Amour et vérité

Temps de lecture : 30 minutes

Sur le Phèdre de Platon
Si, après être revenu à Socrate, je continue avec Platon, ce n'est pas que j'accorde une importance démesurée aux débuts de la philosophie, ni à sa déconstruction, car une philosophie de l'information établit au contraire que nous sommes façonnés par notre milieu et notre temps plus que par nos origines ou notre généalogie. Cela n'empêche pas que le platonisme a servi de base aux différents idéalismes qui ont suivi, y compris religieux, et ma préoccupation reste celle de la place de l'idéalisme et du volontarisme en politique. Cet idéalisme avait été immédiatement critiqué par Aristote, tellement plus raisonnable que Platon : ce ne sont pas les idées qui déterminent le réel mais les causes efficientes et finales. L'idéalisme se trompe de causalité et ne recherche pas les véritables causes. Parler de ces causes comme matérielles (ce que je fais pour me faire comprendre) est d'ailleurs très réducteur puisque la subjectivité (efficiente) et les valeurs (finales) y sont déterminantes mais tout autant déterminées (par les discours et la situation, matière et forme). Que l'idéalisme ait prospéré malgré cette réfutation en règle manifeste qu'il répond à une nécessité. On classe, d'ailleurs, habituellement le matérialisme du côté de la passivité, de ce qu'on subit, de ce qui ne dépend pas de nous, d'un réalisme raisonnable attentif au concret alors que l'idéalisme est supposé le côté actif, celui des idées ou valeurs qui nous motivent et de la rationalisation à prétention universelle. Cette opposition est fautive car l'action efficace est bien matérielle, l'engagement idéologique étant la plupart du temps purement verbal quand il ne mène pas au pire. On y tient cependant, jusqu'à prétendre que rien ne se serait fait sans idéal, ce qui est au moins la négation de la violence dans l'histoire (mais aussi de la puissance économique). Malgré tout, même si on ne lui donne plus le premier rôle mais plutôt de perturbateur, ce serait une erreur de croire pouvoir se passer de l'idéal, pas plus qu'on ne peut se passer d'amour.

On ne sait pas assez que dans toute bonne dialectique la négation n'est jamais totale mais doit intégrer une part de ce qu'elle contredit et dont elle prend la relève (comme la confiture, l'Aufhebung conserve autant qu'elle supprime !). Si la vérité n'est pas à l'origine, mais au contraire l'ignorance et l'erreur, il y a aussi une vérité de l'erreur (qui n'est qu'un moment de la vérité) et même une vérité du délire (supposé d'inspiration divine, notamment dans l'amour). Ainsi, malgré toutes leurs dérives et fabuleuses inventions, il est absolument impossible de négliger les dialogues de Platon, pas plus que sa théorie des idées qui, pour être fausse, voire délirante, n'est pas sans raisons (renvoyant notamment à la cognition et au langage mais figeant le réel sur "ce que c'est", durée arrêtée, au lieu de ce qu'il devient comme le reprochera Heidegger voire Bergson).

C'est là où Aristote est lui-même critiquable de ne pas avoir pris assez en compte cette part subjective du désir avec tous ses égarements. Ainsi, en faisant (comme dans le Théétète) du simple étonnement l'origine de la philosophie et du désir de savoir, Aristote en désamorce les enjeux et le choc qu'avait pu représenter la dialectique impitoyable de Socrate, honteuse prise de conscience de nos erreurs et de notre ignorance. Il avait pourtant avec Platon une preuve supplémentaire que la raison même peut nous tromper, pas seulement l'opinion (ce sur quoi se fondera la science expérimentale ne se suffisant plus des théories). La philosophie ne se réduit certes pas à une simple curiosité désintéressée, un passe-temps inoffensif, une accumulation de connaissances, un regard extérieur, ni même à l'amélioration de soi. Elle pose une question vitale, celle de la vérité qui peut ébranler l'ordre social. Si Aristote ramène la philosophie au plaisir de la connaissance et de la contemplation, alors même qu'il valorise par ailleurs l'activité et la cause finale, c'est qu'il est engagé, tout comme Platon, dans la reconstruction d'un système dogmatique destiné à sauver la vérité après l'entreprise de démolition de Socrate. En effet, la philosophie se distingue du scepticisme en maintenant l'exigence de vérité et d'un savoir en progrès même si cela conduira à de nouveaux dogmatismes, supposés définitifs, excluant le temps, et rationnels, excluant tout subjectivisme (ce qui provoquera en retour la réaction stoïcienne, centrée sur le sujet). Ce n'est pas pour rien que l'aristotélisme a dominé tout le Moyen-Âge avec une scolastique dogmatique dont Descartes permettra de sortir par le retour du sujet dans la recherche de la vérité (qui est d'abord besoin de certitude).

Relier l'amour à la vérité n'est donc pas une mince affaire (quoique l'église s'en empare facilement) puisque c'est non seulement limiter la connaissance à nos catégories a priori comme à notre idéologie de classe mais la faire dépendre de nos attentes, préférences et idéalisations. On ne peut pas dire que la position de Platon là-dessus soit constante car, dans la République l'on n'en trouve plus trace, véritablement furieux contre l'amour. L'imposition qui se croit rationnelle de la justice aux hommes, les traitant en objets, mène à les dépouiller de leur subjectivité, de leurs désirs et de l'amour même. C'est tout le contraire dans le Lysis, le Banquet et le Phèdre où Platon préserve la part du subjectif et du désir, comme il l'avait appris de Socrate qui ne se disait savant qu'en amour, opposant ainsi l'esprit vivant à la lettre morte. On avait déjà vu, dans le Lysis, qu'il n'y avait pas de savoir véritable sans désir de savoir, sans amour de la vérité (philo-sophie). Il est frappant que dans le Phèdre, même après s'être éloigné de Socrate, n'étant plus du tout dans le non-savoir mais exposant son système, l'amour reste fondateur, condition du savoir (qui n'est pas clôt sur lui-même). Certes, tout l'effort de Platon sera de l'édulcorer, en faire une pure relation intellectuelle entre les belles âmes. Il n'est pas si certain pourtant qu'ils soient si compatibles. Ce dont il nous faut prendre conscience, c'est de la contradiction entre l'amour et la vérité - en même temps qu'ils sont intimement liés...

C'est bien cette contradiction à quoi nous confronte la politique car pour entraîner les foules il faut susciter de l'amour et toutes les illusions qui vont avec, alors que l'action politique ne peut avoir de portée qu'à dépasser ces illusions pour s'attacher à la vérité des faits. Les ravages du volontarisme n'auront jamais été aussi manifestes qu'avec le grand bond en avant où la mobilisation décrétée par Mao se traduira par des millions de morts de famine, largement à cause de la dissimulation de la vérité et des faux chiffres donnés par une bureaucratie trop zélée. Le dilemme, c'est que sans enthousiasme, le risque est de rester passif, ne faire que subir et laisser les pires faussaires triompher. Ainsi, il est assez clair qu'on aurait les moyens de s'en sortir et d'affronter les défis qui nous sont posés, que ce soient les transformations de la production à l'ère du numérique, les inégalités ou le souci écologique. Ce qui manque cruellement, ce sont les moyens humains, d'arriver à mobiliser sur des objectifs réalistes au lieu de poursuivre des chimères. Il faut se rendre à l'évidence qu'il ne suffit pas des écrits scientifiques, il faut y joindre la parole, les discours, mais rien ne garantit qu'un discours vrai soit audible face aux séductions des grandes envolées idéologiques et des promesses démagogiques. L'amour nous fait défaut et l'idéal nous égare.

Le Phèdre a été considéré par certains comme le premier dialogue de Platon, ce qui est absurde car il témoigne au contraire d'un système déjà très élaboré et doit être plutôt postérieur au Banquet, loin déjà de la première période socratique. Sa renommée viendra surtout de la vision qu'il donne d'un amour qu'on dira platonique mais ceux qui s'attachent à cet aspect trouvent incompréhensible l'hétérogénéité du dialogue entre le thème de l'amour par lequel il débute et celui de l'écriture qui le termine. Il est vrai qu'on peut être dérouté par les discours contradictoires sur l'amour qui débouchent ensuite sur des questions de pure rhétorique. Derrida prétend, dans "La pharmacie de Platon", que le véritable thème en serait l'écriture. Le dialogue débute en effet par un discours écrit, celui de Lysias, et par sa critique. De plus, il est présenté d'emblée comme un objet honteux que Socrate dévoile en demandant à Phèdre de "montrer ce que tu tiens dans ta main gauche sous ton manteau". Le fait que ce discours ait pour thème l'amour n'est pas du tout arbitraire pour autant car l'amour désigne ce qui distingue le discours vivant, adressé et adapté à l'interlocuteur, de l'écriture morte (et on a tous les poncifs de la déshumanisation du monde et la perte des connaissances - ou du savoir vécu dirait Gorz - à cause de l'écriture, accusée d'irresponsabilité car ne pouvant répondre - tout comme aujourd'hui on se plaint qu'avec internet, un savoir impersonnel serait livré à des esprits dénués de jugement et qui externalisent leur mémoire voire leur esprit, n'étant plus que semblant de savoir). N'en déplaise à Derrida, la question est quand même plutôt celle du discours fabriqué, pas seulement de l'écriture, et n'est pas celle de la présence du présent (p128) mais de la présence du maître, de la nécessité du transfert dans la transmission, et donc du désir, c'est-à-dire du manque. L'amour reste bien au centre du dialogue, désignant le pharmakon par excellence, dont on peut dire le pire et le meilleur, mais idéalisation dont on ne peut se passer. Raison pour nous de s'y intéresser comme à tout l'appareillage que Platon doit mettre en scène pour lever la contradiction entre l'amour et la vérité en soutenant une vision épurée de l'amour, on ne peut plus éloignée de sa réalité prosaïque. Remettre en cause aussi bien la conception platonique de l'amour que l'objectivité aristotélicienne, nous laissera finalement avec la contradiction plus insoluble que jamais entre l'amour (qui trompe) et la vérité (qui blesse).

On ne peut ignorer qu'il n'y a rien de plus ambivalent que l'amour. C'est pourquoi, dans le Phèdre, Platon en dit d'abord beaucoup de mal, comme perte de tout jugement et servitude, jalousie et tromperie ("tantôt des compliments hors de propos et hors mesure, et tantôt des reproches qui sont insoutenables"), avant de se reprendre pour en faire l'éloge mais à condition de le transmuer en nostalgie du bien suprême (comme dans le Lysis). Ce que la psychanalyse ramènerait à la nostalgie de la mère est présenté ici par Platon comme la réminiscence de la beauté contemplée par l'âme immortelle - séparée des corps qu'elle anime mais qui la tirent vers le bas. Ce récit mythique de la transmigration des âmes, qui fait vaguement penser aux mythes orphiques et plus encore au dualisme de Zoroastre (Zarathoustra), inspirera fortement les imaginaires, notamment des gnostiques, mais est essentiel pour donner crédibilité à la désexualisation de l'amour où ce qu'on aime, ce serait l'âme et non le corps. En dépit de toutes les dénégations, jusqu'à ceux qui prétendent que les mythes ne seraient qu'une façon de protéger un savoir ésotérique (contre l'écrit), c'est toujours le signe d'une contradiction non résolue d'avoir besoin de mobiliser le mythe - alors même que le dialogue commence par ramener un mythe local à des explications plus terre à terre. Si Platon prend soin de ne pas donner crédit aux mythes traditionnels, ce serait juste pour les remplacer immédiatement par les siens ! On peut toujours dire qu'il ne demande pas qu'on le croit, sauf qu'ils sont indispensables à sa démonstration et qu'il ose même prétendre :"Je vais dire ce qui en est ; car il faut oser dire la vérité, surtout quand on parle sur la vérité", avant de nous raconter ses visons fantaisistes. En tout cas, pour Platon, et dans la continuité du Lysis, c'est l'amour comme désir qui reste essentiel et nous élève, nous pousse à nous dépasser et constitue la condition de toute philo-sophie.

En effet, dans son premier discours, Socrate insiste sur le fait qu'une discussion doit commencer par en définir les termes (car "la plupart ne se doutent pas qu'ils ignorent l'essence des choses") mais sa définition ramène l'amour au simple désir, ce qui va lui permettre effectivement de remplacer l'amour charnel par l'amour de la Vérité, du Beau et du Bien, identifié ainsi à ce qui nous pousserait à nous améliorer que ce soit à travers les idées, les choses ou les gens. Il y aurait simplement plusieurs sortes d'amour ("l'un est le désir inné du plaisir, l'autre l'idée acquise qu'il faut rechercher le bien"). On peut effectivement parler d'amour du vin ou de son pays. Ce n'est pas une raison pour mettre sur le même plan l'amour humain et l'amour des choses. Ce n'est pas que l'amour ne serait pas désir, il n'y a pas d'erreur, mais ce qui change tout, c'est d'être désir de désir, désir de reconnaissance et de séduction. C'est ce qui nous humanise cette fois vraiment, dans les yeux de l'autre, sans aucune comparaison possible avec l'objet le plus convoité. Ce qui nous fait humains, c'est d'abord de parler et de se désirer, souci de ce qu'on est pour les autres (êtres parlants), mis en cause dans notre être par le regard des autres.

Le discours de Lysias qui est lu au début se présente justement comme la dénégation de ce désir de désir puisque son argumentaire sophistique prétend qu'il vaut mieux céder aux avances de ceux qui ne sont pas amoureux plutôt que de ceux qui nous aiment. Le premier discours de Socrate ne fait que renchérir sur celui de Lysias et la duplicité des amoureux ("les amants aiment l'enfant comme le loup aime l'agneau"). Il reprend l'argument du Banquet qu'on ne peut désirer ce qu'on possède déjà et qu'une fois les faveurs obtenues, la folie amoureuse s'estompe et les beaux serments sont oubliés.

Il est tout de même curieux que, pour défendre l'amour dans un nouveau discours, Platon ne trouve rien de mieux que de défendre le délire ("la poésie du bons sens est éclipsée par la poésie de l'inspiration"), la part de l'irrationnel étant attribuée aux dieux (délire sacré). C'est là qu'il introduit l'immortalité de l'âme, définie comme ce qui fait mouvoir le corps mortel, le dirige (son cocher), et qui serait l'être qui se meut lui-même (sans causalité extérieure, ni début, ni fin). L'amusant, dans cette fiction, c'est qu'en donnant des ailes à l'âme, cela permet de l'élever à des niveaux supérieurs, lui donner une verticalité purement imaginaire à partir de laquelle pourraient se contempler les idées, la justice en soi, la sagesse en soi, avec, tout en haut l'intelligence divine, l'Etre absolu et son omniscience (ce qui sera repris des siècles après par les monothéismes tout comme le jugement des âmes après la mort du corps et leur expiation dans les enfers souterrains ou leur élévation dans les cieux). Ces belles histoires sont là pour justifier le délire amoureux devenu amour de la beauté, ou de quelque perfection, supposé cette fois dénué de toute jalousie (on ne voit pas pourquoi, d'autant plus que Socrate semble tomber amoureux de tous les beaux garçons), amour désexualisé et délivré du désir instinctuel pour ne plus être qu'affection mutuelle comme l'amour familial - comme l'amour d'une mère encore ! Cette intellectualisation fait sans doute partie du processus de civilisation et de notre répression de l'animalité en nous (d'où la fierté de se dire platonicien) mais on voit qu'elle est basée sur d'étranges représentations, sortes d'hallucinations d'une rationalité folle qui refoule les différentes déterminations (biologiques, sociales, psychologiques, psychanalytiques) sous la fiction d'une pure aspiration au bien et d'un amour qui serait réciproque - ce qui arrive incontestablement, on pourrait même dire que le véritable amour est toujours réciproque (sorte de boucle de rétroaction positive qui s'emballe) mais les chagrins d'amour durent souvent bien plus longtemps...

De la même manière qu’un souffle ou qu’un son ayant frappé un corps lisse et dur revient au point d’où il était parti : ainsi, par le chemin des yeux, le courant de la beauté revient vers l’âme de l’aimé, l’atteint et la remplit, ouvre les passages des ailes, les ranime, provoque leur croissance, et remplit d’amour l’âme du bien-aimé. Il aime donc, mais il ignore quoi. Il ne sait pas ce qu’il éprouve et il est incapable de l’exprimer ; mais, tel un homme qui a pris la cécité d’un autre, il ne peut pas dire la cause de son mal et ne se rend pas compte qu’il se voit en son amant comme dans un miroir. En sa présence, il sent comme lui ses tourments s’apaiser ; en son absence, il le désire encore comme il en est désiré ; son amour est l’image réfléchie de l’amour qu’a pour lui son amant. Il n’appelle pas cette affection du nom d’amour, il la croit une amitié.

Si la partie la meilleure de l’âme, amenant les amants à une conduite ordonnée et à la philosophie, remporte la victoire, ils passent dans le bonheur et dans l’union leur existence d’ici-bas. Maîtres d’eux-mêmes et réglés dans leur vie, ils tiennent en servage tout ce qui porte le vice dans les âmes et affranchissent ce-qui les pousse à la vertu.

Tels sont, mon enfant, les grands et les divins bienfaits que te procurera l’amitié d’un amant. Mais l’intimité d’un familier sans amour, falsifiée par une sagesse mortelle, appliquée à régir des intérêts périssables et mesquins, enfantera dans l’âme aimée cette bassesse servile que la foule vante comme une vertu.

A partir de là, ce n'est pas l'écriture d'abord qui sera critiquée mais la rhétorique, le discours de séduction qui n'est pas seulement celui de l'amour mais aussi celui des tribunaux et des politiques, destinés à tromper par la confusion entre semblable et dissemblable. Ce qui est critiqué, c'est le fait que ces discours préfèrent le vraisemblable à la vérité, même si pour tromper il faut la connaître, mais aussi qu'ils sont mal conduits et surtout s'adressent indifféremment à tous. C'est cette dernière caractéristique qui sera reprochée à l'écriture, comme on le verra. Pourtant la déformation de la vérité serait attribuable en premier lieu à l'amour.

Voilà, Phèdre, ce dont je suis amoureux, moi : c'est des divisions et des synthèses. J'y vois le moyen d'apprendre à parler et à penser. Et si je trouve quelque autre capable de voir les choses dans leur unité et leur multiplicité, « je marche sur ses traces comme sur celles d’un dieu ».

Puisque la fonction du discours est de conduire les âmes, il faut de toute nécessité que celui qui veut devenir orateur, sache combien il y a d’espèces d’âmes. Or, il en est de plusieurs sortes et de diverses qualités. De là vient que tels hommes sont tels, et tels autres sont autres. À ces distinctions correspondent respectivement autant d’espèces de discours. Il est ainsi facile de convaincre d'une chose tels hommes, par de tels discours et telle cause tandis que d'autres résistent aux mêmes moyens de persuasion.

L'écriture ne peut produire, en effet, que l'oubli dans les âmes en leur faisant négliger la mémoire. Se fiant à l’écriture, c’est du dehors, par des signes extérieurs, et non plus du dedans et du fond d’eux-mêmes, que les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu as trouvé le moyen, non pas de retenir mais de transformer les souvenirs. L'écriture va procurer à ses disciples la présomption qu’ils ont la science, non la science elle-même, car, lorsqu'ils auront beaucoup lu sans apprendre (sans maître?), ils se croiront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants de commerce incommode, parce qu'ils se croiront savants sans l'être.

Une fois écrit, tout discours va de-ci de-là et passe indifféremment dans les mains des connaisseurs et dans celle des profanes ; il ne sait pas distinguer à qui il faut parler, ni avec qui il est bon de se taire.

Tant qu’on ne connaîtra pas la vérité sur chacune des choses dont on parle ou écrit, qu’on ne sera pas capable de définir chaque chose en elle-même, et qu’on ne saura pas, après l’avoir définie, la diviser en espèces jusqu’à ce qu'on arrive à l’indivisible ; tant qu’on ne saura pas de même pénétrer la nature de l’âme, reconnu l'espèce de discours qui convient à chaque nature, disposé et ordonné son discours en conséquence, de façon à offrir à une âme complexe des discours complexes, ajustés en tout point à ses exigences, et à une âme simple des discours simples, jamais on ne sera capable de manier l’art oratoire aussi parfaitement que le comporte la nature du discours, ni pour enseigner, ni pour persuader, comme nous l'avons fait voir dans tout ce qui précède.

Les discours composés pour être étudiés, prononcés pour l'instruction des auditeurs et véritablement écrits dans leur âme avec le juste, le beau et le bien pour sujet, sont les seuls qui soient clairs, solides et dignes de considération.

Platon paraît bien injuste envers l'écriture qui non seulement a fait sa gloire mais est certainement une condition de la philosophie (ne serait-ce que pour lister et confronter les arguments) tout comme de la politique (ce qu'il reconnaît pour l'écriture des lois). On peut noter d'ailleurs que le Théétète se présente comme le recueil par écrit d'une conversation de Socrate. Ce qu'il faut souligner, c'est que la valorisation de l'intériorité vivante opposée à l'extériorité de l'écriture est complètement inséparable de sa mythologie des âmes ailées. A rebours, pour une philosophie de l'information, c'est au contraire l'extériorité qui nous forme (le cerveau est l'organe de l'extériorité : perception, mémoire, apprentissage, mouvement). Bien sûr, faire du sujet un simple noeud de relations et l'effet de déterminations extérieures semble le priver d'une âme qu'on puisse aimer, comme un quelconque robot. Sauf à y introduire le désir de désir. Ce qu'on peut en retenir, c'est que l'illusion de la personne est un masque nécessaire, le narcissisme met une limite à la lucidité (on a vu la difficulté d'admettre que nous ne sommes pas le centre du monde et que nous ne descendons pas du ciel mais des arbres !). En tout cas, ce n'est pas la question de l'écriture qui m'intéresse ici, moi qui suit un homme de l'écrit, pas du tout un homme de parole, pour qui la parole est trompeuse par ses séductions, justement, alors que l'écriture est précieuse par sa capacité de correction à l'opposé de sa fonction d'expression d'une prétendue authenticité. Si l'écrit me paraît préférable, c'est au nom de la vérité et de l'universel, du travail du texte (exigence qui ne s'applique pas, par exemple, à la musique improvisée que je pratique exclusivement). Ce n'est pas nier la subjectivité mais au contraire en tenir compte et la tenir sur ses gardes.

Ce qu'il faut voir dans l'éloge du savoir vivant, c'est plutôt l'autre face de l'amour de la vérité qui est la relation entre maître et élève, transfert de travail qui implique l'amour du maître pour l'élève tout autant que l'amour de l'élève pour le maître, multipliant à chaque fois les illusions de l'amour comme autant d'obstacles à la simple vérité (donnant trop d'assurance au maître et de servilité à son élève). Ce n'est pas que l'écrit nous délivrerait de l'amour, de l'admiration, de l'idéalisation. Le divin Platon a lui-même suscité un véritable culte à cause de ses écrits (et de leurs obscurités faisant croire à un savoir supérieur). On ne se débarrasse pas de l'amour ni du désir. Malgré tout le mal qu'on peut en dire, il est impossible de se passer d'amour pas plus qu'on ne peut se passer du sens, du plus-de-jouir, du bien suprême, de la séduction (désir de désir), de l'enthousiasme, de la fraternité, de la transgression, de la loi... Ce n'est pas que tout se passerait bien, au contraire, tout cela est bancal, il n'y a pas d'harmonie préétablie mais le désir dérègle le mécanisme, l'amour dérange nos vies et si on ne peut s'en passer, il faut au moins le reconnaître et reconnaître les limites que cela impose à notre clairvoyance. Ce qu'il faut admettre, c'est cette nécessité de l'amour et du désir bien qu'ils nous aveuglent, parce qu'ils nous aveuglent et embellissent l'être aimé, c'est notre inadéquation à l'universel alors que l'amour et le désir sont la part inéliminable et précieuse du subjectif malgré ses errements, ses délires, ses folies qui sont notre condition.

On n'existe jamais plus que dans l'amour car on existe pour un autre - ce qui est vrai aussi dans la fraternité des combats - mais ce qu'on prend pour la vérité même se paye de grandes déceptions. Le conflit est inévitable entre la représentation embellie par le désir ou les sentiments et la dureté du réel qui résiste à notre volonté, monde d'une infinité de déterminismes opposés à notre liberté subjective. On prétend à l'universel et influer sur le cours du monde alors que notre monde est tout petit, une bulle limitée à notre occupation immédiate qui nous révèle un monde effectivement, intentionnalité qui donne sens aux choses, dirigé vers son objet et qui atteint son but mais a besoin d'être relancée à chaque fois. Il est curieux comme on rêve d'utopie et d'harmonie parfaite alors qu'il n'y a rien de pire que la satisfaction - ce n'est plus vivre que de ne plus rien attendre de la vie. Notre surmoi veille à ordonner notre jouissance et poursuivre l'impossible ou transgresser l'interdit. Chacun supporte cela comme il peut, dans la bonne humeur autant que possible, dans la mauvaise humeur souvent, mais qu'on ne parle pas d'un épanouissement naturel quand, en dehors de quelques éblouissements, on est plutôt ballotté de la souffrance à l'ennui ! Reste l'amour qui a plus de place dans notre vie que la mort sans doute (moins que le travail) mais on a beau prétendre que c'est incontestablement un mauvais calcul de payer quelques rêveries anciennes d'un chagrin d'amour infini, on tient malgré tout à ces niaiseries, plus que la vie même.

Le noeud est là, pas de savoir ni de sujet sans désir mais ce désir est trompeur. Il ne peut y avoir de sagesse au bout, seulement un désir de sagesse tout au plus. De quoi sans doute conseiller de ne pas trop mêler nos passions à la politique. Peine perdue car la politique est peut-être encore plus le lieu des passions et des illusions, amour du maître, fraternité des combats, communion des foules dans les grands discours et l'affirmation émouvante des valeurs, amour universel qui pleure sur la misère ou amour de la patrie qui est rejet de l'autre (pour Carl Schmitt l'amour serait même le seul fondement de la politique, justifiant tous les états d'exception alors qu'il s'agit plutôt de vivre avec ceux qu'on n'aime pas). Là encore, il ne s'agit pas de trop médire de l'amour. Les émotions politiques peuvent être si puissantes qu'on veuille absolument les retrouver, comme d'autres cultivent le sentiment océanique d'appartenance à l'univers. Il ne s'agit pas de s'en débarrasser mais de tenir compte autant que possible de leurs égarements. La bonne dialectique, avons-nous vu, conserve ce qu'elle critique et tout en étant conscients de ses folies, il nous faut sauver ce qu'il y a de vrai dans l'amour, tout comme la vérité de l'utopie ou de l'indignation morale, mais la politique, c'est aussi vivre avec des gens qu'on n'aime pas, qui ne sont pas de notre bord !

Il faut être clair. Ainsi, ce n'est pas parce que je crois indispensable de critiquer les impostures et l'ineffectivité de la morale ou de l'aspiration à un sens global que cela m'empêche d'être moral, voire moralisateur, ni d'avoir une représentation du monde, une cosmologie qui donne sens à mon existence. Pareil pour l'amour. C'est juste que je n'y crois pas trop, sait que notre (pré)histoire est sans cesse réécrite. Savoir provisoire, comme tout savoir scientifique, éthique approximative, action prudente sur des forces qui nous dépassent, c'est comme avancer pas à pas à travers une forêt touffue pleine de pièges et qui nous bouche la vue. Le savoir absolu, c'est de savoir que le savoir est toujours limité, d'être le savoir d'un sujet, produit de son interaction limitée avec le monde. Leçon de modestie pour un être pas tout-à-fait rationnel - il n'y a de folie que d'homme - qui est bien plus le produit de son temps qu'acteur de l'histoire où ce ne sont pas plus les idées qui triomphent mais la force matérielle. On n'est pas le maître du temps comme on l'est du récit qu'on peut en faire.

De nos jours, pourtant dominés par la techno-science, il semble que tout le monde soit platonicien et ne croit qu'aux idées qui circulent maintenant sur internet à la vitesse de la lumière. Le réel n'existe pas, il ne serait qu'idéologie et chacun se voit comme sauveur du monde avec sa petite idée simpliste pour régler tous les problèmes et faire régner l'amour et la vérité. Croire aux idées semble un devoir moral et l'affirmation de notre liberté sinon de notre humanité. Que tout cela ne change rien à rien n'est pas pris en considération, simplement dénié (ce ne serait qu'une question de majorité). Le "Yes we can" s'est pourtant bien dégonflé à pas grand chose...

En tout cas, notre situation politique est on ne peut plus désastreuse entre illusions d'un côté et déterminismes implacables de l'autre. Lire le Phèdre n'est sans doute pas ce qu'il y avait de plus urgent, s'éloignant un peu trop de notre présent, et je pourrais m'excuser comme à la fin du Charmide, d'avoir raté mon coup et laissé la question en suspens mais c'est pour dénoncer les fausses idéologies et revenir au matérialisme que j'étais revenu à Socrate et sa critique du savoir qui n'oublie pas la place du désir. En allant voir du côté de Platon et de son effort pour "dépasser" cette position socratique vers une tentative de reconstruction du savoir (et de la politique), il m'a semblé nécessaire de souligner l'irrationalité que l'amour et le désir introduisaient dans la recherche de la vérité qui ne peut s'en passer pourtant, sonnant le glas d'un rationalisme ou scientisme trop étroit. Occasion surtout de réfléchir à ce jeu de l'amour et de la vérité dans lequel nous sommes pris et la politique aussi.

Suite : L'évolution d'Aristote ->

Article intégré à une petite histoire de la philosophie.

4 481 vues

35 réflexions au sujet de “Amour et vérité”

  1. Il existe des tendances à la réunion des forces chez tous les êtres sociaux. Nous n'y échappons pas. L' amour, le désir, le désir de désir, et en négatif, la peur de l'exclusion du groupe, contribuent à la construction de cette réunion des forces. Des groupes humains se constituent et font des choix qui se révèlent, à l'usage, contradictoires, avec les autres groupes, avec leur expansion. Les forces de cohésion peuvent s'opposer à reconnaître certaines réalités, elles peuvent se nourrir à des mythes ou des idéologies. Mais la vérité n'exclue pas les contradictions et les conflits.

    • Merci pour ce texte , mais vous avez eu cette témérité, du moins je trouve que c’est problématique, de faire un lien entre votre critique systématique des idéologies de la gauche dite radicale (qu’on pourrait justifier par d’autres développements conduisant à un débat?) et des textes de Platon et d’Aristote.
      J’apprécie par exemple votre remarque sur le sens du terme Aufhebung, chez Hegel qui est porteur de l’ambigüité entre « abroger » et « conserver » Ceci renvoie en effet à la réfutation socratique. Par rapport aux philosophes grecs Hegel attribue cette possibilité à la langue allemande elle-même laquelle dit-il convient à un esprit spéculatif , facilité par les possibilités de sa langue utilisant des mots composés et donc de réunir des significations contradictoires. C’est en effet intéressant de comparer ceci avec le procédé de la maïeutique chez Socrate. Et tout autant d’ailleurs aussi pourquoi pas avec la thèse du « chat de Schrödinger » qui est en même temps vivant et mort, à la fois A et non-A donc, comme image-exemple de la détection d’un particule dans l’infiniment petit? Ce qui laisserait pantois Socrate et choquerait Aristote ! Lequel Aristote disait pourtant que « la substance est un être caractérisé par la manière dont on en juge ». Le capteur ou récepteur est déterminant. Quand à dire une critique de l’actualité de nos partis de gauche par rapport à Socrate et cela en bondissant par-dessus la pensée occidentale classique, et toute cette durée pendant laquelle les mots on changé de sens, et sont traduits par des grammaires différentes ? A quoi cela sert-il?
      Par exemple une traduction actuelle peut transcrire « mania » par « délire » : il faudrait être spécialiste en grec ancien pour vérifier le sens des dialogues socratiques transmis par des auteurs pourtant reconnus fiables ? Autre exemple s’agissant du mot définissant la
      « subjectivité » longtemps considérée comme « créatrice d’illusions », car portée par la chair sensible : Dans quel sens est-il employé par tel auteur actuel ? L’adjectif « subjectif » désigne-t-il ce qui est personnel, contingent, par opposition à « objectif », qui tient au contraire à la neutralité scientifique dans sa recherche du permanent, du vérifiable ?. En logique, pour Aristote, le sujet est ce dont on parle en émettant à son propos des prédicats. Le mot est assez synonyme de « substance » concept dont la modernité dénonce l’imprécision. J’apprécie donc que la mésologie (voir Augustin Berque) ait créé le néologisme « subjectité » pour affirmer désormais, pour tous les êtres vivants, le fait qu’ils soient des sujets, souverains d’eux-mêmes selon leur espèce propre. Cela, ça justifie l'écologie! Concept différent de la subjectivité telle qu’on nous l’avait proposée en un sens limitatif. Que vient faire la démagogie de la gauche dans ce contexte?
      Plus que la seule critique de comportements et d’idéologies économico-politiciennes, la modernité a un besoin urgent de recourir à la philosophie. Merci d’avoir cette démarche, devant le dérèglement climatique créé par un certain développement humain.. Mais pour donner à reconnaître la corrélation entre le vivant et le milieu : co-suscitation, trajections, chaînes trajectives en lien avec l’évolution sur le long terme, etc…!
      Pour revenir à la diversité des langues, qui justifie un attachement prudent aux nationalités, Augustin Berque souligne comment le Japon moderne( Ecole de Kyoto) en imitant la culture occidentale pour préserver sa souveraineté propre, mais en se basant sur les spécificités de sa langue et des cultures orientales, ne s’enfermait pas dans notre conception classique d’un « sujet pensant » absolu ,et abstrait, mais distinguait « le sujet existant », le « regard subjectif », le « sujet grammatical », le « sujet logique ». C’est plus proche de la démarche socratique que de Descartes… Ce qui favorise cette négation du sujet absolu (dans le cogito) c’est la pratique effective d’une langue qui ne dit pas « je ». Un japonais ne dit jamais, dit Berque, « je pense que Marie est triste », mais plutôt « Marie semble triste » Le locuteur n’impose pas son jugement, mais transmet une ambiance… Locale,... conforme à son milieu,naturel autant que culturel, donc à sa tradition éco-technico- symbolique en évolution? Laissons un peu le politique?

      • Même si je pars bien d'une critique de la gauche des valeurs qui fait barrage à une gauche des possibles (notamment localement), dans ce texte il n'est pas question de la gauche, encore moins de la gauche actuelle, mais de la politique en général, la démagogie de la droite étant un degré au-dessus de celle de la gauche. Je parle d'une constante depuis Platon, celle de l'idéal et des valeurs. La place de l'amour et du désir ne date pas non plus d'aujourd'hui.

        Une des raisons de cet article, c'est de récuser le fait que le but de la politique devrait être l'amour, alors que c'est de vivre avec ceux qu'on n'aime pas. C'est sur cette question de l'amour que j'ai rompu avec le Grit (plutôt avec Edgar Morin et Patrick Viveret). En même temps, j'en reconnais la nécessité, qu'on ne peut s'en débarrasser pas plus que du subjectif.

        Ici, le subjectif, c'est le désir, c'est-à-dire le manque.

        • Je comprends mieux vos intentions après cette précision.
          Question: Sont-ce les deux extrêmes, dites démagogiques, qui opposent à un pragmatisme d'un "autre monde possible", le respect d'un idéal originaire et de valeurs morales immuables? Ou bien ceux qui s'affirment politiquement comme modérés, ou bien politiquement au centre, c'est à dire défenseurs de l'ordre présent? (Quel que soit l'époque, il disent que: "il n'y a pas d'alternative" à ce qui est selon eux). Et de ce point de vue de l'empathie, l'amour, le dialogue du "Phèdre" est vraiment très enrichissant . Merci de nous avoir renvoyé à sa lecture!

          • On ne peut sans doute trop généraliser mais je ne vois que démagogie dans le discours d'un Sarkozy par exemple. On voit bien aussi que Hollande qui a cédé à la démagogie électoraliste avec sa taxe à 75% fait de plus en plus appel aux valeurs à mesure que sa politique échoue. Il est cependant certain que plus on est extrémiste et plus on est dans l'idéal sans souci du faisable mais tous les dictateurs font appel à l'amour (culte de la personnalité) et professent une harmonie sociale qui les arrange bien. On n'a jamais un politicien qui dit qu'il ne peut rien faire. La difficulté, c'est de ne pas troquer l'idéal pour l'acceptation du réel mais pour sa transformation effective, transformation incontournable car, il n'y a pas d'alternative, on ne peut continuer comme ça !

        • Le désir=le manque? Peut-on réduire le désir au manque?
          Est-ce que le désir ne recouvre pas aussi la tendance à l'évolution du vivant?
          Désir=manque=vie?
          Le vivant étant caractérisé par sa capacité à utiliser les informations à sa disposition pour croître et coloniser, et par sa capacité à évoluer pour (?) mieux exploiter les ressources à sa portée?
          Dit autrement, est-ce que notre fascination et notre attrait (désir) pour ce qui est nouveau ne tirerait sa source que du manque?

          • Aristote dit aussi à peu près la même chose, qu'il y a un plaisir qui ne vient pas d'un manque, plaisir de la contemplation, on pourrait ajouter de la nouveauté qui est récompensée, comme on sait, pas la dopamine. Platon parle plutôt de réminiscence du beau mais je ne fais que suivre le texte à définir l'amour comme désir et le désir comme manque (le fait que l'amour soit manque de l'autre est quand même très communément admis/vécu). Ensuite tout dépend de la définition qu'on se donne, comme dit Socrate mais un désir de nouveauté est un manque de nouveauté. Que le plaisir de la nouveauté soit biologique, comme tout autre plaisir addictif, n'empêche pas que le désir qu'on en éprouve résulte de la sensation d'un manque.

            Je réfute à chaque fois que l'évolution résulte d'un désir, elle est toujours subie, par contre l'exploration fait bien partie de nos gènes et de nos conditions de survie.

          • "Je réfute à chaque fois que l'évolution résulte d'un désir, elle est toujours subie",

            pour ma part, je n'en sais trop rien, mais je garde la porte ouverte à l'éventualité qu'elle ne soit pas que subie et qu'elle recèle bien une part de désir. Je ne vois pas comment pousser plus loin pour trancher.

      • Franchement, cette discussion sur Aufhebung c'est un peu ridicule. En allemand courant Aufhebung est sans ambiguïté, c'est une pure et simple annulation, le contraire de conservation. Comme le Aufhebungsvertrag que j'ai signé.

        Ou alors, dans des spéculations étymologiques, on prend la racine heben, relever la tête par exemple, den Kopf heben, qui permettrait effectivement toutes les annulations ou résiliations nécessaires pour conserver le principe primordial d'origine à un équilibre originaire.

        On retrouve cela dans la posture physique humaine, se redresser sans rien changer des courbes vertébrales, ne revient qu'à conserver les tensions, sans les annuler, mais en les accentuant.

        Se redresser dans un mouvement d'annulation de conservation des tensions est d'une autre nature et d'une autre forme de mouvement. C'est un redressement réel dans l'abandon spontané d'une "négociation", c'est tout un art encore peu exploré.

        • Comme d'habitude Olaf votre remarque enrichit la
          réflexion sur la méthode de Socrate qui relève, remet sur le tapis, ce qui dans l'exposé de la thèse, ou plutôt dans les prémices avancées par l'interlocuteur, peut être objet d'une négation?

          • La question dialectique c'est toujours qu'est ce qu'on annule pour conserver quoi ? Et lycée de Versailles.

            Sinon, un verbe en allemand peut souvent signifier une chose et son contraire selon le contexte et ses préfixes ou pronoms relatifs, en découlent les déclinaisons des compléments, accusatif, datif, génitif...

            Toute cette cuisine grammaticale germanique change du tout au tout le sens d'une phrase.

            C'est pour ça que c'est un peu compliqué de passer de l'allemand au francais.

            Aufheben sich, par exemple, peut selon le contexte signifier s'annuler ou s'équilibrer.

  2. Socrates recherche peut-être à mettre en lumière les milles facettes de la vérité, y compris la subjectivité et le désir des observateurs. Le dialogue est alors au service de l'expression, pas nécessairement de LA vérité. Est-il dans le schéma des aveugles qui décrivent un éléphant en n'ayant exploré qu'une petite partie?

    Platon me suggère de sortir la tête du sac dans lequel elle est, mais pour me plonger tout de suite la tête dans un autre sac. Ou le pouvoir des idées, le volontarisme, le pouvoir du désir.

    Aristote, peut-être le plus proche de nous, la recherche de la vérité, l'expérimentation, le mécanisme.

    • A ce qu'il semble, Socrate ne cherchait pas LA vérité mais était toujours en recherche de la vérité sans l'atteindre souvent. Voulant garder son non-savoir, il prétendait ne faire que présenter les arguments des autres et surtout montrer qu'on affirmait une chose puis son contraire avec une égale conviction, sans prétendre que tout se vaut mais qu'on a toujours le risque de se tromper. Socrate s'intéressait à cette ignorance plus qu'au savoir, il ne cherchait pas à construire un système basé sur une certitude mais ébranler nos convictions. L'histoire de l'éléphant n'est pas son problème (la chose en soi) mais plus celui de Platon dans sa caverne qui rêve de contempler le Bien en soi.

      Je me sens effectivement bien plus proche d'Aristote mais Platon n'est pas sans raisons non plus et un des plus grands esprits de l'humanité, sa mythologie de l'âme répond à une nécessité, désigne un autre mode de réalité qu'on peut dire symbolique (ou géométrique) que viseront aussi les monothéismes, comme création de la parole et de l'écrit. Ce sont les conséquences politiques qu'on peut dénoncer, comme l'avait fait Machiavel, sans pouvoir s'en débarrasser.

      • Effectivement, Platon et son monde des idées est assez géométrique, un peu comme le domaine des mathématiques, d'où découle la physique mathématique permettant d'anticiper parfois la réalité à partir d'équations. Tel Einstein prévoyant la déviation de la lumière au passage proche d'un astre massif avant la vérification pratique.

  3. « Une philosophie de l’information établit que…nous sommes façonnés par notre milieu et notre temps plus que par nos origines et notre généalogie »
    Tout lecteur ordinaire et régulier (comme moi) de vos textes apprécierait un commentaire précisant ce que sous-entendent ces prémices ?
    Voici du moins ce que je ressens concernant votre billet :
    Après avoir été le défenseur d’une « philosophie de l’information » naissante, contre les idéologies héritées du passé,càd dépassées, vous suscitez aujourd’hui notre désir de relire les philosophes grecs, en conformité avec des questions qui sont posées (en urgence!). Comme de soumettre au doute cette philosophie de l’information, en tant que porteuse en fait de nouvelles illusions idéologiques ? Une théorisation de l’information a ouvert (nous le décelons après coup) des conditions nouvelles de comportements sociaux (des cycles inattendus de vie et d’échange,etc... ). Vous contribuez ainsi à nous aider à voir désormais, en relisant Platon et les dialogues socratiques, que leurs spéculations sur l’ordre de l’Univers, critiquant la justification par des fables sur l’origine, l’ordre hiérarchique, la généalogie des ancêtres , découvraient déjà, selon leur propre temps de présence au monde, l’ordre « iconique » universel d’une harmonie des nombres et des formes. Au lieu d’iconiser des personnalités signifiantes, dieux et déesses,etc…) ils avaient préconisé une vision intellectuelle ou rationnelle d’un univers des signes. (en musique, mathématique et géométrie,…) La relecture de tels auteurs anciens permet de mette en comparaison la vérité symbolique des anciennes fables et mythes, et l’aspect fabuleux ainsi transféré progressivement de la philosophie vers la "téchné", jusqu’à cette capacité réelle de la technologie actuelle à produire effectivement chez les hommes ce pouvoir, jadis symbolique, attribué jadis à des dieux et des démons ( identification ou distanciation par rapport à une théâtralité, une mise en scène du microcosme dans un macrocosme).
    Nous sommes effectivement les passeurs en relais d’une tradition éco-technico-symbolique de l’intelligence humaine qui, partant du silex prédiqué en tant que capable d’être modifié en outil, afin de couper, râper, et marteler finement après usure du coupant,...sommes aujourd’hui capables d’une reconstitution artificielle du tissus fonctionnel des neurones humains dans des machines démultipliant les capacités de calculs, et ainsi capables de mettre en connexions fabuleuses des icones totalement abstraites des anciens rapports qu'entretenait une image symbolique ( l’idée platonicienne par exemple ) avec le monde sensible. Entrer dans l’ère de l’information ne doit pas consister à confirmer irréversiblement notre entrée dans une ère de l’arbitraire du signe, une ère sans ce concept de justice dont la philosophie cherchait à définir les contours ? Merci de donner la dessus votre point de vue, plus averti que le mien.

    • Je ne crois pas qu'on puisse parler de tradition (technique, occidentale) pour ce qui relève de l'évolution. Bien sûr il y a des traditions et la défense des traditions a été pendant très longtemps ce qui donnait stabilité aux sociétés originaires (retour aux ancêtres) et permettait la transmission des pratiques mais ce qui brise cette continuité, ce sont les changements extérieurs. Ce n'est ainsi pas une poussée de la créativité humaine qui nous aurait fait évoluer mais une succession de changements climatiques favorisant l'adaptabilité plus que l'adaptation.

      Si je dis que nous sommes façonnés par notre milieu et notre temps plus que par nos origines et notre généalogie, c'est pour m'opposer à Heidegger, Foucault, Derrida. Je suis là-dessus plus structuraliste. Même s'il y a tout un matériel hérité (langue, culture, religion, famille) son sens change en fonction de l'environnement présent. L'islamisme en est l'illustration, innovation qui se croit fidèle à la tradition et prend plutôt la place de la guérilla communiste. On veut absolument avoir une âme ailée, une intériorité libre de toute attache, une ascendance divine mais les preuves sont contraires.

      Beaucoup refusent hautainement d'être guidés par l'information, se voulant guidés par de hautes aspirations, mais il faut bien qu'ils se fient à leur vue et autres signes qui ne sont pas arbitraires pour une philosophie de l'information comme pour la linguistique. Il se pourrait que la question de la justice ne soit pas une valeur intérieure mais soit une propriété des systèmes économiques, des pratiques ou des discours (cf. Boltanski et Thévenot "de la justification") et dépende de rapports de force plus que de la morale (même si on ne veut rien en savoir).

      En dehors du désir de désir, si on ne s'aimait pas, on ne serait sans doute que des hommes-machines.

  4. Même s'il y a tout un matériel hérité (langue, culture, religion, famille) son sens change en fonction de l'environnement présent.
    Oui, mais est-ce si déterminant, à l'échelle des espèces vivantes?
    Plus je vieillis et plus je trouve juste cette formule qu'auparavant je trouvait "magique" de W. Benhamin: "L' autrefois rencontre le maintenant dans un éclair"
    Dans le même temps où j'achetais et lisais le livre de Christophe Galfard " L'univers à portée de main" votre blog m'a conduit à relire Socrate et à le situer dans son époque, et il m'est apparu, dans le moment de ces lectures, que le monde quantique des particules, à l'échelle nouvelle qu'il ouvre, confirme ce que visait la conception atomiste des présocratiques. Ils avaient tort seulement de penser cela à l'échelle de l'atome, justement . Supposant le non mesurable à partir de la plus petite partie visible par le regard à l'oeil nu. Et cela donne une actualité, revisitée par notre haute technologie, au miracle intellectuel grec ancien, qu'il s'agisse de concevoir l'apeiron d'Anaximandre et ses copains ou de concevoir une structure idéale mathématisable du l'Univers avec Platon et Aristote. C'est tout à fait en dehors de tout rapport direct avec les cycles climatiques ( cf votre réponse) que je vois une belle constante des images par lesquelles l'animal humain dit sa spécificité anthropologique, à partir de sa bipédie: La tête au niveau du Ciel et les pieds sur la Terre, et entre eux la chair sensible dont la technique a développé les capacités sémantiques de la perception sensible . Cette chair sensible, notre part animale essentielle, veillons à ne pas en perdre la valeur cruciale! Je récuse le matérialisme structuraliste, dont la fin du XXeme siècle s'est réclamée, pour chercher plutôt dans les pas de la phénoménologie, autour de la question du symbolisme, à partir d'images qui ne soient pas spéculaires ( reflets) mais qui naissent autant comme l'empreinte au contact de la matrice, que comme la matrice se manifestant dans le contact par empreinte , par engendrement: la trace de la main sur la paroi d'une grotte, la trace du pas comme révélation problématique de celui qui est passé. Ainsi la vie s'entretient-elle de la mort, depuis les origines...

  5. Maths ou philo, Badiou semble avoir tranché et pourtant en deçà ou au delà, il y a des univers de pensées. Étant une sorte de geek techno, je ne tranche jamais définitivement. Je conjugue toujours de la folie créatrice avec de la folie vérifiante. Badiou est encore trop dans le concept pur, c'est une erreur à mon sens.

    Sans être très doué pour les maths, je reconnais quand même, à l'instar de Badiou, que d'aboutir à une démonstration après des pages d’errements et de calculs ou/et raisonnements produit une forme de jouissance. De même qu'une expérience de labo qui confirme une hypothèse produit ce genre de plaisir très concret, assez primaire somme toute, que j'ai tapé au centre des cages, comme au foot. Instinct basique du chasseur cueilleur :

    http://www.liberation.fr/debats/2015/09/16/alain-badiou-le-philosophe-ne-peut-pas-rivaliser-avec-le-mathematicien-dans-le-cheminement-vers-la-v_1383918?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#link_time=1442567260

    • La question des mathématiques est cruciale et divise les philosophes entre idéalistes et empiristes (dans le Théétète, Platon réfute que la science vienne des sens). Voltaire disait de Locke "cependant il n'était pas grand mathématicien". Les êtres mathématiques sont effectivement abstraits, incorporels, immatériels, ne passent pas par les sens et fondent des vérités éternelles comme il n'y en a pas dans le monde réel.

      Le secret des mathématiques depuis Euclide (à l'opposé de Pythagore), c'est de partir simplement des définitions ou axiomes, pas du concret ni de propriétés magiques. La déduction logique des propriétés consiste à tirer des conséquences de la définition, propriété contenue dans l'énonciation bien qu'elle ne soit pas connue a priori. Platon peut parler de réminiscence quand l'esclave comprend la démonstration car la conclusion était déjà là, au départ, sans qu'on le sache. La réminiscence est souvenir de ce qu'on avait dit sans le savoir. Vouloir l'étendre aux autres savoirs est une grave erreur, comme de croire à une vérité éternelle en politique notamment.

      La phénoménologie est directement issue de la géométrie et de la théorie des nombres. C'est ce qui va mener Husserl à donner toute sa portée dans ses recherches logiques à l'intentionalité qu'il héritait de Brentano, à déduire comment la noèse structurait le noème, comment la visée déterminait la vision (comment l'amour transfigure son objet). Le problème, c'est quand le réel disparaît derrière le processus de perception alors qu'il n'est plus du tout du même ordre, beaucoup plus chaotique, aléatoire, approximatif, provisoire.

      Il y a un véritable dualisme de la pensée et de l'étendue, de l'idée et du temps, c'est pourquoi il faut un matérialisme spirituel qui reconnaît la part de l'esprit sans le substituer aux déterminations matérielles, aux causes finales et efficientes plus qu'aux grandes idées ou la folle prétention de détenir la vérité sur le juste et l'injuste.

      • Le problème de Badiou, c'est qu'il est philosophe et un peu mathématicien, sauf qu'il n'est pas le "technicien" qui se coltine les emmerdements de la réalité concrète où il faut en permanence fouiller les bugs matériels qui brouillent la théorie initiale.

        Un travail de femme de ménage qui sépare la poussière du tapis quotidiennement et avec patience.

        Concernant la perception du réel, il y aurait beaucoup à dire. Entre autres, les saturations de nos capteurs sensoriels qui sont souvent complètement saturés, selon mon expérience. Le matériel neuro-sensoriel est pourtant bien là, malgré des limites, mais il est mal compris, mal connu et donc mal entretenu.

        C'est sans doute l'un des problèmes ignorés qui pourtant concerne le développement personnel et n'a en fait rien de personnel puisqu'il consiste en une meilleure cognitivité d'interface avec le monde environnant. Tout comme la flore intestinale est un organe intermédiaire écologique.

        L'être n'existe que dans un espace-temps limité à sa durée de vie "opportuniste", l'être en soi permanent n'a pas de réalité raisonnable.

      • "Dès que se développe une notion de polarité entre le bien et le mal, nous sommes pris dans le matérialisme spirituel"

        La recherche pour se libérer des injonctions de toutes sortes qui colonisent notre esprit induit les bouddhistes à émettre une idée bien particulière de ce que pourrait signifier le "matérialisme spirituel".

          • Que le bouddhisme puisse servir des fins qui soient prétentieuses, ça ne fait aucun doute, c'est le lot de toutes les doctrines. Mais globalement, le bouddhisme génère quand même beaucoup moins de violence que la plupart des autres religions.
            Le clergé bouddhiste assure, entre autres, une fonction, comme toutes les religions, celle de métaboliser les culpabilités. Quand on se confesse, c'est du même tonneau. Mais le bouddhisme est plus sensible à l'ensemble du monde, vivant et non vivant, c'est à dire qu'il s'applique à la métabolisation de tous les torts que nous pourrions causer aux autres humains, mais aussi à tous les êtres vivants et même à notre environnement. Il me semble assez en phase avec notre époque qui a besoin de faire un peu plus attention aux êtres et à l'ensemble de l'écosystème.

            Malgré sa doctrine sur l'impermanence qui me semble particulièrement bien vue, cela n'a pas empêché les tenants du bouddhisme de construire de statues géantes censées être éternelles et de vénérer les vieilleries.

  6. là j'ai trouvé un truc pas trop connu elle a quand même fait un fois l’Olympia en première partie de la rue kétanou c'est eskelina la petite merveille scandinave qui est très sur cette articulation entre amour et vérités et de belles balades et de belles chanson avec un français impécable ( elle avait eu du mal et s'est mise en danger pour venir en France vers sarlat !! près de chez moi ... si vous avez aimez la folk de simon et garfunkel vous aimerez et fredonnerez eskelina avec joie et délectation

    http://www.eskelina.com/albums/
    Albums | Eskelina | Chanson folk
    Chanson folk
    eskelina.com

    Son accent ne vous dit rien, il vient d’un ailleurs qui n’a pas l’habitude de chanter la langue de Brassens. Et pourtant, c’est de cet endroit qu’arrive une merveilleuse nouvelle pour la chanson française. Elle s’appelle Eskelina, elle a grandi quelque part en Suède, coincée entre les grandes forêts scandinaves et la mer Baltique, elle nous offre un album amoureux, féminin, libertin, rebelle et d’une simplicité déconcertante. Un album qui est en passe de permettre à ce petit bout de femme de s’imposer durablement dans le paysage de la chanson.

    Elle rencontre un jour Christophe BASTIEN, guitariste du groupe DEBOUT SUR LE ZINC, à qui elle donne une démo. Lui qui a toujours rêvé de composer pour une femme a trouvé sa voix. Il appelle pour les textes Florent VINTRIGNER, parolier et élève d’Allain LEPREST, qui officie dans LA RUE KETANOU. Rendez-vous est pris chez lui, à Giverny en Normandie. Ces trois-là apprennent à se connaître et la magie opère. Ils partagent le même amour du voyage, de la bohème, de la scène et une sensibilité commune. Et c’est autour d’une table et d’une guitare que les chansons jaillissent, amoureuses (« Milan »), rebelles (« Entre les lignes », « Désordre »…) libertines (« Emilie »), érotiques (« L’Amoureuse »), voyageuses (« La valise rose » ). Tout un répertoire se construit autour d’ESKELINA à la fois muse et complice des deux garçons.

    La jeune femme part alors sur les routes. Elle effectue de nombreuses 1ère parties et se fait remarquer sur de nombreux festivals (1er Prix du public et 3ème Prix de Jury LE MANS CITE CHANSON, 3ème prix du public au festival ALORS CHANTE, Musicalarue…). Elle rentre dans la foulée en studio pour l’enregistrement du disque. Les arrangements sont simples, chaleureux, acoustiques, boisés, dans la veine des SIMON & GARFUNKEL de son enfance. Une bonne chanson n’a pas besoin de plus.

    Aujourd’hui l’album est né et paradoxalement, dans cet album, Christophe et Florent occupent la place de l’interprète. Des interprètes qui ont traduit, en mots et en musique, ce qui brûle au plus profond de cette femme. Ce disque n’a pas été écrit et composé par Eskelina, il est Eskelina, et tout ce qui bat en elle.

    Par VICKEN SAYRIN, attaché de presse – vicken.sayrin@vscom.fr

  7. Continuer avec "le Politique" aurait pu se justifier mais un livre vient de sortir sur ce dialogue :

    Pour la présenter, Platon utilise le célèbre paradigme du tissage qui fait de la politique un art de l’entrelacement, visant à harmoniser entre eux des éléments différents pour en faire un même tissu.

    Platon fait de la politique une science, mais celle-ci est une science cognitive et non pas pratique, c’est-à-dire une science qui cherche à connaître et non à produire. Cela s’explique notamment par le fait que le roi règne par son intelligence et non directement par son corps. Mais cette position pose une difficulté car la politique est bien par ailleurs une science de l’action. C’est pourquoi Platon range cette science parmi celles qu’il appelle « prescriptives ». Elle conduit à l’action mais de façon médiate.

    Platon considère que le véritable politique, par la science qu’il possède, se situe au-dessus des lois dans la mesure où il en est la source sans leur être soumis.

    http://www.laviedesidees.fr/La-politique-science-pratique.html
    Dimitri El Murr, Savoir et gouverner. Essai sur la science politique platonicienne, Paris, Vrin, 2014

    On voit qu'on n'est plus du tout dans le non-savoir et que la science se situe au-dessus de l'opinion et donc de ceux sur lesquels elle s'applique. La mauvaise façon de s'en tirer, qui a été celle des démocrates en général, c'est de situer la science dans le peuple et de nier la fausseté de l'opinion, ce qui est absurde. La bonne façon, c'est de mettre en cause la supposée science du politique et de l'expert, prise de conscience de leur ignorance et de la nécessité de l'enquête ou de la consultation. La question n'étant pas de faire gagner son camp mais de mener la bonne politique qui n'est jamais connue d'avance.

    • Les processus d'intelligence collective permettent de surmonter le manque de fiabilité de chacun des acteurs pris isolément. Cf par exemple le formidable processus des abeilles qui se cherchent et sélectionnent un nouveau lieu. L'intelligence collective, c'est en quelque sorte être capable de métaboliser les conneries et de sortir un signal du bruit qui mène à un choix correct. Le sondage d'opinion n'est très certainement pas un processus d'intelligence collective!

      • Je l'ai déjà dit plein de fois mais l'intelligence collective qu'on attend du politique n'a rien à voir avec "l'intelligence des foules" qui est plus souvent de l'ordre de la panique des mouvements de foule. Contrairement aux fourmis ou aux abeilles qui sont plus intelligentes en groupe (sorte de multiplication et de sommations des capteurs), nous sommes plus bêtes en groupe qu'individuellement car nous parlons et nous nous faisons des idées, nous croyons savoir et défendons nos convictions au lieu d'aller y voir.

        Aucune méthode ne suffit à éliminer une connerie collective, d'autant plus que plus on s'adresse à une masse importante d'auditeurs, plus le message doit être simplifié pour être audible, favorisant du coup les jugements simplistes. C'est pourquoi on ne peut compter que sur la pluralité d'approches en jouant l'Etat contre le marché mais aussi le marché contre l'Etat. Il faut à la fois consulter les experts (dans leur diversité) et la population (dans sa diversité), tout en rassemblant un maximum de données, avec comme garde-fous la séparation des pouvoirs et le pilotage en fonction des résultats effectifs. Rien de magique, on reste dans le tâtonnement où ce n'est pas forcément la majorité qui a raison.

        Le meilleur exemple qu'on a d'intelligence collective, c'est la science qui n'est pas du tout cette autorité indiscutable qu'on nous présente, encore moins un effet de masse, la recherche étant une discussion perpétuelle et le consensus, toujours fragile, s'imposant par les résultats tant qu'une anomalie ne vient pas le miner. Personne ne déteint la vérité dans les sciences, il n'y a qu'un état provisoire des savoirs qui est une élaboration collective n'échappant au dogmatisme qu'à ériger l'expérience reproductible en seule autorité, condition de son progrès qui consiste à ne pas se fier à nos convictions ni s'identifier aux vérités du jour, ce qui fait que la recherche échappe à l'idéologie (non qu'il n'y ait pas d'idéologie mais qu'elle disparait dans le résultat, éliminée par l'expérience).

        • Là encore l'aspect local est important ; démocratie de face à face où on apprend à se connaître .Comme pour le reste , la natation ou la bicyclette, l'intelligence collective est un apprentissage par la pratique . S'il n'y a pas cette pratique concrète de la démocratie et donc aussi des éléments la structurant , la facilitant , alors oui , c'est difficile et ce sont les volonté de pouvoir , les conneries ordinaires qui prévalent.
          Il y a une matérialité de la démocratie : à partir du moment où sur un territoire les acteurs se rencontrent et réfléchissent et débattent des problèmes locaux-globaux , mettent en œuvre des projets , alors on peut parler d'intelligence collective .
          C'est le but de la politique ; on ne changera pas le monde et on ne parviendra jamais au savoir parfait dans ce monde , mais cette recherche est possible .

          • J'évoque "l'innovation camp" POC 21 dans la revue des sciences en disant que je trouvais ça plutôt décevant. Sans revenir au Whole Earth Catalog, des initiatives plus anciennes de machines open source semblaient plus prometteuse (et ne dédaignant pas l'utilisation des imprimantes 3D pour cela même si ce n'est certes pas la panacée). Par ailleurs, même si j'ai toujours pensé que les imprimantes 3D étaient importantes et changeaient la donne, je n'étais pas aussi enthousiaste que Gorz là-dessus qui y voyait la perspective de l'auto-production quand je privilégie le travail autonome.

Laisser un commentaire