La vérité des religions

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- Permanence et diversité des religions

Les religions sont une réalité massive impossible à ignorer puisque correspondant à un stade décisif de notre développement cognitif au même titre que les mythes. C'est d'abord en effet le produit du langage narratif, de sa grammaire permettant le récit du passé et se substituant au langage simplement phonétique qu'on peut dire encore animal, ne servant que de signal ou de désignation (nomination). Ce n'est pas qu'il était impossible avant de représenter des scènes de chasse en combinant images et gestes, mais le langage narratif ouvre au foisonnement des récits et de leurs univers parallèles, récits du lointain ou de l'invisible, monde du sacré opposé au monde profane (visible, matériel, immédiat), mais faisant exister un monde commun qui est un monde de l'esprit, de la culture, avec un langage commun à des groupes élargis qui en assurent la pérennité et la complexification. C'est sans doute la véritable fondation de notre humanité, plus que l'outil - et bien plus récemment, un peu plus de 100 000 ans sans doute jusqu'à 40 000 ans pour Alain Testart car il se produit une "explosion de la communication à l'aide de symboles vers 38000/35000" (Avant l'histoire, p234). Ainsi, société, culture et religion ("l’état théologique ou fictif") seraient indissociables à partir d'un certain stade pour des êtres parlants qui se racontent des histoires.

Il n'est pas si facile en tout cas de se débarrasser des religions comme l'espéraient les républicains rationalistes et les marxistes - assimilant la religion à l'opium du peuple et l'oppression des dominés par le clergé mais qui auront vu le retour stupéfiant, comme si de rien n'était, de la religion orthodoxe en Russie après plus de 70 ans d'athéisme pourtant (il faut dire que la religion y était remplacée par le dogmatisme du marxisme-léninisme stalinien servant d'idéologie commune). Il ne faut pas se fier à notre France déchristianisée et son improbable laïcité républicaine, héritière de nos guerres de religions. Car les religions sont diverses et se tolèrent mal entre elles, servant de marqueurs identitaires. Il n'a pas manqué de tentatives de les réconcilier ni de déclarations oecuméniques, mais l'exemple de Leibniz montre qu'à vouloir réconcilier protestants et catholiques on n'arrive qu'à se faire détester des deux camps car on ne marchande pas avec la vérité, du moins avec ce qu'on croit tel et constitué en conviction "profonde" inébranlable, existentielle.

De même, ce qui fait obstacle à la récupération des religions par le rationalisme qui prétend en incarner la vérité, c'est le fait qu'elles touchent à la vérité justement et sont liées à des groupes sociaux, des civilisations. "La religion est le lieu où un peuple se donne la définition de ce qu'il tient pour le Vrai" Hegel, p151. Il est significatif que cette récupération par des athées endurcis se formule presque de la même façon chez Auguste Comte, Durkheim ou Alain, débutant par la proclamation que toutes les religions sont vraies pour en donner des explications scientifiques assez différentes mais qui ratent l'essentiel.

- Psychologisme (Alain, universel)

Ainsi, pour Alain, les raisons seraient surtout psychologiques, renvoyant la religion à une nostalgie de l'enfance, quand les adultes étaient des géants, et comme des dieux pourvoyant à leurs besoins ou répondant à leurs prières. C'est manifeste avec Dieu-le-père du christianisme mais beaucoup moins pour l'Islam ou le Bouddhisme. On voit plutôt comme des sentiments archaïques peuvent investir des figures divines. Il faut dire que le parti pris d'Alain était aussi de considérer que "Tout est vrai dans les doctrines" (p26) des différents philosophes, il suffit de le chercher plutôt que de se précipiter à critiquer. Ce n'est donc qu'un cas particulier de l'appliquer aux religions. "Si tout ce qu'on dit est vrai, s'il n'est besoin que d'y remettre la vie, et exactement de savoir ce qu'on dit, il est clair que toutes les religions sont vraies" p76. Cette interprétation qui s'en tient au contenu réduit en fait la religion à un enseignement moral comme les contes sont supposés le faire pour les enfants (mais la morphologie des contes, souvent cruels, montre que c'est leur structure qui est le plus fondamental). C'est pourquoi Alain prend pour principe que "la religion est un conte, qui, comme tous les contes, est plein de sens. Et l'on ne demande point si un conte est vrai". Et bien justement si ! Ce qui les oppose aux contes, qu'on ne doit pas croire, c'est que les religions exigent au contraire qu'on les prenne au sérieux et qu'elles soient la vraie religion, révélant la vérité (la "bonne nouvelle" de l'évangile), qu'on ait foi en elles et non pas qu'on en ait une simple connaissance intellectuelle.

Je me suis aperçu que l'interprétation allégorique promue dans "l'invention de Jésus" (qui en montrait la construction mythique) tombait en fait sous la même critique d'intellectualisme passant à côté de la nécessité pour la religion d'une foi qui sauve (à l'opposé du gnosticisme réduisant la vérité au savoir). L'interprétation allégorique de la religion comme récit mythique relève de l'évidence rationnelle mais consiste à chercher l'enseignement d'une vérité universelle (ésotérique) derrière ses paraboles fictives particulières (exotériques) qui la distinguent des autres religions. C'est chercher l'esprit de textes qu'il ne faudrait pas prendre à la lettre (la lettre tue, on ne le voit que trop). Sauf que c'est rater ainsi la raison sociologique de la diversité des religions (des peuples berbères se sont convertis au judaïsme pour se différencier du christianisme romain), ainsi que la fonction de la religion comme garant de la Vérité et de la Loi, dont la psychanalyse a montré toute l'importance. C'est aussi ce que ratait Aristote en expliquant le besoin religieux par l'expérience intérieure du sacré, de la dévotion, de l'enthousiasme, de la crainte et du respect qui nous saisissent devant la divinité, devant ce qui est supérieur aux hommes, raisons purement individuelles mais qui seraient communes (si le sentiment est individuel, le sacré est social). Cela ne suffit pas à faire une religion ni autre chose qu'une simple superstition.

- Durkheim (sociologie, relativisme)

Les explications psychologiques ne suffisent pas à rendre compte de la fonction sociale des religions, mieux appréhendée par Durkheim dont cependant le relativisme minimise trop l'incompatibilité des vérités religieuses, car c'est bien l'autorité supérieure de la vérité qui s'oppose à la laïcité, à la reconnaissance d'une vérité différente de la sienne, au compromis des croyances. L'utopie de réunir toutes les religions (car elles défendraient toutes les mêmes valeurs universelles, celles de la société) se heurte aux différences culturelles et dogmatiques impossibles à réconcilier, qui sont des différences d'appartenance, et vouloir substituer la science aux religions est confondre science et vérité, ce que beaucoup font, Auguste Comte revendiquant même cette confusion entre science, politique et religion. Le besoin de croyances partagées est plus fort que la simple raison, les sciences ne pouvant s'y substituer, ses résultats étant toujours provisoires et faisant l'objet de controverses incessantes (c'est d'actualité).

La sociologie n'a pas bonne presse, trop vexante à exhiber nos déterminations dans ce qu'on croyait libre et jusqu'à nos sentiments intimes. C'est à ce refoulement qu'on doit le relatif oubli dans lequel est tombé Durkheim (et Maurice Halbwachs) qui a réussi pourtant à donner une vue unifiée des phénomènes religieux dans "Les formes élémentaires de la vie religieuse" bien que les assimilant un peu trop aux croyances animistes alors que leur différence n'est pas seulement de degré, passant de l'immanence à la transcendance. A l'évidence, en tout cas, les religions ne sont pas une réalité psychologique individuelle mais bien un fait social global, un phénomène collectif avec ses rites, un dogme imposé et non choisi (tel prince, telle religion) même si des croyants ou mystiques se veulent plus croyants que leur Eglise et en relation directe avec leur dieu. Comme "une institution humaine ne saurait reposer sur l’erreur et sur le mensonge : sans quoi elle n’aurait pu durer" lui aussi va jusqu'à affirmer que "il n'y a donc pas au fond de religions qui soient fausses. Toutes sont vraies à leur façon : toutes répondent, quoique de manière très différentes, à des conditions données de l'existence humaine".

De façon très hégélienne, la religion ne serait même que l'image qu'une société se donne d'elle-même, et le sentiment religieux la transfiguration du sentiment d'appartenance à cette société. Durkheim définit ainsi la religion comme "système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent" (p.65). "Les phénomènes dits religieux consistent en croyances obligatoires, connexes de pratiques définies qui se rapportent à des objets donnés dans ces croyances", croyances que ces rites associés viennent simultanément exprimer et renforcer, se manifestant en tout premier lieu par une séparation fondamentale entre le sacré et le profane. Le paradoxe, c'est que ce constat d'une croyance universelle soit d'un incroyant et d'une froide raison scientifique. "Il ne peut y avoir de société qui ne sente le besoin d'entretenir et de raffermir, à intervalles réguliers, les sentiments collectifs et les idées collectives qui font son unité et sa personnalité" (p610), en s'appuyant sur "une sorte d’électricité qui se dégage de leur rapprochement et les transporte à un degré extraordinaire d’exaltation" (p317).

Durkheim va assez loin dans l'explication sociologique, culturelle, extérieure, de nos représentations qui ne se limitent pas à la religion car prenant naissance dans le langage commun qu'il nous faut apprendre et qui nous soumet à ses dogmes ou catégories, véhiculant une vision du monde particulière, c'est-à-dire un certain découpage du réel, qui nous lie au groupe élargi des locuteurs de la même langue :

Dans le mot, se trouve donc condensée toute une science à laquelle je n'ai pas collaboré, une science plus qu'individuelle ; et elle me déborde à un tel point que je ne puis même pas m'en approprier complètement tous les résultats. Qui de nous connaît tous les mots de la langue qu'il parle et la signification intégrale de chaque mot ? p621

La société ne peut abandonner les catégories sans s'abandonner elle-même [...] C'est l'autorité même de la société, se communiquant à certaines manières de penser qui sont comme les conditions indispensables de toute action commune. La nécessité avec laquelle les catégories s'imposent à nous n'est donc pas l'effet de simples habitudes dont nous pourrions secouer le joug avec un peu d'effort ; ce n'est pas davantage une nécessité physique ou métaphysique, puisque les catégories changent suivant les lieux et les temps ; c'est une sorte particulière de nécessité morale qui est à la vie intellectuelle ce que l'obligation morale est à la volonté. (p24-25)

Ce qui se veut un dépassement de Kant, contestant que ses "formes a priori de la sensibilité humaine" soient universelles et appliqué ici aux différentes religions, ramène la diversité des croyances à de simples différences de style au fond assez indifférentes, voire bénéfiques pour la diversité culturelle. Ce que Durkheim évacue dans ce relativisme culturel revendiqué, qui se veut ouvert à toutes les religions au nom de la science, c'est pourtant bien la prétention des religions de dire la vérité et de constituer le fait d'y croire ou non en enjeu existentiel.

Ce que ce point de vue scientifique évacue, c'est le tout autre rapport de la science à la vérité et aux convictions que les religions, convictions personnelles qui n'ont rien à faire en science. Depuis Galilée, la physique suffit à montrer comme nos convictions (aristotéliciennes) sont systématiquement réfutées par l'expérience, le réel quantique ou relativiste débordant nos capacités de représentation. La recherche scientifique est par définition anti-dogmatique, remettant constamment en cause des dogmes établis, soumis à vérification et en constants progrès. Les dogmes religieux étant sacrés, se veulent, eux, immuables et définitifs comme révélation divine, ce qui en fait des marqueurs identitaires stables. C'est bien la dimension sociale qui prime dans les religions, ce que le sociologue reconnaît mais sans voir que cela rend impossible de substituer la science aux religions. La science ne peut jouer le rôle de garant de la vérité encore moins d'appartenance à sa communauté. Il y a maldonne quand elle le prétend.

Ce n'est pas la même chose avec la morale et l'ambition de tirer de la socio-logie une morale scientifique. "C’est de la science sociale que relèvent les problèmes qui jusqu’ici appartenaient exclusivement à l’éthique philosophique. Nous les reprendrons à notre tour... Seulement, nous essaierons de la traiter scientifiquement". Cours de science sociale, 1888, p106. Cela n'est pas aussi impossible que d'en tirer une religion, et participe de la dilution de la philosophie dans les sciences, mais, justement, la religion ne se limite pas à la morale.

- Religions, politique et dogmatisme

Les religions sont tellement riches que ce n'est pas leur dimension politique, identitaire qui saute aux yeux en premier malgré sa manifestation récurrente dans notre actualité, on reste fasciné par le contenu foisonnant qui s'y greffe, cultivant la nostalgie de l'enfance et la crainte morale (méfiance des incroyants), suscitant de hautes spéculations et productions artistiques, assurant toutes autres sortes de fonctions et de rites sociaux, gratifiant les fidèles de vécus mystiques et de bonnes pratiques - tout cela étant prétendu la pure expression de la vérité divine. Le lien au pouvoir est pourtant assez clair dès qu'on y porte le regard. D'abord, comme on l'a dit, d'être religion imposée (par la cité, le prince ou l'empire). Cela devrait suffire. Rousseau lui-même pensait indispensable une religion civique unissant les citoyens d'une démocratie. La crainte de Dieu se trouve ainsi relayée très concrètement par la crainte de la force ! Cela ne veut pas dire que la religion se limite à être l'instrument du politique car elle acquiert la plupart du temps une certaine autonomie par rapport au pouvoir, jusqu'à s'y opposer ponctuellement en mettant une limite à son arbitraire. La religion incarne, en effet, le respect du dogme et des tables de la Loi, fonction religieuse complétant les fonctions militaire et productive structurant les sociétés (pas seulement indo-européennes). Cette fonction du respect des dogmes peut être assimilée à celle du respect des contrats, si important militairement aussi bien qu'économiquement. Ainsi, l'Islam débute par un contrat militaire entre tribus disparates, fondateur de l'Umma, et le dollar se met explicitement sous la garantie de Dieu (In god we trust) plus que du gouvernement. L'institution du Droit est une fonction essentielle des religions mais qui sert aussi de justification de l'ordre établi et notamment, il faut le souligner, des conquérants (juifs, musulmans, colonialisme). C'est ce qui a fait le succès des religions des vainqueurs, preuve par l'histoire, la durée, la domination, de la nécessité de l'unité idéologique du peuple colonisateur de populations locales diverses.

La croyance ne suffit pas à faire une religion comme on peut le voir avec la sorcellerie qui est combattue par les pouvoirs car elle n'est pas socialisée mais se présente comme un affrontement entre sorciers. Il ne suffit pas de prêter une intention, une volonté à tout ce qui nous arrive et lui donne un sens, ni de personnifier l'esprit du monde. C'est pourquoi l'animisme n'est pas en soi une religion. Dans les religions il faut croire au dogme officiel et se mettre sous l'autorité d'une vérité révélée comme le Dieu de Descartes garantit les vérités mathématiques. Les sciences n'ont pas cette garantie, seulement de leur effectivité, l'une ne peut pas prendre la place de l'autre puisque l'une est dogmatique, tendance originelle, l'autre anti-dogmatique et qu'on peut dire inhumaine mais beaucoup plus récente.

Le dogmatisme ne suffit pas pour autant à faire religion. Ce n'est pas pour rien, en effet, que les religions demandent non seulement d'avoir foi dans leurs dogmes, et tout ce qu'on ne peut comprendre ni voir, mais bien au-delà exigent un acte de foi dans ce qui paraît absurde (credo quia absurdum), de purs oxymores (vie après la mort, homme-dieu, vierge-mère, etc.), impossibles à accepter pour un non croyant. On ne souligne pas assez ce non-sens au coeur des religions et qui fait la fierté de ceux qui se croient capables de comprendre ce qui paraît si évidemment dénué de sens. Il faut céder sur la raison. Après cela on peut croire n'importe quoi, s'assurant de la fidélité aveugle au groupe, ce qui souligne à quel point la religion est d'abord un fait social d'appartenance avant que d'être une doctrine.

- Auguste Comte

Auguste Comte, aujourd'hui bien oublié, précède Durkheim et Alain (qui le reconnaissait comme son maître) mais s'il est intéressant de s'attarder sur lui pour finir, c'est d'une part qu'il est exemplaire de la confusion des vérités voulant mettre la science et sa religion au pouvoir, et d'autre part qu'il est le grand inspirateur du culte laïque répandu par les instituteurs de la république et sans lequel on ne comprend pas tous nos débats sur la laïcité aujourd'hui. C'est, enfin, que la confusion doit être dénoncée entre science et politique comme entre science et religion devant la tentation hygiéniste ou écologiste d'un gouvernement des savants sous prétexte qu'on a incontestablement besoin des lumières de la science (mission bien remplie par le GIEC), mais tout comme de vouloir mettre les religieux au pouvoir, l'utilisation politique de la science mène inévitablement à sa manipulation, sa corruption. Cette confusion peut être attribuée justement au fait de prétendre à une vérité scientifique, d'appeler vérité une loi certes vérifiée mais qui n'est qu'une approximation souvent et n'a rien d'un principe fondateur. Au jour le jour, les études publiées se contredisent régulièrement. Plus rarement, certes, de grandes découvertes arrivent même à contredire d'anciennes théories bien établies, étrange "vérité" pour ce qui n'est qu'un savoir en progrès.

D'ailleurs, Auguste Comte n'ignore pas l'historicité des sciences mais il croit pouvoir appeler tout de même "vérité scientifique" un savoir solide, vérifié, bien que daté. La vérité est pour lui un savoir fiable, sur lequel on peut compter, tel qu'il l'avait appris à Polytechnique, même s'il admettait explicitement que cette vérité scientifique pouvait évoluer avec le progrès des sciences (un peu comme la vérité devenue sujet historique pour Hegel). "L’esprit humain commence à peine à comprendre que la vérité puisse ne pas être immuable". C'est pourtant ce que doit être la vérité religieuse, éternelle, qui n'est pas réfutable par l'expérience ni ne peut connaître de révolutions scientifiques. Il est d'ailleurs significatif qu'Auguste Comte n'ait pas reconnu le changement de paradigme de la science de son temps, rejetant les probabilités qui allaient envahir tout les champs scientifiques, car leur vérité lui semblait trop hasardeuse.

Ce qui a permis le glissement des vérités scientifiques aux vérités religieuse, c'est sûrement la place qu'Auguste Comte laissait au dogmatisme dans la science et son enseignement. Il considérait en effet, non sans raisons, le dogmatisme comme l’état normal de l’intelligence humaine, "disposition à croire spontanément, sans démonstration préalable, aux dogmes proclamés par une autorité compétente". Cette confiance naïve est la condition de la transmission d'informations et de l'enseignement (y compris des sciences) qui se fait inévitablement de façon dogmatique, oubliant son histoire, le processus dans le résultat. "Une fois ces lois, ces faits mis en évidence, leur vérité ne doit plus être discutée". En science, comme en religion, "l’hérétique est celui qui a une opinion" (Bossuet), conception de la science pour ingénieurs qui ne font que l'appliquer, pas pour des chercheurs mettant ces dogmes à l'épreuve.

Surtout, il avait beau prôner le dépassement de la théologie et de la métaphysique par le savoir positif scientifique, le fondateur de la sociologie rêvait lui aussi d'unité sociale et voulait laisser toute sa place au coeur, pas seulement à la froide raison, reconnaissant la nécessité de la religion pour l'harmonie sociale afin de forger une mémoire collective en renforçant la solidarité émotionnelle. "Le mot même de religion indique l’état de parfaite unité qui distingue notre existence, à la fois personnelle et sociale, quand toutes ses parties, tant morales que physiques, convergent habituellement vers une destination commune" (Catéchisme Positiviste). Même à ne pouvoir qu'y échouer, il ne faut pas croire que pour cela, les religions pourraient se contenter d'enfumer les esprits, devant s'appuyer aussi sur de fortes vérités, effectives (notamment morales), et des institutions solides (notamment charitables) pas seulement sur ses professions de foi irrationnelles ou les mystères sacrés, ni même sur les rites communautaires.

Il va sans dire que cette aspiration à l'unité (unis par une vision commune du monde) est un dangereux fantasme, qui a été au principe des divers totalitarismes depuis la Terreur, ne produisant qu'une division encore plus hostile de la société, l'unité se faisant uniquement contre un ennemi commun ou bouc émissaire (la catastrophe écologique ne pourrait-elle être l'ennemi qui nous unit?). René Girard a sans doute eu raison d'insister sur la figure du bouc émissaire et l'importance du sacrifice dans les religions pour ressusciter la communion des fidèles mais ces meurtres symboliques, qui rendent vivants leurs rites et nous rendent complices d'une dette collective, ne sont pas exclusifs des religions qui ne font que s'en servir pour réaffirmer l'unité du groupe et l'adhésion à ses croyances fondatrices sans lesquelles le sacrifice n'a pas de sens. De même, un ennemi menaçant ressoude immédiatement une nation, sans plus de questions, mais, par contre, à vouloir une uniformisation identitaire, religieuse, d'un grand pays, on ne peut que susciter une multitude d'oppositions et de séparatismes avec une montée contre-productive de la répression totalitaire. L'unité nationale d'action ne coïncide pas avec l'unité religieuse de pensée. Or, pour les religions, il est clair que c'est bien la vérité dogmatique qui est en jeu, l'unité de croyances et de valeurs d'une population, obligeant à croire à des histoires fantastiques ou des oxymores absurdes. Et on doit bien constater, en dépit des protestations de René Girard, que cela produit souvent plus de violences et plus extrêmes, qu'elle n'en évite (pas seulement dans les théocraties qui l'illustrent abondamment).

De toutes façons, les choses ont bien changé par rapport à l'époque des tribus primitives, des cités antiques ou du printemps des nations (qui ne s'identifiaient plus à leur prince). L'unité de l'Empire universel de la marchandise et du numérique ne repose pas sur l'unité des esprits mais sur l'unité planétaire. Il y a déconnexion depuis quelque temps déjà du politique avec l'idéologie et la religion dans l'Etat universel (l'Etat de Droit planétaire, l'ONU, l'OMS, l'OMC, et la coordination des banques centrales), on peut dire que cela commence avec la dissidence protestante. Les tentatives de reconstituer cette unité, dont l'absence est cruellement ressentie, ne peuvent qu'échouer lamentablement ou mener au pire. C'est un fait (scientifique), la cohabitation dans nos villes et nos pays n'est plus fondée sur la philia, l'appartenance communautaire, ni sur une vérité partagée mais sur le simple respect des lois. Nous sommes à un nouveau stade de l'universalisme et de la population. Reste l'appartenance pour chacun à des groupes, des idéologies, des religions, mais qui, dans leur diversité, ne se confondent plus avec la société, ne l'organisent plus (voir la description de la sortie de la religion par Marcel Gauchet dans "Le désenchantement du monde"), ce qui d'ailleurs aurait plutôt tendance à en renforcer l'irrationnel qui ne se confronte plus à la pratique.

C'est la confusion de la science avec la vérité puis celle de "la religion comme sociologie" qui ont mené Auguste Comte, à la suite de son maître Saint-Simon, à vouloir élever la science à la religion, faire de la science un pouvoir spirituel. "La science réelle devait d'abord aboutir à la saine philosophie, capable ensuite de fonder la vraie religion". Le résultat est une religion positiviste qui mimait de façon un peu ridicule la religion catholique mais englobait à la fois un système commun de croyances et des pratiques rituelles et sociales réunissant les adeptes autour du culte de la société. Cette religion utilitaire, revendiquant sa fonction sociale, croyait cependant pouvoir se passer de Dieu : "Tandis que les protestants et les déistes ont toujours attaqué la religion au nom de Dieu, nous devons au contraire écarter finalement Dieu au nom de la religion" en mettant à la place l'Humanité existant réellement mais c'était là encore manquer la garantie de la vérité et des contrats, de l'unité du groupe, et une religion sans Dieu (comme le bouddhisme certes) est une religion sans prière ni pardon, sans le Dieu sensible au coeur justement, sans interlocuteur divin qui nous répond et nous juge, sans un autre monde au ciel des idées, enfin, qui justifierait celui-ci.

- A chacun sa vérité

En effet, si le croyant peut maudire les dieux, les trouver cruels, la foi du moins non seulement permet mais lui fait un devoir de célébrer les beautés de notre monde malgré ses injustices et ses souffrances. Seul un philosophe chrétien comme Pierre Magnard peut écrire "Penser c'est rendre grâce", car si l'on doit son existence à Dieu, nous lui devons la gratitude des enfants pour leurs parents, en dépit de tout, et de montrer notre joie, quand la pensée critique ne mène qu'à la révolte et au désespoir ne pouvant donner crédit à la pensée positive des imbéciles heureux.

Les nouvelles scientifiques étant pires de jour en jour, elles ne laissent plus beaucoup de place à l'émerveillement comme au temps du progrès triomphant. On n'en a donc pas fini avec les religions même si elles devraient changer radicalement à l'ère de l'information, de wikipédia et de google où ce qui manque encore, on le constate depuis un moment, c'est bien la garantie divine de la vérité que les scientifiques sont bien incapables de fournir aux politiques avec leurs querelles intestines (scientifiques ou politiques). La reconstitution d'un dogme scientifique prend du temps, les consensus successifs ne se stabilisant qu'après-coup, a posteriori et pour un temps indéterminé avant de nouvelles révolutions scientifiques, ce qui rend illusoire un gouvernement des savants comme de vouloir faire des scientifiques les nouveaux prêtres de l'humanité. Il est très important, et pas du tout accessoire, de prendre la mesure de l'incompatibilité entre les différents régimes de vérité de la science, de la politique et de la religion, ce qui plaide pour une véritable séparation des pouvoirs et l'autonomie de ces différents champs, difficile laïcité qui ne peut être la religion de la science.

Voir aussi Dieu et la science et La science et la vérité.

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23 réflexions au sujet de “La vérité des religions”

  1. Une tribune de chercheurs et professeurs illustre parfaitement cette confusion des vérités en prétendant que "L’échange entre chercheurs et le consensus qui s’en dégage sont la garantie des vérités scientifiques". On se frotte les yeux à voir que des chercheurs puissent croire à une époque bénie consensuelle de la science qui a toujours été l'objet de violentes polémiques. Le consensus n'est jamais immédiat et prend souvent beaucoup de temps (plus de 10 ans et parfois bien plus). Planck disait même qu'il fallait attendre que les partisans des anciennes théories disparaissent pour qu'une nouvelle théorie fasse consensus mais ce consensus ne saurait jamais prétendre pour autant à la vérité, encore moins garantie ! Il y a sûrement pas mal d'améliorations à apporter aux publications scientifiques mais ce qui fait la valeur des études scientifiques n'est pas leur célébrité ni le consensus, c'est d'être efficaces, utilisables, incontournables, productives, sinon on n'a qu'un consensus de théologiens. La confusion persiste donc d'une religion de la science, en contradiction avec son fondement expérimental.

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/09/30/pour-un-retour-au-debat-scientifique-et-a-l-intelligence-collective_6054272_1650684.html

  2. RELIGION, DOGME et ABSURDITE Le concept de religion renvoie à 2 étymologies dont la première s'entend avec 2 sens différents. La première étymologie renvoie aux 2 sens de "religare", relier : soit relier les membres d'une communauté, ce qui érige "la religion comme fait social d'appartenance" ; soit la relation concerne le lien entre le croyant et son dieu, aux esprits ou à la transcendance. La fides quae (la foi qui est crue) constitue donc le contenu des croyances communes partagées dans la communauté et conditionne la forme du lien à la transcendance ou à l'invisible.

    Rien n'est dit à ce stade de la "dogmatisation" et de la dérive ad absurdum du dogme, qui renforce l'abandon de la raison et la fidélisation aveugle. La fides quae peut très bien s'originer et fonctionner (hors de tout dogme) comme mythe fondateur ou explicatif de ce qui se passe dans le macrocosme et le microcosme (voir les cosmologies et cosmogonies de l'antiquité) ou bien encore être comme avec le prophète Jésus un recueil de paraboles de propos circonstanciels et d'actes rapportés.
    C'est là qu'intervient la 3ème étymologie de religion "religare", récapituler, collectionner les textes et traces des prophètes et des mythes fondateurs : toujours pas de dogme et pas forcément de credo ad absurdum. Les dogmes ne naissent qu'avec les enjeux de pouvoir temporel au sein de la communauté, ou bien pour la renforcer ou la couper des autres. C'est pourquoi la collection des textes fondateurs est la première manipulation dogmatique. Une sélection est opérée en fonction de ce qui est jugé le plus utile par une élite dominante, pour ses intérêts ou bien en terme de prosélytisme ou de séparatisme destiné à renforcer la communauté. C'est ce qui s'est passé dans le judaïsme, le christianisme et l'Islam, d'une façon qui peut être à chaque fois historiquement retracée.

    Quel est le sens qu'il y a à être croyant ? La croyance est une réponse à des besoins fondamentaux, de sens, de sécurité, de consolation, de justification ou de remède face à la méchanceté, la violence et l'iniquité. Le tout accouche d'une civilisation.
    Le ressort psychologique et spirituel qui donne sens aux contenus de croyance est la capacité à croire, la Fides Quà, la Foi qui croit, celle qui sauve au delà de toute croyance particulière. Elle doit cependant, pour s'actualiser, forcément prendre une forme particulière et concrète pour pouvoir opérer. La rencontre des deux constitue le "miracle de la Foi", qui est un levier qui donne sens à une vie et au destin historique d'une communauté.
    Là est tout l'enjeu spirituel et temporel de la formulation de la Fides Qae, du contenu des croyances et de sa dégénérescence dogmatique.
    Le prophète stimule la Foi qui croit et formule la Foi crue pour libérer et édifier l'individu et la communauté. La hiérarchie religieuse des dominants vient parasiter et dévoyer la dynamique pour mieux soumettre le croyant, le couper de la part révolutionnaire contre les injustices véhiculée par les prophètes et ainsi mieux contrôler et gouverner la communauté. Ici s'érige, se maintient et se replâtre perpétuellement le dogme. Oui, c'est bien lui qui tiédit ou exalte à force d'absurde la Fides Quà et qui enlève toute virtus et raison libératrice à la Fides Quae.

    En réaction historique, les dogmes suscitent l'athéisme et l'agnosticisme. Ils dissolvent les religions dans l'humanisme ou dans le nihilisme, qu'il soit violent ou consumériste, ou les deux.

    Que faire de la question religieuse dans sa vie ou dans le corps social ? Le postulant à la question religieuse n'est plus face à une croisée des chemins à la Prodicos entre le vice et la vertu. Il tourne dans un rond-point aux multiples options : soumettre à son tour autrui aux dogmes pour en tirer puissance et plaisirs ; s'affranchir des mensonges dogmatiques et retrouver le sens perdu des écritures (la récurrente "revivification spirituelle" des religions) ; rejeter la religion et ses dogmes et placer plutôt sa Foi dans une construction collective humaine du sens et des normes sociales (humanisme, religion civile des nations) ; trouver sa Foi en soi-même et se la forger sur mesure pour accomplir un destin qui le soit aussi, ou bien ce qui revient au même, pour
    au moins se masquer l'abîme Nietzchéen de l'absence de sens de l'Univers, et ainsi pouvoir ne pas le regarder, pour qu'il ne regarde pas en nous.

    • Ce qui sauve dans la religion, c'est de croire à ce qui n'existe pas, dénier notre pauvre réalité, et donc une absurdité. Il y a incontestablement des gains à être croyant (trouver du sens, du réconfort et avoir bonne conscience) mais qui se paient de culpabilité de sorte que le bilan est difficile à faire mais ce qui a imposé les religions, ce n'est pas leur vécu, c'est leur efficacité sociale et militaire qui les a sélectionnées après-coup dans l'histoire.

      Le mot religion qui vient de religio ne renvoie pas à religare mais à relegere dont le sens est du respect scrupuleux, "religieux", des rites, d'une observance dogmatique d'une tradition qui ne se discute pas. La fausse étymologie religare vient des chrétiens depuis Tertullien (le même qui a inspiré le "credo quia absurdum") et c'est en s'appuyant sur cette fausse étymologie que Auguste Comte a cru pouvoir inventer une religion sans Dieu, ce qui est une impasse comme je le montre car ne tenant pas compte du rôle essentiel de garantie de la vérité (dogmatique).

      • Il m'est difficile, et sûrement de peu d'intérêt, de vous répondre sur le fond du tac au tac si nous ne partageons pas la même épistémologie ou la même logique. Pardon de faire le détour.

        Vous lisez les anciens et les modernes, c'est passionnant. Chacun peut y faire son miel et ses choix subjectifs, mais si l'enjeu est d'essayer de penser le réel hors des catégories qui condamnent les uns et les autres à exclure une partie du champ observable pour satisfaire à leur besoin de cohérence, alors il convient soi-même de changer de logique de cohérence. La question est : pourquoi donc penser le monde ?

        L'étymologie est au mieux un support pour la pensée, parfois un argument rhétorique, mais ne peut pas se substituer à elle, sauf à conférer aux contingences linguistiques et phonétiques qui participent au "génie" d'une langue et à la généalogie culturelle d'un mot le pouvoir de réduire les réalités qu'il ne pourra que contribuer à éclairer partiellement. Tout dépend si nous cherchons à comprendre une réalité complexe et multidimensionnelle - ici la religion - ou à fictionner une réalité modelable par l'énonciateur en fonction d'enjeux culturels, philosophiques ou politiques cohérents avec une perspective particulière, la sienne.

        C'est par exemple l'enjeu sous-jacent de la dispute entre les tenants de religare et ceux de relegere depuis près de deux millénaires et que je constate se poursuivre ici. Nous avons pourtant changé de paradigme épistémologique entre temps et le réel est devenu multidimensionnel, multicausal et autocomplexifiant. Tous les penseurs convoqués dans ces notes partagent leur appartenance aux anciens ou aux modernes, c'est à dire à des façons d'aborder le réel qui ne peuvent plus satisfaire les exigences de notre raison 2.0 qui est devenue multifactorielle, interactive et systémique.
        En privilégiant ou en cherchant à faire triompher une étymologie, ce qui est peut-être recherché, c'est le fictionnement du réel ainsi convoqué. C'est soit un idéalisme qui prétend créer et déterminer les réalités qu'il considère, ce qui a d'ailleurs tout à fait son sens dans les réalités culturelles, soit de la rhétorique qui cherche à user d'un argument d'autorité linguistique à partir du signifiant lui-même.

        Je rappelle en aparte ici que l'idéalisme de la raison des modernes avait fait ça dans un registre différent avec le réel en tant que tel (rien que ça) en le réduisant à l'étendue mesurable par un sujet observateur, sans se rendre compte que ce faisant, ils réduiraient le réel à son objectivation, et qu'ils le dé-natureraient de façon littérale et catastrophique en moins de 4 siècles. La pensée moderne n'est désormais plus le dernier stade accompli de la pensée.
        Le réductionnisme logique expose à la rétro-action de l'impensé.
        La religion, comme la techno-science ou la politique, font partie de ces productions humaines qui méritent d'être comprises le plus complètement possible, étant donné leurs conséquences sur nos vies et sur le devenir historique.
        Personnellement, je considère que tout réductionnisme hérité d'une ère révolue de l'exercice de la pensée et de la raison nous prive d'une représentation holistique, complexe et complète d'un concept comme celui de religion, telle qu'elle permette de rendre compte du réel observé et d'éclairer les acteurs qui s'y débattent, s'y disputent, s'y entretuent parfois ou au moins s'y excluent mutuellement chacun dans son mode de pensée identifié au sous-système d'un ensemble.
        Il ne nous sert à rien de définir un concept simplifié qui reste un objet de dispute, un enjeu de pouvoir et un piège pour la communication des êtres qui s'y identifient ou qui le combattent.

        C'est prendre le risque de ne pas rendre compte du réel par confort et besoin de simplicité. Cela, l'exigence de la pensée, de la raison et de la science ne saurait s'en satisfaire sans frustration. Cela nous ferait au moins une constante à travers les âges de la philosophie.

        Pour l'instant la pensée est individuelle, bien que l'intelligence puisse être collective. Peut-être, pour aborder l'hypercomplexité (celle qui dépasse toute possibilité de compréhension holistique, ne serait-ce que par l'effet du principe d'incertitude) devrons-nous réussir à élaborer les pensées synthétiques ensemble, plutôt que de nous contenter d'échanges dialectiques, comme depuis 2500 ans.
        Cela supposerait bien sûr qu'il y ait encore des gens pour prendre le temps de penser.

        • Je n'ai plus beaucoup d'estime pour la pensée ni pour une intelligence collective qui brille par son absence alors qu'elle serait vitale. J'espérais une démocratie cognitive avant d'avoir pris la mesure de notre commune connerie dont la reconnaissance est au principe de la science expérimentale qui seule empêche de délirer.

          Pour l'étymologie de religion, je ne prétends pas innover ni défendre une opinion : il suffit d'ouvrir un Gaffiot ou le "Vocabulaire des institutions indo-européennes" d'Emile Benveniste, et le passage à la nouvelle étymologie chrétienne est bien documentée. Ce qui est intéressant, c'est de voir l'utilisation qui en est faite mais l'étymologie ne prouve rien (et je ne l'ai pas invoquée pour ma part) sinon que, pour les Romains, les rites religieux renvoyaient à des traditions transmises, ce qui n'était justement pas le cas pour les premiers chrétiens et les rendait inacceptables pour l'Empire pourtant ouvert à tous les anciens cultes dans leur diversité pour autant qu'ils sacrifiaient au culte de l'empereur malgré tout (que refusaient Juifs et Chrétiens).

  3. Excellent article mais qui me laisse perplexe en ce qui concerne la foi. Vous en parlez comme si elle était nécessaire à toute religion, alors qu'à mon avis elle date des monothéismes. En effet, la foi est nécessaire pour s'opposer à des vérités religieuses anciennes ou nouvelles, mais elle ne l'est pas pour des religions qui ne se connaissent pas de concurrentes. Selon moi, c'était le cas du paganisme et du totémisme étudié par Durkheim.

    Et puis, la notion de Vérité, (qui va de pair avec la foi dans votre discours), n'existe guère que depuis l'Antiquité grecque, et ne peut pas servir à comprendre le fondement des religions comme Durkheim l'a fait.

    • Certes, on a pu se demander si les Grecs croyaient en leurs mythes, mais ce n'est pas vraiment la question, la foi ici étant fidélité à la cité et étant invoquée quand même pour condamner à mort Socrate ou des généraux victorieux n'ayant pas respecté les rites. On ne peut dater la foi des monothéismes qui lui ont donné seulement une forme plus tranchée (depuis Zarathoustra opposant la bonne foi à la mauvaise foi) et un credo explicite s'opposant effectivement aux croyances précédentes (les religions révélées exigent une conversion). Le polythéisme est plus souple mais peut être aussi intolérant (et violent) comme on le voit pour le cas Socrate. On peut soutenir en effet qu'une culture reçue depuis l'enfance et sans concurrence n'ait pas besoin d'un acte de foi affirmé mais, d'une part il n'y a pas de population isolée, ses mythes étant repris de leurs voisins en y inversant un thème pour s'y opposer, d'autre part les rites totémiques sont nombreux et exigeants, devant passer notamment par une initiation qui engage bien la croyance, même à en dévoiler la fausseté. Dans une tribu australienne, l'initiation consistait ainsi à révéler l'inexistence du démon au coeur de leurs rites et croyances, révélation interdite à divulguer aux non-initiés, femmes et enfants devant croire à ce père fouettard. La plupart du temps, cependant, les anciens croyaient aux mythes les plus absurdes. Il y a même une île où la population, de nos jours encore, vénère le mari de la reine d'Angleterre ! Il est par contre évident que mythes, religions et foi ont beaucoup changé en passant de l'immanence à la transcendance, et surtout en devenant religion imposée par l'envahisseur ou le nouveau prince (pharaon). C'est la même chose pour l'invention des peuples par les colonisateurs, là où il y avait une grande diversité locale. Dans un contexte théocratique, la foi (ou son rejet pour d'autres croyances) est devenue la justification des guerres de religions. Ce serait donc bien de se passer de la foi comme Auguste Comte l'a essayé avec sa religion de l'humanité et son catéchisme positiviste aussi sympathique que ridicule (d'être dans le semblant). Cela ne tient pas longtemps, pas plus qu'une religion de la science sans convictions intimes qui sont pourtant non-scientifiques.

      Quand à la Vérité, je ne crois pas non plus qu'elle ne date que des Grecs et leur alètheia si chère à Heidegger. Certes le concept de vérité a beaucoup évolué mais il est originaire, lié à la parole qui peut mentir, tout mensonge invoquant sa vérité et les récits se divisent bien en récits fictifs (contes) ou récits vrais (chasses, mythes). C'est l'enjeu de la parole donnée, des contrats, de la dette (de sang), plus que de la vérité de nos représentations. Enfin, la psychanalyse a mis en évidence le rôle de garant de la vérité, imputé au père (nom-du-père!), pour stabiliser le psychisme, de même qu'en économie l'Etat de Droit, qui garantit les contrats, montre sa nécessité en décuplant les échanges. La question de la vérité est sérieuse, c'est elle qui nous divise, déchire les familles, jette les croyants les uns contre les autres, vérité impossible à réconcilier sans garant divin, sujet supposé savoir (il y en a plusieurs incompatibles). On est pris là dedans, d'autant plus à se croire dans le vrai sans trop de questions alors que "Le vrai est ainsi le délire bachique dont il n'y a aucun membre qui ne soit ivre" (Hegel).

    • Vraiment ? En religion comparée, ces questions ne font plus débat, du moins pas à ma connaissance ou sauf pour en expliciter les nuances et les particularités propices aux commentaires comparés (par exemple le mysticisme en occident ou en orient). La foi en la rétribution post-mortem des actes n'est pas l'apanage des monothéismes. Je me bats sans peur, galvanisé par ma foi en Thor et sa promesse de partager sa table si je meurs l'épée à la main ; je place ma foi en Sri Krsna et je peux la vivre dans la bhakti (l'adoration) ou les oeuvres (karma) afin de m'affranchir du samsara (la malédiction de devoir me réincarner encore et encore dans cette vallée de larmes) ; je crois que je ne fais qu'un avec l'univers et tous les êtres et je me retrouve réalisé en Brahma, l'indifférencié. La foi en un dieu privilégié parmi d'autres érigé en dieu personnel ou transcendant, ou encore dans la promesse du courroux des ancêtres, préfiguration de la crainte de dieu, opère autant pour l'individu que pour la société, qu'elle soit polythéiste, animiste ou monothéiste. Avec la religion, qui sert d'ailleurs toujours socialement et politiquement à la même-chose, des contenus de foi très hétérogènes côtoient des invariants anthropologiques et de ressorts de religiosité naturels très largement partagés depuis des âges archaïques et sous toutes les latitudes.

  4. Merci à vous, ainsi qu'à Pascal, pour vos argumentaires très étoffés. Je me suis fait une idée fausse de la foi en la limitant à celle des croyants des monothéismes. Je vais corriger ce bogue dans mes pensées, mais je sens que ça ne va pas être facile, car j'y suis habitué de longue date.

    Evidemment, dès lors que l'existence de la foi est acceptée, celle de vérité (religieuse) en découle. Il reste que les Grecs ont conçu la vérité par opposition à l'opinion, donc pas seulement par opposition au mensonge, à l'erreur, à la fiction ou à la parole donnée. Cette vérité opposée à l'opinion prétend dire le réel par opposition à ce qui ne l'est pas. (Cf. Jorion "Comment la vérité et la réalité furent inventées") Sans cette notion, les dieux créateurs, les divinités et les esprits passent (ou peuvent passer) pour être aussi réels que les êtres tangibles : les individus ne peuvent pas faire de différence, de sorte que la foi personnelle n'est pas requise pour ce qui est de leur existence. J'aurai du mal à me défaire de cette idée, qui a cependant un gros défaut : impossible de savoir si elle est vraie ou fausse.

    • L'invention de la vérité par les Grecs est une galéjade. Certes Parménide opposait la vérité à l'opinion mais c'était pour prétendre que c'était la même chose pensée et être (contredisant cette opposition de la vérité et de l'opinion par souci d'éliminer la contradiction du non-être!). Avec l'allégorie de la caverne, Platon opposait bien le monde des apparences au monde réel dans la suite de l'orphisme mais Aristote rejettera ce supposé monde des idées pour une vérité de l'observation et de la logique sans arrières mondes et qui restait hypothétique avant que le stoïcisme ne le dogmatise, en faisant une religion.

      En fait, la question de la vérité pour les Grecs concernait surtout les procès (avec ses jurys démocratiques), les sophistes n'hésitant pas à la recouvrir de leur rhétorique sous prétexte que l'homme est la mesure de toutes choses et qu'il s'agit avant tout de convaincre. C'est contre ces discours trompeurs que la vérité s'est attachée à l'adéquation de la chose et de l'intellect mais il y a toujours eu différentes vérités, la vérité mythique, monde vrai qui ne peut mentir, ou bien factuelle qui peut tromper, l'opinion n'étant ni l'une, ni l'autre. A partir de Galilée, s'y est ajouté une "vérité" scientifique mathématique, séparée du sens commun, mais, justement ce n'est pas de l'ordre de la vérité, d'un vrai monde, réalité objective qui nous échappe (de la relativité aux intrications quantiques) mais seulement de l'exactitude et du calcul.

      On y revient toujours, en matière de vérité il n'y a que 2 types de vérité, la vérité officielle, celle du groupe, vérité vraie héritée et inquestionnée sur ce qui n'est pas apparent mais justifie l'ordre établi, et la vérité du témoignage individuel qui peut mentir. L'une relève de la foi (de l'idéologie), l'autre de l'honnêteté ou de la sincérité, c'est-à-dire de la liberté, vérité qu'on peut décliner ainsi de façon intemporelle selon les 4 causes : conformité, vérification, impartialité et authenticité comme je le faisais dans mon Café philosophique.

      • En fait, je me suis rendu compte que j'oubliais ici une dimension vitale de la vérité, celle des prédictions, vérité tournée vers le futur et non plus celle du passé selon les 4 modes cités. C'est qu'on peut parler à peine de vérité pour ces prédictions longtemps basées sur les astres ou les oracles (du temple de Delphes pour les Grecs), dont la vérité ne se décide qu'après-coup par leur correspondance avec les événements, cela n'en reste pas moins une qualité vitale de pouvoir prédire l'avenir et qui renforce la confiance (l'amour) dans ceux dont les prévisions se sont révélées vraies (sujets supposés savoir). La vérité des prédictions est encore au coeur de nos préoccupations mobilisant désormais l'apprentissage automatique.

        Heidegger a valorisé cette vérité tournée vers l'avenir, dévoilement des possibles, ouverts à notre liberté, et du destin que nous pouvons choisir (ou accepter plutôt). Les religions cultivent bien sûr cette supposée vérité de l'avenir, du royaume de Dieu sur terre ou du paradis après la mort. Derrida identifie ainsi la religion à la promesse (du salut) mais que ce soit vérité religieuse, partie intégrante du dogme, ne doit pas en faire la cause des religions comme si elles répondaient à un besoin individuel, psychologique (comme Alain), assurance vie sur l'avenir, alors que j'ai essayé de montrer qu'elles répondaient d'abord à une fonction sociale et à la garantie de la vérité, orthodoxie dont l'avenir fait partie tout autant que l'origine.

  5. Depuis quelques années, la psilocybine suscite un regain d'intérêt des scientifiques et psychiatres (dépression, syndrome de stress post-traumatique, mourants) qui notent avec étonnement que cela peut changer la personnalité et les valeurs des patients, des expériences mystiques vécues provoquées par le champignon pouvant mener des athées à croire en Dieu et mieux accepter la mort.

    La psilocybine peut induire de puissantes expériences mystiques telles que celles associées ordinairement à de longues périodes de jeûne, de prière ou de méditation.

    https://www.scientificamerican.com/article/what-if-a-pill-can-change-your-politics-or-religious-beliefs/

    Justement, la prise d'hallucinogènes était presque toujours associée aux anciennes croyances. Depuis Zarathoustra, le mouvement "moderne" aura d'ailleurs été de s'en passer (des initiations de Demeter au judéo-christianisme) ou de les réduire à des symboles (vin), de les intellectualiser. On peut se demander en quoi les drogues participent à renforcer les croyances alors même qu'elles en montrent leur caractère factice, chimiquement induit. Il semble que cela vient d'une position moins critique, d'acceptation des croyances du groupe comme de l'ordre cosmique. J'ai toujours été frappé du fait, compréhensible, que les expériences mystiques prétendues authentiques, expériences directes du divin, donnaient en fait corps au dogme officiel (stigmates du christ, dieux de la tribu, etc).

  6. L'Islam se veut le seul véritable monothéisme, se rapprochant du Dieu des philosophes par son unicité et se débarrassant de la plupart des absurdités du christianisme : vierge-mère, homme-dieu, trois personnes en une, les discussions byzantines sur ces sujets suscitant hérésies et répressions ayant fatigué les croyants qui se sont convertis facilement à un dogme plus simple et indiscutable, gardant tout de même l'idée de paradis et de vie après la mort (avec des vierges éternelles!). Ce qui m'étonne (ou plutôt là où je vois une contradiction car ce n'est pas étonnant vu ce que je dis des religions), c'est que ce monothéisme intransigeant pour lequel il n'y a Dieu que Dieu, semble tomber dans une certaine idolâtrie de Mohammed, presque divinisé. Une réforme (peu probable) de l'Islam pour l'adapter au monde moderne pourrait passer par une affirmation plus forte de l'unicité divine dénonçant cette idolâtrie du prophète comme impie?

    Il faut rappeler cependant que l'essor de l'islamisme, voire son hégémonie, date de la fin du communisme et des espoirs révolutionnaires, le terrorisme qui justifie le mal au nom du bien et de la vérité, que ce soit le terrorisme islamique ou le terrorisme gauchiste dont il prend la suite, est bien dirigé contre un monde inacceptable, et dépend donc de conditions politiques avant d'être théologiques. On constate cependant encore une fois les ravages (inévitables?) d'une vérité religieuse identitaire, la chrétienté n'ayant pas été en reste et ne s'étant résolu à la laïcité qu'à se diviser et après des guerres de religions meurtrières.

    • J'ai l'impression qu'il y a des fortes bourrasques d'extrême droite qui soufflent dans les médias et l'opinion publique depuis ce crime atroce. Certains médias et politiques semblent saisie de frénésie, pour désigner une grande partie des musulmans et de la gauche, à la vindicte populaire.

      • Hélas, la situation est bien désespérante car ce n'est pas d'aujourd'hui que la montée de l'extrême-droite est irrésistible dans le monde et chez nous avec l'effrayante CNews et une parole qui se vante d'être "libérée" des lois qui condamnent la haine et ne supporte plus les autres jusqu'à qualifier France-Inter de secte gauchiste parce qu'elle n'invite pas cette parole hystérisée. On a là, comme tout le temps, l'opposition de deux "illusions de l'unanimité" qui mènent au pire mais si France-Inter garde un bien plus large public que CNews jusqu'ici, ce sont bien les fachos qui ont le vent en poupe, chaque occasion étant l'occasion de pousser le bouchon un peu plus loin et imposer leur vocabulaire aux dirigeants.

        C'est pour cela qu'il faudrait abandonner la vision de l'histoire progressiste pour une approche plus dialectique avec le retour de nos vieux ennemis qui ne sont pas morts. Il faut prendre au sérieux le risque politique autant que le risque climatique, il n'est plus temps de croire à de belles utopies et revenir au sérieux de l'histoire. J'ai toujours trouvé absolument ridicule les marxistes d'avant-guerre se souciant de l'aliénation et d'un communisme rêvé au moment de la montée du nazisme et alors que chaque drame renforce la tendance et la montée aux extrêmes.

        Nous nous relèverons peut-être après leurs victoires mais ne pourrons y échapper même si on se débarrasse de Trump, ce qui n'est pas absolument certain. Cela fait des années que la gauche perd du terrain, n'est plus en phase avec l'époque et les transformations du travail, alors que la mondialisation et la surpopulation exacerbent les tensions et se focalisent sur l'immigration comme sur la xénophobie (ou souveraineté) avec le fantasme d'une véritable unanimité débarrassée de ses opposants.

        Ce sont des mouvements matériels qui nous dépassent et contre lesquels il ne suffit pas de faire appel aux bons sentiments, chacun étant persuadé d'être du bon côté. La question de la vérité en politique rejoint bien la question de la vérité des religions, de vérités multiples incompatibles entre elles et qu'il est difficile de faire cohabiter.

        • Vous parliez de "nuances" récemment à propos de Macron. Je ne crois pas savoir que ses ministres font dans la nuance désormais, jusqu'à accuser l'université de "complicité intellectuelle de terrorisme". Le gouvernement participe lui-même de cette fascisation de la politique et de l'opinion publique.

          • C'est effectivement effrayant, témoignant de l'effet de foule et du déchaînement de haine contre un bouc-émissaire avec l'effet de gommer toute nuance et de perdre toute mesure dans une hystérisation qui ne peut mener qu'au pire si elle ne se calme pas rapidement.

            Quand on est pris dans ces mouvements de masse même l'indignation suscitée semble ne faire que renforcer l'ennemi comme pris dans une toile. Il faudra bien tenir compte des nuances le temps venu du moindre mal, après cette déferlante de bêtise et de simplisme (comme dit Machiavel, "En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal").

          • Je ne dis pas qu'il ne faudrait pas revoir les liens douteux par exemple avec l'Arabie Saoudite et certains pays qui sont manifestement des foyers de salafisme, curieusement épargnés par les médias. Ni qu'il ne faudrait pas revoir le fonctionnement des services de renseignement et de surveillance contre des tarés prêts à passer à l'acte et les réseaux qui les supportent. Mais mon sentiment, c'est que l'état et ses médias ne peuvent pas se permettre de se mettre à dos - économiquement s'entend - 25% de la population de la planète, surtout si celle-ci notamment au Maghreb et en Turquie commence à boycotter les produits français. Malgré la fermeté affichée du dirigeant du MEDEF, les dirigeants politiques et médiatiques n'auront pas d'autre choix à terme, que de revenir à la "realpolitik" d'un débat autour de la laïcité certainement nécessaire certes, mais plus apaisé. Mais tout cela sera vain si nous n'abordons pas la question de fond qui est celle des ghettos urbains, donc de la précarité du logement, du travail, et des discriminations, qui forment à mon avis le véritable terreau de la délinquance et du fanatisme (même si cela ne concerne qu'une petite minorité). Ici j'adopterais le classique marxiste de l'idéologie en général donc religieuse en particulier, (quand bien même elle persiste pour des raisons anthropologiques) comme s'adaptant en dernière instance à "l'infra-structure".

          • Nos liens avec l'Arabie Saoudite montrent que ce n'est ni la religion ni l'idéologie qui sont déterminantes, il ne s'agit pas de choix que nous ferions (des démocraties contre les dictatures). Ce sont les gogos qui croient à ce qu'on leur enseigne comme la vérité et que ce serait valeurs contre valeurs alors que c'est puissance contre puissance (Pascal le disait déjà). Si ceux qui y croient foutent la zone et répandent la terreur, c'est qu'il y a bien incompatibilité des vérités (des religions) alors que les intérêts peuvent toujours se combiner ou entrer en conflit selon de toutes autres logiques.

            Chez nous tout autant le gouvernement tente de manipuler l'opinion avec de prétendues belles idées donnant existence à des abstractions comme la France ou la République alors qu'il n'y a que des lois résultant de combats du passé entre "Français" irréconciliables, de même qu'il y a des positions politiques conflictuelles auxquelles on ne peut absolument pas s'identifier. L'essentialisation du "peuple français" n'a pas plus de sens que l'essentialisation des Musulmans assimilés à leurs pires crétins. Je vais essayer d'écrire là dessus.

  7. Mythes, contes et religions par Jean-Loïc Le Quellec - 17/4/2018

    C'est un peu long et il néglige la dimension sociale d'appartenance des croyances, les réduisant à une crédulité individuelle, jusqu'à rêver dépasser les guerres de religion par leur approche formaliste ou historique (comparatiste), mais il aborde, avec un certain bagout, la même question que l'article opposant les mythes qui ne se discutent pas aux petits contes comme aux argumentations logiques. S'il prétend qu'il n'y a de (vraie) religion que chrétienne, c'est que pour les autres, il ne s'agit pas de religion mais de la simple vérité !

    J'approuve aussi le début regrettant qu'il n'y ait pas d'initiation à l'anthropologie à l'école, ce qui me semble indispensable en effet, mais, comme pour la sociologie (et le darwinisme), il y a de fortes résistances au nom de notre liberté (de croire ce que notre groupe croit).

  8. Le très intéressant article de Vincent Présumey (uniquement cette 2ème partie) sur la religion laïque montre qu'il y avait bien en fait une laïcité rationaliste se voulant émancipatrice des religions, ne se limitant donc pas à une neutralité de l'Etat.

    Cela me semble permettre de mieux comprendre la différence entre la laïcité française dirigée contre le catholicisme (et son enseignement) avec la laïcité américaine qui exige une neutralité mais d'abord entre sectes chrétiennes (elle n'est pas dirigée contre les religions). La Bible, sur laquelle on jure encore, y garde la place de vérité révélée et de garant en dernier ressort, ce qui n'est pas le cas en France dont la laïcité est bien athée, exigeant de mettre la République (et la science) au-dessus des religions, ce qui est forcément inacceptable pour les croyants car il ne peut y avoir qu'une vérité. Cela n'empêche pas d'appeler à une coexistence pacifique mais en ayant conscience de sa fragilité, du caractère contradictoire de vouloir faire de la religion une affaire privée.

    https://blogs.mediapart.fr/vincent-presumey/blog/201120/religion-laique-quid-2-partie

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