La vérité comme histoire | Les quatre vérités |
Plutôt que de vouloir décider si la vérité ou la liberté existent, il vaut mieux distinguer les différentes vérités et libertés disponibles, leur histoire concrète. Une fois distinguées, on peut aussi les compter. Je me suis arrêté à quatre. Dans un premier temps il ne faut voir là qu’une méthode comparable à celle du dictionnaire pour cerner un sens dans le renvoi à d’autres sens. L’invention ne doit pas en être bridée car ces divisions ne visent qu’à clarifier le concept en distinguant ses différents contextes. Fidèle à Descartes, c’est par l’évidence de la raison que ces déterminations doivent s’imposer à l’esprit (et non par référence dogmatique aux quatre causes d’Aristote ou aux quatre discours de Lacan, eux-mêmes inspirés de la théorie des discours de Kojève).
Parménide | Héraclite | Sagesse (vérité sans discussion, écrit) | |
Sophistes | Scepticisme (discussion sans vérité) | ||
Socrate | Discussion du vrai (début de la philosophie) | ||
Platon | Dialogues | ||
Aristote | Scolastique, historique des opinions antérieures | ||
Descartes | Doute | ||
Kant | Critique | ||
Hegel | Dialectique, Histoire | ||
Fin de la
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théorique | |
Marx | Nietzsche | Freud | Idéologie, nihilisme, refoulement (soupçons) |
Husserl | Suspension | ||
Lukàcs | Heidegger | Kojève | Désobjectivation, questionnement, ironie |
Debord | Sartre | Lacan | Subversion, engagement, responsabilité |
Il n’y a aucun espoir de trouver dans la logique une quelconque solution sinon purement formelle, c’est-à-dire tautologique, la logique établissant une économie d’équivalences, d’échanges. Le sens ne s’impose que de notre situation relative sans point objectif extérieur pour penser le monde. Le principe de non-contradiction est tout aussi immédiatement principe de contradiction car pour énoncer du non-contradictoire il faut bien avoir une raison qui est de contredire du contradictoire. L’unité des deux principes s’exprime dans la formule "le faux est un moment du vrai " car le vrai ne se déploie dans le temps qu’à répondre aux erreurs du moment. C’est ce qui rend compte de l’apparition de la vérité dans le discours, et, sans le faux qui la modèle, il n’y aurait pas plus de vérité. L’autre limite de la vérité, plus contraignante encore, tient, en effet, à ce que, comme l’énonce René Thom "ce qui limite la vérité ce n’est pas le faux, c’est l’insignifiant" et cela veut dire que nous sommes responsables de la vérité par l’intérêt que nous y portons, par notre pratique alors que toute vérité sombre dans l’ennui le plus mortel. Le sens de la vie est toujours à reconstruire, c’est toujours ce qui manque au moment de la rencontre de la logique et du lieu.
1 | 2 | 3 | 4 | |
Thèse | Anti-thèse | Synthèse thétique | Synthèse anti-thétique | |
Nom | Religion, révélation | Science, vérification | Morale (Philosophie) | Révolutionnaire (politique) |
Domaine | Pratique (rite, hiérarchie) | Théorie (technique) | Théorie de la pratique | Pratique de la théorie |
Objet | Être-donné, Texte | Réalité objective | Univers du discours | Evènement social |
Vérité | Tradition, langage, foi | Expérience, preuve | Critique, raison, justice | Subversion, authenticité |
Non vérité | Hériésie, faute, trahison | Hypothèse, erreur | Tromperie, confusion | Idéologie, symptôme |
Attitude | Dogmatisme | Scepticisme | Responsabilité, Franchise | Action, énonciation |
Fondement | Principes, engagement | Efficacité | Réflexion, Universel | Contradiction, expression |
Être | Essence | Hasard, nécessité | Discipline, impartialité | Ex-sistence, (opposition) |
Sujet | Dieu, Être, Etat | Nature, matière | Homme, conscience | Acteur, désir, créateur |
Représentant | Maître | Esclave | Citoyen (Bourgeois, légal) | Résistant, militant, artiste |
Devoir-être | Indépendance | Soumission | Droits, devoirs | Lutte (décision) |
Justice | Egalité | Equivalence | Equité | Différencialisme, relativité |
Action | Ordre, Prière, Contrat | Travail | Commandement, Loi | Dénonciation, intervention |
Temporalité | Eternité | Temps (Cycles) | Fin de l'Histoire | Historicité (non savoir) |
Platon | Aristote | Kant, Hegel, Kojève | Marx, Heidegger, Lacan |
Chaque dimension de la vérité a sa pertinence : révélation,
vérification, impartialité et authenticité. (1)
la vérité dogmatique (révélation)
est nécessaire à toute convention (orthographe, langue, contrat)
pour un accord pratique. Demander une bière n’est pas vrai ou faux,
la vérité consiste seulement à savoir ce qui a été
vraiment prononcé (vérité textuelle, cause efficiente).
(2) la vérité scientifique (vérification)
explore tout le domaine de l’expérience, donnant la maîtrise
technique des possibles par une théorie dés-intéressée.
La puissance de la Science doit pourtant renoncer à se délivrer
du sujet dans une pure objectivité. De la Relativité, mettant
en cause notre position d’observateur, à la physique Quantique,
limitant toute mesure par la nécessité d’une action physique,
et enfin à la théorie du Chaos qui limite toute prédiction
à un temps limité et une échelle donnée, la
science retrouve la subjectivité dont elle s’était délivrée
d’abord. La vérité se limite ainsi à la vérification,
sa répétabilité (cause matérielle). (3)
La vérité morale (impartialité) est d’un
tout autre ordre, nous faisant juge du bien et du mal, de notre franchise,
de notre loyauté, mais s’arrêtant au sentiment de contentement
de sa propre excellence et au malheur d’un désir insatiable (cause
formelle). (4) La quatrième modalité de la vérité
qu’on peut dire révolutionnaire, existentielle ou créative
(authentique) est sans doute la plus fondamentale. Cette nécessité
pour la vérité d’avoir un sens, de faire événement
et de nous concerner est aussi ce qui fait dépendre la vérité
de notre action, de notre pratique ou tomber à la non vérité
du symptôme ou de l’idéologie. Descartes avait déjà
posé la nécessité d’éprouver la vérité,
Marx montre que la vérité doit être réalisée
dans la lutte pratique et la transformation du monde (réalisation
de la philosophie comme désobjectivation, subversion, cause finale).
Heidegger enfin réduit l’essence de la vérité à
la liberté. Cette dimension de la vérité contredisant
tout dogmatisme, toute passivité du citoyen et toute utopie définitive
a pourtant justifié les plus grands crimes (du Nazisme au Stalinisme).
L’exigence de l’action souveraine et de la négativité montre
son insuffisance dans une idéologie destructrice et aveugle qui
doit être tempérée, médiatisée. En effet,
si Marx est la négativité opposée à la positivité
hégélienne, Staline ou Mao sont de nouveau, comme au moment
de la Terreur, la domination du positif dans le négatif même
(extrémisme officiel des discours, "on a raison de se révolter
") avant de sauver la négativité du négatif avec
Debord.
Poser ces quatre vérités comme quatre modes du discours c’est déjà, d’une certaine façon, les dépasser, s’en distinguer et poser une cinquième vérité (le cinquième mousquetaire) qui serait soit une hypothétique "Synthèse synthétique", soit le parcours de chaque type de vérité devenue partielle (action dialectique, révolution avec droits de l’homme, philosophie de l’échec actif, du passage de l’un à l’autre ou écologie contrôlant les conséquences de nos actions). Le devoir de liberté nous poussera toujours à outrepasser nos limites à mesure que nous en prenons conscience.