage seul se connaîtrait lui-même et serait seul capable de juger et de ce qu’il sait et de ce qu’il ne sait pas, et il serait de même capable d’examiner les autres et de voir ce qu’ils savent et croient savoir, le sachant réellement, et ce qu’ils croient savoir, alors qu’ils ne le savent pas, tandis qu’aucun autre ne pourrait en être capable ainsi. En fin de compte, être sage, la sagesse et la connaissance de soi-même, ce serait donc savoir ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas. p290 [ce qui va être montré contradictoire]

- Quant à la vue, à l’ouïe et aussi au mouvement qui se mouvrait lui-même, à la chaleur qui se brûlerait et à toutes les hypothèses de ce genre, elles semblent généralement insoutenables ; mais peut-être y a-t-il des gens qui croient le contraire ? Il faudrait être un homme de génie, mon ami, pour prétendre distinguer nettement, dans tous les cas, si la nature a voulu qu’aucun être n’exerçât sur lui-même sa vertu propre, mais sur un autre, ou si les uns en sont capables et les autres non, et, au cas où il y en aurait qui l’exerçassent sur eux-mêmes, s’il faut y ranger la science que nous déclarons être la sagesse. p293

- Je ne comprends pas non plus pourquoi se connaître soi-même serait la même chose que savoir ce qu’on sait et savoir ce qu’on ne sait pas.

- Le supposé sage connaît en effet ce qui est sain par la médecine, et non par la sagesse, l’harmonie par la musique, et non par la sagesse, l’art de bâtir par l’architecture, et non par la sagesse, et tout le reste de même ; n’est-ce pas vrai ? p294

- Par conséquent la sagesse et être sage ne serait pas de savoir ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas, mais, à ce qu’il paraît, seulement qu’on sait et qu’on ne sait pas. p295

— Alors que, cette science que je cherche, qui contribue le plus au bonheur, quelle est-elle?

— C’est celle du bien et du mal, répliqua-t-il.

— Malheureux ! m’écriai-je, voilà longtemps que tu me fais tourner dans un cercle, sans vouloir me dire que ce n’est pas de vivre selon la science qui fait qu’on agit bien et qu’on est heureux, ni selon toutes les sciences ensemble, mais selon celle-là seule qui a pour objet le bien et le mal. p299

- Or cette science-là, qui a pour tâche de nous être utile, n’est pas, ce semble, la sagesse ; car ce n’est pas la science des sciences et de l’ignorance, mais la science du bien et du mal, en sorte que, si c’est cette dernière qui nous est utile, la sagesse est pour nous autre chose. p300

- A la fin de toute cette discussion, nous voilà battus sur toute la ligne et nous sommes hors d’état de découvrir à quelle réalité le créateur du langage a appliqué ce mot de sagesse. Et cependant nous avons fait plusieurs concessions qui ne devaient pas trouver place dans notre argumentation. Nous avons admis que la sagesse était la science de la science, bien que la raison nous le défendît et en niât la possibilité. Et à cette science nous avons de plus accordé le pouvoir de connaître les opérations des autres sciences, bien que la raison ne le permît pas davantage, afin que notre sage pût connaître qu’il sait ce qu’il sait et qu’il ne sait pas ce qu’il ne sait pas. Cette concession, nous l’avons faite avec une libéralité sans réserve et sans considérer qu’il est impossible d’avoir la moindre connaissance d’une chose qu’on ignore absolument ; car notre concession affirme qu’on sait ce qu’on ne sait pas, ce qui, à mon avis, est la chose la plus absurde du monde. Mais, en dépit de notre complaisance, l’enquête n’est pas arrivée davantage à trouver la vérité ; au contraire, elle s’est si bien moquée de la vérité que, quoi que nous ayons admis ensemble et imaginé pour définir la sagesse, elle nous en a fait voir l’inutilité avec une ostentation insultante. p301

Il y a une autre définition de la sagesse que Socrate réfute qui voudrait l'assimiler au calme (ce qu'on appellera ensuite l'ataraxie du sage), la rapidité de réaction étant souvent plus sage que la lenteur, argumente-t-il. On peut avoir l'impression qu'il ne s'agit que de sophistique mais ce n'est pas le cas dès lors qu'il s'agit de remettre en cause la possibilité de posséder la sagesse et sa réduction à une caractéristique simple (réflexion, maîtrise de soi, détachement). Il faut donc compléter le Charmide (sur la sagesse) par le Lysis (sur l'amitié ou philia), même si Platon commence à se séparer de son maître. C'est là, en tout cas, que se justifie le nom de philo-sophe en explicitant que, s'il ne peut y avoir de savoir absolu, c'est parce qu'il n'y a pas de science du général ni de science sans désir (c'est l'intentionalité qui fait la valeur de l'information ou du savoir). Le philo-sophe est un chercheur de vérité, un désir de savoir qui ne peut aboutir à une sagesse satisfaite mais, toujours, à la conscience de l'étendue de notre ignorance (sans pouvoir savoir ce qu'on ignore). Le fait que, pour Platon cette fois, cette attirance renvoie à un premier objet d’amour, est considéré comme la première ébauche de la théorie des Idées avec la contemplation d'un bien suprême en ligne de mire. A s'en tenir à cette formulation, ce qui frappe pourtant, c'est à quel point on est proche de la psychanalyse, le premier objet d'amour étant bien sûr la mère à laquelle le Bien sera substitué par ce que Freud appelait la sublimation. Le désir de savoir se fonde pour la psychanalyse dans l'énigme du sexe de la mère et de son désir (symbolisé par le phallus). Tout cela disparaitra dans un désir de connaissance devenu épuré, sans objet (platonique). Le fond de l'argumentation, c'est le fragment d'Héraclite : "S'il n'y avait pas d'injustice, on ignorerait jusqu'au nom de la justice". S'il n'y a pas de mal, il n'y a pas de bien ni d'amitié, s'il n'y a pas d'ennemis, il n'y a pas de solidarité, s'il n'y a pas d'ignorance, il n'y a pas d'amour de la science. Du coup, pour qu'il y ait de l'amitié et du désir même en l'absence de mal, il faut qu'il y ait un désir primordial (désir du Bien ou de la mère). A tout cela il faudrait cependant ajouter, ce que semble ignorer Platon mais peut-être pas Socrate (sauf qu'il l'assimilerait à l'ignorance et un faux savoir), c'est que la cause du mal est le plus souvent le Bien : l'amour peut causer tant de malheurs et c'est au nom de Dieu, de la justice, de la loi, de la race ou des siens, voire d'un bonheur supposé parfait (bien suprême), qu'on se permet tous les crimes, comme l'ont illustré tous les totalitarismes dont la République de Platon était la préfiguration...

- N’est-ce pas à cause du mal que le bien est aimé ? p336

- Si, en effet, rien ne pouvait plus nous nuire, nous n’aurions plus besoin d’aucun secours. Nous verrions dès lors dans une entière évidence que c’est à cause du mal que nous recherchions et aimions le bien, parce qu’il est le remède du mal et que le mal est une maladie ; mais si la maladie n’existe plus, nous n’avons plus besoin de remède. p337

- Quand il n’est pas encore mauvais, malgré la présence du mal, cette présence du mal lui fait désirer le bien ; mais en le rendant mauvais, le mal lui ôte tout ensemble et le désir du bien et la possibilité de l’aimer car il n’est plus dès lors ni bon ni mauvais, il est devenu tout-à-fait mauvais.

Pour la même raison nous pourrions dire que ceux qui sont déjà savants, dieux ou hommes, n’aiment plus la science, et que ceux-là non plus ne l’aiment pas qui sont ignorants au point d’en être mauvais ; car, quand on est mauvais et ignorant, on n’aime pas la science. Restent donc ceux qui sont affligés de ce mal, l’ignorance, mais qu’il n’a pas encore rendus inintelligents et ignorants, et qui reconnaissent encore qu’ils ne savent pas ce qu’ils ne savent pas. Voilà pourquoi ceux qui aiment la science sont ceux qui ne sont encore ni bons ni mauvais. p333

- Y aurait-il donc, quand même place pour l'amitié si le mal disparaissait ?

— Oui.

— Il n’y en aurait plus, si le mal était bien la cause que l’amitié existe ; le mal une fois disparu, aucun être ne serait l’ami d’un autre ; car, la cause disparue, il serait impossible que l’effet de cette cause subsistât. p338s

- Nous arriverons à un principe qui ne nous enverra plus à un autre objet aimé, je veux dire à cet objet qui est le premier objet d’amour, en vue duquel nous disons que tous les autres sont aimés.

Je dis donc qu’il faut prendre garde que tous les autres objets, qui, comme nous l’avons dit, sont aimés en vue de celui-là, étant des sortes d’images de ce premier objet, ne nous fassent illusion, et que c’est ce premier objet qui est le véritable ami. p335

Il semble que l'Alcibiade majeur (sur la nature de l'homme) soit plus tardif que le Charmide et le Lysis, étant postérieur à la mort de Socrate mais il ne me semble pas dire autre chose malgré l'interprétation traditionnelle d'une initiation à la philosophie comme connaissance de soi et perfectionnement personnel qui sont pourtant explicitement renvoyés à l'apprentissage d'un maître (on ne peut s'améliorer soi-même si on ne se connaît pas). Après avoir introduit le désir, c'est l'Autre qui apparaît comme essentiel à la conscience de soi. Non pas le public, bien qu'il nous apprenne son langage (p116), car il ne connaît pas son ignorance et se trouve divisé sur le juste et l'injuste, mais un maître compétent (et désirant). L'aporie de l'oeil qui ne peut pas se voir se trouve résolue par le fait de se voir dans l'oeil d'un autre. La connaissance de soi qui paraissait contradictoire ne l'est plus à passer par l'Autre (où l'on retrouve la psychanalyse, le Banquet allant jusqu'à évoquer le transfert comme le souligne Lacan dans l'Ethique de la psychanalyse). Ainsi, Socrate montre à Alcibiade que se connaître soi-même, c'est d'abord se comparer à ses rivaux (p143). Encore faut-il ne pas s'imaginer savoir déjà très bien qui on est ni surestimer ses capacités, comme ce prétentieux d'Alcibiade qui se croit promis aux plus hautes destinées et gâchera tous ses atouts.

- Je crois que tu aurais cherché la connaissance du juste et de l'injuste, si tu avais cru l’ignorer. p113

- Eh bien maintenant, au sujet des hommes et des choses justes ou injustes, ceux qui composent ce public te paraissent-ils s’accorder avec eux-mêmes et les uns avec les autres ?

- Oh ! par Zeus, Socrate, pas le moins du monde.

- Et même n’est-ce pas là-dessus qu’ils te semblent le plus divisés ?

- Si, et de beaucoup.

- Je ne crois pas que tu aies jamais vu ni entendu des hommes assez violemment divisés sur ce qui est sain ou malsain pour se battre à cause de cela et se tuer les uns les autres.

- Non certes.

- Mais sur le juste et l’injuste, je sais bien, moi, que, si tu n’en as pas vu, tu en as, en tout cas, ouï parler par beaucoup d’autres et en particulier par Homère ; car tu as entendu réciter l’Odyssée et l’Iliade.

- Tu dois bien le penser, Socrate.

- Et le sujet de ces poèmes, ne sont-ce pas des dissentiments sur le juste et l’injuste ? p118-119

- Eh bien, ne comprends-tu pas que les erreurs de conduite proviennent aussi de cette ignorance qui consiste à croire qu’on sait quand on ne sait pas ? p133

- Oui, nos politiques, à l’exception d’un petit nombre, me paraissent être des ignorants. p136

- Mais alors, si nous ne nous connaissons pas nous-mêmes et si nous ne sommes pas sages, pouvons-nous connaître les choses qui nous appartiennent, mauvaises ou bonnes ? p169

- Comment pourrions-nous savoir par quel art on s’améliore soi-même, si nous ignorons ce que nous sommes nous-mêmes ?

- Enfin, est-ce une chose facile de se connaître soi-même, et celui qui a mis ce précepte au fronton du temple de Pytho était-il le premier venu ? ou bien est-ce une chose difficile et qui n’est pas à la portée de tous ? p157

- Surtout, celui qui se sert d’une chose et la chose dont il se sert ne sont-ils pas différents ? p158

- Eh bien, as-tu remarqué que le visage de celui qui regarde dans l’œil d’un autre se montre dans la partie de l’œil qui lui fait face, comme dans un miroir. C’est ce que nous appelons pupille, parce que c’est une sorte d’image de celui qui regarde dedans.

- C’est exact.

- Donc un œil qui regarde un autre œil et qui se fixe sur ce qu’il y a de meilleur en lui, ce par quoi il voit, peut ainsi se voir lui-même. p167

- Eh bien, mon cher Alcibiade, l’âme aussi, si elle veut se reconnaître, devra, n’est-ce pas ? regarder une âme et surtout cet endroit de l’âme où se trouve la vertu de l’âme, la sagesse, ou tout autre objet qui lui est semblable. p168

- Et tant qu’on n’a pas la vertu, il vaut mieux non seulement pour un enfant, mais pour un homme, obéir à un homme meilleur que soi que de commander. p174

Platon n'en restera pas à cette position socratique, on le voit dans la République où il est forcé d'admettre la division du sujet pour donner sens à une maîtrise de soi que Socrate récusait, avec une partie de l'âme qui commande et l'autre qui est esclave. Cette fois-ci, c'est le surmoi qui entre en scène et qui avait plutôt chez Socrate la forme du démon de l'inhibition qui le retient d'agir, mais on ne l'imagine certes pas défendre une politique dogmatique comme celle de l'utopie platonicienne qui lui aurait fait pousser des cris d'horreur ! Il n'est donc pas étonnant que Platon se trouve obligé de contredire ses premiers dialogues pour donner consistance à sa raison normative et ses constructions théoriques trop spéculatives voulant passer au cordeau de sa géométrie des réalités sociales vivantes et contradictoires, règne de l'hétéronomie intégrale qui renie l'autonomie individuelle, raison législatrice qui oublie la raison examinant les lois, raison devenue folle à se croire devenue sage et en prise directe avec le réel (ou l'Être). Le coût de ce revirement n'est pas négligeable puisqu'il lui faudra admettre, dans le Ménon, la théorie de la réminiscence, elle même se payant de la croyance en l'immortalité de l'âme, ce qui fait beaucoup (avant de construire dans le Timée une cosmogonie délirante à base de nombres, avec un démiurge créateur de l'ordre cosmique, ou pire de vouloir punir de mort les impies dans les Lois, bien loin de Socrate victime d'une telle condamnation!). Socrate sans doute croyait à l'immortalité de l'âme mais pas à un savoir inné. Le retour d'une sagesse sûre d'elle-même ouvre surtout la voie aux stoïciens et au retour de tous les gourous vendeurs de bonheur, "philosophes aux enchères" dénoncés par Lucien de Samosate mais que Socrate ridiculisait déjà de toute son ironie - lui dont les colères étaient mémorables. Il faut quand même souligner que Platon fait plus confiance à la politique qu'à la morale individuelle pour faire régner la justice.

- La tempérance est en quelque sorte un ordre, une maîtrise qui s'exerce sur certains plaisirs et certaines passions, comme on l'indique - d'une façon que je n'entends pas trop - l’expression commune "maître de soi-même", et quelques autres semblables qui sont, pour ainsi dire, des traces de cette vertu, n'est-ce pas ?

— Très certainement.

- Or l'expression "maître de soi-même" n’est-elle pas ridicule ? Celui qui est maître de lui-même est aussi, je suppose, esclave de lui-même, et celui qui est esclave, maître ; car en tous ces cas c’est la même personne qui est désignée.

— Sans doute.

— Mais cette expression me paraît vouloir dire qu'il y a dans l'âme humaine deux parties : l'une supérieure en qualité et l'autre inférieure ; quand la supérieure par nature commande à l'inférieure, on dit que l'homme est maître de lui-même - c'est un éloge assurément ; mais quand, par le fait d'une mauvaise éducation ou de quelque mauvaise fréquentation, la partie supérieure, qui est plus petite, se trouve dominée par la masse des éléments qui composent l'inférieure, on blâme cette domination comme honteuse, et l'on dit de l'homme dans un pareil état qu'il est esclave de lui-même et déréglé. p182-183 (traduction de Robert Baccou si différente de celle de Chambry!)

On peut accuser Platon de trahir Socrate et de boucher immédiatement le trou dans le savoir qui l'avait ébranlé au début, non pas l'émerveillement, ni même l'étonnement, mais la découverte de son ignorance et de ses fausses opinions. Que cela débouche si rapidement sur une sorte de totalitarisme est assez désespérant, sauf que ce n'est pas le dernier mot de l'histoire. Il n'y a pas grand sens à prétendre accuser celui qui a tout de même fondé la philosophie occidentale, et donc la science qui a fini par en découler bien plus tard en intégrant encore plus l'erreur humaine, les limites de notre rationalité et des déductions dogmatiques soumises à l'expérience. La question est celle de sa fécondité, de sa productivité, donnant notamment son impulsion à la philosophie d'Aristote qui a participé à l'Académie jusqu'à la mort de Platon avant de le "trahir" à son tour en répudiant le monde des idées pour celui de la vie active. C'est une dynamique étonnante qui s'est enclenchée ainsi, où chaque philosophie répond aux précédentes même s'il y a de longues périodes où la pensée se fige dans sa dogmatisation (néoplatonicienne ou scolastique). S'il faut tout le temps revenir à Socrate et sa mise en cause du savoir (comme le fera la nouvelle académie dite sceptique), c'est pour continuer l'histoire pas pour revenir en arrière ni retrouver l'origine perdue. Il n'y a pas de tradition occidentale car elle se confond avec la rupture avec les savoirs traditionnels, travail du scepticisme nécessaire à chaque fois pour se défaire d'idéologies dépassées et de conceptions de l'homme mutilantes (idéalisées) mais qui ne peut se contenter de se moquer de tout, devant reconstruire un monde sur les ruines des anciennes représentations religieuses ou morales, nécessité de l'action.

La psychanalyse, rencontrée à chaque carrefour, pourrait être une alliée précieuse pour éviter de retomber dans la normalisation et de reboucher immédiatement le trou du savoir en sublimant un bien suprême, ramené, de façon certes un peu trop prosaïque, au désir de la mère. En redonnant toute sa place au non-savoir et au désir, elle devrait permettre de refonder une philosophie sans sagesse, ni sauveur, ni homme nouveau (idéal du moi), débarrassée de l'amour du maître mais capable de regarder la réalité en face sans se faire prendre aux mots, tâche toujours à recommencer de l'apprentissage et de sortir de la bêtise, sinon de se réveiller de nos fantasmes, dangereux désir de vérité toujours aussi mal vu à prendre ses distances avec les croyances communes et les modes du moment.

 

La pagination est celle des premiers dialogues de Platon dans la collection de poche de Garnier-Flammarion (traduction Emile Chambry sauf pour la République)


 

Addendum (22/08)

L'article pourrait laisser croire que Socrate serait à l'origine de tout, événement fondateur dans son improbable singularité non reproductible et inexpliquée. Ce n'est pas du tout le cas. Socrate est bien le produit de son temps et de ses prédécesseurs, en particulier ceux qu'on appelle, pas pour rien, les présocratiques. On peut même remonter aux sept sages, définissant une sagesse politique et condamnant la corruption par la richesse et ses démesures. Sinon, tout commence vraiment, non par Athènes et ses victoires militaires mais en Ionie, sous domination des Perses que ces cités marchandes fournissaient en produits de luxe et qui les mettaient en contact avec la science babylonienne voire égyptienne, qu'ils dépouillaient simplement de leur dimension religieuse. La démocratisation de l'écriture par la notation de voyelles y est sûrement pour quelque chose.

En dehors de Pythagore ou Parménide, qui ont quitté l'Ionie pour l'Italie et sont du côté d'un rationalisme dogmatique, les Ioniens comme Hippocrate se distinguaient, en effet, par leur matérialisme, leur empirisme et leur méfiance des mythes donnant une grande importance à la technique. Ainsi, pour Anaxagore, l'homme est le plus intelligent des animaux parce qu'il a des mains, la main étant l'outil par excellence et le modèle de tous les outils. Thalès faisait certes de Dieu le créateur du cosmos et disait que tout était plein de dieux mais aussi que "ce n’est pas Dieu qui fait pleuvoir", les différentes cosmogonies des présocratiques étant des tentatives d'explication matérialiste du monde sans intervention divine ni représentations mythiques. On pourrait dire que c'est là que la science est née sauf qu'on a affaire à de pures constructions logiques, des hypothèses plus ou moins arbitraires qui se juxtaposent sans pouvoir trancher entre elles. Même si Parménide contredit Héraclite, affirmation de la permanence dans l'être malgré le mouvement, et bien qu'Aristote en fasse le fondateur de la dialectique, il n'y a pas de véritable débat entre positions sectaires.

Bien que Socrate ne se soit jamais occupé de physique, il prend constamment en exemple le savoir technique (de la médecine à l'artisan ou au marin). On peut dire que c'est la méthode socratique qui permettra l'examen rationnel et la confrontation des différentes hypothèses dans de véritables débats scientifiques, en soumettant chaque terme à la contradiction, usage de la rationalité qui n'est pas dogmatique ni cosmologique, ne fait pas système sans s'abandonner à l'imagination et l'arbitraire. Pour Aristote "Ce que l'on a raison d'attribuer à Socrate, c'est à la fois les raisonnements inductifs et les définitions universelles qui sont, les uns et les autres, au début de la science. Mais pour Socrate les universaux et les définitions ne sont pas des êtres séparés" comme les idées de Platon (Métaphysique M4 1078 b17). Ce que Hegel appellera le travail du scepticisme est bien un moment fondateur, mais, lui-même préparé par les sophistes dont Socrate est un pur produit bien qu'il leur oppose la recherche sincère de la vérité. Il n'y a là rien qui ne soit le résultat d'une évolution précédente et qu'on peut considérer comme inéluctable, Socrate n'étant qu'un opérateur contingent dans l'histoire, utilisé comme tel par Platon de façon de plus en plus formelle, où sa personnalité n'a pas plus d'importance que celle de Newton ou Einstein dans un développement nécessaire.

A partir de ce moment critique, l'effort de la philosophie sera dès Platon une tentative de revenir au système, de retrouver une cohérence globale, un sens de la vie lié au sens de l'univers, mais en se confrontant à cet acte initial de déconstruction et de remise en cause de nos certitudes immédiates. En fait, ce qui frappe, au début avec les présocratiques et les sophistes, ensuite avec les philosophies du bonheur, c'est le bouillonnement, la multiplication des diverses philosophies, des conceptions du monde supposées rationnelles qui se font jour, ne faisant plus appel à une autorité mais se sentant encouragées à inventer de nouvelles argumentations, détachées de la tradition et de la religion héritée même quand ce sont des philosophies qui se veulent très religieuses. Les différentes philosophies se construiront ainsi sur les faiblesses des philosophies précédentes avant que Hegel ne montre leur succession nécessaire jusqu'à la conscience de soi comme sujet de ces constructions, retrouvant la conscience de notre ignorance dont Socrate était parti. En tout cas, cette grille de lecture, partant de la mise en cause du savoir pour reconstruire une cohérence globale permet d'éclairer la lecture des dialogues de Platon qui sinon peuvent sembler un peu trop décousus et laisser assez perplexe.

Suite : Amour et vérité (le Phèdre de Platon) ->

Article intégré à une petite histoire de la philosophie. Voir aussi Les origines du miracle grec.

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25 réflexions au sujet de “Désir et critique de la sagesse chez Socrate”

  1. Sinon, de manière très prosaïque, le débat entre Socrate et Platon se retrouve dans des sujets techniques des plus basiques.

    Il s'agit d'une confrontation d'approche entre les cognitifs et les imaginatifs. Les imaginatifs conçoivent des usines à gaz mégalos souvent inutiles et baroques, les cognitifs peuvent le faire et le font, mais in fine ils laissent le réel se dévoiler dans des tests observatoires plus basiques et humbles de la réalité pour initier une approche de découverte discursive, jamais pré-établie, toujours remise en cause en réaction d'ajustement. Toujours en quête de détruire, dans la nécessité qui s'impose des faits, la dernière mise à jour.

  2. Il y a une réelle pertinence, que reconnaît Olaf, à faire retour sur la période d’où parlèrent Socrate et Platon, car il y a une certaine analogie historique avec la phase que nous vivons: En période de récession d’une civilisation des cités ils avaient le sentiment d’être dans une phase de changement des valeurs de civilisation, avec nécessité ressentie de rechercher de quoi la civilisation antérieure avait été l’expression. De même on peut critiquer aujourd’hui une civilisation fondée sur les nations Mais lorsque Olaf trouve opportun pour envisager notre futur de donner un lien vers un site anarcho-mondialiste, je trouve que c’est mal venu, car ce site ne révèle aucun souci pour la démarche de la philosophie traditionnelle née en Grèce :amitié ( philia et non pas Eros) pour la sagesse et la tempérance! Qu’en pense Jean Zin ?

    • J'ai mis en lien ce texte de Y Coleman, peu importe l'étiquette qu'on lui colle, parce que c'est une présentation toute autre de l'histoire de la gauche française et de l'histoire française qui met aussi un peu facilement en avant la révolution sociale qu'aurait été le CNR qui n'a fait qu'entériner des évolutions en cours bien antérieurement.

      Lire aussi :

      http://www.eric-verhaeghe.fr/les-racines-vichystes-de-la-securite-sociale/

      Je ne pense pas que la philosophie et la science soient en premier abord si amicales, bien au contraire. Socrate ou Giordano Bruno ont beaucoup dérangé au point que ça leur a apporté de sérieux ennuis.

      Socrate était d'abord fichtrement pénible et désagréable en démontrant la puissance de notre ignorance.

      • Bien que dans un contexte de parti pris plein de mépris, merci d'avoir mis en lien cet entretien avec Mélenchon, dont j'approuve la philosophie par exemple lorsqu'il dit que " chacun de nous est mis devant la responsabilité d'être libre dans le choix de son action quotidienne". J'ai vécu enfant cette époque de guerre ou chacun des adultes que je côtoyais était plus ou moins dans la situation d'un aiguilleur du PLM ( dit Mélenchon) qui sachant que le train de l'ennemi qu'il doit aiguiller va sauter, sait aussi que d'autres savent qu'il le sait.

        • Je ne vois pas bien où il y a du mépris à recontextualiser l'histoire. Le mépris se trouve bien plus dans le déni des précisions historiques en se croyant le gardien des idées établies.

          " chacun de nous est mis devant la responsabilité d'être libre dans le choix de son action quotidienne"

          Quel charabia de catéchisme, ce pauvre Méluche est vraiment peu inspiré pour nous baver de telles prières insipides dignes d'un prêtre de la république nationale. Ce mec prend vraiment les gens pour des cons;

          • Nous devrions en effet nous comporter en citoyens responsables de notre liberté de choix quotidiens.Ce serait bon bel et bien. Par exemple je me pose désormais la question de l'utilité de satisfaire mon désir de me rendre à une exposition d'art à l'étranger ( image entretenue auparavant de ma sage soif de culture toute personnelle?) En libérant quel poids de CO2 pour m'y rendre? Suis-je en train de basculer dans l'écoute d'un " charabia de catéchisme" genre éco-bobo ou autre écosocialisme à la Méluche?

        • Je n'ai pas vécu la guerre, mais j'ai pu amplement en discuter avec ceux de ma famille, dont une tante communiste expédiée très jeune en camp de concentration et presque miraculeusement survivante grâce à ses dons de pianiste, et des militaires de l'époque dont le Général de Witasse ou bien un membre d'équipage traumatisé à vie lors d'une bataille maritime, à 70 ans il revivait encore presque chaque nuit ses batailles et la vue de ses amis morts brulés dans le fioul des bateaux coulés.

          Un de mes oncles tabassé aussi par des salopards communistes improvisés héros de la libération, il en a gardé des séquelles physiques tout le restant de sa vie.

          Rien de tous ces témoignages ne forme un ensemble idéologique. Ce ne sont que des nébuleuses effrayantes, comme un tableau de Munch, de vies esquintées, de talents écrabouillés d'un coup de talon, parfois héroïques, souvent misérables, et pour partie fracassées pour les décennies qui leur restait à vivre.

  3. Recontextualiser l'histoire est essentiel, mais précisément pour en retrouver le sens en la sortant du contexte des jugements a priori de ceux qui la vécurent comme ils purent, et qui nous ont transmis les embrouilles contextuelles traumatisantes qu'ils vécurent. Ainsi, comme actuellement le contexte est, pour l'oligarchie au pouvoir, de tout faire pour casser la sécurité sociale, et les acquis sociaux, je doute a priori moi aussi de tout ce qui ressemble à une condamnation a priori du Conseil National de la Résistance. Certes, le CNR a créé des règles nouvelles dans le contexte d'un monde des nations qui n'est pas un paradis mais que je ne diabolise pas , et j'essaie de ne pas préjuger de ce qui remplacera dans le futur cette réalité historique de mondes plus ou moins justifiés de se revendiquer différents selon des frontières plus ou moins bien en correspondance avec des horizons géographiques et culturels effectivement ( et heureusement!) diversifiés.

  4. Ce ne sont pas les oligarchies au pouvoir partout qui veulent casser la sécurité sociale mais ce sont les nouvelles forces productives et une mondialisation contre laquelle une nation qui a été un empire colonial et se trouve en déclin relatif prononcé ne peut assurer aucune protection.

    L'oubli de la colonisation et des massacres qu'elle a commis est un des plus gros refoulements qui supportent l'histoire sainte républicaine. Le CNR ne remet absolument pas en cause cette domination (après les massacres de Sétif pourtant) et ne s'applique pas aux populations soumises, ce qui en montre toutes les limites. D'autre part, ce ne sont pas tant les mesures prises au départ qui sont déterminantes que celles qui sont restées car elles démontraient leur productivité sociale, profitant largement au développement économique des 30 glorieuse (fordisme, société de consommation). Cela n'empêche pas que ce programme qui n'était pas le programme uniquement des communistes mais aussi celui d'une droite sociale, avait bien un côté révolutionnaire, mais qui n'a pas tenu la distance justement.

    On peut vouloir préserver pieusement l'ancienne vision progressiste de l'histoire, qui ne manquait ni de séductions ni de panache, mais c'est ce que les transformations actuelles nous obligent à laisser tomber, ce qui certes n'est pas facile, au profit d'une dialectique dont nous sommes moins le centre, non pas celle d'un homme glorieux mais de déterminations extérieures, en particulier l'évolution technologique à laquelle il faut adapter nos institutions et protections sociales. Il est certain que Mélenchon n'est pas à la page et plait pour cela aux vieux nostalgiques d'une époque pourtant plus dure que la nôtre. Voilà quelqu'un qui sait, inébranlable dans ses convictions et qui n'incite pas au doute à nous raconter de belles histoires auxquelles on voudrait croire.

    J'avais déjà lu le texte de Coleman qui va dans le même sens que ma dénonciation du national-capitalisme mais si les faits rapportés sont intéressants, il y a un peu trop d'amalgames qui mettent tout le monde et n'importe qui au même niveau (sur Debord, il se plante bien). Encore un qui n'engage pas vraiment à la réflexion. Il est néanmoins pertinent de souligner que cette tendance n'est pas nouvelle et qu'elle est dangereuse, y compris ce nationalisme de la révolution française qui s'accapare l'universalisme républicain.

    Si on veut nous comparer à l'Athènes qui a condamné Socrate à mort, il faut rappeler que c'était une Athènes vaincue par Sparte qui avait imposé l'oligarchie des trente tyrans, tout juste renversée et redevenue démocratie avant de perdre sa souveraineté définitivement par les conquêtes d'Alexandre. On peut vaguement comparer peut-être à la révolution nationale du maréchal Pétain, espoir d'une régénération d'un peuple dégénéré par la défaite et qui prétend retrouver la grandeur d'antan. Les véritables peuples conquérants ne regardent pas en arrière, exploitant au contraire les dernières innovations avant d'y soumettre les autres.

    La question de la position de Socrate par rapport à la tempérance est difficile à déterminer car on a là-dessus des témoignages contradictoires, notamment entre le premier Platon et déjà la République. Dans le Lysis, en tout cas, la tempérance est critiquée comme n'étant pas toujours la meilleure attitude et la maîtrise de soi comme dépourvue de sens car on ne peut avoir de pouvoir sur soi. Platon dira le contraire ensuite mais je suis plutôt, pour ma part, du côté du Lysis. Quant à la sagesse, tout le monde sait que la caractéristique de Socrate est de la critiquer, son désir de sagesse venant du constat de son absence. Le thème du Lysis est bien la philia, mais ce que j'ai voulu rendre sensible dans cet article, c'est la dimension de désir et d'insuffisance de cette philia qu'on traduit mal par amitié. Certes, ce n'est pas l'éros (comme dans le Banquet), mais c'est quand même le manque, c'est la prise de conscience de notre ignorance qui nous fait chercher la vérité et interroger les beaux discours qu'on nous fait et qui tiennent bien rarement leurs promesses.

  5. "Ce ne sont pas les oligarchies au pouvoir partout qui veulent casser la sécurité sociale mais les nouvelles forces productives et une mondialisation contre laquelle une nation qui a été un empire colonial et se trouve en déclin relatif prononcé ne peut assurer aucune protection"

    Comme si les nouvelles forces productives n’étaient pas encore plus qu’avant soumises aux pouvoirs de nocives oligarchies ? Qui orientent à leur profit ( et au détriment du vivant dans son ensemble) l’usage de ces forces nouvelles? Alors qu'elle devraient être orientées vers d’autres fin, pour la recherche du bien commun des espèces vivantes ? Et comme si la mondialisation des échanges marchands était sensée mettre fin , par enchantement, au colonialisme ? Dès l’instant que l’impérialisme, changeant de forme, ne tiendrait plus aucun compte des anciennes réalités antérieurement définies d’après des frontières nationales ?
    Que dirait Socrate de votre argumentaire ? Est-ce bien la gauche radicale qui tient actuellement le rôle du sophisme ?

  6. Citation 1 [http://anicetlepors.blog.lemonde.fr/2015/07/02/letat-demantelement-ou-reforme-] « …La nation est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et du général. L’État nation est dès lors l’opérateur de la dialectique entre citoyenneté et avènement du genre humain comme sujet de droit. D’où la nécessité de son renforcement, ce qui est en même temps une chance pour notre pays qui est en mesure d’apporter des contributions constructives à ce mouvement d’humanisation. Je pense aux conceptions relatives au service public, au droit du sol, à la France terre d’asile et pays des droits de l’homme, à sa culture juridique et institutionnelle et, bien sûr, à la laïcité. Au lieu de cela j’ai le sentiment d’une « banalisation » de la France... Alors « démantèlement ou réforme ? ». Je dirai, pour ma part, qu’il résulte de ce qui précède que le démantèlement est déjà très avancé et qu’il faudra bien plus qu’une réforme, une transformation qualitative d’un haut niveau, pour que la « main visible » en impose à la « main invisible ». Citation 2 [http://jeanzin.fr/2014/07/10/la-fin-de-la-politique/] [2] « Dans une économie plurielle, combinant services publics, économie marchande, associations, économies familiales et locales, l'impact des mesures gouvernementales est relativement limité - bien que restant essentiel mais plutôt de l'ordre de la régulation que de la planification ou de projets d'avenir trop incertains. Tout ce qu'on peut espérer, c'est de jouer l'Etat contre le marché et le marché contre l'Etat pour corriger leurs tares respectives. Ce jeu des contre-pouvoirs, prôné déjà par Montesquieu, est bien plus proche de l'équilibre de systèmes opposants qu'on trouve dans les organismes vivants que d'un triomphe de la raison législatrice. Nous ne sommes pas encore cependant à la hauteur de la complexité vivante dans nos représentations du politique, c'est le moins qu'on puisse dire ». Dans le billet que je donne en lien vous admettiez comme souhaitable le débat et les recherches de compromis entre point de vue divergents. Vous reprochiez déjà au C.N.R. de n’avoir pas dès 1945 porté condamnation du colonialisme français. Sans saisir que cette proposition de réformes sociales entre forces résistantes de gauche et de droite était incapable alors d’établir un accord sur cette question, posée très minoritairement par la seule gauche la plus radicale (amis de Robespierre, prédiqué officiellement comme terroriste!) dès la Révolution Française il y a deux siècles.

    • C'est curieux cette espèce d'emballement d'abord contre la constatation que les oligarchies partout présentes (même en Chine) défendent les mêmes politiques, non qu'elles auraient toutes les mêmes intérêts, alors qu'elles sont en concurrence, mais parce que l'évolution historique l'exige, aussi bien géopolitique que technologique (et pour les protections sociales parce que l'ancienne boucle de rétroaction positive du fordisme ne marche plus, tourne dans le vide, dès lors qu'on n'est plus dans une économie nationale relativement fermée).

      Ensuite, c'est la sainte nation qui est défendue sous prétexte que j'ai constaté qu'elle n'offrait plus les mêmes protections qu'avant (comme le peuple de Rome profitait de largesses permises par les colonies romaines). Je cite toujours Elias tant sa remarque me semble importante et méconnue qu'on forme son stoytelling en choisissant le meilleur de son camp et le pire de l'autre camp. Donc, évidemment, si on considère le colonialisme et surtout sa violence comme un détail, on peut le retirer de l'histoire d'une république glorieuse. On ne peut nier que la nation a été la réalité politique essentielle au XIXème et au XXème siècles, même si la plupart des régionaux avaient leur propre identité. On ne peut pas plus nier qu'elles s'effacent, pour des raisons matérielles. Il ne sert à rien de monter sur ses grands chevaux quand on a affaire à des forces matérielles et des évolutions massives qui nous dépassent. Les philosophes grecs avaient beau défendre comme seul niveau politique pertinent celui de la cité, cela n'a pas empêché l'empire de réduire leur autonomie à néant (ce qui n'empêche que ni la cité, ni la nation ne disparaissent physiquement).

      Ce que je montre depuis un certain temps, c'est que la détermination est bien extérieure et bien moins subjective qu'on le croit. Il y a une transcendance du monde, un réel qui ne dépend pas de nous et avec lequel il faut composer. Cela n'implique absolument pas de se laisser-faire mais d'adapter sa stratégie au lieu de se battre contre des moulins à vent. Ainsi, la nostalgie de la Nation n'est rien d'autre qu'un nationalisme ne présageant rien de bon (sauf à s'y voir comme majoritaire contre toute évidence et ne tombant pas dans une nouvelle oligarchie). Nous on est balaise car on est capable d'avoir un nationalisme révolutionnaire faisant de la Grande Nation l'héritière de la Grande Révolution qui apporte ses lumières à l'humanité. Face à cela, on trouvera qu'il y a juste eu une série d'accidents (de Napoléon au colonialisme et à Pétain), tout comme on minimisera les tendances xénophobes de tout nationalisme. Il apparaît forcément légitime aux nationaux de ne pas être envahis de migrants et vouloir figer leur mode de vie mais ce n'est pas possible étant donnée la situation démographique et inégalitaire. Nous ne sommes pas sur une île. L'histoire continue à nous emporter plus que nous ne la dirigeons et vouloir y faire barrage ne fait le plus souvent qu'empirer les choses.

      C'est pour cela que j'appelle au recentrage sur le local où beaucoup reste possible mais ce n'est pas moi qui appelle au démantèlement de l'Etat qui n'est en rien ce que je souhaite mais ce qui arrive. Il est souhaitable qu'un Etat fort puisse s'opposer à l'argent fort, mais il ne suffit pas de vouloir être fort pour l'être, exposant plutôt aux dérives autoritaires. De même s'accrocher à la société salariale c'est aller de défaites en défaites alors qu'il faudrait refonder les protections sociales en fonction des nouvelles forces productives. Bien sûr, si on ne reconnaît pas ce qui ne dépend pas de nous, on peut toujours faire des plans sur la comète et se fâcher que les autres n'arrivent pas à y croire. Il me semble plus utile de concentrer ses forces sur les adaptations nécessaires à notre futur plutôt qu'au retour à un passé mythifié.

      On a là cependant, encore une fois l'illustration que l'opinion est trompeuse et les politiciens aussi ignorants qu'ambitieux, que la difficulté de la politique, c'est qu'on ne s'accorde pas sur le juste et l'injuste, qu'on ne peut s'appuyer sur une intelligence collective qui brille par son absence, la seule chose déterminante étant la confrontation aux autres, meilleurs ou plus puissants que nous.

  7. Sur le fond des reproches que vous adressez à cette gauche radicale, dispersée, dont je me réclame, je suis pour l’essentiel d’accord. Elle ne me met pas non plus à l’aise. Mais je la soutiens. Je vous reproche par contre de lui jeter l’anathème, comme si nous méritions seuls d’être traités de vieux nostalgiques du monde ancien et de notre sainte Nation ( Front de gauche et FN même combat d’arrière garde, ou bien luttant encore contre des moulins à vent). Votre discours philosophique éclairant ne prends pas en compte, dès que vous parlez concrètement de choix politiques à faire, toute cette épigénétique culturelle subie par chaque individu , qui pendant toute la phase de sa néoténie est innocent, ni progressiste ni conservateur, mais façonné par un héritage de représentations anciennes qui déterminent ou influencent ses futurs comportements. La droite tient comme essentiel cet héritage de son monde, mais , à gauche, nous savons que les identifiants de ce monde ne seront plus les nôtres.
    La faille que je ressens dans votre propre mode de représentations tel que vous l’avez construit, ce n’est évidemment pas d’être minoritaire. Les gauches radicales le sont aussi ! Comment dire en peu de mots ce manque ressenti dans votre propos?
    D'abord vous considérez l'économie mondialisée comme un absolu qui s'impose totalement en fonction des techniques de production, quoi qu'on tente, quels que soient les idéaux déclarés on ne peux que s'adapter? Comme si nous n'en étions pas, les humains, responsables?
    Ensuite , par exemple vous écrivez ci-dessus : « Il y a une transcendance du monde, un réel qui ne dépend pas de nous et avec lequel il faut composer » Voilà une phrase qui exprime du sens , mais très différent selon le lecteur : En conformité avec un sens "religieux", selon une position idéaliste et dualiste. Mais selon la position que je vous prête, pour vous lire souvent , je sais que vous n’attribuez plus à l’homme comme créature supérieure (divine ou autre) une puissance absolue et paternaliste sur le reste de la création ( ou de la biosphère) : Face au réel, vous demandez que nous reconnaissions enfin que notre rationalité est limitée, dans un espace de survie qui nous presse de reconnaître ses limites. Quant à ma propre interprétation, l’ambigüité de la phrase ne m’interdit pas de donner pour sens : Oui, il y a transcendance possible de la réalité ( =le réel en tant que systèmes de représentations qu’on s’en fait, de plus en plus précises, complexes, avec des limites, pas faciles à définir). Et chacun est responsable de sa propre liberté, responsabilité et liberté collectives, car nous n’existons (comme tout animé vivant) que comme moment d’une histoire évolutive collective, celle de l’ensemble du vivant, selon les conditions du réel avec lesquels nous devons composer. En corrigeant le effets de nos technologies sur l'environnement, et les inégalités qu'elles produisent. Dans ces conditions la nation, avec pratique de l’internationalité, m’apparait , et ça ne mérite pas d’être traité de
    tel un facho de «vieux nostalgique », comme le moment le plus propice pour appréhender les rapports entre intérêts particuliers ( interpersonnels et locaux) et l’intérêt commun. Commun comme nous le constatons actuellement aux différentes espèces vivantes et à une diversité des biotopes. Il ne s’agit pas de nostalgie pieuse envers Sainte Nation ! Je ne boirai pas cette cigüe!

    • Initialement, c'est la guerre qui permettait de fédérer autour de l'idée de nation. D'où la Grande Nation issue des combats révolutionnaires comme Valmy, qui part réaction a produit l'unité du Reich des régions allemandes pour se protéger de la France.

      Ensuite, la défaite de 1939 a été la grande désillusion, la nation avait failli et avait eu du mal en 1914. La libération de 1945 dont ont pu s'auréoler de Gaulle et le CNR, habile communicant, a redonné du lustre à la nation française.

      Sauf que cette présentation des choses met un peu de côté que ce sont surtout d'autres pays plus ou moins alliés de circonstance, pas toujours si amicaux, qui ont affaibli puis détruit le 3 ème Reich. La part contributive quantitative de la France pour abattre le nazisme reste très faible au regard de celles de l'URSS et des USA.

      En 14-18, sans les USA et autres alliés du moment, malgré les coûts francais, il n'est pas certain que la France n'aurait pas été vaincue.

      Et contre Napoléon, c'est une alliance de pays qui l'a fait tomber.

      Donc déjà autrefois, la Nation militaire, fédérateur prioritaire fondateur, libre de voler de ses propres ailes en prend un sacré coup vu les défaites et la nécessité d'alliances.

      Ensuite, ayant compris qu'avec leurs armées nationales ça ne faisait pas le poids, des pays ont créé l'OTAN.

      Les autres instances européennes découlent de la même logique sur le plan économique, voire diplomatique, les nations ne font pas ou plus le poids dans un système devenu mondial.

    • Il y a un nationalisme américain très vivace et entretenu par leurs guerres, mais c'est un nationalisme impérial. Avant, les nations étaient les différents Etats (si le général Lee n'a pas voulu servir Lincoln c'est par fidélité à sa nation, la Virginie). La notion de nation ou plutôt son étendue change en fonction des évolutions historiques. Notre Nation pourrait être l'Europe même si on en est loin (il nous faudrait une bonne guerre contre la Russie). Notre nation peut être notre cité. Par contre exalter une nation morte qui n'est plus aux dimensions du monde et a perdu ses colonies, c'est effectivement engendrer des monstres. Le nationalisme de Mélenchon est dangereux parce que ce n'est pas sa version pro-immigrés qui peut gagner, il ne peut donc que donner de la force au discours xénophobe inverse. Mélenchon n'est pas la même chose que Marine Le Pen car le premier n'est que l'idiot utile de l'autre qui n'a plus qu'à en reprendre les arguments sans renoncer au rejet de l'autre. Voilà où mène la nostalgie d'un passé dépassé comme simple négation de la réalité. Se projeter dans l'avenir écologique et numérique serait tout autre chose mais l'inertie sociale retarde très longtemps les prises de consciences. Si la nation pouvait se transformer en gestion du commun, qui pourrait être contre, c'est même peut-être bien ce qu'elle va devenir en perdant sa dimension politique justement. De toutes façons, la gestion du commun se fait à tous les niveaux, du local au global, la nation restant un niveau essentiel qu'il ne faut pas négliger mais sans pouvoir ignorer que son autonomie est très réduite, qu'elle a perdu une bonne part de sa souveraineté, même la Chine et les USA qui sont dépendants de traités et d'institutions internationales. Vouloir ériger la Nation en entité indépassable reste purement mythique. La Russie tente de faire renaître une nation après l'effondrement de son empire, on voit où ça mène et sans issue qu'un retour final au bercail. On peut dire qu'on existe contre son temps mais ce n'est pas sans faire avec, ce que la gauche étatiste attend de l'Etat n'est tout simplement plus d'actualité.

      D'abord vous considérez l'économie mondialisée comme un absolu qui s'impose totalement en fonction des techniques de production, quoi qu'on tente, quels que soient les idéaux déclarés on ne peux que s'adapter? Comme si nous n'en étions pas, les humains, responsables?

      Donc, non, je ne crois plus que nous puissions être responsables de l'histoire, de la situation du monde dans lequel nous sommes nés, ni du moment de l'évolution des techniques que nous vivons sans l'avoir voulu. Si on désigne par "économie mondialisée" la production matérielle, je pense effectivement que c'est un donné avec lequel il faut compter et qu'on ne peut pas refuser, seulement retarder l'adaptation aux évolutions techniques. Les idéaux, là-dedans, mènent plutôt au pire tant cela nous justifie à nos yeux. La politique a toujours eu des idéaux à la bouche pour couvrir la cuisine politicienne. Une politique du possible au service des plus pauvres n'a pas besoin de se pousser du col avec de grandes phrases.

      C'est bien sûr insupportable qu'on ne puisse être "responsable de sa propre liberté", on ne peut que le constater au niveau de notre supposée liberté collective. C'est une nécessité de rendre notre interlocuteur responsable de ce qu'il dit et fait, mais l'avocat saura bien montrer à quel point sa responsabilité était limitée. Se vouloir responsable de soi, c'est la même contradiction que la maîtrise de soi alors qu'on prétend à une action du même sur le même. Il faudrait tout autant une maîtrise de la maîtrise, dans une régression à l'infini, alors que nous sommes ce que nous sommes, psychorigides ou emportés. Moi, je sais que j'ai suivi les modes du moment même si c'étaient celles de la contre-culture, j'ai toujours fait ce qui me semblait nécessaire mais qui souvent ne servait à rien, sans doute responsable du monde en perdition dont on dit qu'il est celui de la génération 68, mais surtout son produit - et dont je découvre effaré à quel point j'en ai été le produit.

      Il n'y a rien à renier de nos indignations et aspirations à la justice. Je suis de la gauche radicale, la plus radicale possible même si cela ne va pas loin car nos moyens sont effectivement très limités, mais je ne suis pas de la gauche imaginaire, utopiste, nationaliste, totalitaire. Je sais bien que mes modestes propositions n'ont rien d'aussi exaltant mais les gauches radicales actuelles vont dans le mur et sont plutôt ridicules, c'est absolument dramatique mais ce n'est pas de ma faute, puisse l'expérience grecque amener à des stratégies plus réalistes ne surestimant pas l'unité du peuple et le pouvoir national pour redonner aux citoyens le pouvoir sur leur milieu et notamment sur l'économie locale.

      • Le problème pour le Parti de Gauche, dont je me sens assez proche (le moins critiquable des partis offrant des projets d’options différentes, avec son programme écosocialiste) ce n’est pas de se placer dans le tradition des états nations : Tout dépend des institutions qu’on adopte ( et dans une économie plurielle). Mais il est forcément phagocyté par la domination des partis traditionnels de gauche ( PS et PCF). C’est là qu’est l’utopie stérile, faire alliance avec des élus de partis qui font profession de représenter le peuple !
        Quant à ce que je critique dans votre positionnement c’est votre parti pris selon lequel la technologie, informatisée, toute puissante, ne laisse aucune alternative à la mondialisation néolibérale telle qu’elle s’est imposée à « l’ère de l’information ». Il s’en suivrait une table rase inévitable sur toutes les tentatives d’orienter la politique vers des choix raisonnés entre intérêts de classes contradictoires. Aucun avenir politique sur argumentaire raisonné ? Il n’y a de réels que pour les nombres, dans le calcul du profit immédiat ? Certes les progrès sociaux n’ont été obtenus que par l’exploitation éhontée des richesses naturelles dont l’inventaire continue d’être fait sans aucun scrupule. Mais les sciences et les technologies n’en sont pas en soi responsables, seulement l’intempérance humaine, une éthique négative de prédateurs inconscients…

        • C'est un peu fort de prétendre que je ne défends pas d'alternative sous prétexte qu'elle est locale et non pas nationale. Il faut certes essayer d'orienter les politiques vers des choix raisonnés et mettre une limite à la démesure des riches. Ce n'est pas parce qu'on n'épouse pas le catéchisme souverainiste qu'on serait un chantre du néolibéralisme mais il faut reconnaître la puissance de ses ennemis (et que le néolibéralisme a sorti l'économie des années 1980 de la stagflation, ce n'est pas juste une idéologie réactionnaire).

          Il ne s'agit pas du tout de l'intempérance humaine mais de contraintes systémiques (plus value) et de puissance matérielle contre laquelle il faut mobiliser d'autres puissances matérielles dont les mobilisations sociales mais qui ne sont pas déterminantes face aux équilibres financiers, d'où l'échec du mouvement contre les retraites, battant pourtant des records, tout comme pour la mobilisation des Grecs. On peut toujours nier tout cela pour continuer à rêver en vain au lieu de se recentrer sur les enjeux de l'avenir. La question est bien cognitive, Socrate avait raison, le mal vient de ce qu'on croit savoir et nous trompe plus que de nos bonnes intentions.

        • "Mais les sciences et les technologies n’en sont pas en soi responsables"

          Si, elles en sont responsables interpersonnelles, tout comme elles sont responsables, ou cause plutôt, de certaines améliorations. Les technologies sont responsables en soi de leurs mauvais effets du fait de leur incertitude statistique, rationalité limitée aux incertitudes calibrées.

          Tout comme tout acteur social et économique, c'est en faisant des sottises qu'il acquiert le sens de sa responsabilité involontaire .

          Sa seule volonté imaginaire réside dans son déni réactif d'avoir été acteur à l'insu de son plein gré, en tant que cause matérielle et mesurable objectivable, des nocivités auxquelles il a participé.

          • Cette question est essentielle de savoir jusqu’à quel point la haute technologie actuelle et les techniques de mathématisation peuvent être déclarées « responsables » de leurs effets, tantôt fabuleux tantôt diaboliques. Du temps de Socrate nul forgeron n’aurait dit, sinon par ironie, que s’il s’est tapé sur les doigts c’est la faute du marteau, et il n’était pas encore en mesure d’affirmer, tel un économiste libéral sortant des Grandes Ecoles, que c’était là l’effet d’une incertitude statistique. Toutefois il existait déjà dans l’Antiquité des sectaires demandant de rejeter les technologies du fer par respect de principes divins prétendus révélés..
            Sur ces questions j’en reste à André Leroi-Gourhan : L’outil prolonge la main, c’est une extension du corps. Et, en retour elle en prolonge les données physiques, en multiplie les pouvoirs d’action. Dans la même logique, mais avec changement d’échelle, l’ordinateur et l’intelligence artificielle (entre autres technologies) prolongent l’intelligence et en retour en modifient les modes de fonctionnement. Mais pour autant la dimension éthique, au principe de l’activité humaine ( elle n’est pas au principe de l’activité des prothèses ajoutées dans un cyberorganisme !) n’est en rien escamotable. Un commentaire note à juste titre que
            « [Nous nous référons dans notre culture moderne] à un individu psychologique, ce qui n’était pas le cas dans le monde grec (J.P.Vernant ), où la personne n'est pas perçue comme un individu se pensant comme une entité autonome, mais comme intrinsèquement faisant partie d'un tout. Autrement dit le « connais toi toi-même » se réfère à l'univers et aux dieux. "Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les dieux".
            D'emblée il est question de rejoindre l'universel à travers le particulier. »
            Qu’on puisse rejoindre l’universel par la connaissance du particulier reste la base de la culture classique transmise jusqu’à nous (au moins dans l'opinion commune) à quoi on surajoute bout à bout des sciences appliquées nouvelles (1) ayant pour finalité de réintégrer les dommages d’un principe inapplicable dés lors qu’on a constaté par ailleurs que notre monde ( le donné environnemental global) n’est ni infini, ni immuable, mais en évolution. Du fait par exemple de la division nécessaire du travail, de ses formes d’organisations plus ou moins collectives d’activité , notre mondanité occidentale moderne-classique ne correspond plus à cette conception hellénisante pourtant transmise jusqu’à aujourd’hui .
            Jusqu’au constat actuel du changement climatique global, sous l’effet de l’industrie humaine, la différence d’échelle dans la mesure des rythmes naturels du temps universel , avec ceux de l’histoire des cultures humaines n’était pas sensible au niveau de la personne individuelle: les durées de vie de la l'individu, de l'oikos familial,de la tribu, de la cité, de la nation, de telle civilisation, n’avaient pour objet transcendant ( l’en face du Monde , en alld die Gegenstandwelt) que l’Eternité, le monde divin.
            Face à cette nouvelle réalité manifestée, ou représentation neuve, du réel (2) (transcendant concept à redéfinir) la question de l’éthique du maître d’œuvre des travaux se pose avec beaucoup plus de pertinence que pour la pensée moderne-classique. On ne saurait - d'autant plus -faire confiance à l'artifice de la technique, ni la tenir pour responsable des découvertes superbes réalisées, ni des monstres que sait produire aussi la raison humaine . Urgente est la nécessité de parvenir à élaborer une intelligence collective, au moins pour s’entendre sur la teneur de nouveaux paradigmes , à l’échelle du pouvoir de nuire que nous avons atteint.

            (1) La psychanalyse par exemple : constat que l’individu n’entre pas dans cette idéalité d'une personne universelle , et bien d’autres constats d’incompatibilités avec l’humanisme classique encore enseigné, auquel on ajoute sans cesse des amendements , destinés à faire entrer les individus particuliers qui n’y correspondent pas dans le cadre d’un « paradigme » de l’Universel ( quand on ne les interne plus de force)!
            (2)Je ne sais plus qui a su dire que "le réel c’est ce qui est laissé en souffrance, c’est à dire sous la pile de nos représentations", dans l’esprit aussi de Camus se demandant si « Ce qui est nommé n’est-il pas déjà perdu ? »

          • L'outil ne prolonge pas seulement la main mais tout le corps (et la main s'adapte à l'outil), l'évolution technique prolonge l'évolution biologique en ce sens qu'elle est produite par l'extériorité, le milieu et se développe un peu partout selon la même logique. C'est pour cela aussi qu'on dépend du stade de développement, ce n'est en rien un choix individuel et n'a rien à voir avec l'éthique, seulement l'utilisation qu'on en fait.

            Si, dans les initiations, se connaître, c'est connaître l'univers et les dieux, Socrate refusait ces cérémonies sectaires (des pythagoriciens ou orphiques) et, pour lui, se connaître soi-même, c'est savoir qu'on ne se connaît pas. Socrate ne parle pas de l'univers mais bien de l'individu en tant que conscience de soi, réflexivité. Bréhier définit la philosophie comme une conception du sens de la vie fondée sur une doctrine réfléchie de l'univers mais cela s'applique aux religions et sagesses, pas seulement aux présocratiques qu'il caractérise ainsi. Ce qui m'intéresse dans Socrate, c'est au contraire son anti-dogmatisme même s'il a été pour Platon ce qui lui a fait construire un nouveau dogmatisme, supposé rationnel. Ce qui est intéressant, c'est de mettre en cause ce sens de la vie, comme le fait la psychanalyse, pas de le fixer objectivement. Ce qui est intéressant, c'est de souligner l'inadéquation du singulier à l'universel, la disjonction du corps et du langage comme de la vérité et du savoir, non pour tomber dans le nihilisme mais apprendre la prudence en admettant la contradiction.

          • "L’outil prolonge la main, c’est une extension du corps."

            C'est à mon sens plus simple que ça, tout en étant plus compliqué.

            La main elle même n'est pas si souvent une extension du corps qui n'est pas si tant souvent très étendu.

            Je m'en étais impromptuement et évasivement rendu compte lors d'un cours de piano avec une prof chinoise.

            Auparavant, puis après, j'avais suivi des cours de piano avec des francais, style Alfred Cortot.

            C'était très précis cette école française, mais cette prof chinoise m'avait signalé une autre façon de jouer le clavier, la touche.

            C'était une invitation à mettre tout le reste du corps dans la main et les doigts. Il en résultait une fluidité et une forme de jeu assez différente.

            C'est difficile à expliquer, mais bien d'autres domaines simples de mouvement relèvent de cette approche.

            Ce qui m'apparait vrai, c'est que le corps a des états de stases partielles localisées, des formes d'accumulations tétanisées dans le temps, où les perceptions proprioceptives sont saturées, entrainant une perte d'information en temps réel, perte de feed back qui paralyse progressivement la propriété du corps à produire de la néguentropie régulante.

  8. Considérations critiques sur les modèles maïeutiques

    Texte de la communication au symposium sur la notion d'accompagnement
    dans les Histoires de vie. Tours 1/6/96. Paru p.119-139 dans Gaston.Pineau
    (Ed.) Accompagnements et histoire de vie., Paris : Ed L'Harmattan 1998.
    Jean-Louis Le Grand. Université de Paris 8
    Laboratoire CRISE (Centre de recherche sur l'imaginaire social et l'éducation)
    et LOFTA (Logiques de formation et technologies associées)
    La communication présente se propose d'apporter une lecture critique sur l'usage du
    terme de maïeutique invoqué comme un allant de soi. Derrière son apparente unicité
    n'y a-t-il pas des modèles différents voire profondément contradictoires? Quels sont les
    représentations en présence, les imaginaires véhiculés? Telles sont certaines des
    questions auxquelles je me propose d'apporter ici des éléments de réponse et de
    soulever de nouvelles questions.
    On peut d'ailleurs considérer que la question maïeutique tend à soulever plus de
    questions qu'à en résoudre.
    Dans le domaine d'histoire de vie la question de la maïeutique est parfois invoquée pour
    parler de l'accompagnement en particulier dans le travail d'Henri Desroche qui en fait
    une notion centrale. Et à première vue cela est en effet une idée intéressante dans la
    mesure où elle vient montrer que l'histoire de vie est surtout une interaction
    langagière entre au moins deux interlocuteurs. Sans quoi l'on peut parler d'écriture
    autobiographique où une personne effectue elle-même un travail d'écriture de son
    histoire (Pineau/ Le Grand 1993). Mais même-là ne peut-on pas parler d'automaïeutique?
    Tout d'abord on appelle par maïeutique "la méthode par laquelle Socrate, fils de sagefemme,
    se flattait d'accoucher les esprits des pensées qu'ils contiennent sans le
    savoir"1. On voit que cela se présente comme une "méthode" pédagogique avec une
    image, une métaphore qui s'impose, celle de l'accouchement et de l'accoucheur. Donc
    l'idée d'une naissance à quelque chose. Plus généralement il s'agit d'une méthode
    suscitant la réflexion intellectuelle.
    La maïeutique se présente d'emblée et à la première lecture comme un contre-modèle
    pédagogique opposé à celui de le transmission d'un savoir unilatéral, transmission qui
    ne se soucie pas de l'esprit de celui qui reçoit ce savoir. Autrement dit dans l'esprit
    maïeutique il y a l'idée de faire travailler l'esprit de celui qui est censé recevoir ce
    savoir, de le mettre en éveil en tentant de solliciter les idées vagues et floues de ce qu'il
    peut contenir à un stade apparemment "naïf".
    Dans la proposition d'un débat intellectuel cela s'apparente à une méthode de pédagogie
    active, d'incitation à une activité d'expression et de recherche dans un esprit de
    dialogue.
    Cette perspective dialogique est constitutive même de l'idée maïeutique. Mais on peut se
    demander si entre l'intention annoncée du texte de Platon au sujet de Socrate et ce
    modèle tel qu'il est exposé à travers les exemples donnés dans ce même texte il n'y a pas
    un profond hiatus.
    1 Définition Le Robert.
    2
    Y a-t-il une maïeutique socratique?
    La figure de Socrate est invoquée avec l'imaginaire mentionné ci-dessous. Une
    première tentation est celle d'interpréter la pensée de Socrate par des préoccupations
    contemporaines, par exemple il s'agirait de s'en tenir à une version "moderne" du
    fameux précepte socratique "connais-toi toi-même".
    En effet c'est là une vision alléchante où cette phrase est interprétée dans le sens d'un
    travail sur soi, d'un travail de connaissance de soi pour tenter saisir par exemple les
    déterminants de l'histoire d'un sujet, ses caractéristiques de caractère, ses désirs
    enfouis, voire son architecture psychologique.
    En fait cette conception courante reprise du "connais-toi toi-même" grec est très
    largement fausse et correspond à ce qu'en épistémologie historique on appelle, d'un
    phénomène central pour notre propos, l'"illusion rétrospective", autrement dit cette
    tentation d'interpréter le passé à la lumière du présent. Le risque est ici d'invoquer un
    illustre ancêtre, Socrate, pour plaider une cause contemporaine dans un souci de
    trouver une origine noble (Lainé 1996). Cette mise en correspondance d'un travail sur
    soi contemporain et de la maïeutique socratique ne fonctionne pas pour deux raisons:
    1) Premièrement cette conception se réfère à un individu psychologique2 ce qui
    n'est pas le cas de la personne dans le monde grec (Vernant 1989,1992), où la
    personne n'est pas perçue comme un individu se pensant comme une entité
    autonome3 mais comme intrinsèquement faisant partie d'un tout. Autrement dit le
    connais toi toi-même se réfère à l'univers et aux dieux. "Connais-toi toi-même et tu
    connaîtras l'univers et les dieux". D'emblée il est question de rejoindre l'universel
    à travers le particulier. D'ailleurs la connaissance de soi est inséparable de
    l'inscription dans des registres symbolique où figurent les dieux, la mort, la place
    dans la cité et le visage de l'être aimé, autrement dit la figure de l'autre. La
    maïeutique est avant tout affaire de relation et ce n'est pas un hasard que la forme
    philosophique correspondante soit celle de dialogues. L'idée centrale directement
    liée à la maïeutique est celle l'expérience de la réminiscence qu'il faut resituer
    dans la pensée platonicienne: connaître c'est se ressouvenir, non d'événements
    personnels, mais de vérités éternelles de l'âme humaine immortelle qui sont
    contenues dans la personne à son insu. De telle sorte qu'il faut admettre que "chez
    celui qui ne sait pas il existe concernant telles choses qu'il se trouve ne pas savoir
    des pensées vraies concernant ces choses même qu'il ne sait pas" Ménon .
    2) Deuxièmement cette conception de la maïeutique telle qu'elle s'exprime dans les
    textes comme le Théétète ne se réfère pas du tout à la découverte de soi mais est
    relative notamment aux lois de la géométrie. On est dans le domaine de ce qu'on
    appellerait aujourd'hui la didactique des mathématiques. Autrement dit ce qu'il est
    question de découvrir ce sont des notions mathématiques par un accompagnement
    pédagogique qui, par le détour de dialogues, de questions incitatives, amène l'élève
    à être initié à des formules scientifiques. Vu d'aujourd'hui ceci s'apparente très
    clairement à qu'on appelle l'enseignement programmé4 ou une pédagogie dont
    l'objectif est très précisément circonscrit préalablement. Autrement dit la
    meilleure voie pour amener un élève sur le chemin de vérités déjà tracées. Le
    résultat est d'emblée connu et l'art du pédagogue est d'user de stratégies pour
    2 D'importants débats qui ne peuvent trouver leur place dans cet article se réfèrent à la conception
    de la connaissance de soi dans le monde grec et à la différence radicale qu'il y a entre avec notre
    conception moderne. Dans le dernier chapitre de son ouvrage (1989) Vernant met en rapport sa
    conception de l'homme comme homme dans la cité avec les analyses de Louis Dumont partant de la
    place de l'homme dans la civilisation indienne in Essais sur l'individualisme Paris: Seuil 1983. Il
    discute également de la position de Momigliano sur la place des Bios et de Foucault (1984). Sur ce
    débat voir aussi les positions contrastées de Gusdorf (1990), Hadot (1995), Lainé (1996), Pineau
    (1993 et 1996).
    3 A titre d'exemple l'autobiographie est proprement inconcevable.
    4 Cf de Montmollin Maurice. L'enseignement programmé. Paris: P.U.F.Que sais-je? 1971.
    3
    insensiblement amener l'élève sur cette voie dont le but est préétabli,
    prédéterminé. C'est donc d'un dialogue hyperdirectif qu'il s'agit. On peut même
    parler d'effet de manipulation où sous couvert de dialogue le maître impose son
    idée tout en faisant croire à l'élève que c'est la sienne (Parlebas 1980).
    Nous sommes donc là à l'opposé de l'aventure formative à velléité d'autonomie mais sur
    un chemin balisé par avance. Même si l'idée de dialogue est invoquée elle renvoie à un
    guidage, une sorte de tutorat où le sens est univoque. Il s'agit donc là d'un modèle
    pédagogique qu'aujourd'hui nous pouvons nommer comme étant de type béhavioriste et
    comportementaliste.
    Il apparaît même que le texte Le Théétète est profondément contradictoire, il annonce
    un programme, celui de la définition ci-dessus, et en effectue radicalement un autre. Là
    aussi comme il ne s'agit pas d'un texte écrit de Socrate, celui-ci n'en aurait semble-t-il
    pas écrit, mais de Platon. On a affaire à une profonde énigme logique et on peut même
    se demander si cette notion de maïeutique ne commence pas déjà par une contradiction
    interne forte et pourrait être placée déjà dans l'écrit de Platon sous le signe de l'illusion
    rétrospective. Vu d'aujourd'hui et sous l'angle d'une réflexion éducative on aboutit à
    mon sens à une véritable aporie. D'autre part il faut situer le contexte de ce type
    d'accompagnement bien spécifique, d'une figure du maître à celui de disciple dans une
    relation que des historiens ont pu qualifier d'éducation pédérastique, cette relation
    d'amour viril et d'admiration partagée qui relie un homme âgé et "ami de la sagesse" à
    l'un de ses jeunes disciples (Marrou 1965).
    La maïeutique de l'éveil philosophique.
    Parmi les philosophes contemporains le recours à Socrate fait office de figure
    emblématique.
    Que reprennent ces derniers de la notion de maïeutique? L'idée qu'il convient de
    susciter un dialogue philosophique. L'élève, l'apprenti-intellectuel est invité à faire
    part de ses réflexions "naïves" de telle manière que le maître puisse partir de ses
    remarques pour amorcer un débat et poser une dialectique intellectuelle où les idées
    amenées sont replacées dans un horizon plus large.
    Il s'agit là d'un procédé pédagogique, on ne peut plus courant, qui tente de développer
    une visée participative.
    Autant dans le cheminement précédent et hyper directif il est question d'aboutir à une
    vérité une, unique et prédéterminée, la loi mathématique. Là il est question d'aboutir à
    un débat, un questionnement philosophique dont les termes sont certes connus à
    l'avance. La différence étant qu'il n'y pas une mais des réponses contradictoires qui
    peuvent donner lieu à prises de positions, réfutations, disputes....
    Le philosophe, à l'instar de la figure socratique, ne prétend pas savoir la vérité mais
    aboutit à une énigme heuristique, privilégie le doute. Un doute qui n'est pas que de pure
    convenance et évite, dans la formulation la question, de signaler la réponse attendue de
    préférence5. Bien des philosophes semblent reprendre à leur compte cette idée de
    l'éveil aux questions centrales de la philosophie à partir d'une position de dialogue.
    Ils reprennent ici la figure socratique de l'accouchement des jeunes esprits dans ce que
    ceux-ci peuvent contenir de vérités philosophiques à l'état latent et cultive une sorte
    d'ironie correspondante.
    Si les philosophes reprennent la partie du programme annoncé, l'art de faire
    accoucher les idées, ils le replacent dans une pédagogie de l'éveil.
    Ce qui semble curieux dans la période récente c'est le quasi-effacement de l'usage du
    terme en pédagogie.
    La Maïeutique: une pédagogie charismatique ?
    Sans avoir pu mettre en oeuvre un dépouillement bibliographique systématique il
    apparaît que cette notion de maïeutique n'est quasiment plus guère utilisée ni discutée
    dans le domaine pédagogique actuellement à l'exception de Pierre Parlebas (1980). Un
    5 Voir à ce propos la méthode du questionnement telle que la définit p. 134 et s. Viviane De
    Landsheere dans ouvrage L'éducation et la formation. Paris: PUF 1992.
    4
    ouvrage récent (1994) Le Dictionnaire encyclopédique de l'éducation et de la formation
    ne le mentionne semble-t-il pas tout au long de ses 1000 pages et de ses multiples
    entrées d'index. D'autres ouvrages de synthèse ne le font pas figurer ou y font à peine
    mention6. Il en est de même d'ouvrages se faisant pour spécialité la philosophie de la
    formation (Fabre 1994). La notion de maïeutique serait-elle seulement une référence
    pour une culture des humanités tombée en désuétude?
    Serait-elle devenue gênante de part ses connotations contradictoires renvoyant tantôt à
    l'enseignement programmé tantôt à perspective de l'éveil centré sur la personne qui
    engage une implication dans la relation?
    Ou encore sont-ce ces connotations relatives à une position charismatique du maître et
    de sa forte relation affective ou implicative qui font peur dans un univers qui tend à la
    rationalisation (Weber 1922) ?
    Sont-ce ces fantasmes de toute-puissance du pédagogue qui font ici peur à travers cette
    idée d'accouchement?
    Sont-ce ses liens particuliers avec les connotations quasi cliniques du psychanalyste
    qui font peur? Ou au contraire les implications relatives à la spiritualité?
    Cela suffit-il à expliquer que ce soit un sociologue des religions spécialiste des
    communautés religieuses et des utopies comme Desroche qui soit un des seuls à
    rependre ce terme?
    Ou est-ce au nom d'une certaine idée de la science et plus particulièrement des sciences
    de l'éducation qui tente de mettre dans la poubelle de l'histoire des idées pédagogiques
    une notion ne correspondant plus aux réalités contemporaines? Pourtant
    traditionnellement la plupart des premiers chercheurs en éducation ont reçu une
    formation philosophique mais il semble avoir tenté de mettre sur pied une conception
    de l'éducation qui lui donne un socle de rationalité scientifique qui fasse se détourner
    d'une vision aussi floue que celle de maïeutique?
    Est-ce par ce flou même dans des horizons de révolution paradigmatique que ce terme
    semble avoir un écho dans le mouvement des récits de vie en formation?
    Voici tout un ensemble de questions qui restent à mon sens largement ouvertes.
    La maïeutique du récit de vie en formation
    Si l'on pense aux deux acceptations précédentes, la figure de l'enseignement
    programmé ou celle de l'éveil philosophique il est bien évident que l'histoire de vie
    n'est pas une maïeutique au sens hyperdirectif tant il ne s'agit pas d'établir une vérité
    logique ni même que les énoncés émis entrent par essence dans un débat aux enjeux
    prévus à l'avance. A condition bien sûr que l'histoire de vie en formation ne soit pas
    conçue comme la forme d'expression personnelle d'une thématique prédéterminée et
    n'a plus dès lors qu'une valeur ancillaire et illustrative7.
    Comme par exemple en pédagogie la consigne hypothétique d'un formateur:
    "aujourd'hui nous allons travailler sur telle notion et vous devez produire des récits
    d'expériences personnelles qui l'illustrent ". C'est à dessein que je mets en garde contre
    l'utilisation déontologiquement abusive de telles dérives qui s'affublent parfois de la
    dénomination fourre-tout d'histoire de vie. Il ne s'agit là ni plus ni moins que d'une
    modalité de pédagogie classique qui fait appel à l'expérience des personnes et est à
    l'opposé d'une conception du récit de vie en formation tel que nous le défendons dans la
    charte déontologique des histoires de vie en formation. (Cf Pineau/ Le Grand 1993).
    Toute autre est la perspective du récit de vie qui a une finalité propre et est centrée sur
    la personne qui produit et détermine le sens dans une relation dialogique. Un sens qui
    6 Le terme figure toutefois dans le Lexique Education de Gaston Mialaret de 1981. Paris: PUF. Dans
    l'ouvrage de Jean Houssaye (dir) La pédagogie une expérience pour aujourd'hui. Paris: ESF 1993. il
    est cité par Louis Legrand . Lorsqu'il y figure ou est mentionné c'est dans une partie consacrée à
    l'éducation dans l'antiquité mais sans que son actualité ou ses prolongements ultérieurs ne soient
    développés. Ceci hormis quelques exceptions (ex. V. De Landheere op. cit).
    7 A la manière que dénonce Franco Ferrorotti dans Histoire et histoires de vie. Paris: Les Méridiens
    1983.
    5
    n'est pas systématiquement repositionné dans une système interprétatif préétabli
    même si le cadre est nécessairement préconstruit, et si possible discuté collectivement.
    Quand une personne fait son récit, le sens qui est donné à ce récit ainsi que la
    déontologie des échanges relatifs à ce récit n'en fait automatiquement pas un objet à
    récupérer pour une réflexion qui serait plus noble. Le contenu même de ce qui est dit a
    une valeur intrinsèque et amène une cheminement narratif qui, en définitive, est
    centré sur la personne qui effectue le récit même si l'intention institutionnelle réglant
    les échanges a tendance à susciter tel ou tel type de direction narrative.
    Le récit de vie est à ce niveau très proche d'une perspective centrée sur la personne
    telle qu'a pu le définir Carl Rogers par exemple.
    Bien des animateurs de séquences d'histoires de vie peuvent dès lors revendiquer de
    créer un dispositif maïeutique8. Mais il vaudrait bien mieux parler de maïeutique des
    récits de vie en formation. Celle-ci peut être légitimement reliée à celle du programme
    prêté à Socrate dans le Théétète mais à l'opposé du type effectivement pratiqué. De
    même il se différencie pour beaucoup de celles que revendiquent les philosophes dans
    l'éveil philosophique.
    Si l'on prend la définition de la maïeutique comme la méthode pour faire accoucher les
    esprits des idées qu'ils possèdent sans le savoir, la maïeutique des récits de vie est l'art et
    la manière d'aider une personne ou un groupe de personnes à produire un travail de
    narration et d'écriture autobiographique.
    L'idée est qu'il y a là des savoirs-insu qu'il conviendrait d'aider à faire émerger dans
    une parole et sur une scène socialisée.
    Là aussi il convient de signaler à la fois les proximités et les différences à l'égard de la
    psychanalyse qui est d'une certaine manière une forme d'anamnèse prolongée et se
    propose de travailler elle aussi un savoir-insu, un savoir qui ne se sait pas9. Mais il
    s'agit là d'un autre débat plus spécifique qui mérite d'être traité par ailleurs tant, dans
    l'imaginaire social contemporain, toute forme de travail sur soi est étalonnée à la
    référence psychanalytique et plus largement, et à mon sens abusivement, à la
    clinique10. Dans une période récente Gaston Pineau a développé une vision bioanthropologique
    de l'histoire de vie comme art de l'existence (Pineau 1993 et 1996) en
    reprenant les analyses de Foucault (1984) sur le souci de soi. Si le terme de maïeutique
    revient parfois dans les histoires de vie11 c'est de toute évidence chez Desroche que
    cette expression est la plus présente.
    La maïeutique à quatre temps d'Henri Desroche .
    La maïeutique est une référence omniprésente chez Desroche à la fin de sa vie et de son
    oeuvre. Il en fait même le sous-titre d'une de ses revues. Anamnèses Cahiers de
    maïeutique. Pour Desroche la maïeutique est consubstantielle de ce qu'il appelle une
    autobiographie raisonnée. Et celle-ci se décline suivant quatre moments, quatre
    logiques. Une maïeutique du sujet où en interrelation avec lui ou un formateur il est
    question d'écrire une autobiographie raisonnée pour aboutir à un projet, qui n'est pas
    seulement un projet de formation mais un projet de recherche et en même temps un
    projet d'action.
    C'est là qu'entre au sens le plus strict la dimension de l'histoire de vie, du travail
    d'anamnèse avec des moments d'accouchement d'une expérience de vie et d'autres
    d'écriture personnelle, de formalisation écrite de cette expérience. Mais Desroche ne
    s'en tient pas seulement là quant à l'usage du terme "maïeutique". Il y a aussi une
    8 Cf Fereanthie Galiatsatou(1994) Maïeutique et histoires de vie. Mémoire de maîtrise. Univ. Paris 8.
    9 C'est le sens du travail sur l'inconscient. Mannoni Maud (1985) Un savoir qui ne se sait pas.
    Paris: Denoël
    10 Cf de Villers Guy (1993). "L'histoire de vie comme méthode clinique" p. 135-155 dans Les
    Cahiers de la section des Sciences de l'Education N° 72 de l'Université de Genève. "Penser la
    formation" .
    11 Dans leur ouvrage Les Récits de vie. Théorie et pratique. Paris: P.U.F 1986. Jean Poirier, Simone
    Clapier-Valladon et Paul Raybaut parlent de "maïeutique sociale" comme étant une des sources de
    l'histoire immédiate (p. 34-69) tout en signalant l'éloignement de pensée antique p. 43.
    6
    maïeutique de l'objet où la personne, le "s'éduquant" va travailler à la définition de son
    objet de recherche, le nomme, tente de circonscrire un champ. Il y a aussi un travail de
    la part de l'accompagnateur qui est un travail de "directeur de recherche", d'aider la
    personne à nommer son objet et à le définir dans le champ des savoirs scientifiques et
    sociaux12. Mais pour Desroche ces étapes ne suffisent pas deux autres étapes sont
    nécessaires et donc deux maïeutiques correspondantes. Celle de l'établissement d'un
    projet. Et celle de la démarche d'accompagnement d'un trajet. Dans le projet, le projet
    n'est pas seulement un projet de connaissance, il est aussi projet d'action, projet de
    recherche-action à dimension existentielle13, projet que l'on pourrait définir par
    recherche-formation-action avec une dimension indissociable des trois dynamiques
    précitées. Dans cet établissement du projet est présente une maïeutique de socialisation:
    rencontrer d'autres personnes-projets qui sont sur le même chemin, rencontrer des
    personnes-ressources qui peuvent apporter des lumières, des éclairages, faire part de
    leurs expériences dans un esprit de coopération. La perspective du réseau, de la
    constitution d'un itinéraire qui va bien au delà du carnet d'adresses est ici
    fondamentale. Pour Desroche ce réseau a fondamentalement une dimension
    internationale et coopérative. D'où sa volonté en acte d'avoir bâti une Université
    coopérative internationale (U.C.I) avec ses rencontres, ses circuits sur le mode des
    compagnons du Tour de France.
    Là encore l'établissement d'un projet de recherche ne suffit pas. Encore faut-il que ce
    projet s'actualise, se transforme en trajet, se pose en actes et soit relié à une activité
    sociale, si possible à un emploi.
    Il s'agit là de la quatrième et dernière maïeutique. La maïeutique du trajet.
    Nous voyons que chez Desroche les étapes de ses maïeutiques sont fort différentes et les
    accompagnements sous-jacents également. La maïeutique qui convoque l'histoire de
    vie, celle du sujet, n'est pas une fin en soi. Elle est seulement un outil au regard des
    étapes suivantes. Telle qu'il l'explique cette maïeutique est fondamentalement une
    situation très largement interactive où le maïeuticien joue un rôle fondamental. C'est
    une sorte de transe créative où celui-ci met à contribution, outre ses capacités d'écoute,
    celles d'imagination créative, propose des objets, fait des connexions avec les siennes
    propres. A tel point que la dynamique inductive est fort présente.
    La personnalité de Desroche en tant que maïeuticien pose aussi la question de savoir si
    cette maïeutique est transposable pour une autre personne. Lorsque Desroche parle de
    maïeutique, il semble évident que cette maïeutique est profondément articulée à sa
    propre personnalité, qui est relativement exceptionnelle, à sa position institutionnelle
    de directeur de recherche à l'Ecole des Hautes Etudes, à ses propres références, à sa
    propre culture, à ses propres réseaux qui sont très étendus. On est loin d'une attitude
    rogérienne de type non directive ou centrée quasi exclusivement sur la personne au
    sens psychologique du terme. Desroche propose au départ une grille pour une
    autobiographie raisonnée, propose des idées, propose des champs d'intérêt théorique,
    propose des personnes-ressources, propose aussi des projets d'action, propose des
    trajets. Ce ne sont là que des propositions. Desroche cherche l'étincelle créative qui
    fera de la personne-projet un petit génie de son projet, le daïmon qui est en elle. Hormis
    ces rencontres la personne est renvoyée à elle-même, à ses travaux, à ses terrains, à ses
    directions de recherche, à son cheminement qui est pour une bonne part collectif, à
    l'image du Tour de France chez les compagnons.
    Desroche reprend totalement à son compte le programme du modèle socratique mais, à
    ma connaissance, sans une lecture critique. Il ne se situe pas non plus dans la
    maïeutique de l'éveil philosophique mais plutôt dans une maïeutique compagnonique.
    Celle du maître-artisan qui accompagne l'apprenti sur un itinéraire spécifique pour
    aboutir symboliquement à ce qu'on appelle le "chef d'oeuvre". Ceci dit, contrairement à
    un itinéraire déjà tout tracé ou prédéterminé, Desroche cherche avant tout le génie
    propre du "s'éduquant". Pour reprendre les termes d'Ardoino il ne s'agit pas tant d'une
    trajectoire au sens d'une ligne dont le sens et la trajectoire sont déjà prévisibles mais
    d'un itinéraire, d'un trajet où le sujet dans sa singularité, sa spécificité est
    12 Cf Apprentissage en sciences sociales et éducation permanente. Paris: Ed ouvrières 1971.
    13 Cf Barbier 1996.
    7
    prédominant14. D'un certain point de vue on peut dire que la conception maïeutique de
    Desroche privilégie la perspective dialogique et tente de situer l'homme dans la Cité, un
    homme porteur de projets à visée émancipatoire, avec même une aspiration utopique.
    Une auto-maïeutique implicationnelle
    Personnellement dans mon travail de doctorat d'État en 1987 j'ai avancé cette expression
    a priori un peu barbare d'auto-maïeutique implicationnelle.
    J'entendais par là le travail d'accouchement et d'écriture d'une implication personnelle
    dans la perspective de l'inscrire in fine comme production de connaissance. Cela entre
    pour moi dans un travail sur l'implication mais plutôt qu'une vision au singulier d'une
    implication une et identifiée je me situe dans une vision au pluriel des implications,
    concevant celles-ci dans leurs caractères fondamentalement opaques. C'est ce que j'ai
    appelé "implexité" là les implications entrent dans le paradigme de la complexité. Les
    conséquences concrètes en sont qu'il est vain de penser seulement présenter ce qui
    serait une implication mais tout au plus tenter une exploration de celles-ci sachant qu'il
    est épistémologiquement impossible d'en faire le tour ou encore de l'analyser dans son
    entier. Tout au plus il m'apparaît que par un travail d'accouchement et d'écriture il est
    intéressant non seulement de les explorer mais aussi de présenter dans le travail final
    les éléments de cette démarche.
    Ceci vient rompre avec le paradigme de l'objectivité et vient voir la connaissance
    comme le fruit d'une interaction entre une sujet connaissant et une objet de
    connaissance. Ainsi il m'apparaît possible d'effectuer ce travail auto-analytique dans le
    but de présenter certaines des implications repérées et de voir en quoi celles-ci ont
    tendance à tirer la recherche dans tel ou tel sens. A priori cela a l'air d'un travail
    essentiellement solitaire de confrontation à l'écriture de soi, à la présentation
    d'éléments personnels, autobiographiques ou non, qui alimentent la réflexion. En ce
    sens cela peut se rapprocher du journal de recherche15 ou du journal intime mais à la
    différence que des éléments de ce travail se proposent ici d'être repris dans le travail
    final et de donner lieu à élaboration intellectuelle.
    La discussion porte ici sur le sens du préfixe -auto- et de son placement devant celui de
    maïeutique. Si l'on conçoit le terme "auto" dans le sens courant de "seul", de "solitaire"
    cela tend à la métaphore et à l'imaginaire de l'auto-accouchement, de l'autoengendrement
    ce qui en fait une impossibilité logique et correspond au mythe du
    Phénix mis en lumière par Kaes comme un des mythes de l'autoformation16. Si l'on
    conçoit "auto" dans le sens d'une autodétermination complexe et prise dans un univers
    d'interactions qui prenne en compte les effets de génération et d'altérité il en va tout
    autrement. Le préfixe auto entre dès lors non pas comme la figure solitaire d'un sujet
    coupé du monde mais comme tissé des relations, des situations, des institutions, dans
    lequel il se situe. En ce sens la personne qui fait un travail d'accouchement d'éléments
    de son histoire dans l'écriture est à la fois seule et non seule. A tous les stades elle
    rencontre les figures de l'autre. Que ce soit à travers ce dont il est parlé, ou à travers la
    démarche même où elle est inscrite dans un cadre et est amenée à communiquer à ce
    propos.
    Ainsi personnellement en travaillant sur mon expérience communautaire dans un
    travail de recherche universitaire j'ai comme interlocuteurs, non seulement mon
    directeur de recherche, mais aussi les premiers lecteurs du travail et aussi les autres
    membres de la communauté à qui je fais part par écrit de mes propres réflexions.
    On ne peut pas parler ici d'un travail de maïeutique au sens classique mais d'une automaïeutique
    avec une conception de l'auto prise dans une épistémologie de la complexité.
    14 Cf l'éditorial de J. Ardoino dans Pratiques de formation/analyses Les filiations théoriques des
    histoires de vie N° 31 1996. Et les Actes du congrès de l'AFIRSE Le Sujet en éducation. Trois
    Volumes. Université catholique de l'Ouest. Institut des Sciences de l'éducation d'Angers. 1995.
    15 Voir les travaux de René Lourau à ce propos sur les liens entre le texte et le hors-texte. Le
    Journal de recherche. Paris: Méridiens-Klinksieck 1988.
    16 René Kaes "Quatre édudes sur la fantasmatique de la formation et le désir de former" dans Kaes,
    D Anzieu, L.V. Thomas Fantasme et formation Paris: Dunod 1984.
    8
    Ce travail d'auto-maïeutique pourrait être transposé à d'autres situations et à d'autres
    objets sociaux que la production de connaissance. Mais un certain nombre de constantes
    sont à mon sens nécessaires: la démarche "auto" marque la centration sur
    l'autodétermination de la personne, la ritualisation passe par un effort solitaire de
    confrontation à soi même si les figures d'altérité sont à tous les stades présentes. Il est
    question d'aboutir à un objet social et socialisé (écriture, oeuvre de création artistique
    ou non) où les dimensions personnelles entrent pour une large part et ne sont pas
    seulement inscrites dans un paradigme de la commande. Si la démarche s'inscrit de
    toute évidence dans une conception moderne de la notion de personne et, donc en cela
    rompt radicalement avec la conception grecque, elle opère toutefois une des
    caractéristiques du programme maïeutique qui est le passage de données singulières
    pour aboutir à des considérations générales comme il est de coutume dans la recherche.
    Le projet est dès lors celui d'atteindre des considérations générales à partir du singulier
    ce qui rejoint le projet élaboré par Ferrarotti. Dans le domaine des histoires de vie un
    travail de recherche comme celui de Christine Josso dans Cheminer vers soi est à mon
    sens illustratif de cette démarche où à partir d'une expérience personnelle exprimée et
    écrite il est question d'atteindre une production de connaissance.
    Notons que cette auto-maïeutique ne relève pas automatiquement de l'histoire de vie en
    tant que recherche et production de sens sur des événements personnels vécus. Elle
    peut aussi tenter d'explorer d'autres types de narration ou d'écriture qui ne relèvent
    pas de ce genre. Par exemple l'exploration des conditions institutionnelles du réseau
    d'implication ou encore tenter de dessiner une architecture de l'imaginaire personnel
    en présence. Donc l'auto-maïeutique n'est pas réductible à une écriture du type "récit
    de vie". D'autre part il peut y avoir ce type de travail d'effectué sans que l'écrit final ne
    relate celui-ci, à ce moment-là cela relève du hors-texte17. La démarche dite
    "implicationnelle" marque la volonté de faire en sorte que l'écrit final reprenne des
    éléments de ce travail et aussi invite à envisager comment les différentes implications
    ont tendance à tirer l'auteur une direction de recherche donnée18. Cette conception de
    l'auto-maïeutique implicationnelle prend sa place dans tout un courant de recherche
    qui tente de penser le lien heuristique entre des savoirs issus de l'expérience
    personnelle et la production de recherche19.
    Accouchement ou deuil ?
    La maïeutique se réfère par définition à la métaphore de l'accouchement. Il est donc
    question de naissance. On se situe ici en fait dans un rite d'initiation. Tout rite
    initiatique fonctionne en effet sur cette différence entre un avant et un après. Il est
    question de mourir à une représentation passée pour en adopter une nouvelle. Est
    présente cette logique d'une mort/résurrection symbolique à travers une forme
    d'épreuve, épreuve qui fait souvent appel à la symbolique de la souffrance ou du risque.
    Pour qui a travaillé dans des groupes de récits de vie ou même des formations ou
    expériences existentielles fortes c'est ce même schéma qui est prégnant, le passage d'un
    état antérieur à un état nouveau ou inédit.
    Plusieurs mentionnent ce sentiment d'une expérience existentielle intense qui fait
    penser à une naissance à quelque chose d'autre.
    Dès lors la métaphore de l'accompagnement de l'accouchement semble être bienvenue
    mais elle renvoie à un registre qui est celui d'une symbolique de l'ordre d'une
    expérience quasi-spirituelle.
    17 Cf René Lourau op. cit.
    18 Cette recherche de la valeur heuristique des implications est une des préoccupations de
    différents courants de l'université de Paris VIII. Outre R. Lourau et R. Barbier op. cit citons Rémi
    Hess et Antoine Savoye. L'analyse institutionnelle. Paris: PUF 2ième ed. 1993. Ruth.C. Kohn et
    Pierre Nègre. Les Voies de l'observation. Paris: Nathan 1991.
    19 Cf entre autres Bernadette Courtois Gaston Pineau. La formation expérientielle des adultes. Paris:
    La documentation française 1991. Ou encore J. Felman et J.L. Le Grand "Savoirs savants/savoirs
    profanes" Dir: J.Feldman, J.C.Filloux, B.P.Lécuyer, M.Slez, M.Vicente. Ethique et épistémologie et
    sciences de l'homme. Paris: ed L'Harmattan 1996.
    9
    Quand une personne élabore suite à une expérience de récit de vie un projet qui
    réoriente son existence la métaphore d'une nouvelle naissance est tentante; pourtant
    nous pouvons nous demander si ce n'est pas plutôt de l'accompagnement symbolique de
    ce qui fait office de mort qu'il s'agit.
    Si l'on suit la ligne des usages courants le type de discours du type "histoire de vie" est
    plutôt lié non à la naissance mais plutôt à la mort.
    L'oraison mortuaire lors d'une cérémonie de décès renvoie à de toute évidence au
    pratiques narratives du récit de vie. De même les émergences de paroles liées au travail
    de deuil renvoient à ce type de narrativité. C'est le discours de la mémoire liée au défunt
    et à sa représentation de son existence, des moments vécus en communs. La possibilité
    de vivre autre chose, et de vivre ce deuil, passe de toute évidence par cette forme
    d'expression et le lieu naturel en est le groupe des proches, la familles, les amis...
    L'histoire de vie est directement liée à ce qu'on a coutume d'appeler "anamnèse" ou
    "remémoration".
    Ce lien spécifique entre l'histoire de vie et la mort est particulièrement puissant pas
    seulement dans l'épreuve elle-même mais aussi dans sa préparation. Il n'est que
    d'observer cette propension à écrire sa vie ou à raconter sa vie qui caractérise les
    personnes au seuil de leur vie.
    Le privilège de l'écriture autobiographique était jusqu'à très récemment intimement lié
    aux personnes en fin de vie. A partir de leur expérience elles pouvaient se sentir
    autorisées à la raconter, à la produire et le bénéfice de l'âge était vu comme une forme
    de sagesse spécifique avant de passer de vie à trépas. Ce qui aurait été vu comme une
    forme de narcissisme de mauvais aloi ou de justification autolégitimante devient au
    seuil de la vie comme une forme socialement acceptée de discours sur soi. Des éléments
    qui ont pu être cachés tout au long d'une existence peuvent ici trouver une forme
    d'expression légitime qui autrement pourraient faire scandale. Au delà du discours
    purement hagiographique la complexité du vécu peut ici trouver à s'exprimer dans ses
    ambivalences, ses contradictions.
    Dans notre actualité nationale récente il n'est que de voir dans les dernières années du
    Président de la République précédent l'afflux symbolique de discours de ce type qui ont
    été produits tant par l'intéressé lui-même que par les médias. On peut même parler là
    d'une véritable fièvre commémorative20 ou d'une transe bio-narrative de la part du
    peuple français dont il ne serait pas superflu d'interroger le sens dans son actualité
    sociale. Autrement dit
    Qu'est-ce que le culte de la mémoire occulte ?
    A la réflexion il m'apparaît que le discours anamnésique de l'histoire de vie remplit
    davantage une fonction bio-narrative de deuil que de naissance.
    Encore qu'il faille bien voir comment symboliquement ces deux fonctions de la vie et de
    la mort sont intrinsèquement et dialectiquement liées.
    Pour envisager un avenir viable il est en effet impossible d'occulter la mémoire de qui
    a été mais qui n'est plus. Pas de projet sans anamnèse, d'avenir sans retour sur le passé.
    En m'interrogeant sur la fonction sociale liée au développement de l'usage social de
    l'histoire de vie cette réflexion m'apparaît comme pertinente.
    Prenons par exemple la production littéraire du type "histoire de vie". Force est de
    constater que celle-ci est généralement liée à un passé révolu qu'elle se propose de
    remémorer. A mon sens un ouvrage comme le Cheval d'orgueil de Pierre-Jakez Hélias
    est un événement socio-culturel de part l'audience qu'il a suscité. C'est là une des
    meilleures ventes des années 70-80. Plus de deux millions d'exemplaires vendus. Des
    traductions en dix huit langues.
    Autrement dit il s'agit là d'un véritable phénomène social qui marque une époque. Or
    comment tenter d'expliquer ce succès d'un livre qui raconte l'histoire de vie du grandpère
    de l'auteur, agriculteur pauvre, dans un petit village du Pays Bigouden en
    Bretagne au début du siècle? Un récit qui au départ correspondait à une commande,
    celle d'un feuilleton paraissant régulièrement dans le journal Ouest-France.
    Bien sûr on peut mettre au crédit du succès le style littéraire de l'auteur, le travail sur
    l'identité bretonne mais à mon sens cela ne suffit pas à en expliquer le succès qui
    20 Cf Tzvetan Todorov. Les abus de la mémoire. Paris: Arléa 1995
    10
    déborde largement le cercle des lecteurs habituels de bons livres ou encore l'audience
    régionale.
    Mon hypothèse est que le Cheval d'Orgueil correspond finalement à un travail de deuil
    mettant en avant une des plus importantes sinon la plus importante mutation
    sociologique du siècle21, le passage d'une civilisation rurale traditionnelle à une
    civilisation urbaine moderne. Or ce phénomène marque l'imaginaire de tout un
    chacun et est un phénomène quasi universel. Peu d'entre nous n'ont pas de traditions
    rurales dans leur généalogie. L'imaginaire collectif est d'ailleurs complètement
    polarisé par ce thème. Il suffit de se rappeler au début des années 80 la force du slogan
    "la force tranquille" où la France urbaine faisait passer un candidat à la Présidence à la
    République qui mettait en exergue des valeurs rurales sous fond de petit village et de
    clocher.
    Cette force symbolique de la représentation est particulièrement puissante. Par exemple
    l'image sociale des agriculteurs continue à être forte quant bien même ils sont près de
    quatre fois moins nombreux que le chiffre des chômeurs déclarés. On peut même se
    demander jusqu'à quel point la célébration biographique d'une catégorie sociale ne
    signe pas sa disparition. Ainsi la mémoire des mineurs du Nord à travers les écomusées.
    Dans cette logique on peut percevoir une liaison forte entre l'histoire de vie et le
    travail de deuil. Comment interroger la situation actuelle de l'apparition de ce courant
    au sein de l'éducation permanente? Si l'on regarde attentivement cette forme arrive
    surtout à travers la question des bilans professionnels c'est par la formation
    professionnelle continue qu'elle prend place dans le champ des sciences sociales.
    Institutionnellement c'est aussi la Délégation à la formation professionnelle dépendant
    du Ministère du travail qui va impulser ce type de recherche. Personnellement j'ai
    tendance à penser que ce type de travail narratif de lien entre bilan/projet correspond
    à un deuil de l'idée de travail telle qu'elle est traditionnellement portée.
    L'insistance sur l'histoire de vie correspond à une faillite de la représentation22
    identitaire et remplit une fonction de deuil d'une certaine image sociale liée à
    l'inscription dans un travail déterminé.
    Si l'on prend une forme bio-narrative socialement déterminée comme le curriculumvitæ
    celui-ci n'apparaît que dans des situations d'indéterminations identitaires relatives
    au travail, d'alternances de situations de chômage et d'incertitudes.
    D'ailleurs il suffit de constater que ceux qui sont fortement inscrits dans les formes les
    plus stables professionnellement correspondant aux canons les plus traditionnels du
    travail n'ont pas besoin de curriculum-vitæ. Ce sont principalement ceux qui sont les
    plus menacés dans leurs identités sociales à qui l'on demande le plus d'élaborer des C.V.
    ou de faire des projets. Il s'agit là d'une quasi nécessité sociale. Lorsque la situation est
    "bouchée à l'horizon" il est question de revenir sur le passé à la manière de l'adage
    populaire "les gens heureux n'ont pas d'histoire".
    D'ailleurs il est curieux de remarquer que c'est au moment où le compagnonnage social
    fait défaut que ce thème d'accompagnement et même d'accompagnement social
    apparaît. C'est au moment même où une société déclare à ses membres exclus, où le lien
    social se délite23, que des thèmes relatifs à l'accompagnement apparaissent. Tout se
    passe comme si l'accompagnement signait que le fait que la personne ne fasse plus
    partie de la compagnie et allait de pair avec une métamorphose de la question sociale
    qui produit des surnuméraires24. A quand un musée du service militaire et les histoires
    de vie correspondantes? Le travail d'accompagnement ne serait-il pas dès lors à mettre
    en rapport avec celui de la grande vogue de l'accompagnement de ce qui fait office d'un
    des puissants tabous de notre société contemporaine: la mort. Et l'accompagnement
    social n'est-il pas la face cachée de l'accompagnement d'une mort sociale? La fonction
    21 Cf René Rémond. Notre siècle de 1918 à 1991.- Paris: livre de poche 1991
    22 J. L Le Grand "L'exclusion: une double faillite de la représentation. Logiques notionnelles,
    logiques sociétales, logiques éducatives". Communication au colloque de l'AECSE "Exclusions et
    éducation" Sept.94. publié dans les Actes du colloque. Paris: Document de l' INJEP N°23 1996
    p.231-243. Repris en partie dans la revue Educations N° 4 Lille 1995
    23 Cf en tant que synthèse le N° 13 hors série de Sciences humaines 1996 Le lien social en crise?
    24 Cf Robert Castel, La métamorphose de la question sociale. Une chronique du salariat. Paris:
    Fayard 1995.
    11
    anthropologique du besoin social de reconnaissance, d'inscription dans une vie
    commune25 est ici travestie sous des dispositifs.
    D'ailleurs Desroche ne s'y trompe pas quand il relie la création de sa dernière
    maïeutique, celle du trajet, à la création d'activités et de travail, pour des personnes au
    chômage.
    Questionnement de conclusion
    Généralement la maïeutique n'est plus guère un terme usité dans le domaine de
    l'éducation et de la formation. Et si elle l'est elle fait figure de notion particulièrement
    exposée à des formes contradictoires de courants de pensée. Elle peut être revendiquée
    sans ambages par les courants comportementalistes de l'enseignement programmé et
    les pédagogies centrées sur la personne et l'émergence de ses projets tout en passant
    par un éveil philosophique. Faute d'une mise en critique de ces représentations son
    usage risque de tomber plus dans l'invocation mythique de ses origines faisant fi des
    illusions rétrospectives. Son usage mérite d'être précisé à chaque fois dans son cadre
    éthique, pratique et conceptuel. Toutefois dans le courant des histoires de vie et de
    formation d'adulte son examen mérite d'être entrepris dès qu'il est question
    d'accompagnement. Enfin n'est-ce pas plutôt une métaphore du travail de deuil que
    d'accouchement qu'il s'agit lorsque l'on fait usage de l'histoire de vie. Toutefois les
    éléments ci-dessus proposés, s'ils présentent l'avantage de tenter une réflexion
    argumentée sur cette notion, soulèvent plus de questions qu'ils ne prétendent en

    résoudre.

    Références bibliographiques
    Assa Janine (1971) "L'antiquité" dans Tome 2 de Debesse/Mialaret, Traité des sciences
    pédagogiques, Paris: P.U.F. 1971
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  9. mais là je retrouve plus ce putain de portable !! salam la demoiselles , ivre de toutes nos ruelles !! code bar zélé , posture attentiste attends toi à c' qu' la norme j'lui fasse un feast !! il faut construire l' Hacienda , ivre dans des bras , avec la pèle et la pioche même quand c'est moche , tu arpentes dans la rue et en bas de chez toi les chiens aboient , quand on entends le cri d'une vierge au coin du bois , QU'ON ENCULE 🙂 !!: couze saint front putain de salope , tu me sucera le fion et tu te nourrira, pendant 100 ans , de toutes mes déjections !! mais ne demander rien de moins que l'otium ( contre l'opium !! ) , le loisir démocratique et la dérive psycho-géographique ( "das trieb" en allemandes qui à donné la pulsion , , il faut que ça pulse dans les chaumières !! et que Lacan, qui à bien connu Picasso , qui a même joué dans des pièces théâtrales de Picasso .
    Lacan proposait la traduction de das trieb par dérive , d'autres disaient fantaisie , aujourd'hui on dirait plus loufoquerie durables ( CQFD !! et banlieues vertes !!! ) .. depuis la chambre capitonné de mes envies depuis que j'ai été mis sous HO à l'HP , ma vie à déraillé , et j'ai ouvert la porte qui donnait sur le néant depuis je suis devenu un chien errant , : immortel penseur , le plus souvent sous substance !! , démocratie, dérive + nécessiter à créer des lieux communs et des espaces locaux pour faire trucs en communs et de surpasser si possible les lieux communs , carrefours du labyrinthe , car plus vous serez législateurs ( dans le spectacle hypnotique , assommé sœurs sous de trop lourds sommiers !! ) plus vous serez asservit à la raison , voilà pourquoi , la résistance c'est aussi de créer des approches transversales et un long travail de décloisonnent mental !!:) !! le révolutionnaire " c'est l'individu isolé , visionnaire et déviant"pierra Aulagnier , dans les années 70 !! à l’époque où elle était maquée avec Cornelius Castoriadis , le philosophe de l'imaginaire et de la révolution démocratique mais au sens profonds du terme , comme celui que j'exprime ici et maintenant car on est en 2015 ces gens là sont mort ou très vieux , et ils on jetés leurs feux voilà 30 et 50 ans !! restons sérieux au moins un quart de seconde !! wesh la famille , ma parole , inchalah un jour on se verra et t'inquiète y aura une festoche sympa et du peura à la fête et du punk rock alternatif pour aller guincher !! crois moins si tu veux au bal des enculé je ferai pas tapisserie !! salam A ??? 🙂 !! §§ !! inchala au plaisir de ce recroiser sur internet , comme dans la vraie vie
    et du bon dub et de la bonne trance !! pour se dégourdir les jambes et les esgourdes !!
    du bon son pour faire palpiter tes membranes, de la bonne baise pour attiser le volcan de tes entrailles et que tu te met à vibrer , presque comme par magie ..... de la bonne manne pour rassasier ton âme , un orgasme tellurique pour inonder le monde et tes freestyle !!! (dans un orage psychique qui équivaut dans le cerveau à un raille de coke ) !! et traverser le désert !! triompher des coups durs , et de l'enfer !!

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