Autonomie et dépendances

Temps de lecture : 38 minutes

"Plus un système vivant est autonome, plus il est dépendant. Plus il s'enrichit en complexité et entretient par là même des relations multiples avec son environnement, plus il accroît son autonomie en se créant une multiplicité de dépendances. L'autonomie est à la mesure de la dépendance." (Jacques Robin, Changer d'ère[1], p204)

L'autonomie est toujours partielle et, contrairement à ce qu'on pourrait croire, plus on est autonome et plus on a de dépendances, plus on est responsable, plus les dépendances sont intériorisées. Il n'y a pas de libertés sans pouvoirs qui les contraignent mais l'autorégulation par l'autonomie s'impose au-delà d'une certaine complexité. De plus, à l'ère de l'information l'autonomie est devenue un élément déterminant dans la production immatérielle, ce qui devrait se traduire par les nouvelles exigences d'un développement humain et d'un revenu d'autonomie en l'absence desquelles nous sommes confrontés plutôt à des pathologies de l'autonomie qui renforcent la servitude volontaire.

Loin des discours simplistes sur le sujet, c'est à une interrogation sur les contradictions de l'autonomie et l'importance qu'elles prennent en notre temps que je vous convie. En effet, il faudrait prendre toute la mesure de la rupture de civilisation que nous connaissons avec notre entrée dans l'ère de l'information, sur laquelle Jacques Robin[2] et le GRIT[3] essaient d'attirer l'attention depuis des années, sans toujours y parvenir. L'autonomie y occupe une place prépondérante dans sa relation aux dépendances et aux flux d'informations qui définissent l'écologie, témoignant de la nécessité d'aborder la réalité avec précaution, tout autant que de se donner des objectifs clairs.

Ecologie et interdépendances

D'une certaine façon, on peut dire que l'écologie n'est rien d'autre que ce qui relie autonomie et dépendances. On le sait, l'économie se contente de compter, elle prend les individus en masse. C'est le règne des statistiques et des courbes au nom même de l'autonomie supposée des acteurs, autonomie identifiée à leur choix rationnel et au calcul de leur intérêt individuel. L'individu y est d'autant plus libre qu'il est supposé dépourvu de toute qualité, simple forme vide qu'on peut, de fait, compter. Au lieu de cette atomisation purement quantitative, l'écologie met en valeur ce qui relie et structure l'organisation des individus, leurs différences et leurs échanges, les liens invisibles qui relient les corps visibles, les dépendances effectives derrière l'autonomie apparente, le poids du collectif et la pression de l'environnement sinon de l'histoire et des techniques. Si l'écologie se distingue de l'économie par la préservation de la complexité, elle la rejoint pourtant dans l'importance donnée à l'autonomie justement. Ni pure dépendance mécanique, ni liberté absolue, cette autonomie relative n'est plus une donnée objective de l'individualisation des corps mais devient une exigence de cette complexité, un devoir-être.

C'est ce que Edgar Morin appelle l'auto-éco-organisation[4] pour montrer en quoi l'autonomie est sous contrainte de l'environnement, fonction d'organisation et d'adaptation ("organisation apprenante"). Un organisme autonome qui dépense de l'énergie et se dégrade avec le temps est forcément dépendant des ressources de son milieu pour se reconstituer, y puiser des capacités d'organisation (pour compenser l'entropie au moins). L'autonomie se mesure strictement aux réserves disponibles (capacité d'autonomie) ainsi qu'aux capacités de captation des ressources pour atteindre ses objectifs. Bien qu'il y ait création de nouvelles dépendances ainsi, le gain d'autonomie est bien réel. Simplement notre autonomie de déplacement en automobile, par exemple, dépend entièrement de nos réserves d'essence, dépendance que nous n'avions pas quand nous ne pouvions aller si loin !

Il faut ajouter à cette dépendance matérielle une dépendance spécifique à la vie : la communication et l'information. Toute vie contrôle ses flux de matières et d'énergie par un flux d'informations dont une bonne part vient de l'extérieur. Les phéromones qui déclenchent le désir sexuel incarnent cette dépendance "instinctuelle" qui asservit les corps, le caractère impératif de l'information. Bien sûr, le cerveau humain est capable d'inhiber ces pulsions animales mais c'est en grande partie grâce au langage qui renforce plutôt la dépendance de l'extérieur, tout en décuplant les capacités d'autonomie... L'exemple le plus parlant de ce qui rattache autonomie et dépendance sur ce plan, c'est le téléphone portable : l'autonomie qu'il nous donne est strictement corrélée à la dépendance qu'il renforce en maintenant une connexion permanente : en étant joignable n'importe où, toujours connecté et donc sous une surveillance constante, on manifeste bien notre appartenance à des réseaux, des organisations ou des collectifs.

Une organisation n'est pas tout-à-fait comparable à un organisme. Les individus, qui ne dépendent pas entièrement de l'organisation pour vivre, gardent une autonomie bien plus grande dans une organisation que les cellules d'un corps mais cela reste inévitablement une autonomie strictement limitée à la viabilité de l'organisation, très loin d'une supposée liberté absolue et suspendue dans le vide ! Les "dirigeants" eux-mêmes ne sont pas plus libres, ne pouvant faire autre chose que ce que leur fonction exige d'eux, plus ou moins bien. L'apport essentiel de Michel Foucault[5] a été de montrer que le pouvoir n'est pas extérieur, il n'est pas dans le Prince, qu'il suffirait d'abattre, alors que nous en sommes les relais à travers de multiples micro-pouvoirs. Pire, il n'y a pas de liberté sans pouvoir qui la contraigne, pas de sujet sans assujettissement à un discours ("L'ordre du discours"[6]) ! Ce n'est pas parce que nous ne sommes plus dans des "sociétés disciplinaires" que notre autonomie est aussi grande qu'on pourrait l'imaginer dans nos "sociétés de contrôle".

Reconnaître les deux faces d'autonomie et de dépendance permet à la fois de relativiser nos dépendances innombrables et de se débarrasser des illusions d'une indépendance totale qui n'a, à vrai dire, aucun sens, sans renoncer pour autant à développer notre autonomie réelle. On peut dire que l'autonomie constitue une vision plus concrète que celle d'une liberté de principe trop chargée de passions et d'idéologies. C'est une autonomie de décision qui s'identifie avec la raison, la conscience, la reconnaissance des autres et les possibilités effectives. Liberté de faire, liberté "pour" (un objectif) plutôt qu'une libération "contre" (un pouvoir).

A l'évidence, l'autonomie n'est possible qu'à intérioriser la dépendance de l'extérieur et les règles sociales, à la fois par le Droit (ce que Hegel appelait la liberté objective[7]), par l'intégration à des réseaux sociaux (association, entreprise, organisation) et par la communication (codes, langage, médias). On peut s'y refuser, mais on s'exclue alors des facilités apportées par la collectivité et on y perd plutôt en autonomie. En fait, plus on est autonome et plus on a besoin de réserves, de relations, de rationalité, d'auto-discipline, et finalement d'intérioriser l'extériorité. Il ne s'agit jamais de faire n'importe quoi, ce qui ne mène à rien qu'à se cogner au réel. L'autonomie se réduit strictement à l'intériorisation des dépendances extérieures, leur prise en charge individuelle, si possible à notre avantage. C'est d'ailleurs ce que dit l'auto-nomie pour les Grecs qui l'assimilent à la maîtrise de soi. Commander c'est obéir. C'est pourquoi, d'après Aristote[8], un enfant ne peut être autonome (ni les femmes, ni les esclaves prétend-t-il aussi, témoignant des limitations idéologiques de son époque!). Etre autonome, c'est se donner sa propre loi en toute conscience, bien loin des caprices du "libre-arbitre" et de la consommation : choisir c'est renoncer, de même qu'apprendre c'est éliminer.

Il nous faut d'abord clarifier cette question de la liberté et de ses contradictions, mais on verra que, très loin d'une liberté absolue (de la liberté comme volonté et libre-arbitre), l'autonomie effective (la liberté comme question et apprentissage) constitue bien une caractéristique du vivant : autonomie inséparable de l'information et de finalités concrètes, d'une causalité qui part du futur et de l'effet recherché. En effet, si les dépendances relèvent de l'entropie et du domaine des causes, l'autonomie relève du domaine des finalités et de la lutte contre l'entropie, de l'auto-gestion plus que de l'auto-organisation. On ne passe pas ainsi d'une causalité contraignante à une absence de causalité mais seulement de la commande subie (hétéronomie) à la réaction choisie (autonome). Ce n'est pas tant une perte de contrainte qu'une intériorisation et une projection dans l'avenir, encore faut-il en avoir les moyens...

Les contradictions de la liberté

Le danger de la liberté antique était qu’attentifs uniquement à s’assurer le partage du pouvoir social, les hommes ne fissent trop bon marché des droits et des jouissances individuelles. Le danger de la liberté moderne, c’est qu’absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne renoncions trop facilement à notre droit de partage dans le pouvoir politique. (Benjamin Constant, De la liberté des anciens comparée à celle des modernes[9], 1819)

Il n'y a pas qu'une seule liberté, il y en a plusieurs qui ont des sens différents et parfois opposés : indépendance, efficacité, engagement, projet. On ne peut éviter d'adopter un point de vue historique en cette matière, au lieu de s'imaginer pouvoir passer directement du biologique au social ! C'est ainsi que Benjamin Constant a pu opposer la liberté des anciens et la liberté des modernes qui se contredisent partiellement. On voit que ce qu'on gagne d'un côté (liberté individuelle), on le perd de l'autre (liberté collective). La liberté peut consister en effet à se libérer de ses intérêts particuliers pour peser sur l'orientation collective aussi bien qu'à se laisser guider par ses passions ! Au-delà même de ces oppositions et limitations réciproques, on doit se rendre compte que la liberté ne saurait se réduire à délier les liens qui nous enserrent mais qu'elle comporte véritablement un caractère contradictoire (dialectique), éprouvé dans les faits.

Cette question des contradictions de l'autonomie et des limites de la liberté se retrouve d'ailleurs au coeur de tous les débats actuels, et ce, à plus d'un titre (précarité, néolibéralisme, école, écologie, famille, sexualité, etc.). Les raisons de son actualité sont à la fois historiques, économiques et sociales, notre époque étant celle du post-totalitarisme[10], de l'ère de l'information et de la complexité. Dans le versant positif, il ne fait pas de doute que l'autonomie est indispensable au-delà d'une certaine complexité sociale et vaut mieux que tous les totalitarismes. De même, à l'ère de l'information l'autonomie devient complètement essentielle dans la production. Hélas, dans le versant négatif, il y a aussi des pathologies de l'autonomie qui renforcent la servitude volontaire et la précarité. De même, au niveau politique le néolibéralisme post-totalitaire a montré tous ses effets pervers, libéralisation des marchés menaçant nos libertés et nous privant d'avenir.

Notre époque, post-totalitaire mais aussi post-soixantehuitarde, se trouve ainsi confrontée sur tous les plans à ce qui semble un excès d'autonomie perturbant tous les équilibres. Que ce soit l'économie devenue autonome, mais qui rencontre ses limites écologiques, le néolibéralisme qui déstructure les sociétés et déconsidère la politique, le management exigeant des salariés une autonomie qui prend souvent la forme d'une "barbarie douce" (Jean-Pierre Le Goff[11]), jusqu'à la libération sexuelle, ou le déclin du patriarcat, qui étend la précarité aux familles dont elle dissout les liens tout en accroissant la dépendance affective ("Extension du domaine de la lutte" de Michel Houellebecq[12]). Tout ceci se traduit aussi bien par une perte de sens, de liens sociaux et de solidarité collective, que par toutes sortes de dépressions prenant la place des anciennes névroses de culpabilité et manifestant les limites de l'individualisme, les mirages du self made man ainsi que la nécessité de reconstruire un environnement où nous pourrions vivre.

Souligner l'actualité de la question des contradictions de la liberté ne veut pas dire que ce serait vraiment nouveau dans l'histoire, on pourrait même n'y voir qu'un retour en arrière ! On peut remonter, en effet, à 1929 et la montée du fascisme ou du communisme sur les ruines du libéralisme (voir "La grande transformation" de Karl Polanyi[13] qui pensait en 1944 qu'on en avait fini pour toujours avec le libéralisme et le mythe d'un marché auto-régulé après ces catastrophes!). Bien avant encore, l'expérience de la Terreur avait déjà montré qu'une liberté absolue qui refusait de restreindre une supposée volonté générale finissait par abolir toute liberté, le plus paradoxal étant peut-être que le code Napoléon rétablisse finalement la liberté civile sous l'Empire ! C'est d'ailleurs cette contradiction manifeste qui est à l'origine du concept de dialectique chez Hegel, mais on retrouve ce même caractère contradictoire dans l'expérience de la dialectique amoureuse et jalouse, d'un être aimé qu'on voudrait totalement autonome (on veut être aimé librement) et totalement dépendant en même temps (multipliant les serments). L'amour constitue très certainement un des meilleurs observatoires de notre réalité humaine dans sa complexité, bien loin des idéalisations moralisantes. La contradiction a beau ne pas être nouvelle, il ne s'agit pas de prôner je ne sais quel retour en arrière ni de vouloir réduire notre autonomie mais au contraire de la développer malgré tout et de sauver ce qui peut l'être. Ainsi, les mouvements actuels d'opposition au libéralisme ne doivent pas être vus comme des mouvements réactionnaires, mais bien comme l'expression des nouvelles contradictions de la liberté, contradictions qui sont exacerbées en ce moment et qui appellent leur résolution.

L'autonomie subie

La découverte de notre temps, c'est l'évidence qu'on ne peut pas assimiler toute autonomie à une une libération : il y a une "autonomie subie" capable de nous asservir. Si le mythe d'une liberté absolue est bien d'origine religieuse, liberté supposée du pêcheur, il se trouve que la sortie de la religion va être porteuse d'une "autonomisation" des différentes sphères sociales (politique, sciences, économie), tout simplement par un processus de dé-légitimation qui se poursuit toujours et touche désormais la politique et l'économie après la religion. L'oeuvre de Marcel Gauchet (Le désenchantement du monde[14]) permet de prendre la mesure de ce mouvement historique de perte de légitimité, de détraditionalisation et de modernisation qui aboutit à l'individualisation avec ce qu'il définit rigoureusement comme une "société de marché". Cette autonomie par défaut de légitimité est assez éloignée de ce qu'on peut concevoir comme une "libération", étant plutôt de l'ordre de la désorientation ! Il a d'ailleurs montré qu'à mesure que l'autonomie démocratique se substitue à l'hétéronomie religieuse, ce sont les limites effectives de l'autonomie qui vont se manifester, d'abord sous la forme de la folie ou de l'inconscient, puis des conditions historiques ou sociales dans leur caractère déterminant (sociologie).

L'autonomie du droit, des sciences ou des arts ne signifie pas du tout une plus grande autonomie de l'individu mais une dépendance plus grande à l'autoréférence et aux contraintes spécifiques du champ (comme l'a mis en évidence le structuralisme). On assiste plutôt à une dépendance unilatérale (économique par exemple) qui se substitue aux interdépendances sociales. Polanyi, cité plus haut, a montré comme l'économie s'est "désencastrée" de la société pour acquérir une autonomie dévastatrice qui a déjà mené à des réactions extrêmement violentes (la catastrophe des années 1930). La question qui doit se poser à chaque fois est donc celle de savoir qui est autonome : l'individu, le marché, la techno-structure ou le collectif ? En fait, on se rend vite compte que l'autoréférence tourne à vide et n'a aucun sens. La poésie ne peut être seulement l'auto-réflexion de la langue, ni la peinture consister uniquement à se démarquer des autres peintres, ni la jurisprudence se réduire à un jeu de textes juridiques. L'écologie c'est justement la réfutation de cette autonomie abstraite. On peut la définir, en effet, comme la "négation de la séparation" (déclaration d'interdépendances) !

Il faut y mettre un bémol cependant en rappelant (après Polanyi encore) que ce sont des arguments écologiques qui ont prétendu justifier les débuts du capitalisme et la concurrence de tous contre tous par le "struggle for life" ou la surpopulation (De Foe 1704, Malthus 1803, Spencer 1876), sans parler du nazisme qui était une forme d'écologie de "l'espace vital" et de la race ! Il faut souligner que ce "darwinisme social" est fort mal nommé puisqu'il relève d'une erreur scientifique dénoncée par Darwin lui-même qui accordait une grande importance à la solidarité et à la morale dans la réussite de l'espèce humaine, espèce sociale et fragile qui ne peut survivre hors de la société qui la protège. Il n'empêche que cette écologie primaire réduite aux dépendances, et qui relève plus de l'idéologie du capitalisme que de la science, a toujours ses partisans (jusqu'à l'absurde gène égoïste!). Cette idéologie se soutient, en effet, de notre expérience la plus quotidienne où l'autonomie de chacun se traduit le plus souvent par la compétition avec tous et une pression sociale renforcée, là où l'organisation et la hiérarchie limitaient plutôt les conflits.

Dès lors, il faudrait admettre que la remise en cause de l'économisme ne peut se faire qu'à revenir à plus de dépendances sociales. C'est en tout cas ce que l'anthropologue Louis Dumont[15] a mis en évidence par la comparaison des sociétés de castes indiennes avec les sociétés libérales : dans les sociétés hiérarchiques la dépendance des personnes procure une relative indépendance des choses par la protection de la société alors que dans les sociétés libérales l'indépendance des personnes se paye d'une complète dépendance des choses (le capitalisme supprime l'esclavage mais produit la misère : pas de subordination salariale sans la liberté du prolétaire, qui peut vendre sa force de travail mais qui est dépossédé de tout). Il n'y a donc pas seulement gain d'autonomie (réel), il y a aussi une dépendance plus forte de l'économie avec une plus grande responsabilité de l'individu. L'image de l'individu autonome en sort tout de même bien écornée !

En fait, à suivre Michel Foucault[5] on peut dire que plus il y a de libertés, plus il y a de pouvoirs. C'est toujours la liberté qui engage et nous rend responsables, mettant en jeu notre reconnaissance sociale. L'autonomie et l'individualisation s'analysent ici comme une délégation de pouvoir et une culpabilisation (y compris dans les groupes libertaires!). La "théorie de l'engagement" (telle que décrite par exemple dans le "Traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens"[16]) est assez éclairante à ce sujet puisqu'elle consiste explicitement à utiliser leur semblant d'autonomie pour manipuler les gens ("le pied dans la porte" : je peux entrer ?), ce dont les entreprises ne se privent pas d'ailleurs en faisant appel à l'auto-évaluation comme à la fixation de leurs objectifs par les salariés eux-mêmes.

Le plus drôle, si l'on peut dire, c'est que la multiplication même de nos dépendances peut alimenter notre sentiment d'autonomie ! C'est du moins ce que montre Norbert Elias[17] (après Freud[18]) avec "l'homme de cour" caractérisé à la fois par l'intériorisation des contraintes ainsi qu'une multiplication de ses dépendances, ce qu'il appelle une "civilisation des moeurs" constituée d'abord par le refoulement de ses instincts. Il ne faut pas croire pour autant que le "sauvage" serait plus libre, soumis au contraire à la loi du groupe comme à une loi plus implacable encore même s'il peut laisser parfois libre cours à une violence instinctuelle plus débridée. En tout cas, dans le cadre de nos sociétés modernes l'autonomie consiste essentiellement à jouer une dépendance contre une autre, arbitrer entre différentes contraintes ou bien à les neutraliser réciproquement ! Par rapport à la bête discipline hiérarchique, c'est non seulement à chaque fois ne pas savoir d'avance ce qu'il faut faire, mais c'est multiplier les choix (et les renoncements) ainsi que le risque d'erreurs ou de fautes.

A l'ère de l'information, c'est encore plus exacerbé dès lors que l'autonomie devient une exigence de la production immatérielle. Cette fois, on n'est plus dans la liberté des anciens, ni dans celle des modernes, mais dans notre actualité post-moderne la plus brûlante où s'éprouve la nature contradictoire de l'injonction contemporaine d'être autonome, double bind d'une autonomie subie doublement aliénante qui renforce la culpabilisation. Impossible de revenir en arrière pourtant malgré toutes sortes de pathologies de l'autonomie (Alain Ehrenberg, La fatigue d'être soi[19], Christophe Dejours, Souffrance en France[20]).

Dans une perspective d'écologie humaine on ne peut négliger l'incidence de cette autonomie subie dont les perturbations ont des conséquences immédiates sur notre santé, en premier lieu les maladies du stress qui sont le plus souvent des maladies de l'autonomie et qui prennent dans nos sociétés le caractère d'une véritable épidémie (surmenage, dépression, addictions, maladies dégénératives, suicides). C'est d'ailleurs pourquoi se multiplient toutes sortes de thérapies de l'autonomie (ou du "développement personnel") mais qui peuvent se révéler autant de nouvelles dépendances ! Il vaudrait mieux baisser la pression sociale à un niveau plus raisonnable car la santé individuelle est largement dépendante de l'environnement social dont le stress ne peut pas toujours être compensé par un renforcement de nos capacités de résistance.

La production de l'autonomie

Impossible bien sûr de tout dire sur cette vaste question que j'avais abordée dans le cadre des "Etats généraux de l'écologie politique" sous l'angle d'une nécessaire "production de l'autonomie"[21]. Ce qu'il faut retenir, en effet, c'est que l'autonomie ne pouvant supprimer les contraintes et les dépendances comme par magie, elle peut renforcer l'aliénation lorsqu'on ne lui donne pas les moyens de son autonomie. Il ne s'agit évidemment pas de condamner l'autonomie, encore moins de vouloir la réduire mais, au contraire, de prendre conscience que l'autonomie de l'individu n'est pas une donnée préalable mais qu'elle doit être produite socialement et qu'elle ne peut se limiter à un quelconque "laisser faire" (ou dérégulation), pas plus qu'on ne pourra réparer les déséquilibres écologiques que nous avons provoqués par notre industrie en laissant faire une nature que nous avons déréglée ! Il suffit d'opposer la foule à l'organisation pour mesurer à quel point ce sont paradoxalement les liens de dépendance dans l'organisation qui procurent les ressources d'une véritable autonomie. De même, entre le fort et le faible, c'est souvent la Loi qui libère (ce que la psychanalyse confirme). Pas plus que l'égalité, l'autonomie n'est un fait de nature, c'est bien une construction sociale.

On a vu que ce ne sont pas seulement des questions générales et intemporelles mais que ce sont les problèmes les plus concrets de notre époque où l'autonomie devient une véritable exigence de la production. En effet on n'a plus besoin désormais d'une simple "force de travail" et d'exécution mais de compétences, d'une capacité d'innovation et de "résolution de problèmes", donc d'autonomie. C'est à l'évidence un progrès dans la reconnaissance de notre essence humaine et c'est avec raison qu'Amartya Sen[22] appelle "développement humain" l'accroissement de nos capacités d'autonomie. Dès lors, on a pu parler d'une sorte d'inversion[19] de la dette entre la société et l'individu puisque la société doit préalablement former les individus et fournir les moyens de leur autonomie pour qu'ils puissent l'exercer dans la production. A défaut, la précarité et l'exclusion (ou l'inemployabilité) qui en résultent ne sont tout simplement pas viables. Or, cette nouvelle précarité est bien consubstantielle à la production immatérielle qui est le plus souvent non-linéaire, chaotique, imprévisible. C'est même une des raisons de l'exigence d'autonomie à l'ère de l'information. Il faudrait donc prendre acte enfin de ces nouvelles dépendances et nouveaux aléas introduits par l'exigence d'autonomie, d'autant plus qu'elle favorise une atomisation générale où la solidarité sociale semble disparaître, avec une bonne partie des libertés qu'elle avait su conquérir sur l'état de nécessité.

L'autonomie multipliant les dépendances, il devient absolument vital d'en apporter les moyens à ceux qui n'en ont pas, tout comme de renforcer les structures collectives à mesure même que la désaffiliation se généralise. A tout accroissement d'autonomie il faut faire correspondre un accroissement des moyens par une consolidation des circuits de redistribution afin que la précarité de l'emploi ne se traduise pas en précarisation de la vie. Si l'on ne peut empêcher, en effet, une plus grande flexibilité de l'emploi, il faut du moins y joindre la sécurité des personnes (on commence à le savoir). On ne peut sortir des contradictions de l'autonomie exigée par l'économie immatérielle qu'à s'intéresser aux "supports sociaux de l'individu" (Castel[23]), à la production de l'autonomie et son organisation collective (revenu d'autonomie et développement humain). Il ne s'agit pas d'assistanat, tant décrié, mais de donner les moyens à l'autonomie d'être une véritable libération de l'individu, passage du travail forcé au travail choisi. Il s'agit de donner à chacun les moyens de valoriser ses capacités effectives, de prendre des risques et de se former ou se reconvertir, moyens de coopération et d'assistance qui sont le plus souvent humains et locaux.

Autonomie et régulations

Ce n'est pas vouloir nier les contraintes matérielles, ni que la vie soit précaire, mais c'est un peu comme le stress : il y a certes un "bon stress" dont on ne peut pas se passer, cela n'empêche pas qu'il faut essayer de le maintenir dans des proportions raisonnables, question de santé publique ! De même, la précarité économique est d'autant plus positive qu'elle reste dans des limites raisonnables. Il ne suffit pas d'une liberté juridique, très théorique, ni d'exiger toujours plus d'autonomie, il faut garantir les conditions concrètes de son exercice par des régulations sociales dont on ne saurait se passer, de même que les menaces écologiques nous obligent à concevoir des régulations pour ne pas outrepasser nos limites vitales ! En fait, tous les gains réels d'autonomie sont obtenus par des régulations qui nous rendent un peu plus indépendants de notre environnement immédiat et du sentiment d'urgence, au point qu'on peut dire que l'autonomie s'identifie, au niveau biologique comme au niveau social, avec les capacités de régulation, conditions de la santé (l'homéostasie) aussi bien que de l'objectivité (la conscience) alors que la dépendance et la maladie manifestent une perte de jugement et d'autonomie. Régulation, santé, liberté, conscience, c'est tout un !

La nécessité absolue de mettre en place des régulations n'est pourtant pas le dernier mot de l'histoire et la solution magique de tous nos problèmes car cela ne veut pas dire pour autant que les régulations soient faciles à mettre en oeuvre, ni qu'elles soient dépourvues de pièges ou d'effets pervers ! Les néolibéraux n'ont certes pas entièrement tort de dénoncer l'excès de régulations et leurs rigidités puisqu'on peut penser qu'il est aussi difficile de réguler l'économie que de maîtriser sa dépendance aux drogues. Le mécanisme de la toxicomanie s'applique, de fait, à la plupart des régulations. Comme tout médicament la prise de drogue peut effectivement réduire temporairement la dépendance de la réalité, de l'épuisement des corps ou des désagréments de l'existence, mais si l'on dépasse la compensation d'un handicap, cette déconnexion de la réalité ne pouvant être qu'artificielle, le résultat c'est de produire finalement une dépendance supérieure, une "addiction", la réalité se faisant encore plus envahissante, avec une sensibilité exacerbée aux persécutions du monde, une plus grande impression de manque et le besoin d'augmenter les doses pour retrouver l'effet initial...

C'est un phénomène très général qu'on retrouve singulièrement dans l'économie : injecter des liquidités dans l'économie peut avoir des effets de richesse ou de stabilisation, mais à trop en user, non seulement on ne peut plus s'en passer, mais on produit plutôt des effets inverses ! En fait la difficulté n'est pas de vouloir relancer une économie dépressive mais d'avoir le courage de réduire la surchauffe et de briser l'euphorie des bulles spéculatives. La difficulté c'est d'arrêter l'emballement et de réduire les doses. De même, notre addiction au pétrole n'est pas sans poser de graves problèmes à la civilisation de l'automobile, dont Ivan Illich a dénoncé la contre-productivité ainsi que le caractère explosif de flux d'énergie trop importants. La difficulté c'est de ne pas outrepasser nos limites mais de raison garder !

Que les capacités de régulation soient réduites, et même strictement bornées si l'on ne veut pas empirer la situation, ne signifie absolument pas qu'on pourrait se passer de régulations alors même que les régulations sont à la base du vivant et de toute société ! La marge a beau être étroite, elle est assurément vitale, en plus d'être la condition de notre autonomie. La conclusion à en tirer, ce serait qu'on ne peut se passer d'une "régulation des régulations" si l'on peut dire ! C'est d'ailleurs ce qu'opère la sélection naturelle dans le domaine biologique qui en garde la mémoire dans nos gènes. Par contre, dans le domaine économique et social les limites ne sont pas données d'avance (comme le souligne Georges Canguilhem dans ses Ecrits sur la médecine[24]), c'est ce qui fait la difficulté d'une autonomie qui doit se donner ses propres limites (auto-nomos) et fuir l'hùbris (la démesure) afin de ne pas en subir le contre-coup inévitable. Pour cela, pas d'autres moyens que de tirer les leçons de notre histoire si l'on ne veut pas retomber dans les mêmes erreurs. C'est une nécessité impérieuse plutôt que de se fier à une auto-organisation sensée s'arranger toute seule, comme si l'on n'avait jamais rien appris et qu'il fallait tout recommencer à zéro ! La vérité, c'est qu'il n'y a pas d'auto-nomie sans un long apprentissage, pas de liberté qui ne soit raison et savoir accumulé. C'est encore plus vrai au niveau collectif qu'au niveau individuel !

Autonomie et information

L'essentiel, finalement, c'est de comprendre le lien étroit entre autonomie et intelligence collective, c'est-à-dire entre autonomie et information. Au-delà des conditions de l'autonomie, dépendante de la régulation de son environnement, il reste en effet à comprendre l'exigence d'autonomie : en quoi l'auto-eco-organisation est apprentissage et adaptation aux contraintes extérieures. C'est ce qui rend l'autonomie inséparable de la vie, de l'information et de la connaissance. L'exemple du code de la route illustre à merveille comme l'autonomie de mouvement dépend de l'intégration aux régulations sociales comme aux flux d'informations plus ou moins impératives. L'individu est toujours relié à son entourage, "téléguidé" par des signes, mais la question qui se pose alors est celle de la part de liberté et de responsabilité qu'il lui reste, c'est-à-dire de la fonction indispensable de son autonomie de décision.

En fait, la raison profonde de la liberté, c'est l'ignorance. Il n'y a pas de liberté sans choix et réflexion : paradoxalement c'est ce que nous ignorons qui nous rend libres et pourtant on n'est libre qu'à savoir ce qu'on fait ! Pas de mystère là dedans, la liberté, tout comme la conscience, résulte de ce qui ne peut s'automatiser et demande un examen attentif. La liberté de décider se limite à ce qui est indécidable d'avance, à un manque d'information qu'il faut combler pour agir, à la capacité de se faire une opinion enfin. C'est ce qui fait de l'autorégulation par l'autonomie, c'est-à-dire par l'information de l'individu, un élément indispensable au-delà d'une certaine complexité. L'autonomie ne peut consister à faire n'importe quoi, on l'a vu, mais elle résulte largement de l'impossibilité de programmer la réponse, de l'ignorance préalable de ce qu'il faut faire dans un monde incertain, elle résulte des contingences de l'adaptation et, par conséquent, de la nécessité d'une décentralisation maximale du traitement de l'information. Il s'agit bien de se fier à "la faculté exclusive qu'a chaque individu de connaître ses intérêts mieux que tout autre", comme disait Turgot. Il ne s'agit pourtant pas de l'intérêt supposé égoïste de chacun, mais plutôt de sa capacité à juger de la situation locale en fonctions d'intérêts qui peuvent tout-à-fait être collectifs (l'intérêt de l'entreprise par exemple), et surtout de sa capacité à répondre rapidement à l'information reçue.

Il est intéressant de souligner que le néolibéralisme de Hayek[25] se réclame justement d'une théorie de l'information (ou de la perception) qui n'a plus grand chose à voir avec l'ancien libéralisme, supposant une information parfaite et partagée, puisqu'il est basé au contraire sur l'impossibilité d'un traitement centralisé de l'information. C'est un libéralisme qu'on peut dire "post-totalitaire", tirant la leçon de l'échec des économies planifiées. L'information étant toujours imparfaite et dissymétrique, le marché n'est plus du tout la garantie de l'équilibre ou de la meilleure allocation de ressources, sinon qu'à faire autrement ce serait pire (le marché serait donc le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres!). Il y a du vrai, sans aucun doute, dans cette affirmation de notre rationalité limitée mais ce scepticisme qui achève de déconsidérer toute politique, assimilée à "la route de la servitude"[26], se révèle malgré tout beaucoup trop dogmatique, et même très dangereux à prétendre qu'on ne sait rien du tout sous prétexte qu'on ne sait pas tout, justifiant ainsi l'inaction la plus irresponsable devant les catastrophes annoncées ou les pires injustices, comme si nous n'en étions que des spectateurs extérieurs et comme déjà morts...

Tout au contraire, être vivant c'est réagir, ne pas se laisser faire mais se projeter dans le futur et réguler ses conditions vitales. Comment donc se sortir de ce paradoxe ? Si les limites de la planification ou de la programmation sont bien réelles, il n'y a qu'un moyen de les contourner, c'est par la correction d'erreur, par un pilotage par objectif, en ajustant le tir sans cesse, mécanisme de régulation par l'information qui est à la base même de la vie. Il n'y a pas d'autres façons d'aboutir à ses fins que de viser son objectif et de régler son action sur le résultat. C'est le principe d'une cybernétique basée sur notre rationalité limitée et trop souvent mal comprise. Un simple thermostat peut illustrer pourtant comment la finalité s'introduit dans la chaîne des causes : par la rétroaction, en se réglant sur ses effets (la température mesurée), même si on est complètement incapable de savoir combien il faudra consommer d'énergie pour cela. Cette limite de toute planification, ou du volontarisme, exige simplement de laisser une grande part à la rétroaction, à l'évaluation et l'ajustement des stratégies suivies ainsi qu'à l'autonomie de réaction (c'est le pas accompli par la "seconde cybernétique", même si elle a été un peu décevante, il faut bien l'avouer), surtout pas d'abandonner nos régulations vitales ! Les entreprises l'ont bien compris avec la pratique de la direction par objectifs et le suivi des tableaux de bord.

Il faut insister sur le fait qu'il ne s'agit pas de perdre toute vision d'avenir en passant de la planification autoritaire à une "auto-organisation" tout aussi aveugle, mais bien d'adopter une auto-gestion décentralisée plus souple et réactive alors que la perte de toute liberté collective au nom de l'individualisme et d'un libéralisme exacerbé produit une nouvelle tyrannie : l'autonomie absolue se révèle à nouveau comme une dépendance absolue ! Au contraire, le projet d'autonomie de la démocratie (telle qu'analysée par Castoriadis[27] notamment) tient tout entier dans cette capacité d'auto-limitation et d'affirmation de nos solidarités collectives, auto-gestion opposée à l'auto-organisation comme l'auto-nomie au libéralisme. Cette autogestion, pour être effective, ne peut aller directement de l'individu au global mais doit avoir inévitablement une dimension locale et s'appuyer sur des rapports humains directs (de face à face) ainsi que des liens sociaux revivifiés. Ces liens de proximité réduisent d'une certaine façon l'autonomie individuelle, mais en apportant la sécurité et la chaleur d'une communauté humaine, avec au bout du compte une bien plus grande autonomie d'action. Malgré tout, il ne faut pas aller trop loin dans ce sens (moins de biens, plus de liens), c'est là encore une question d'équilibre entre une communauté trop pesante et des individus trop isolés. Le maximum d'autonomie se situe au point d'équilibre entre ces exigences contradictoires. Pour ne pas retomber dans les travers du communautarisme ou de l'individualisme, il faudrait donc que la collectivité se donne explicitement comme finalité à la fois le développement de l'autonomie individuelle et l'organisation de l'intelligence collective, l'un n'allant pas sans l'autre.

Tout cela est bien compliqué, assurément. En tout cas, bien plus qu'on ne l'imagine habituellement, dans une dialectique implacable entre autonomie et dépendances qui ne peut faire l'objet de jugements sommaires ni d'idéalisations trompeuses. Hélas rien de plus difficile que de restituer cette complexité alors que les lois de la communication privilégient toujours les simplismes et leur affrontement (plus on s'adresse au grand nombre, plus il faut simplifier : question de rapport signal/bruit). Ce qu'il nous faudrait apprendre pourtant c'est à la fois notre autonomie cognitive et notre rationalité limitée, toute l'étendue de notre ignorance qui devrait nous inciter à la plus grande prudence.

La conclusion que nous voudrions du moins vous inciter à tirer de cette question de l'autonomie, c'est qu'elle n'est ni simple, ni évidente et qu'il faut à chaque fois aller y voir de plus près, dans le concret de son exercice, afin de la mesurer aux moyens dont elle peut disposer comme aux dépendances ou contraintes qu'elle doit intégrer. Plus généralement, tout ce qui concerne l'écologie ne devrait pas relever des certitudes de l'idéologie (qui marche toujours au refoulement ou à la censure) mais d'une attention extrême à la fragilité des équilibres et de leurs régulations, dans leurs diversités locales, leurs complexités infinies et leurs effets les plus concrets.

Conférence de l'Observatoire Euro-Méditerranéen Environnement et Santé (OEMES) tenue le Jeudi 23 février 2006 de 18h à 19h30, à la Bibliothèque municipale 58, cours Belsunce, 13001 Marseille (oemes@mairie-marseille.fr). Nouvelle version pour publication par la Mairie de Marseille de la présentation du 26/11/05.


Bibliographie et notes

[1] Jacques Robin, Changer d'ère, Seuil, 1989
[2] Jacques Robin est décédé le 07/07/07. Voir "L'homme qui relie"
[3] http://grit-transversales.org/
[4] Edgar Morin, La vie de la vie, Seuil, 1980
[5] Michel Foucault, Dits et écrits, tome IV, 1980-1988, nrf, Gallimard
[6] Michel Foucault, L'Ordre du discours, 1971, nrf, Gallimard
[7] Hegel, Principe de la philosophie du Droit, tel, Gallimard
[8] Aristote, La politique, Vrin
[9] Benjamin Constant, De la liberté des anciens comparée à celle des modernes
[10] Jean-Pierre Le Goff, La démocratie post-totalitaire, Editions La Découverte, 2002
[11] Jean-Pierre Le Goff, La Barbarie douce,Editions La Découverte, 1999
[12] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Editions J'Ai Lu, 1994
[13] Karl Polanyi, La Grande Transformation, Gallimard, 1944 (1983)
[14] Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, Gallimard, 1985
[15] Louis Dumont, Homo Æqualis, Gallimard, 1978
[16] Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, Presses Universitaires de Grenoble, 1987
[17] Norbert Elias, La société de cour, Flammarion, 1985
[18] Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, PUF
[19] Alain Ehrenberg, La fatigue d'être soi, Odile Jacob, 1998
[20] Christophe Dejours, Souffrance en France, Seuil, 1998
[21] Jean Zin, La production de l'autonomie
[22] Amartya Sen, Un nouveau modèle économique, Odile Jacob, 2000
[23] Robert Castel et Claudine Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Fayard, 2001
[24] Georges Canguilhem, Ecrits sur la médecine, Seuil, 2002
[25] Gilles Dostaler, Le libéralisme de Hayek, Editions La Découverte, 2001
[26] Friedrich A. Hayek, La route de la servitude, PUF, 1944
[27] Gérard David, Cornélius Castoriadis, Le projet d'autonomie, Michalon, 2000


4 675 vues

24 réflexions au sujet de “Autonomie et dépendances”

  1. "on n'a plus besoin désormais d'une simple "force de travail" mais de compétences, d'une capacité d'innovation et de "résolution de problèmes"" Tout d'abord vous parlez je pense des pays occidentaux dont les coups de production sont élevés j'imagine. Je pense qu'il est important aussi de voir que les déséquilibres dans les activités de l'ensemble des activités humaines font aussi partie de l'équation. Pour autant je voudrais aussi vous attirez sur le toyotisme qui était justement une réponse à l'alliénation du travail répétitif inventé par la taylorisation de leur tâche. La reconnaissance de la "capacité d'innovation" du travailleur et de la compétence de l'homme dans la "résolution de problèmes" par rapport aux machines permettait à l'ouvrier d'être plus efficace.
    Aujourd'hui où l'innovation et la résolution de problèmes sont industrialisés, c'est à dire que le suivi du travail normalement à valeur intellectuelle (y compris l'encadrement) pousse à l'utilisation de processus très stricts, à la répétition de tâches et à l'utilisation au maximum de "patrons de conceptualisation" (design pattern) on se retrouve à nouveau à ne plus être reconnu dans notre humanité je crois. Enfin je pense qu'il faudrait inventer le toyotisme des cadres en quelques sortes... peut-être en proposant une vision des aspects stratégiques de l'entreprise. Enfin je m'interroge, qu'en pensez-vous ?

    Vous parlez de donner les moyens de l'autonomie. Je souscris bien sûr. Mais quels sont-ils ? D'autre part comment agir collectivement loin du "pragmatisme" à la mode (c'est à dire du laisser faire et de la gestion au jour le jour des conséquences en ne voulant pas perturber le mouvement général) lorsque toute idéologie collective, toute pensée pour un progrès commun ou disons plus modestement pour un "vivre-mieux" est considérée comme suspecte si ce n'est dangereuse, qu'elle est désignée comme telle et que si cela ne suffit pas cette désignation et répétée jusqu'à l'épuisement ? Enfin comment définir une politique qui toucherait à des usages certainement individuels quand on sait les risques qui se cachent derrière une orientation hygiéniste de la politique ? Finalement il y a derrière tout cela aussi une question d'échelle de temps

    Et je me rappelle d'une émission récente sur France Culture lors de laquelle les économistes invités étaient tous d'accord sur le fait qu'une crise grave, ici ou ailleurs, allait avoir lieu mais se voulant rassurant expliquaient qu'il ne s'agissait que d'un horizon lointain à une distance de nous de l'ordre de la dizaine d'années (!). Personnellement "une dizaine d'années" j'appelle cela le présent. Rien ne sert d'être alarmiste bien sûr mais nous savons qu'il va se passer quelque chose de grave, nous savons aproximativement quand, nous savons que les conséquences peuvent être désastreuses (après la crise de 29 il y a eu la 2nde guerre mondiale, aujourd'hui la bombe atomique est largement présente partout sur le globe)... la marque d'un progrès apportée par notre système politique présenté comme rationnel devrait être justement de prendre en compte ce qu'elle est capable de prévoir. Les crises, tous les systèmes de société sont capables de les prévoir. "le marché est le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres" mais ce n'est pas vraiment étayé et si l'échec total est aussi sa finalité (et sur une échelle de temps tout de même très restreinte) on pourrait dire qu'avec tout le pragmatisme qui nous sert à réfléchir nous savons que ce système étant tellement loin d'être le meilleur qu'il vaut mieux en chercher un autre. Mais je ne saisis certainement pas tout à tout ça.

  2. L'autonomie plutôt que le salariat dans une économie de l'innovation.
    De ce que je connais de l'innovation technique et scientifique privée et publique, ça demande beaucoup de temps et d'expérience dans des secteurs pointus, donc des employeurs en nombre restreint. Ca nécessite aussi des moyens conséquents( de plus en plus avec la complexification et la conjugaison des technologies ) en ressources humaines, matérielles( machines, instruments) donc financières. J'envisage difficilement exercer ces activités comme celles des avocats, artistes, médecins libéraux ou consultants...

    Les temps de recherche et développement sont longs, plusieurs années souvent.

    Par conséquent le salariat public ou privé me parait difficilement évitable dans des ces activités nécessitant d'importantes structures humaines, matérielles et financières.

    Ne vaudrait il pas mieux réellement améliorer le salariat dont les pratiques actuelles sont, sous la pression du chômage, de plus en dégradées ?

    Aussi par différents discours qui se prétendent des méthodes modernes mais qui sont souvent de la poudre aux yeux bluffant des "managers" incultes sans esprit critique dès lors que l'on décline des âneries avec un vocabulaire de novlangue.

  3. Je ne parle pas de l'industrie. Il y a bien sûr encore besoin de force de travail dans certains secteurs déclinants, ce n'est pas une question de nombre. Ce qui reste dominant encore à notre époque au niveau mondial, c'est l'agriculture, mais ce qui est déterminant c'est déjà l'immatériel de même qu'en 1848 l'industrie et le salariat étaient dominants bien que très minoritaires encore.

    Je parle de l'ère de l'information qui commence seulement et qui n'a certes pas que des bons côtés mais qui exige autonomie et formation pour ne pas être "inemployable". Il ne s'agit en aucun cas d'embellir les choses mais d'insister sur le fait qu'on ne peut avoir l'autonomie sans les moyens de l'autonomie, en premier lieu l'autonomie financière, c'est-à-dire un revenu garanti. A partir de là il me semble qu'il faut une sortie du salariat (travail autonome), ce qui n'empêche pas d'améliorer le salariat lui-même (et le sort des agriculteurs) mais la priorité reste quand même de sortir du salariat, d'avoir une alternative à la subordination salariale même si c'est encore minoritaire.

    A part ça, je pense que la crise est proche mais ce ne sera pas la fin du monde (enfin j'espère...) ! Je ne reprends pas à mon compte bien sûr la thèse néolibérale que le marché serait le meilleur système, même si je reconnais au marché des vertus dans une économie plurielle (économie avec marché et non pas économie de marché), en particulier son universalité et la liberté qu'il garantit, mais il ne doit pas être hégémonique, il faut jouer le marché contre l'Etat et l'Etat contre le marché. Le plus mortifère c'est le marché du travail, ce pourquoi il faut sortir du salariat.

    Pour l'innovation, l'expérience montre que les grandes entreprises (pharmaceutiques, informatiques, etc.) n'y arrivent pas. Dans ce domaine rien ne vaut le travail autonome (logiciels libres voire capital risque), même si c'est pour finalement être racheté par une grosse entreprise. Certes il faut parfois des moyens de production énormes mais, comme dans le domaine scientifique cela n'exclue pas l'autonomie des chercheurs. Certes il faut leur donner les moyens financiers, en premier lieu un revenu garanti mais un chercheur qui met au point un produit peut y passer des années à condition d'avoir le minimum vital bien sûr. Le salariat est complètement inadapté car le salariat se compte en temps passé et les chercheurs ne comptent pas leur temps, ni les créateurs dont la productivité n'est pas linéaire. Si le salariat se dégrade c'est parce qu'il n'est plus adapté aux nouvelles forces productives. Toutes les méthodes de management pour contourner ce problème ne sont que de la poudre aux yeux souvent même s'il y a quelques idées de base correctes (direction par objectif, réseaux, réduction de la hiérarchie, etc.). On n'évitera pas une réorganisation totale de la production, de nouveaux rapports de production, même s'il y faut une révolution, toute tentative de revenir en arrière et de revenir à la société salariale des années 1960 est vouée à l'échec. La question est bien celle de la production de l'autonomie, avec tous les problèmes que cela pose, pas de l'adoucissement de l'esclavage industriel.

  4. Socrate34 à Jean Zin
    Extrait d’autonomie & dépendances de Jean Zin
    1° - Cette question de l'autonomie et des limites de la liberté se retrouve
    2° - d'ailleurs au coeur de tous les débats actuels,
    3° - et ce, à plus d'un titre (précarité, néolibéralisme, école, écologie, famille, sexualité, etc.). 4° - Les raisons de son actualité sont à la fois historiques, économiques et sociales,
    5° - notre époque étant celle du post-totalitarisme,
    6° - de l'ère de l'information
    7° - et de la complexité.
    8° - Dans le versant positif, il ne fait pas de doute que l'autonomie est indispensable
    9° - au-delà d'une certaine complexité sociale
    10° - et vaut mieux que tous les totalitarismes.
    11° - De même, à l'ère de l'information
    12° - l'autonomie devient complètement essentielle dans la production.
    13° - Hélas, dans le versant négatif,
    14° - il y a aussi des pathologies de l'autonomie
    15° - qui renforcent la servitude volontaire et la précarité.
    16° - De même, au niveau politique
    17° - le néolibéralisme post-totalitaire a montré tous ses effets pervers,
    18° - la libéralisation des marchés
    19° - menaçant nos libertés
    20° - et nous privant d'avenir.
    - - --
    Comment pouvez-vous dire que notre époque est celle du post totalitarisme ?
    & que l’autonomie vaut mieux que tous les totalitarismes ?
    Même en se basant sur ce qui se passe dans les pays ‘’occidentaux’’, la plupart du temps considérés comme des modèles aceptables de démocratie, moi je ne vois que des glissements vers des fascisme de droite.
    Je ne vois que le triomphe de l’argent,
    - avec les Bush qui n’ont qu’un but, gagner de plus en plus
    - Or, les Bush ont le pouvoir mondial
    - & avec eux les ‘’pauvres américains’’ . . .
    - qui, entre autres choses libèrent le Nicaragua...., le Chilie
    - l’Irak, l’Afghanistan,
    - en attendant de libérer l’Europe, grâce à l’hégémonie du Dollar.
    La guerre économique entre tous les pays ou groupements n’a jamais été aussi vive :
    La Chine, seul pays qui se préoccupait de limiter ses naissances, est en train de lâcher prise. . .
    Les religions maintiennent leur férule nataliste au maximum
    Les terres cultivables sont en train d’être détournées mondialement pour produire de l’énergie.
    La terre va vers des guerres abominables,
    qui comme dans le passé serviront à liquider les plus pauvres.
    Le droit humanitaire cher à notre Kouchner
    est un droit in humanitaire. .. avec ses camps,
    ses violeurs, ses trafiquants, ses seigneurs de la guerre.
    Et les peuples premiers qui ont leurs règles supérieures aux nôtres
    Moi, je vois le désastre partout !
    je vois les nazismes à venir à chaque coin de rue
    Il suffit de relire ‘’Les États du Monde 1998‘’
    & de comparer leurs avancées 2007-07-22 pour s’apercevoir
    que tout fout le camp
    Seule solution :
    Gouvernement mondial provisoire
    & néo malthusianisme impossible à seulement envisager
    à cause des ‘’atteintes aux libertés’’
    individuelles & religieuses.
    Socrate34. ..

  5. Ce n'est pas moi qui prétend que notre époque est post-totalitaire, ce sont les néolibéraux et les soi-disant "nouveaux philosophes" entre autres, c'est aussi l'effondrement du communisme. Ensuite, c'est une question de définition. Je suis bien d'accord qu'on peut parler d'un totalitarisme du marché mais c'est tout de même très différent des anciens totalitarismes et l'autonomie y a une place centrale sous sa forme la plus aliénante. Certes les nouveaux totalitarismes islamistes ne rentrent pas dans ce schéma. Il n'est d'ailleurs pas impossible qu'on soit à la fin de cette époque post-totalitaire, en réaction justement au néolibéralisme, tout comme le totalitarisme était une réaction à la faillite du libéralisme de 1914 à 1929. L'histoire reste dialectique mais le fait qu'une époque soit post-totalitaire ne signifie absolument pas que ce ne soit pas un désastre, par contre je ne crois pas tellement à un recul de l'autonomie à l'ère de l'information, même de plus en plus contrôlée (l'autonomie n'est pas l'indépendance). Aucun angélisme là-dedans même si je ne crois pas à un retour du nazisme, l'histoire est plus créative que cela, même dans le mauvais sens !

    Ceci dit, tout fout le camp depuis toujours et je ne suis pas du tout pour un néo-malthusianisme supposé rendre le système actuel un tout petit peu plus durable mais pour une alternative écologiste ce qui est très différent...

  6. "Je ne parle pas de l'industrie.", mais l'industrie c'est aussi de la recherche et de l'innovation, 5 à 10 % du CA investit en général.

    L'informatique( le logiciel ) est un cas très particulier, très immatériel dans la mesure où les machines ne sont pas très coûteuses par rapport au coût global. C'est d'ailleurs en partie pour ça que la propriété intellectuelle du logiciel est celle du droit d'auteur en Europe, tandis que le brevet est lié à des effets matériels. Un logiciel spécifique permettant à un dispositif matériel de fonctionner peut faire partie d'un brevet.

    Donc, encore beaucoup d'innovations nécessitent du matériel physique relevant de la mécanique, chimie, biologie, optique, matériaux, microélectronique et ça coûte...cher. Comme l'innovation à effet matériel est très sectorisée en termes de marché, ceux qui investissent sont ceux qui produisent et donc conservent l'internalité de l'innovation. Sorte d'intégration des activités horizontale.

    Ceci dit, la transversalité des technologies de plus en plus nécessaire pour innover pourrait peut être, lentement, remettre en cause l'aspect monolithique actuel.

    Pour ce qui est de mon expérience dans la recherche industrielle et de la notion de projet dans une entreprise, le constat est consternant.

    Trop souvent, les dirigeants ne savent pas ce qu'est un projet et donc une définition de fonction. A savoir que les différents intervenants d'un projet doivent savoir ce qui est de leur responsabilité. Ca parait procédurier de dire ça, mais si il n'y a pas de formalisation écrite du champ d'autonomie, donc de ses limites aussi, des acteurs d'un projet, c'est le jeu de la patate chaude et du qui est le bouc émissaire.

    Quand une entreprise, ce qui souvent n'est pas le cas, a formalisé les responsabilités des acteurs dans une procédure, eh bien les gens ne savent pas lire ce qui est formalisé, et les premiers dans ce cas sont les cadres dirigeants qui ont approuvé ces procédures à la rédaction desquelles ils ont participé.

    En somme, la notion de projet est pour beaucoup de dirigeants une vision holistique incantatoire alors qu'un projet c'est analytique et demande de la précision et de la formalisation par procédure interne ou par contrat( droit des obligations ) lorsque qu'il s'agit de personnes morales distinctes.

    Un de mes enseignants, nous paraissant allumé mais intéressant,sur le principe de projet avait développé une approche intitulée système d'analyse des déficits de capacité institutionnelle. Là aussi le titre est ronflant, mais pourtant ce qu'il mettait en exergue, parmi d'autres choses, c'est que bien des problèmes viennent de ce que les intervenants d'un projet ne savent pas faire ce qui leur est demandé et quand ils savent faire quelque chose, ils ne savent pas ce qu'il y a à faire.
    A l'époque, je pensais qu'il exagérait, avec le recul sur mes expériences
    d'avant ou après cette formation je me suis rendu compte à quel point est récurrent ce phénomène de désorganisation des compétences.

    Cette perte de précision analytique me semble être liée à la mode de la communication teintée de psychologie qui sévit dans la société qui veut que celles ci sont le sésame qui ouvre toutes les portes, donc pourquoi une réflexion critique avec une telle baguette magique.

    Pour sortir de l'enfermement du salariat, le capital risque est une tentative assez rare en France. Le minimum garanti, oui, mais c'est combien selon son lieu d'habitation et de travail ? L'autonomie et donc la nécessité de changer de région pour changer d'activité et d'interlocuteurs, ça a un coût. D'autant plus que l'accès à la propriété est en vogue.

    De toute façon, personnellement, j'apprécierai de pouvoir sortir du salariat et du statut d'esclave gentiment camouflé au service de potentats bornés.

  7. C'est effectivement la situation du passé dans l'industrie et encore largement la situation actuelle mais les choses évoluent vite (et la part de l'industrie baisse drastiquement c'est un fait). Il me semble certain que la recherche sera de plus en plus externalisée. J'ai moi-même été fasciné par l'industrie, par ces énormes machines dont on confiait l'automatisation à ma toute petite société. Il est souvent (pas toujours) plus avantageux de confier l'innovation à des sociétés extérieures car on maîtrise plus facilement les coûts même si on peut se créer d'autres problèmes. Je le répète les grandes entreprises sont incapables de gérer l'innovation, elles l'avouent de plus en plus (même Intel), c'est la véritable raison des vendeurs de rêves et des gourous dont on attend d'impossibles miracles. Il faut prendre conscience surtout du fait que l'industrie est en voie de marginalisation tout comme l'agriculture auparavant. Désormais le gros des budgets va dans la communication, la publicité, le spectacle, les loisirs, etc. Le monde bouge. Bien sûr, il ne faut pas s'imaginer avoir la même sécurité et la même gestion de carrière en étant indépendant. Etre à son compte c'est dur, le revenu est beaucoup plus aléatoire et sauf à toucher le gros lot c'est plus difficile mais sans les désagrément de la subordination salariale et la vie étouffante des structures hiérarchiques dirigées par des incompétents (principe de Peter). Quand on n'a pas à se venger de toutes ces humiliations on peut se satisfaire d'une vie plus simple et de revenus très inférieurs. Tout cela est à nuancer, il restera toujours des industries, mais il faut penser l'avenir. Sortir du salariat c'est comme sortir de l'esclavage : il y avait de bonnes entreprises d'esclavage, traitant bien leurs esclaves et des esclaves se sont révoltés contre la fin de leur sécurité assurée par leurs maîtres mais l'avenir n'est pas l'amélioration de l'esclavage, ni l'amélioration du salariat, c'est le travail autonome...

  8. Pour ce qui est de l'industrie et aussi de sa recherche(RD), c'est clair que ça ne fonctionne pas, je m'en rends compte davantage jour à après jour, même pour des sociétés riches. Malgré tout ce qui est proclamé sur leurs prétendues performances, efficacité, productivité, le gâchis financier, matériel et humain est énorme. Même plus une désorganisation mais un vide d'organisation se camouflant derrière des caches misères propagandistes. Bref, l'institutionnalisation de la nullité.

    La plupart du temps les cadres dirigeants n'ont toujours pas compris ce qu'est l'information, on est pourtant en 2007 à l'époque des machines informatiques et de leurs multiples possibilités pour peu que l'imagination humaine veuille bien en faire quelque chose, ce qui demande de réfléchir avant d'appuyer sur des boutons. Ils croient que c'est du stockage alors que c'est surtout du flux et que ça doit être pensé et conçu, donc de l'imagination, un flux.

    Le principe de Peter n'est hélas pas qu'une provocation comique mais une vraie découverte qui hélas se confirme en permanence à grande échelle.

    L'autonomie dans certains métiers c'est difficile. Pour les informaticiens, dessinateurs, consultants et formateurs divers c'est beaucoup plus admis et pratiqué.

    En somme, ce qui se passe, ou plutôt ne se passe pas, devrait logiquement s'épuiser, mais pas avant encore pas mal de temps et bien des dégâts. Le plus tôt serait le mieux.

  9. Un article " la fin de l'emploi" qui peut paraître néolibéral, et l'est me semble-t-il, mais pourtant rejoint ce que J. Zin développe, même si des modulations sont nécessaires :
    http://www.avarap06.org/article....

    Ce qui est occulté c'est la garantie de revenu qui est nécessaire en contre poids social de lissage de la courbe d'activité dans une économie de ruptures de connaissances et d'aptitudes. C'est à dire que les paramètres de la gestion des stocks de compétences, qui sont de l'innovation, ont radicalement changé.

  10. L'article mentionné, ou plutôt la conférence, n'est pas terrible. Ce n'est bien sûr pas du tout la même chose que ce que je dis, à ne voir que les bons côtés et positiver à outrance, mais c'est vrai que les entreprises sont bien obligés de reconnaître la réalité des nouvelles contraintes, en essayant de les manipuler à leur profit.

    Tant que, de l'autre côté, des crétins genre Jean-Luc Mélenchon, que j'entendais dernièrement, voudront nier à toutes forces que le travail a changé (sous prétexte qu'il y a encore effectivement beaucoup d'ouvriers à l'ancienne), on est très mal barré et à la merci d'un patronat qui a toute l'initiative...

  11. Dans les dernières lignes du lien on peut lire qu'il faudrait demander -50% de ce qu'on nous propose pour ensuite être payé aux résultats suivant des objectifs précis. Mais tout d'abord il faudrait voir l'ensemble de l'entreprise: ce qu'on nous propose a été calculé déjà au départ en fonction de l'ensemble de l'activité de l'entreprise. Il faudrait aussi que le salaire du PDG soit limité, comme le revenu des actionnaires (avec le SLAM par exemple).

    D'autre part il me semble dangereux pour une entreprise de consommer du travailleur sans prendre en compte ses propres dépendances. Il arrive que 3 mois de préavis soient un peu courts pour préparer le remplacement d'une personne. Alors si le travailleur se retrouve complètement externalisé, sans suivi attentif (très attentif même), on peut se retrouver à devoir gérer des situations complexes. Sans compter que faire jouer le pouvoir de nuisance ("bon, maintenant que j'ai des billes je veux toucher tant ou je m'en vais") est déjà beaucoup trop systématique. Si des contraintes de sécurité existent ça devient vite difficile à gérer.

    Il est important de tendre vers une certaine cohérence entre le projet personnel du travailleur et le projet de l'entreprise. En tant que "salarié" je regarde d'un très mauvais oeuil l'entreprise qui me propose un contrat très flexible, non pas par peur pour mon emploi (au contraire, le lien étant distendu je me sens encore moins obligé à une quelconque fidélité), mais par le manque de fiabilité. Evidemment si lors d'un entretien ou de déclarations publiques un projet apparait clairement comme construction d'un objectif commun ça marche... mais il y a combien d'entreprises (en France) qui représentent des projets ? Il suffit de voir avec Airbus qui autrefois faisait des avions et qui a "oublié" ce petit objectif pendant un moment.

    Alors la fin du salariat... pourquoi pas. Je trouve l'idée très bonne. Maintenant personnellement, aujourd'hui, ça ne m'intéresse pas: tout simplement parce que j'aime bien avoir des collègues.

  12. ropib,

    Vous aimez bien avoir des collègues, tant mieux si vos collègues vous conviennent. Ce que je vois des collègues c'est qu'ils ne sont pas vraiment méchants mais l'entreprise hiérarchique les fait devenir des mollusques de l'encéphale domestiqués, surtout les cadres. Les salariés de base administratifs et de la production sont quasiment les seuls à essayer de s'insurger, comme ils peuvent. La médecine du travail, l'inspection du travail, le comité d'entreprise et pour finir, les syndicats, ont une efficacité nulle. Seul le recours au droit, et encore faut il trouver un juriste compétent, ce qui n'est gagné d'avance, laisse une possibilité d'action qui à ce niveau est individuelle et que peu ont la détermination d'entamer.

  13. Il y a des entreprises ou l'ambiance est pourrie et des entreprises très sympas, on ne peut pas généraliser, d'ailleurs une majorité de salariés sont heureux dans leur travail mais ça laisse beaucoup de souffrance insupportable, beaucoup d'entreprises invivables.

    De même, il ne faut pas trop enjoliver le travail autonome. Je suis absolument persuadé moi aussi qu'il n'est pas bon d'être tout seul et qu'il faut des collègues, c'est-à-dire une vie de village, une solidarité quotidienne. C'est pour cela que je me refuse à demander seulement un revenu garanti et un travail autonome, sans coopératives municipales ce n'est que de la frime, réservé à ceux qui s'en sortent toujours.

    Je ne fais pas du travail autonome une promesse de bonheur. La comparaison avec l'esclavage est toujours éclairante : la fin de l'esclavage ce n'est pas un bonheur sans fin puisque c'était la dureté d'un salariat parfois pire encore, de même la fin du salariat n'a pas que des bons côtés, c'est pourquoi on a une chance d'éviter le pire si on en est conscient alors que les discours du patronat, comme celui qu'on nous sert là, sont d'une obscénité sans nom !

    La difficulté, c'est d'avoir un discours complexe et réaliste, comprendre la nécessité du travail autonome mais aussi des institutions qui peuvent lui en donner les moyens et permettre de retrouver les meilleurs côtés du salariat. Hélas, on peut penser qu'il faudra du temps pour reconquérir les protections sociales perdues à refuser de voir les évolutions de la production. Je dois dire que pour ma part je trouve cela plutôt déprimant, d'autant plus qu'on aurait les moyens de faire tellement mieux...

  14. "Tout ce qui est produit en dépendance ne peut être indépendant. Et comme tout est non-indépendant, il n'y a pas de soi. (Aryadeva)"

    "l’esprit Éveillé ne voit pas seulement l’unité des choses, ou seulement leur diversité, mais qu’il voit les deux à la fois."

    Je trouve intéressant que finalement, notre pensée rationaliste occidentale arrive à retrouver des concepts qui existent déjà depuis des millénaires dans la spiritualité orientale. Chaque chose, chaque être est unique, mais fait partie d'un tout indissociable. En conséquence, tout est autonome et tout est dépendant.

  15. Cette notion de dépendance à partir de laquelle vous définissez l'autonomie me semble trop abstraite pour signifier la manière dont on vit aujourd'hui. Je veux dire que les situations concrètes ne sont pas en 0 ou 1 (pas de dépendance, de la dépendance). Elles sont plutôt des délégations par lequelles on se défausse de sa propre responsabilité, en toute légitimité. Ils s'agit de deals d'irresponsabilité, c'est-à-dire d'échanges où l'irresponsabilité est achetée et où l'argent donné permet de donner une autonomie instrumentale pour qui va prendre en charge cette responsabilité.

    Se créent ainsi des liens qui ne relève ni de la dépendance (grâce à cette irresponsabilité vécue comme légitime), ni de l'indépendance (car ce deal nécessite de l'argent). De pareilles transactions résultent ce qu'il faut improprement qualifier d'autonomie *managériale*, puisque le terrain a certainement été préparé par des notions telle que l'auto-gestion popularisée par certains syndicats.

    A savoir, cette autonomie proclamée comme telle (certains ici la voient dans le toyotisme), c'est le deal du travailleur, acceptant en échange d'argent un problème à résoudre qui s'impose à lui. C'est dans ce cadre, et seulement lui, que la rétroaction a un sens, puisque la finalité n'est aucunement portée par la personne mais par une défausse extérieure (typiquement en provenance d'un client).

    La monnaie a donc son importance comme condition de possibilité de notre société a-écologique actuelle (car comme vous le dites bien, l'écologie aurait plutôt à voir avec l'explication de dépendances entièrement assumées.. mais aussi assumables d'ailleurs). C'est elle qui permet de faire grossir ce qui vous appelez des inter-dépendances, sans que cela ne soit nullement problématisé par les humains impliqués là-dedans. Non seulement les dépendances ne sont pas assumées, mais elles sont souvent pas assumables, compte-tenu du gigantisme de la machine-travail qui les prend en charge.

    C'est pourquoi il ne suffit pas de changer d'économie, je pense, ni même d'utiliser des monnaies locales, mais de remettre en question l'échange comme métaphore à partir de laquelle nous envisageons notre relations avec nos semblables.

    Deun

    --

    Quelques développements ici sur cette notion de délégation:
    http://www.decroissance.info/La-...

  16. Je ne pense pas avoir parlé de dépendances totales ni d'autonomie totale mais plutôt le contraire... La notion de délégation me semble largement inadéquate ici, supposant d'ailleurs qu'on pourrait ne pas déléguer, c'est-à-dire ne pas vivre en société ! Il y a certes une autonomie aliénante mais qui ne se réduit pas au toyotisme ni aux rapports marchands puisqu'on peut la retrouver dans les rapports amoureux par exemple.

    Plus généralement l'utopie d'un monde sans argent où les rapports humains sont supposés directs et transparents me fait plutôt horreur, comme si les rapports humains étaient si idylliques, comme si la communauté n'était pas si pesante. La psychanalyse ramènerait ces illusions à la violence des rapports de domination qu'on subit dans les familles ou dans les couples avec d'un côté la Loi du Père implacable et de l'autre la dépendance affective maternelle la plus absolue. Il faut revenir sur Terre.

    Les discours sur l'aliénation supposent un état idyllique, originel, naturel, complètement fantasmé et le plus souvent d'essence totalitaire. Pour ma part, mon ambition est bien plus limitée, me contentant de vouloir améliorer les choses, résoudre des contradictions, régler des problèmes concrets en incitant à regarder la situation de plus près plutôt que de s'embarquer dans une métaphysique plus ou moins absurde qui prétend décider du monde alors qu'elle est trop unilatérale, simpliste, imaginaire et, pour tout dire, complètement à côté de la plaque...

    Comprendre ce qui relie autonomie et dépendances oblige à des jugements plus nuancés et à chaque fois très spécifiques. Certes, la gigantisme de la méga-machine est effectivement un obstacle déresponsabilisant et nous condamnant à l'impuissance. C'est pourquoi il faut une relocalisation de l'économie et se réapproprier notre pouvoir sur notre environnement local par une revivification de la démocratie municipale. Ce n'est pas si facile, mais voilà un objectif qui ne devrait pas être tout-à-fait hors de notre portée. C'est pourquoi je mets tout mon espoir dans l'écologisme municipal. Ce n'est certes pas gagné d'avance...

  17. Il ne faut pas être si défaitiste. Que je sache, l'argent n'est pas la seule possibilité de médiatiser et régler les rapports entre humains. C'est plutôt un moyen très grossier et très archaïque, et l'utiliser par défaut pour faire vivre des petits collectifs relève d'un manque d'imagination à mon avis.
    On pourrait au moins se demander si il a vraiment une pertinence, dans le cadre de démocraties et coopératives municipales dont vous parlez.

    Le contraire d'une délagation n'est pas la "relation directe" (contradictoire dans les termes, d'ailleurs) mais tout un univers de possibilité, allant de la délégation complète actuelle (sans responsabilité, sans contrôle) à la fusion de rôles (prosommateurs). Dans cette perspective, les différentes fonctions de l'argent pourraient être analysées :
    - certains apports de l'argent étant inadéquats à une relocalisation (comme l'ouverture par l'échange, la convertibilité entre monnaies locales étant impossible à régler, cf. les réseaux de trocs argentins... et l'on peut s'ouvrir autrement que par l'échange!)
    - certains autres pouvant être judicieusement remplacées par autre chose que l'argent (comme la rencontre initiale entre coopérants, ou encore la répartition de l'effort commun).

    Ce ne sont quelques pistes à creuser.

    A mon avis, le discours sur l'aliénation (absent de mon message, mais peu importe) a surtout pour objet de dénaturaliser ce qui parait être des contraintes insurmontables, en prenant pour point d'appui certaines expériences marginalisées par l'esprit actuel.

    *

    Pour revenir à votre texte (que je trouve vraiment confus) :

    Une dépendance "intériorisée" ne me semble pas relever de l'autonomie. Or vous dites le contraire. Il en résulte un grand relativisme au sujet de ce qu'est l'autonomie, puisqu'en gros plus on a de dépendance et plus on est autonomes... c'est bien ce que vous dites ! Par contre il y aurait de l'autonomie pathologique, aliénante etc, et l'on découvre donc que la définition par trop objectivante de départ n'apporte pas grande intelligibilité. Bref, on reste sur sa faim.

    A mon avis il faut se fixer une définition claire de l'autonomie dès le début, ou sinon on voit de l'autonomie partout.

    Parce que tout le monde en parle, de l'autonomie, du travailleur social au management, du sociologue en passant par les agronomes ou les libertaires... Le moins que l'on puisse dire c'est que c'est le grand flou et non pas une richesse d'approches, l'autonomie servant à légitimer d'avantage de contrôle en faisant parler les personnes sur la marge qu'on veut bien leur allouer. C'est que le temps, en matière d'autonomie, n'a jamais été autant à la pénurie. Dès lors, toute célébration intempestive de l'autonomie semble grandement suspect.

    Plutôt que partir en guère contre l'aliénation, on fera bien d'épingler toutes les crapules qui parlent d'autonomie aujourd'hui !

    Donc je suis désolé, mais l'autonomie de "l'ère de l'information" est pour moi purement fonctionnelle et instrumentale, de l'ordre du jeu qu'il faut bien autoriser au rouage pour qu'il s'articule au rouage voisin sans faire peter la machine. Elle n'a pas grand chose à voir avec cette attention aux dépendances propre à l'écologie par exemple. Au contraire elle fonctionne à partir d'une abstraction formidable de l'infrastructure numérique, ses tenants et ses aboutissants... et finalement on en vient à une espèce de culte de l'information en tant que pur signifiant, qui fait cruellement penser à celui de l'argent. C'est-à-dire le grand n'importe quoi du tout se vaut, puisque tout s'échange.

    Donc, non, toutes les dépendances ne se valent pas, et d'abord aux yeux des personnes elles-mêmes qui, sans un minimum de quant-à-soi, se font tout bonnement avoir en étant du "mauvais" côté des deals d'irresponsabilité.
    C'est un formidable appauvrissement de la pensée que de dire que "l'autonomie mesure la dépendance", pour finalement dire que l'autonomie est partielle, imparfaite... Les applications pratiques ne ce genre de relativisme me font froid dans le dos, personnellement.

  18. Effectivement, la thèse défendue ici, qui n'est pas de moi, c'est que l'autonomie ne peut être rien d'autre qu'une intériorisation des dépendances. Il y a de quoi tomber de haut par rapport aux représentations ordinaires de l'autonomie, j'en conviens. La définition qu'en donne Castoriadis "se donner soi-même ses lois, sachant qu'on le fait" est assez claire il me semble pour constater qu'il ne s'agit en aucun cas de se livrer aux caprices d'un désir débridé mais bien d'auto-discipline, auto-nomie qui renforce la complicité avec le pouvoir et l'ordre établi par rapport à une hétéronomie qui impose la contrainte indépendamment de l'acquiescement du sujet. Il y a de quoi y réfléchir à deux fois, en effet, devant le ''double bind'' contemporain qui nous enjoint d'être autonome, mais l'autonomie reste toujours souhaitable même s'il n'y a pas de différence de nature entre l'autonomie écologique et l'autonomie dans l'entreprise ou une quelconque organisation. L'autonomie est toujours fonctionnelle et instrumentale, si l'on veut, de l'ordre de l'adaptation ou du jeu dans les rouages (y compris écologiques), pas d'un champ illimité des possibles. Que cela fasse froid dans le dos, sûrement, mais cela devrait permettre de faire face plus efficacement à ces contradictions en sachant qu'il ne suffit pas de parler d'autonomie pour que ce ne soit pas suspect de crapulerie. Le flou, l'ambivalence ou la confusion sont inhérents au concept même d'autonomie dont les menaces sont bien réelles. Je ne raconte pas de belles histoires consolatrices mais je tente une évaluation stratégique, ce qui n'est pas un appauvrissement de la pensée, au contraire permettant d'opérer une discrimination entre différentes autonomies qui ne sont pas toutes aussi aliénantes ou désirables, notamment selon qu'on a les moyens ou pas de cette autonomie.

    Pour l'argent, je ne vais pas m'étendre sur le sujet mais il me semble que Louis Dumont a bien posé le problème, il y a d'un côté dépendance des personnes et indépendance des choses alors que de l'autre côté on a dépendance des choses et indépendance des personnes. Le choix ne me semble pas entre l'un et l'autre mais dans leur combinaison, de même qu'il faut jouer l'Etat contre le marché et le marché contre l'Etat. Question d'équilibre entre les opposés. Il y a donc bien sûr une place pour la gratuité et les rapports non marchands mais si cette place est trop grande cela peut être aussi insupportable que de tout marchandiser. La valorisation monétaire est une reconnaissance matérielle indispensable en dehors des familles ou des groupes d'amis. L'argent est un facteur d'autonomie irremplaçable mais il y a des effets indésirables de l'argent qu'on peut corriger par des monnaies locales qui sont un des outils principaux de la relocalisation (et pour lesquelles il peut y avoir une certaine convertibilité, le SOL notamment étant une tentative de dépasser les limitations des expériences passées).

  19. Je pense quand même que l'argent introduit quelque chose de plus subtil qu'une dépendance ou une indépendance, à savoir une relation particulière que j'appelle délégation.

    Quand j'utilise le courant électrique et que je paie pour celui-ci, je suis dans mon bon droit de ne pas m'occuper de comment il est acheminé et produit jusqu'à moi. Pour autant j'en dépend complètement pour faire fonctionner des objets auxquels je suis intimement attachés.

    Si je prends votre définition de l'autonomie, alors cette relation de dépendance qui me relie à l'infrastructure électrique ajoute à mon autonomie. Et si je me passe d'électricité toute chose égale par ailleurs, mon autonomie diminue.

    En fait si j'ai le souci de cette délégation au macro-système électrique, je prends en compte ce lien de dépendance comme problématique. Et celui-ci relève d'un commerce qui ne m'autonomise pas, mais qui par contre rend possible le fonctionnement du macro-système, me rend irresponsable vis-à-vis de lui tout en maintenant une relation avec lui. Si j'apprend qu'un sous-traitant d'EDF meurt irradié ou suicidé, je n'en suis aucunement responsable... pourtant cela sera difficile de dire que j'ai complètement joué mon rôle d'humain en me contentant de payer et consommer. La publicité est là pourtant pour actualiser et valider ce rôle où tout ce que l'on me demande est de payer pour consommer, et inversemment le managemement pour me dire que tout ce qui compte c'est de produire pour vendre.

    Si l'on reprend votre définition de l'autonomie comme somme de relations, alors je m'aperçois que ce qu'il y a de plus autonome dans une société marchande, ce n'est ni le vendeur ni l'acheteur, ni même aucun intermédiaire ou producteur, mais plutôt la machinerie sociale dans son ensemble.
    L'argent produit sur ses membres une sorte d'envoûtement qui les enjoint de faire abstraction du prolongement de leurs actes, au délà des rôles assignés. Ce qui est d'une formidable violence.
    Bien-sûr on peut opposer qu'une réponse est d'augmenter les flux d'informations allant jusqu'à l'individu, et destinées à le "renseigner" en une sorte de rétroaction sur la machinerie sociale dont il est un contributeur... mais il y a certaines limites, disons anthropologiques à une telle optique.
    Et l'on voit bien que ces limites sont atteintes quand on s'aperçoit que les "militants" ne sont qu'une poignée, et que le reste de la population se maintient volontairement dans l'ignorance des possibilités d'effondrement de la machine dont on dépend tous.
    L'on voit bien aussi, je pense, que ce qui nous fait défaut, ce sont les capacités à prendre en charge un grand nombre de relations solidaires (humaines, mais aussi avec les autres vivants, la nature), sans que cela ne nécessite un surcroit de délégations, sans que cela n'alimente en échange l'autonomie de la machinerie sociale.

  20. Il y a très certainement un rapport entre ce que vous appelez "délégation" et l'autonomie ou la marge de manoeuvre de chacun. S'il n'y avait pas de trous de causalité et qu'on était absolument conscients et responsables de toutes les conséquences de nos actes, notre liberté serait extrêmement réduite. Il est certain que l'argent n'a pas d'odeur, qu'il constitue une sorte de chèque en blanc, c'est en cela qu'il nous laisse libre de son usage. Comme toujours, en bonne dialectique, c'est son bon côté qui est aussi son mauvais côté !

    L'argent est effectivement l'élément d'un (macro)système auquel il nous lie, mais ce n'est qu'un cas particulier car toute autonomie est l'élément d'un système, ce que le structuralisme a bien montré. Dans un écosystème c'est la même chose, nous n'en sommes qu'un élément (pris dans ses flux de matière, d'énergie et d'information) sans pouvoir calculer les conséquences lointaines de nos actions.

    Certes, le système a sa propre autonomie (l'économie, le politique, le juridique) mais ni plus ni moins que l'autonomie relative de ses éléments. L'autonomie de l'économie peut être désastreuse mais elle n'a pas que des mauvais côtés car c'est un facteur d'universalisation : peu importe en effet l'agent individuel, donc un marché est plus universel qu'un réseau par exemple, même s'il reste la barrière du prix pour beaucoup de choses.

    L'envoûtement est notre état naturel, si l'on peut dire, marquant notre appartenance à un groupe, un système, une culture, une langue, on ne peut réellement s'en défaire (ce que Boris Cyrulnik appelle "L'ensorcellement du monde"), il vaut mieux le savoir. C'est comme l'acte sexuel qui ne vise pas forcément la procréation mais le plaisir immédiat, ce qui peut être très violent, en effet, tout comme la négation du rapport humain qu'il y a dans le rapport marchand devenu rapport entre choses mais, là encore, il ne faut pas voir que le mauvais côté puisque la contrepartie peut en être le plaisir ou l'universalité.

    Il faut sans aucun doute améliorer l'information et la conscience des conséquences de nos actes mais il y a effectivement une limite, vite trouvée ! Impossible de tout savoir, il faut donc concentrer son attention sur le plus important et le plus significatif, mais surtout il ne faut certes pas se fier à la bonne volonté des militants, ni à l'autonomie supposée des individus, c'est bien le système qu'il faut changer. L'ignorance n'est pas un choix, c'est un état de fait et, dans sa spécificité, une conséquence de l'organisation sociale de la communication (le spectacle).

    Ce n'est pas l'autonomie de la machinerie sociale qui pose problème, elle est d'une certaine façon indépassable, mais sa finalité interne qu'il faut changer. Sinon il ne faut pas s'illusionner sur le nombre de relations qu'on peut entretenir et qui est strictement limité, ce qui nous fait dépendre "passivement" des niveaux supérieurs (groupe, foule, nation, "communauté internationale", biosphère), la seule chose qu'on peut faire c'est organiser la "machinerie sociale" pour qu'elle soit moins mortifère, c'est l'adapter consciemment et collectivement aux contraintes matérielles si l'on ne veut pas en subir le contre-coup violent. Ce pourquoi l'enjeu est d'abord cognitif, ensuite ce qu'on peut gagner en autonomie et en auto-gestion est surtout une condition d'efficacité, de réactivité, d'adaptation et d'harmonie. C'est dans l'auto-gestion et l'action commune qu'il y a véritablement communication, reconnaissance mutuelle et rapports humains authentiques tendus vers le même objectif alors que l'hétéronomie (technique ou disciplinaire) nous isole les uns des autres (sauf dans la révolte contre le pouvoir extérieur).

  21. Réponse aux articles :
    La valeur-travail
    Par Jean Zin, lundi 20 août 2007 à 12:23

    Minorité de blocage
    Par Jean Zin, mercredi 15 mars 2006 à 11:07

    La situation est trop grave pour ignorer une solution
    qui a fais ses preuves à ne nombreuses reprises.
    Maintenant ce sont huit pays d'Amérique du Sud
    qui emploient la solution des "groupes de cohérence",
    et je dois constater qu'ils s'affranchissent des "pressions"
    venant "du nord", peuvent faire plus de "social"
    et n'ont pas été déstabilisé ou renversés. La même méthode
    facile à appliquer des "groupes de cohérence"
    mettrait de la clarté dans le domaine qui nous intéresse.
    Si j' en crois le message ci dessous cela viendra de toute façon,
    ( via l'Amérique duSud .)
    Plutôt qu' une mauvaise traduction / interprétation
    lisez le texte original, juste pour information.

    By Global Good News Staff Writer - 29 August 2007
    This is the clarion call of our achievement for the six billion people of the world and 192 countries of the world,

    ... the darkness of ignorance is already over. Of course the midday sun is still to shine. That will come. The midday sun will come in six months. The midday sunshine will come in six months, but each month is increasing the intensity. The light is increasing each month, each month.'

    'This is the situation today, and after two, three days from today, what is going to come? Unexpected, unimaginable bright future on the single individual level of enlightenment and on the level of enlightenment of the whole nation and the whole world. 192 countries are in the world ...

    'Time has changed. I keep on listening from someone saying, 'Something good is happening, something good is happening everywhere.'

Laisser un commentaire