La part de l’humanité dans l’évolution

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Logos et anthropos
Après avoir braqué les projecteurs sur l'universel, l'immensité de l'univers et les lois de l'évolution à très long terme incarnées par des extraterrestres, on peut, en bonne dialectique, porter maintenant de ce lointain le regard plus près de nous sur les organismes vivants ou sociaux et l'histoire politique ici-bas mais là, c'est une toute autre histoire et le domaine de l'action qui a beau être contrainte reste à la fois indécise et nécessaire.

On n'est plus ici dans le règne de la raison pure mais plutôt d'une rationalité erratique et limitée qui se révèle d'autant plus maléfique qu'elle se surestime, ignore son ignorance et croit pouvoir faire fi des lois universelles comme du cadre limité de notre action, règne de l'opinion qui n'est jamais "personnelle" mais s'enferre à chaque fois dans l'erreur avec des conséquences bien plus graves encore que la simple ignorance. On a des exemples récents. La situation n'est pas aussi brillante qu'on le présente ordinairement d'un bon sens partagé très démocratiquement alors qu'en dehors des sciences, en rupture avec l'opinion justement, il n'y a que fausses croyances, fake news ou propagandes.

On semble redécouvrir à chaque fois l'étendue des dégâts. Des théories du complot aux va-t-en-guerre, ce ne sont pas les idées claires et distinctes qui manquent pourtant ! Une série télé va même jusqu'à dire avec un brin d'exagération que les députés sont soit des psychopathes soit des imbéciles... On sait bien que ce n'est pas complètement faux, hélas, mais avec cela, il y a de quoi en rabattre sur les utopies démocratiques et il ne suffit pas de déclarer, sûr de soi, qu'on va tout changer. Avec les hommes tels qu'ils sont, et malgré tous les moyens déployés, la démocratie cognitive reste un rêve (une tendance?).

On a vu que l'universel, la logique, la science, la morale même, l'évolution cognitive enfin, ne sont pas propres à l'homme car ils seraient partagés par d'hypothétiques extraterrestres et sont plutôt contre-nature. Pour tout ce qui nous sépare de l'animal biologique et relève de la raison ou du soi réflexif, ou de l'être au monde permis par le récit, l'anthropologie n'est pas suffisante pour rendre compte de notre évolution, comme si nous avions tiré l'esprit de nous-mêmes, d'une propriété divine présente dès l'origine (quand?). Au lieu de chercher, comme on le fait encore, quelque qualité miraculeuse qui aurait fait le succès de l'homme, plus conformément à la théorie de l'évolution, il faut penser sa genèse comme l'adaptation à son milieu devenue adaptation à la technique (dès les pierres taillées) et très récemment seulement ayant eu accès aux sciences universelles et maintenant aux communications extraterrestres.

Pour arriver jusque là nos ancêtres ont dû passer de fructivore à carnivore puis omnivore sous la pression du milieu témoignant de la plasticité de l'évolution où des mammifères retournent à la mer et prennent forme de poisson. Tout comme les extraterrestres, les baleines illustrent parfaitement aussi bien la plasticité que la convergence et qu'il n'y a rien qui soit propre à une espèce, ne faisant que s'adapter à l'évolution du milieu (ou de la technique) pour aboutir à peu près au même résultat que d'autres confrontés au même réel.

Cela fait seulement quelques années qu'on a dû abandonner l'idée d'une espèce humaine issue d'un ancêtre commun au profit d'une convergence de plusieurs lignées et de leur hybridation dans une évolution buissonnante. S'il est toujours vrai que les origines de l'homme sont africaines, cela ne signifie pas qu'il n'y aurait qu'une seule origine en Afrique, berceau de l'humanité que certain recherchaient encore il y a peu. Cette nouvelle compréhension de notre préhistoire implique de contester l'ancien dogme du darwinisme qu'il n'y aurait de mutation qu'individuelle et assurant immédiatement sa descendance par son avantage reproductif. Certes les mutations sont individuelles mais peuvent se retrouver chez plusieurs individus et se répandre à bas bruit pendant très longtemps, seule la pression de l'environnement menant à leur sélection positive par sélection de groupe plus qu'individuelle. Partout il y a grands et petits mais les proportions peuvent changer radicalement en fonction des conditions extérieures, tout comme la sélection artificielle accentue une propriété déjà là. Il ne suffit pas qu'une mutation soit favorable à l'individu pour qu'elle soit viable sur le long terme et ne se perde pas en route. Au lieu de chercher une essence aux créatures assignées à leur place, on doit bien admettre que c'est l'évolution de l'environnement qui sculpte les corps et les anime, aussi bien pour les extraterrestres et leur convergence supposée avec notre évolution cognitive.

Pour toute la partie rationnelle, scientifique, technique, on a affaire à un réel extérieur, universel et indifférent aux gènes. Bien sûr, cela ne peut pas signifier qu'il n'y aurait aucune part humaine, naturelle et culturelle, et qu'une anthropologie ne serait pas nécessaire, mais ce sera alors plutôt une anthropologie de l'irrationnel ou des limites cognitives aussi bien de notre cerveau que de notre stade de développement. Si on fait les fiers par rapport aux animaux, c'est moins évident avec d'hypothétiques extraterrestres ! Après l'universel, retour à l'anthropos donc, ce qui veut dire notre crédulité, notre pensée de groupe, nos tabous, nos coutumes les plus étranges et notre biais d'optimisme qui nous fait croire à ce qui nous arrange et ce qu'on espère - cela aussi peut-être pour les extraterrestres ? l'amour, la jalousie, la compétition, le désir comme désir de désir ?

Non seulement l'existence d'extraterrestres ne supprimerait pas nos particularités mais elle les rendrait plus manifestes, particularités qui dépendent des aléas d'une évolution concrète singulière bien que prédéterminée dans ses grandes lignes quand même si on suppose pouvoir établir des communications avec le reste de l'univers. Impossible de nous réduire pour autant à l'évolution millénaire ou cosmique pas plus qu'à l'universel de la raison qu'on s'attribue à tort. Notre réalité est plus immédiate et contradictoire, l'individu étant pris dans l'inadéquation de sa singularité avec l'universel et leur dialectique. Ni l'un ni l'autre mais leur contradiction vécue, jusque dans le malêtre de l'ennui et les tentations suicidaires. Pour Hegel, "l'inégalité de l'être dans sa singularité avec l'universalité" doit mener la conscience malheureuse à "renoncer à la dureté de son universalité abstraite" et reconnaître son insuffisance dans la fraternité de nos défauts trop humains.

Il y faut quand même toutes sortes de béquilles et d'abord des mécanismes biologiques pour rendre supportable une vie qui n'est pas si facile. Darwin supposait que la sélection favorisait les animaux les plus heureux dans leur milieu, suivant plutôt une courbe de Gauss, au mieux, car si l'humanité comme espèce invasive, a pu coloniser toute la Terre, cela témoigne de notre adaptabilité mais aussi que nous ne sommes jamais complètement adaptés à notre environnement, toujours étranger en terre étrangère, voire en révolte contre le sort qui nous est fait. C'est ce que tempèrent normalement nos antidépresseurs naturels ou les diverses drogues habituelles, au même titre que nos biais d'optimisme et croyances consolatrices (que ce soit dans l'oxymore d'une vie après la mort ou dans une fin de l'histoire triomphante), pur baratin. Il est patent qu'on éprouve le besoin de se donner des raisons de vivre, ce n'est pas si naturel que ça, et tant de gens se raccrochent désespérément à la prétendue "bonne nouvelle" qu'on sera sauvé de cette vallée de larmes, que tout cela s'arrêtera un jour ! Ce n'est pas que le pire soit toujours sûr, l'optimisme n'a pas tort en tout, justifié par l'encouragement à l'action et de véritables réussites, de bonnes surprises parfois et de très bons moments. Voir tout en noir c'est ne rien voir de la face plus chatoyante de la vie. Ce qui domine quand même en dehors des humeurs dépressives ou ennuis de santé, c'est une certaine insouciance globale ou plutôt la focalisation sur les soucis pratiques immédiats nous détournant des mauvaises nouvelles pourtant objectivement très inquiétantes - mais comme nous n'y pouvons rien le plus souvent... Voilà cette humanité effective qu'on avait trop divinisée et confondue avec la raison, toujours sur la corde raide, dont la part dans le progrès des sciences n'est que celle de l'erreur, comme disait Poincaré, mais qui du moins n'a pas empêché ce progrès cumulatif. L'évolution se contente du minimum.

Quelle part laisse à l'action d'un tel animal une évolution surdéterminée sur n'importe quelle planète, ce qu'on peut appeler notre part de liberté ou de devoir-être ? On peut trouver qu'elle est mince, prise dans les enjeux actuels et des possibilités réduites, ce qui ne rend pas l'action moins nécessaire. Nos actions d'ailleurs sont quotidiennes et prévisibles la plupart du temps, si ce n'est toujours rationnelles. Impossible de rester les bras croisés à ne rien faire, notre réaction, notre effort est requis en permanence mais pour cela même contraint. La liberté effective sert à faire le nécessaire, y compris dans les jeux, ne se distinguant de la contrainte qu'à être laissée à notre jugement personnel, ce qui certes n'est pas un détail même si la portée de notre action reste très locale. On ne peut pas rien même si on ne peut pas tout - comme on ne peut s'empêcher d'en rêver à se raconter des histoires.

Il est intéressant de rappeler ici ce que Kant disait là-dessus au début de son "Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique" de 1784 - juste avant la Révolution - pour mesurer la distance avec la téléologie divine et le prétendu développement de nos capacités dans lesquels il restait empêtré, au lieu d'une sélection après-coup dont il n'avait qu'un pressentiment.

Quel que soit le concept de la liberté du vouloir que l'homme puisse élaborer dans une intention métaphysique, les manifestations de ce vouloir, telles qu'elles nous apparaissent, les actions humaines, sont déterminées conformément aux lois universelles de la nature, aussi bien que n'importe quel autre événement de la nature.

Les hommes pris individuellement, et même des peuples entiers ne songent guère au fait qu’en poursuivant leurs fins particulières chacun selon son bon plaisir, ils suivent à leur insu, comme un fil conducteur, le dessein de la Nature, qui leur est lui-même inconnu, et travaillent à favoriser sa réalisation, ce qui, même s'ils en avaient connaissance, ne leur soucierait guère.

Considérons les hommes tendant à réaliser leurs aspirations : ils ne suivent pas simplement leurs instincts comme les animaux ; ils n’agissent pas non plus cependant comme des citoyens raisonnables du monde selon un plan déterminé dans ses grandes lignes. Aussi une histoire ordonnée (comme par exemple celle des abeilles ou des castors) ne semble pas possible en ce qui les concerne. On ne peut se défendre d’une certaine humeur, quand on regarde la présentation de leurs faits et gestes sur la grande scène du monde, et quand, de-ci de-là, à côté de quelques manifestations de sagesse pour des cas individuels, on ne voit en fin de compte dans l’ensemble qu’un tissu de folie, de vanité puérile, souvent aussi de méchanceté puérile et de soif de destruction. Si bien que, à la fin, on ne sait plus quel concept on doit se faire de notre espèce si infatuée de sa supériorité. Le philosophe ne peut tirer de là aucune autre indication que la suivante: puisqu’il lui est impossible de présupposer dans l’ensemble chez les hommes et dans le jeu de leur conduite le moindre dessein raisonnable personnel, il lui faut rechercher du moins si l’on ne peut pas découvrir dans ce cours absurde des choses humaines un dessein de la nature: ceci rendrait du moins possible, malgré des créatures qui se conduisent sans suivre de plan personnel, une histoire suggérant un plan déterminé de la nature

Emmanuel KANT, Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, 1784

Juste après cette introduction, la première proposition de Kant stipule que "Toutes les dispositions naturelles d'une créature sont destinées à se développer un jour complètement et en raison d'une fin". En l'absence de la théorie de l'évolution, il a bien du mal à se débrouiller avec les paradoxes du jugement réflexif qui ne serait pas déterminant mais ne ferait que deviner la suite en reconnaissant les finalités actives dans la nature, de façon hypothétique mais au nom du fait qu'il y a des lois dans la nature et qu'elle ne peut être sans but. En l'absence de représentation d'une fin explicite ni savoir d'où ça vient, cette cause absente est renvoyée classiquement à une providence divine qui sert de bouche trou et sauve la supposition d'un plan divin préalable. Cette conception religieuse est encore aujourd'hui la façon naturelle de penser, celle du sens commun, qui donne un sens à la vie.

C'est ce que justement la théorie de l'évolution réfute, empêchant théoriquement de pouvoir prévoir la suite. En fait on ne peut pas prédire la suite que nous ne connaissons pas encore mais l'hypothèse de l'existence d'extraterrestres évolués implique une évolution orientée, qui passe par des stades nécessaires, étape par étape comme pour les stades du développement de l'enfant, condition préalable afin de pouvoir évoluer un peu plus loin (désormais avec l'unité planétaire et numérique) mais sans garantie jamais, orientation qui peut s'inverser et les civilisations s'effondrer. L'hypothèse des extraterrestres suppose un temps très long mais surtout des mondes multiples et l'histoire reste celle des vainqueurs, des survivants de l'évolution, les échecs ne comptent pas, laissés en arrière. Alors que nous venons à peine d'accéder aux communications interplanétaires, il est presque certain qu'une civilisation lointaine qui pourrait les capter serait depuis longtemps à un stade supérieur au nôtre. Il faut maintenir à la fois la contingence locale de l'évolution, qui dépend du milieu, et la convergence globale des formes ou des apprentissages, ce qui relève de la diversité et ce qui relève de l'universel en dehors de tout plan divin.

En fait la question de l'intelligent design ne tient absolument pas si on accepte la théorie de l'évolution qui réfute très précisément l'hypothèse créationniste, prenant acte au contraire du caractère incréée de la vie qui explore les possibles, sans cesse en évolution pour sa survie. Ce n'est pas pour rien que les religions ne peuvent accepter ce qu'on peut considérer comme la démonstration scientifique de l'inexistence d'un créateur et la base d'un athéisme scientifique et nouveau progressisme. Ce matérialisme évolutionniste est d'ailleurs plus ou moins accepté intellectuellement mais sans qu'on en tire vraiment les conséquences qui peuvent être aussi déroutantes que celles de la relativité, surtout pour les croyants innombrables.

La théorie de l'évolution comme loi de la nature, véritable Être de l'étant (qui n'est pas réductible à une conception du monde), peut être considérée comme plus fondamentale encore que l'entropie à laquelle elle s'oppose car sans elle, il n'y aurait rien que le silence des espaces infinis. Pourtant on sait depuis Darwin à quel point malgré sa minceur, sa vacuité même, cette sélection après-coup de ce qui marche (où la finalité devient cause de sa reproduction mais seulement après-coup) a pu être aussi insupportable que le décentrement copernicien, contredisant nos représentations spontanées du finalisme biologique (comme du volontarisme de l'action) - sur le modèle explicitement créationniste de l'architecte, de l'artisan ou de l'horloger, de l'harmonie préétablie enfin de créatures qui se complètent dans leur diversité et conçues avec tous leurs organes ! S'il y a évolution, il nous est difficile de penser qu'elle n'est pas voulue et tendue vers le Bien. C'est comme cela aussi que les sorciers interprètent les coups du sort, comme voulus, mais cause du mal cette fois, provoqués par des volontés hostiles d'autres sorciers.

Il ne fait pas de doute que les yeux sont faits pour voir de même que rien ne se fait sans volonté, ce que Darwin nous a appris pourtant, c'est que ces finalités ont été sélectionnées après-coup, par reproduction, répétition, apprentissage, qu'elles sont un résultat du milieu et de l'histoire, non d'une intention préalable ni même d'une puissance initiale. Le darwinisme ne saurait nier le finalisme de l'organisme ou de l'intentionalité, du regard qui vise son objet, il en change simplement le statut, la genèse, en l'expliquant par la sélection après-coup d'essais/erreurs au lieu d'un plan préétabli. C'est la pratique, le réel de ce qui marche, pas notre bonne volonté, qui décide de ce qui est viable et durable, ou mieux adapté, dans un milieu mouvant et accidenté que nous ne maîtrisons pas. Les finalités incorporées ou apprises ne sont elles-mêmes pas du tout arbitraires mais peuvent être par contre trompeuses, surtout pour une espèce qui se raconte des histoires. En tout cas la volonté ne peut jamais atteindre ses finalités qu'à se régler sur ses effets. Il n'y a pas d'évidence naturelle. Il ne s'agit pas de prendre ses désirs pour des réalités, de faire de sa vie un roman, quand on se cogne sans cesse au réel et qu'il déjoue tous nos plans.

Il serait ridicule d'interpréter la théorie de l'évolution comme si elle nous déchargeait de toute action vitale d'y mettre simplement une limite et de la canaliser. Que l'évolution continue sans nous ne rend pas moins pressantes les urgences du moment et de se donner des buts pratiques. Ce n'est pas parce que nous ne sommes plus au centre que nous n'avons rien à faire. Il y a manifestement du volontarisme partout et des oeuvres humaines jusqu'à l'artificialisation du monde. Il ne peut donc être question de croire pouvoir supprimer toute finalité ou volontarisme dans un non agir qui n'a aucun sens pour un être vivant. Il s'agit seulement de considérer ces finalités comme résultats et de se donner des finalités opportunes. Il faut bien dire que ce n'est pas toujours le cas, faisant même l'objet de violentes polémiques entre dogmes opposés. Il nous incombe de choisir entre différentes finalités actuelles, d'en évaluer la probable faisabilité en fonction des situations, de l'information imparfaite qu'on en a et de notre rationalité limitée. Ce n'est pas gagné d'avance.

Il semble que seule la théorie de l'évolution incluant l'augmentation considérable de notre capacité cérébrale soit capable de laisser malgré tout une place assez grande à la connerie humaine que les conceptions plus rationalistes ont bien du mal à intégrer. Cette capacité à délirer témoigne de l'absence de lien au réel des êtres parlants (extraterrestres compris?), de récits qui parlent de ce qui n'est pas là. Que la vérité ne triomphe pas si facilement du mensonge ou de la rumeur n'est pas assez pris en compte par toutes les utopies alors que cela nous condamne, de façon très darwinienne, à marcher à l'aveugle et c'est cette absence de garant de la vérité qui rend la guerre et les crises inévitables pour départager les opinions et revenir au réel. Pire, dès que l'ordre établi semble immuable et que le risque semble disparaître cela encourage les spéculations les plus folles jusqu'à l'éclatement de la bulle pour revenir aux fondamentaux. Souvent, il n'y a pas d'autre moyen de persuader de l'infaisable que de le tenter et d'échouer sans qu'on puisse le savoir d'avance. Ainsi, dans "Salaire, prix, profit" Marx avoue qu'il pensait comme les économistes bourgeois qu'une augmentation de salaire serait illusoire voire nocive alors que la dynamique engendrée avait été positive pour l'économie. Par contre les augmentations généreuses de 1968 ont été vite rattrapées par l'inflation, et la rigueur de 1983 a succédé au programme commun de 1981.

Au-delà de la contradiction entre singularité et universel, le plus curieux, c'est cette dualité entre rationalité instrumentale et irrationalité idéologique, entre grandes entreprises efficientes et grandes cérémonies religieuses ou discours politiques. Vraiment la connerie s'étale partout des réseaux sociaux aux religions, ce qui a de quoi étonner pour des être supposés rationnels. Voltaire remarquait que les Hindous (pris en exemple pour ne pas parler des chrétiens) croient dur comme fer à des histoires absolument fantastiques à nos yeux sans que cela ne les empêche de savoir compter leurs sous ! Ce fonctionnement schizophrénique de notre esprit, s'il est forgé par l'évolution ne devrait-il être le même sur d'autres planètes ? Du moins, s'il ne peut s'empêcher de délirer, il devra, comme la perception, suivre les principes de la cybernétique et du thermostat, d'un esprit qui se situe en avant mais se règle après-coup sur le feedback, jusqu'aux sciences expérimentales qui contredisent systématiquement nos représentations et préjugés...

Aux questions que pose Kant : "que puis-je connaître ?", il faut répondre seulement ce que les sciences ont pu vérifier, au stade où nous en sommes. A la question "que dois-je faire ?" nous avons répondu qu'il fallait faire le nécessaire, ce qu'il y a à faire selon la morale ou la vie. Mais "que m'est-il permis d'espérer ?" est plus délicat, on l'a vu, car c'est bien là-dessus qu'on délire et qu'on en veut trop, préférant se mentir à soi-même. Même les dépressifs tiennent à leurs illusions. On peut quand même espérer de durer encore un peu, ce qui est déjà un miracle, et que l'histoire continue avec un progrès des sciences et techniques qui n'est pas près de s'arrêter, pour le reste plus sujet à caution. Enfin, à la question "qu'est-ce que l'homme ?" par rapport à d'éventuels extraterrestres nous avons répondu cet être double entre universel et animal, logos et anthropos, mais on a vu aussi que cet homme de l'espace, produit de l'évolution et mal dégrossi, se trouve défini du coup uniquement par son accès aux sciences et aux communications extraterrestres, mettant en relief en retour à quel point nous restons englués dans nos limites cognitives et notre propre connerie ou la folie des foules - mais toujours encore pressés par l'urgence.

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1 réflexion au sujet de « La part de l’humanité dans l’évolution »

  1. Jean-Jacques Hublin est sans doute notre meilleur paléoanthropologue et l'un de ceux ayant établi que la constitution de notre espèce a été buissonnante, complexe, faite de croisements multiples et non d'une origine miraculeuse. Je trouve cependant que sa façon de parler peut parfois suggérer le contraire.

    Ainsi quand il dit "ces comportements de plus en plus sophistiqués ont été rendus possibles par l’évolution de notre cerveau" on comprend que notre cerveau s'est développé "naturellement" et a été utilisé ensuite à des tâches de plus en plus complexes. Il y a d'ailleurs toute une tendance pour faire dériver notre gros cerveau uniquement de nécessités sociales, capacité de compréhension appliquée ensuite à des problèmes pratiques. Mais ce n'est pas comme cela que ça se passe et ce sont bien les progrès techniques favorisant la survie qui sélectionnent les cerveaux adaptées en éliminant ceux qui sont restés en arrière. Non pas le développement autonome d'une faculté préalable mais en réaction à la pression du milieu.

    L'autre formulation maladroite que j'ai moi-même beaucoup employée, c'est de prétendre que "Au lieu de s’adapter à l’environnement, l’espèce humaine adapte l’environnement à elle". Ce qui est exact si on restreint l'environnement au milieu naturel dont on s'abrite depuis toujours mais ignore l'environnement humain et l'évolution technique dont on ne s'abrite pas mais à laquelle on s'adapte toujours au contraire, adaptation darwinienne, après-coup et non pas rationalité préalable. La dialectique s'impose par l'erreur première et non par l'intelligence innée d'un auto-développement, la réalisation d'un projet fondamental, l'objectivation d'une subjectivité idéalisée, la pure expression d'un germe préalable. La rationalité, la technique, l'universel ne sont pas une production humaine mais objets d'un apprentissage.

    https://www.telerama.fr/debats-reportages/l-espece-humaine-pourrait-etre-qualifiee-de-super-invasive-7011433.php

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