Ce livre est important
par sa description précise des glissements idéologiques successifs,
depuis Mai 68 jusqu'au néolibéralisme, par l'entremise de l'anti-totalitarisme
identifiant pouvoir et domination. C'est ce qui caractérise comme "post-totalitaire"
la désagrégation de la démocratie par l'inversion en
miroir des logiques totalitaires plutôt que leur simple reproduction.
C'est par sa réussite que la démocratie semble se détruire
elle-même. "Rien n'échoue comme le succès" rappelle aussi
Marcel Gauchet dans "La démocratie contre elle-même
". Je me
réjouis que s'élabore enfin une véritable critique des
idéologies libertaires que j'appelle de mes voeux depuis quelque temps,
pour comprendre en quoi le désastre de cette génération
ne vient pas tant de nos adversaires que de nous-mêmes.
L'analyse historique rejoint ce que j'avais dénoncé moi-même en 99 d'un
refoulement de la totalité, et surtout le rôle de l'anti-totalitarisme comme dénégation du pouvoir dans la domination
actuelle (Du
bon usage des révolutions en régime démocratique
). Sauf que Jean-Pierre Le Goff ne va pas jusqu'à reconnaître
un cycle, une dialectique, un retour des révolutions. On doit bien
admettre pourtant que le totalitarisme se voulait lui-aussi une négation
de ce qui précédait, de l'échec de la démocratie
libérale ploutocratique, comme nous devons nous opposer aujourd'hui
au post-totalitarisme.
Plutôt
que de remonter aux calendes grecques et se lancer dans de vastes fresques
historiques, qui ont leur utilité mais nous écrasent de leur
envergure, mouvement qui nous dépasse et sur lequel nous avons peu
de prise, on doit approuver cette façon de se maintenir dans l'actualité
de la génération dominante, celle de Mai 68, et l'analyse de
son discours anti-autoritaire (passé au management désormais),
de l'idéologie de l'autonomie se retournant en servitude redoublée.
L'autre thèse centrale de ce livre est, en effet, de réfuter
l'idée d'une évolution inéluctable, à laquelle
nous devrions nous adapter, et dénoncer donc l'économisme ambiant partagé
même par les opposants au libéralisme. Il rejette aussi bien
les interprétations psychologiques (Dejours) que celles centrées
sur les transformations économiques comme "Le nouvel esprit du capitalisme",
au profit d'une explication purement politique et culturelle : c'est le vide politique
créé par le soupçon général porté sur tous les pouvoirs
qui expliquerait cette domination sans partage de l'économie.
C'est en partie vrai, il faut le souligner car c'est peut-être ce qu'on peut
changer, ce qui dépend de nous, mais on peut regretter aussi que cette nécessaire
critique de l'économisme le mène à minimiser par trop
le poids de l'économie et de l'histoire (de la stagflation, de l'échec
de 1981), de même que la critique du modernisme, abusant du terme de
révolution pour abolir le passé,
lui fait sous-estimer les transformations en cours qui sont effectivement
révolutionnaires, au moins en ce qu'elles appellent de nouvelles institutions,
une nouvelle organisation de la société et de l'économie.
D'ailleurs, c'est bien à une nouvelle révolution qu'il nous appelle pour
redonner force au politique même s'il n'est plus question de "table rase"
mais bien au contraire de renouer avec la continuité historique. La
révolution doit en effet retrouver son sens premier qui n'est pas
de promettre un bonheur définitif mais au contraire le retour régulier
d'une régénération des institutions.
La question totalitaire
Dans son précédent livre "
La Barbarie douce", Jean-Pierre Le
Goff avait dénoncé les actuelles dérives "totalitaires"
de la modernisation aveugle des entreprises et de l'école. Pour comprendre
l'origine de ce "nouveau totalitarisme", il refuse d'emblée de se
contenter des explications traditionnelles par la mondialisation et la "dictature
des marchés" puisque c'est bien de la domination totale de la logique
économique sur le travail, l'école, la santé, la culture dont il
faut rendre compte. C'est la facilité, l'évidence avec laquelle
cette violence folle s'est imposée qu'il veut interroger. Sa nouveauté
radicale suffisant à montrer qu'elle ne va pas de soi.
Il
faut d'abord, en effet, bien caractériser ce "nouveau totalitarisme" en l'opposant
aux totalitarismes précédents, avec lesquels on ne peut l'identifier
tout-à-fait comme chacun l'admettra, violence et cruauté étant
bien moins apparents. La pertinence même du terme de totalitarisme doit
être interrogé, alors que le néo-libéralisme se
présente volontiers comme "anti-totalitarisme" justement, dont il présente
plutôt une image inversée. La thèse du livre rejoint
en effet celle de Pierre Legendre
[1]
qui voit dans le retournement de l'anti-totalitarisme en nouveau "dogme
anti-dogmatique" et "norme anti-normative" la cause d'une nouvelle
domination totale de la "non-pensée" unique et de la négation de la démocratie. Ce sont ces "
représentations qui déstructurent le vivre ensemble"
14
par crainte du totalitarisme que Jean-Pierre
Le Goff appelle le phénomène
post-totalitaire, constituant
le point aveugle de nos démocraties, et qu'il interroge, reprenant à son compte la définition
de la sociologie donnée par Alain Caillé comme "
lieu de l'interrogation
de la société par elle-même".
Le livre commence donc par la confrontation des analyses d'
Hannah Arendt
et
Claude Lefort
sur les régimes
totalitaires, faisant le
relevé de tout ce qui nous rapproche ou nous sépare de ces
régimes fondés sur l'idéologie et combinant parti unique,
terreur, arbitraire et confusion de la société avec l'Etat.
L'opposition la plus voyante est bien sûr dans la place du pouvoir
politique et le rôle de la liberté qui est un obstacle pour
les régimes totalitaires alors qu'elle devient dans nos démocraties
néo-libérales l'instrument de la domination. De même,
à la place d'un Grand Savoir infaillible, l'idéologie néo-libérale
prétend à l'impossibilité de savoir (mais cela ne l'empêche
pas d'avoir réponse à tout).
Beaucoup de traits nous rapprochent de ce qui fait la spécificité des sociétés totalitaires qui se
veulent scientistes et en perpétuel
mouvement, produisant un "
état
d'instabilité permanente" qui maintient la société dans
une mobilisation totale où seul compte "
la constante marche en avant vers des objectifs sans cesse nouveaux". Les "hommes nouveaux" doivent s'intégrer à ce "
gigantesque
mouvement de l'Histoire ou de la Nature" dans lequel les individus sont atomisés
et pris en masse, livrés à la plus grande incertitude. "
Culpabilité et innocence deviennent des notions dépourvues
de sens : coupable est celui qui fait obstacle au progrès naturel
ou historique"
AH 22 Les divisions de la société,
les conflits, les inégalités sont niées au profit d'un
discours purement fonctionnaliste, discours de l'organisation au nom duquel
les décisions les plus cruelles sont prises en toute irresponsabilité.
Au contraire de la démocratie, la division interne de la société, refoulée au nom de
son unité mythique, est reportées alors sur un Autre maléfique
(bouc émissaire, ennemi extérieur). Mais tout comme les démocraties, les totalitarismes
prétendent à une totale "
transparence à soi de la société", constamment mise en scène, affichant ses "
projets de société", valorisant
ses "
chantiers pilotes
" mais dont la contrepartie est le règne du secret comme Guy Debord
le montrait déjà en 1988. Tous ces éléments "concourent
à forger un univers imaginaire et à le protéger de l'impact des faits" notamment par le surmenage,
les divertissements ou la multiplication d'organisations visant à se protéger du "
flux toujours menaçant de la réalité" dans une sorte de "
ghetto mental",
une "
logique d'évitement de l'épreuve du réel"
30.
Par contre les totalitarismes se distinguent radicalement des simples "régimes
autoritaires", surtout par leur confusion entre la société et l'Etat,
effaçant la distinction entre gouvernants et gouvernés, ainsi
que par un
pouvoir qui est largement informel, inlocalisable, subissant
des remaniements constants et multipliant les organismes, tout en dévalorisant
hiérarchies traditionnelles et médiations sociales. Ce qui
correspond aux évolutions actuelles, pas seulement dans les entreprises.
"
La seule règle
sûre, dans un Etat totalitaire est que plus les organes du gouvernement
sont visibles, moins le pouvoir dont ils sont investis est grand". Bien
qu'aujourd'hui le pouvoir soit devenu anonyme, qu'il n'y a plus de "pouvoir
suprême", de monopole du pouvoir, Laurent Joffrin, entre autres, dénonce
pourtant avec raison la perte du pouvoir démocratique au profit d'un
"gouvernement invisible" (entreprises, médias, commissions européenne).
Il est donc indéniable qu'il y a tout un ensemble d'effets semblables
malgré des discours opposés (cf. p61). "
Cela nous oblige à penser le fait qu'il est possible de s'en prendre
à la liberté, à l'autonomie et au pluralisme, tout en
ne cessant de les mettre en valeur et de les exalter."
63
L'idéologie de la modernisationAvant de voir en
quoi les idéologies démocratiques, totalitaires et post-totalitaire
s'opposent, il faut s'attarder sur ce qu'elles ont de commun : l'idéologie
de la modernisation qui voudrait combiner "
une société en perpétuel mouvement" avec "
un univers de certitude
" inébranlable, ce qui n'est pas seulement une caractéristique
des idéologies totalitaires, comme le croit Hannah Arendt, pas plus
que la prétention de faire table rase du passé, mais spécifie
la modernité elle-même, qui a toujours été un discours
révolutionnaire, presque autant qu'aujourd'hui avec la révolution
technologique, la révolution de l'information, la révolution cognitive,
etc. C'est une révolution "
permanente, mondiale et culturelle" qui doit produire un "
homme nouveau adapté à la situation nouvelle", mieux qui devienne un "
acteur du
changement", chacun devenant responsable d'une modernisation qui se fait sans nous "
mais aussi acteur de son propre changement". Des spécialistes sont là pour "
conseiller, évaluer,
motiver, impliquer, communiquer, en toute transparence"
20 dans une "
logique adaptative de la survie et de l'urgence" qui exige mobilité, réactivité, flexibilité,
alors que les réorganisations permanentes "
s'attaquent aux libres liens de coopération et de socialité".
Contre toute attente, pourrait-on dire, l'idéologie révolutionnaire
est donc ce qu'il y a de commun aux démocraties, aux totalitarismes
et au néo-libéralisme post-totalitaire, survivant au mythe du
progrès. Ainsi, pour
Castoriadis
et Lefort, si on ne remonte pas à
Rousseau, c'est une dimension de la démocratie elle-même en
tant qu'elle implique une séparation de la religion et de tout fondement
transcendant, un rejet de toute légitimité extérieure
et donc une rupture avec la tradition, dans une quête de sens, une
indétermination radicale livrée aux conflits et divisions de
la société : "
les causes du social sont ramenées au social". C'est la même idéologie de l'
immanence
qu'on trouve dans le sens de l'Histoire pour la lutte des classes communiste,
ou dans le destin de la race aryenne pour les nazis. Les sciences de la société
et le structuralisme prétendent aussi guider les sociétés
à partir de leur observation, déduire la norme du fait. Dès
lors, l'Histoire se réduit à une évolution déjà
inscrite dans le passé et qui se fait sans nous. Cette "
nécessité
inscrite dans le réel" ne se présente pas comme une opinion
particulière qui dépendrait de nous et pourrait relever d'un
débat démocratique, vidé ainsi de toute substance.
There Is No Alternative ! Paradoxalement,
toute critique est ramenée à un simple discours idéologique,
par "
une pensée qui s'active sous la consigne de ne pas penser", non-pensée plus que pensée unique, nouvelle langue de bois
pour les hommes politiques. Sur ce plan, l'opposition entre droite et gauche tend à se réduire
simplement à la meilleure façon de s'adapter.
L'idéologie post-totalitaire
"
Le pouvoir tend à nier la légitimité de toute position
autre que la sienne. Là réside l'étrangeté de
la démocratie dans laquelle nous vivons"
37 Ne croirait-on,
là encore, entendre
Debord
(le style en moins) ! Comme toute idéologie, l'idéologie
de la modernisation ne se reconnaît donc pas comme telle mais se prétend la réalité
même, transparente dans son éternité, simple
constat
des évolutions inéluctables (trop rapides), et de la nécessité
de notre adaptation (dans un temps trop court). C'est ce qui constitue son
côté dogmatique, par l'anti-dogmatisme même se dérobant
à toute critique!
L'idéologie post-totalitaire se distingue radicalement pourtant
du Grand Savoir Totalitaire ou du mythe du progrès par un refus de
tout système, de toute prétention à une vérité
commune (un grand récit!), immédiatement identifiés
au totalitarisme. C'est l'affirmation au contraire d'un monde incompréhensible,
trop complexe, impossible à prévoir, nous vouant à un
avenir incertain et courant toujours derrière des changements incessants
qui nous dépassent, décourageant toute prévision à
long terme, tout sens ("
tout devient autoréférentiel, sans but ni sens"). C'est précisément ce qui constitue son caractère post-totalitaire. Ainsi malgré
un scientisme omniprésent et le développement continu de tous les savoirs,
règne en politique un "Grand
Non-Savoir", sorte d'anomie officielle qui
est refus de l'Un, refoulement de la totalité, à la fois au
nom de la pluralité, de la laïcité, et de "l'idéologie
de la complexité" (qu'il ne faut pas confondre avec le cognitivisme),
mais surtout, on l'a vu, en opposition aux régimes totalitaires.
L'absence de références communes, d'un sujet collectif capable
d'agir, ne laisse plus d'autre lien social que le marché ou l'industrie.
Ne considérant plus que les individus, "
l'image de la réciprocité s'impose comme celle du rapport social"
CL 80. Ainsi
pour le baron Hayek, redécouvert au début des années 80, la "Présomption
fatale" d'intervenir sur les marchés, d'exercer le moindre pouvoir, est "La route
de la servitude" qui nous mènerait irrémédiablement au totalitarisme !
Dès lors tous les savoirs sont instrumentalisés et c'est la
multiplication des experts au service de l'efficacité pratique. La
communication prend la place des idées, le média prime sur le contenu : "
représentation d'une démocratie accomplie où la parole circule sans obstacle"
CL 82 mais dont la "
spécificité est de pousser à l'extrême les
caractéristiques de la démocratie, non pas dans l'optique totalitaire
visant à recouvrir l'indétermination par un discours de certitude,
mais au contraire en accentuant cette indétermination à un
point tel que la démocratie verse dans l'insignifiance et la déliaison."
78 Au "tout est possible" totalitaire semble répondre un "rien n'est possible" en démocratie.
Il me semble qu'il faut insister sur le fait que le libéralisme est un scepticisme
intéressé, règne des sophistes, des communicateurs,
de la rhétorique publicitaire. Au nom du fait qu'on ne peut pas tout
savoir, ils voudraient nous persuader que nous ne savons rien, qu'il n'y a que des techniques, que tout se
vaut et s'arrogent le droit de faire n'importe quoi ! La philo-sophie au
contraire, consciente de son ignorance et du dogmatisme de l'opinion redouble
de précaution en retournant aux choses-mêmes et cherche à
progresser en soumettant les savoirs disponibles à une critique argumentée.
Comme pour le cognitivisme, il s'agit bien d'intégrer la complexité et la "marge d'erreur"
dans le savoir. Que la vérité soit incertaine ou hors d'atteinte
ne peut signifier qu'il n'y a pas de vérité, vérité
sans laquelle le mensonge même ne serait pas possible. Reste la question
de la pluralité des opinions mais cela ne doit nous faire renoncer
ni à leur dialogue, ni à dire ce qu'on pense, ni à prendre
des décisions et choisir notre avenir collectif.Dans
ce monde incertain et mouvant, pluraliste et en révolution permanente,
nous sommes réduits à la simple
gestion du court terme,
à l'irresponsabilité d'un avenir l'imprévisible, pouvoir
gestionnaire réduit à l'inéluctable.
Ulrich Beck
avait déjà dénoncé les gouvernements devenus
simples agences de communication passant leur temps à nous vendre
un progrès qu'ils ne maîtrisent pas, des évolutions qu'il
n'ont pas choisi ("Les événements nous dépassent, feignons
d'en être les organisateurs"). Cette impuissance effective rencontrant
l'idéologie anti-totalitaire, ennemie de tous les pouvoirs, le pouvoir
doit se dénier comme pouvoir désormais, négation imaginaire
de la hiérarchie effective, qui n'exerce plus une domination manifeste
mais se réfugie derrière les contraintes externes auxquelles
il faut toujours s'adapter ou disparaître. Il n'est plus question,
en effet, d'adapter notre environnement aux nécessités sociales,
humaines ou même vitales comme l'écologie en montre la nécessité,
mais seulement de s'adapter toujours à une évolution imprévisible
et destructrice qu'on sait pourtant ne pas être durable ! Nous devenons
matière à modeler pour un pouvoir qui devient gestion des
"ressources humaines". La discipline a disparu au profit de "conseillers
d'orientation", de psychologues mais surtout d'une exigence d'autonomie,
d'autoévaluation et d'autocontrôle. Il n'y a plus de pouvoir
visible, ni de référence externe, ni même de tiers entre
les contraintes extérieures et nous (comme le protestant face à
Dieu). Le pouvoir doit être entièrement intériorisé,
malgré son incohérence grandissante, l'absence de Loi ne nous
laissant pas de repos. Cette "barbarie douce" fait de nombreuses victimes,
produit beaucoup de souffrances et d'indignités (cf. "Souffrances en
France", C. Dejours). "
Le mélange et l'oscillation entre un discours angélique et
le recours aux méthodes autoritaires sont caractéristiques
du management et de la pédagogie moderne"
63.
Note sur le gouvernement par l'autonomie
La spécificité de l'idéologie
post-totalitaire se trouve ainsi dans l'asservissement par l'autonomie. Ce
qui peut paraître trop paradoxal n'est pourtant pas si nouveau. Ce
n'est pas le premier discours de libération qui se retourne en oppression,
c'est plutôt une constante. Staline ne parlait que de libération
des peuples, Hitler de libérer les Allemands sans parler de la Grande
Révolution Culturelle ou de Pol Pot. On peut se dire que la liberté
n'était alors qu'un slogan et que les foules ont été
trompées par un Super-Menteur ! On ne pourrait comparer cette grossière
manipulation (ayant entraîné des centaines de millions de gens, et
parmi les plus intelligents !) à notre autonomie bien réelle
dans les démocraties post-totalitaires. A y regarder de plus près
on s'aperçoit pourtant que cette dimension n'est pas absente des sociétés
totalitaires et d'abord par l'atomisation des individus séparés
de tout lien, de tout pouvoir intermédiaire pouvant faire contre-poids
à leur dépendance totale de l'Etat. C'est le principe du "diviser
pour régner" poussé à son extrême. Nos démocraties
capitalistes paraissent moins sanglantes mais des populations entières
sont condamnés à une mort sociale avec un total arbitraire.
L'individu isolé s'enivre d'abord de sa nouvelle liberté
avant de constater qu'il se trouve livré ainsi sans résistance possible
aux injonctions du pouvoir (économique) qui pénètre
jusqu'aux tréfonds de son âme et de son intimité.
En effet, contrairement à ce que prétend
l'idéologie libérale, flattant notre narcissisme et notre désir
de reconnaissance, l'individu est loin d'être un "animal rationnel"
maître de lui comme du monde et suffisant en soi, monade refermée
sur lui-même, parcelle d'âme divine héritant d'une liberté
totale, entièrement responsable de ce qu'elle est comme de ses péchés,
moderne Robinson jeté seul dans un monde hostile (façon
de renier ses origines et de refouler un père décevant d'après Marthe Robert).
Au contraire tout montre que l'individu est une construction sociale
et historique, ses connaissances et ses représentations venant de
l'extérieur sont strictement limitées à l'idéologie
du moment historique et du lieu. Personne ne peut dépasser son temps.
La Science elle-même doit reconnaître ses "révolutions
scientifiques" qui la font changer de paradigme (Kuhn). Des théories de l'apprentissage à
la psychanalyse ou aux
drogues et anti-dépresseurs, les limitations d'un individu si influençable
sont de plus en plus sensibles à mesure qu'on progresse dans le savoir,
docte ignorance qui est, il faut le rappeler encore, le contraire du scepticisme
ou du relativisme dans lesquels tombe lourdement le néo-libéralisme,
malgré sa prétention à maintenir le "choix rationnel"
d'un individu qu'on voudrait réduire à un simple calcul unilatéral
et donc qu'il faut supposer pris par ailleurs dans un jeu de forces obscures.
La vérité est toute autre et moins extrême puisque notre
liberté de choix se trouve justement dans notre manque de savoir,
notre inquiétude, la part de non-sens sans lequel le sens ne serait
rien (Heidegger, "L'essence de la vérité").
C'est seulement à partir de la reconnaissance de
cette ignorance au coeur de l'individu que nous pouvons nous "connaître
nous-mêmes" et progresser un peu. Si l'individu est sujet des discours, des
institutions, et désir de l'Autre il est entièrement dépendant
des autres à qui il s'adresse et dont il attend reconnaissance. Dès
lors toute autonomie ne peut être que formelle (ce qui n'est pas rien), sauf à partir
au désert, ne désignant qu'une absence de contrainte corporelle
remplacée par la "contrainte extérieure", nos dépendances
effectives (et affectives), le commandement devenant communication, publicité, suggestion.
Jean
de Beer ouvrait son "Retour sur soi" par ces mots : "La
démocratie diffère de la dictature en ce que l'indépendance
d'esprit y conduit à la famine et non à la prison". L'autonomie ne désigne en fait qu'un mode de gouvernement appelé
gouvernance. Ce n'est pas dire que la discipline était préférable,
ni dénier que nous avons besoin d'autonomie, mais ne pas reconnaître
notre dépendance des institutions et la réalité du pouvoir
produit bien des illusions avec leur cortège de malheurs.
La fabrique de l'humain
Il faut revenir plus précisément sur
ce glissement de l'autonomie à l'auto-exploitation dans "l'idéologie
de l'organisation" et le discours du management ou de la modernisation. L'idéologie
post-totalitaire, qui pénètre l'école tout autant que
le management, et que Jean-Pierre Le Goff avait dénoncée dans
son livre précédent, se caractérise en effet par une
"exigence d'autonomie" contradictoire. C'est ce que Bateson appelle un double bind, une double contrainte impossible à satisfaire comme "soyez naturel"
mais qui tend à individualiser les contradictions sociales. Ecartelé
entre laisser-faire et répression, ces discours sont de plus en plus
incohérents. Leur échec même suscite une multiplication
des professions qui prétendent y suppléer (management, communication,
formation) et tentent le pari de produire de l'autonomie. Freud disait déjà
que gouverner, éduquer, psychanalyser sont des professions impossibles,
mais ce nouveau clergé, ou plutôt nouveaux sophistes, prétendent
appliquer à l'humain une science expérimentale, le plus souvent
basée sur une simplification extrême, une conception mécanique
de la communication, sur le mode stimulus-réponse, jointe à
une représentation machinique de l'être humain "découpé
en comportements élémentaires".
Derrière les mots d'ordre d'autonomie, de responsabilité,
de tolérance, d'ouverture et de dialogue, de "savoir-être" enfin,
c'est toujours l'optimisation des performances qui est visée, l'individu
considéré comme une matière à organiser, à
manipuler, à exploiter et dont il faut abattre toutes les résistances. En réduisant
ainsi l'individu à ses compétences, son "employabilité", "l'homme,
le capital le plus précieux", comme disait Staline, on se livre tout
simplement à la négation de la culture et du sens. Bien que
"l'idéologie de la communication" affiche un véritable culte
pour le dialogue incessant, dans la pratique on assiste plutôt à
l'évitement d'un dialogue impossible, presque tout le temps à sens unique.
Un autre effet du "discours de l'organisation", mêlant psychologie et sciences humaines, sera de produire "
la représentation
d'un savoir sur le sujet... et, par là même, de dissimuler,
en engendrant l'illusion d'une norme impersonnelle, la figure des détenteurs
du pouvoir"
CL 83. L'objectivité d'un savoir constitué
sur l'individu annule par avance toutes les divisions sociales, les problèmes extérieurs et les oppositions
effectives qui sont dès lors intériorisées. C'est une
véritable machine à
refouler les inégalités,
les différences de condition, de position, en justifiant l'ordre établi
par la culpabilisation des perdants, supposés responsables de leur
échec, tout comme les riches auraient bien mérité leur
réussite, et même d'être bien né ! (Il faut remarquer
que ce sont à peu près les critiques que Marx faisait aux Droits
de l'Homme dans "
La question juive"). Ce qui disparaît aussi, ce sont
les relations de pouvoir qui ne s'imposent plus par la terreur et la contrainte
mais par la persuasion et le renvoi à une contrainte extérieure
à laquelle on doit s'adapter soi-même, qu'il faut devancer même.
On demande enfin à chacun de s'identifier à la direction dans
une impossible
autoévaluation ou bien la fixation des objectifs laissé
à l'appréciation du salarié qui sera de toute façon
jugé aux résultats (la raison de ces pratiques semble que le temps de travail
n'est plus significatif en lui-même pour un travail complexe). Chacun
est sommé de "prendre ses responsabilités", se prendre en main,
s'autoproduire conforme à la contrainte, avec la terreur de l'échec,
de l'exclusion, du chômage, vécus comme un abandon, une chute
insupportable, entraînant la perte de l'estime de soi (puisqu'on ne peut s'en prendre qu'à soi). L'école
reproduit cette négation de la différence entre les enfants aussi bien qu'entre le Maître
et l'enfant considéré comme un adulte au détriment des
plus "difficiles" et "retardés". "
Les rapports pédagogiques tendent à être psychologisés"
100, accentuant là encore la culpabilisation des
plus pauvres pour une
situation qui était vécue auparavant comme sociale, "de classe".
Si le parallèle peut être fait
entre la "barbarie douce" du management de certaines entreprises et un totalitarisme
mou comme Tocqueville imaginait l'avenir de la démocratie, il ne faut
pas confondre ici l'idéologie, dans sa fonction de refoulement et de
justification, avec les savoirs positifs qui sont mis en jeu. Il ne s'agit que de lever le refoulement et d'inquiéter des savoirs trop sûrs d'eux-mêmes
au profit de l'examen empirique des réalités effectives.
Au fond c'est encore "l'autorité" des savoirs qui est en question.
On ne peut critiquer, il me semble, le passage de la domination violente à
l'information, bien que ce soit une intériorisation de la domination,
de même que ce n'est pas l'autonomie qui serait condamnable mais de
ne pas en fournir les moyens et de répandre la terreur du chômage
par manque de protections sociales, comme un indispensable revenu garanti.
Le pouvoir et le savoir ne sont pas mauvais en soi, tout dépend de
son usage. C'est la leçon de Foucault à propos des prisons.
Ne pas se réfugier derrière le système mais dire qui
a fait quoi ! Il ne faut pas aller jusqu'à une dépersonnalisation des acteurs, sous couvert d'individualisation, car chacun reste responsable au moins de la façon dont
il manipule les gens.
De Mai 68 au post-totalitarisme libéral
Nous arrivons au coeur du livre avec le récit
historique des glissements idéologiques, en partie inspiré par
Marcel Gauchet, et qui commence avec Mai 68 voulant faire du passé
table rase avant de se casser le nez sur le totalitarisme. Ce que
l'époque a retenu de ces événements, c'est l'identification
du pouvoir et de la domination auxquels sera opposé une pratique politique
authentique, faisant appel au vécu et attentive aux relations personnelles.
"La politique est niée dans sa spécificité, dissoute
dans l'expression débridée des problèmes individuels
et relationnels. Et c'est l'ensemble des rapports sociaux qui tend
à être interprété sur le mode de la relation duelle".
Puis vint la "nouvelle philosophie", qui ne comportait
ni philosophie, ni nouveauté, mais exprimait surtout la réaction
au livre "L'Archipel du goulag", publié en 1974 et véritable
tournant du post-totalitarisme. La politique n'allait plus seulement être
identifiée à la domination mais bien au totalitarisme lui-même.
Dès lors, sur les ruines d'une politique malfaisante, les droits de
l'Homme comme droits du gouverné et des victimes, réclamés
alors dans les pays de l'Est, ont fini par servir de seule politique, transformant
les "citoyens" en "victimes porteurs de droits" contre tous les Etats et
tous les pouvoirs. C'est l'époque enfin où l'éthique est opposée au politique déconsidéré (aide humanitaire).
Ce mouvement ne pouvait mener qu'à une dépolitisation
de plus en plus totale aboutissant au repli sur soi et sur le court terme,
tourné exclusivement vers le bonheur individuel et l'intensification de la vie. Culture d'un
narcissisme, qui se veut sans obligation ni dette, et règne de la séduction
témoignant d'une crise du processus d'identification, d'une fin
des appartenances comme dit Gauchet, de désaffiliation pour Castel,
exprimant le fait que "pour la première fois" le social n'est plus
prédominant ! On peut y voir l'achèvement de la sortie de la
religion (et du patriarcat) qui nous prive pourtant d'un langage commun au
profit d'un "
patchwork de collage"
p111
inconsistant et d'une régression infantile. La fin de l'investissement de la sphère politique est
aussi la fin des conflits au profit de l'évitement, mais le déclin
de la norme renforce son intériorisation et supprime toute limite aux exigences sociales. Comme Alain Ehrenberg en a
rendu compte dans
La fatigue d'être soi, l'exigence d'autonomie généralise ainsi les dépressions
(maladie de la responsabilité et de l'inaction, limite passé les bornes).
Il y a eu au début des années 80, concordance,
autour du mythe de l'autonomie, entre la perte de légitimité
du politique, la révolution micro-informatique, et la situation économique
(stagflation témoignant des limites des politiques keynésiennes,
dépression, chômage, échec de 1983). Ce qui va aboutir
à légitimer un néo-libéralisme anti-Etatique
centré sur le client-roi (passage à une économie de
la demande à l'inverse de l'économie de production fordiste).
Les entreprises, dont on attend désormais comme un miracle qu'elles créent des emplois (alors que ça dépend
largement de la politique monétaire) sont soudain glorifiées. On leur demande de devenir des "entreprises citoyennes" avant de se vouloir des "entreprises éthiques".
C'est alors qu'on assiste à un "transfert des compétences du gauchisme vers le management" 120
, au moment où la génération 68 accède au pouvoir.
C'est par là que Boltanski est fondé à parler du rôle
de ce qu'il appelle la "critique artiste" (surtout individualisante et anti-normative),
dans la modernisation du capitalisme. Pour Le Goff ou Gauchet, il s'agit pourtant
d'un phénomène idéologique qui dépasse le capitalisme
et la modernisation technique. Ce qu'il faut expliquer, c'est justement l'émergence
de cette soumission à l'économie (économiquement on
pourrait l'expliquer par le chômage et par les cycles comme "destruction
créatrice", voir Schumpeter). Ce serait donc la perte de légitimité
de la politique comme de toute autorité qui aurait réduit
la politique à la gestion et à la communication, adoptant les
techniques de management des entreprises. "Les rapports entre gouvernants et gouvernés en est profondément et durablement altéré" 115.
L'idéologie post-totalitaire achevée
se compose ainsi du mouvement anti-autoritaire de Mai 68, du néo-libéralisme
économique et du discours de la modernisation. Dans les années 90 la "Révolution
Internet" ranimera l'utopie soixante-huitarde ouvrant une "ère nouvelle",
si ce n'est une "nouvelle économie" avec le rêve aujourd'hui terni
des startup et de l'entrepreneur célébré comme
un aventurier. L'individualisme narcissique vire au virtuel et mène
de plus en plus au nihilisme mais, en même temps qu'il nous isole et
détruit toute solidarité, il impose un "bonheur obligatoire
" basé sur une séduction sans loi qui nous fait passer de la
culpabilité à l'angoisse. Notre tâche aujourd'hui est
donc bien de combattre la déshumanisation et la désagrégation
de la société, qui résultent de l'idéologie post-totalitaire.
Mais l'opposition anti-libérale semble encore bien insuffisante.
Les insuffisances de l'opposition anti-libérale
La principale critique adressée aux opposants au libéralisme comme ATTAC est leur économisme
alors que, pour Jean-Pierre Le Goff, le problème est justement dans
cette domination de l'économie qui vient à la place du politique.
Sa deuxième critique concerne ce qui reste de l'idée de "rupture",
qu'on ne peut assimiler pourtant à une "table rase". C'est bien à
une rupture que nous sommes appelés par ce livre !
Pour les sociologues qui échappent
à cette critique économiciste, principalement Bourdieu et son
entourage, il met en cause l'idée d'une "domination totale" tellement
incorporée qu'elle ne nous laisserait aucune issue. Il considère
aussi qu'il faut démarquer notre démocratie médiatique
des anciens totalitarismes, en considérant que la publicité
n'est pas la propagande et nous laisse malgré tout une marge de liberté
sauf à tomber dans une conception pavlovienne de nos réactions
(mais n'est-ce pas plus subtil ?). Pour lui, il y a bien une guerre de l'information
mais on devrait constater son échec relatif. La publicité étudie
les consommateurs plus qu'elle ne les influence (mais elle les étudie
pour les influencer), son effet le plus délétère serait
de renforcer la suggestion d'une société éclatée
et incompréhensible. Les publicitaires comme Beigbeder qui dénoncent
le pouvoir publicitaire, témoigneraient que "Les trompeurs ont commencé par s'illusionner eux-mêmes". L'enjeu est plutôt de reconnaître que la domination n'est
pas extérieure mais résulte d'une contradiction interne. Beigbeder
l'admet d'ailleurs lui-même : "Tant qu'il n'y aura rien d'autre, la publicité prendra toute la place".
Il faut partir du constat que la nouvelle négation
de la démocratie n'est pas vraiment un totalitarisme, mais que c'est au nom
de la démocratie et de l'anti-totalitarisme qu'il n'y a plus de société
ni de démocratie. On ne peut se passer, en effet, d'une représentation
de l'
unité de la société, procédures et réciprocité
n'y suffisent pas. Comme dit Legendre, "
Non seulement la société doit tenir debout (Etat) mais elle doit avoir l'air de tenir debout". C'est bien sûr, plus facile à dire
qu'à faire car
il n'est pas question de revenir en arrière. Ni modernisme ni passéisme
(pour moi ce ne peut être que l'écologie). Un nouvel humanisme
post-totalitaire ne peut plus être innocent mais "
forcément déchiré et tragique"
189
devant les victimes du pouvoir aussi bien que de son absence. La première
chose à reconnaître, c'est la dissymétrie des positions,
les inégalités et discriminations effectives dans des situations concrètes, ensuite que "
l'engagement des citoyens n'est ni homogène, ni continu"
194,
comme Hirschman l'a déjà montré. Enfin il faut engager
une critique du mythe révolutionnaire de la table rase et du rejet
de toute transcendance (avec la prétention de l'immanence). Sur ce
point nous avons vu qu'aussi bien Castoriadis que Lefort sont à mettre en question.
La démocratie ne peut être fondée sur le sans-fondement,
ni décider d'abolir l'histoire. Pour que le nouveau ne soit "
pas destruction mais commencement", "
renouvellement
du monde", il faut restaurer une continuité, un héritage et une stabilité durable.
Je dois témoigner d'un large accord, aussi bien dans la
critique de l'anti-totalitarisme que de l'anti-libéralisme mais, sans
vouloir tomber dans un matérialisme étroit, on regrettera qu'il
se sente obligé de minimiser, au profit de l'idéologie politique,
les autres continuités plus matérielles, qui ne se réduisent
pas à l'économie, que ce soient les cycles générationnels
ou les transformations de la technique et du travail, qu'on ne peut réduire
entièrement à un fait de discours ! Surtout, il me semble, contre
l'évidence de notre temps, que la seule façon de dépasser
l'idéologie révolutionnaire est d'admettre que les révolutions
reviennent régulièrement, renouvellement périodique nécessaire
des institutions plutôt que promesses d'une rupture totale et définitive
ou d'un bonheur sans fin. En tout cas, ce qui est pour moi le plus frappant,
c'est ce qu'on peut appeler la dimension thérapeutique
de la sociologie permettant de reconnaître dans les impasses de notre
vie privée et nos échecs les plus intimes ce qui est le sort commun, le
malheur du temps, et se révèle ainsi comme phénomène sociologique et historique dont
l'intériorisation et l'isolement camouflaient le caractère collectif
(Lasch, Beck, Ehrenberg, Mendel).
On voit que c'est exactement le contraire de la culpabilisation
libérale. Il est plus important encore de comprendre comment nos rêves
de liberté et de démocratie se sont retournés contre
nous, comment la génération 68 a pu faillir par son arrogance,
puis son cynisme, et mener la politique démocratique dans une impasse
dont on approche sans doute le paroxysme, en même temps que les livres
à ce propos se multiplient et que se forme une prise de conscience collective.
Les chiffres renvoient aux pages du livre. CL : Claude Lefort. AH : Arendt Hannah.
[1]
"Nous agençons une nouvelle chape de plomb par le retournement
du même en son contraire, sous la croyance au règne de l'anti-normativité.
[...]
On comprend difficilement l'effondrement de la réflexion
critique, à moins de considérer que la nouvelle Modernité post-hitlérienne,
fonctionnant comme une sorte d'envers historique, ait instauré conformisme
et peur de penser dignes des totalitarismes révolus." Pierre Legendre, La société comme Texte p23