Descartes, Spinoza, Leibniz
L'histoire de la philosophie, de par la simple succession des philosophes, en montre toutes les contradictions entre eux, témoignage de leurs erreurs et de l'évolution des esprits. On ne peut faire une histoire des religions qu'à ne pas y croire, de même un historien de la philosophie est bien obligé de prendre ses distances avec les différentes philosophies. S'il faut connaître cette histoire, ce n'est donc pas pour découvrir celui qui aurait trouvé la vraie philosophie, c'est tout au contraire, pour ne pas en rester là (et refaire les mêmes erreurs) mais renforcer notre esprit critique à voir comme les constructions logiques sont fragiles. Les grands philosophes ne sont pas grands parce qu'ils avaient enfin compris la vérité et seraient indépassables mais seulement parce qu'ils avaient argumenté avec la plus grande rigueur et de façon assez convaincante pour soutenir des positions subjectives qui ont toujours cours de nos jours - car tous les moments de l'apprentissage historique sont reparcourus à chaque génération. Je ne vise ainsi dans ce retour sur les rationalistes du XVIIè qu'à mettre en valeur ce qui peut en éclairer notre actualité. Revenir en arrière, ici, n'est qu'essayer de comprendre la formation et le succès de ces systèmes dans leur époque pour inciter à, de nouveau, aller de l'avant au lieu de rester englué dans le passé et affronter plutôt notre futur désenchanté, cette accélération technologique que nous subissons plus que nous n'en sommes les acteurs.
On a vu comme les empires avaient dépouillé la philosophie de sa dimension politique initiale pour la réduire au souci de soi des philosophies du bonheur (stoïcisme, épicurisme, scepticisme) dont l'échec devait mener au mysticisme néoplatonicien avant que la religion ne prenne toute la place. La philosophie religieuse a tenté depuis d'en affronter toutes les contradictions, prise entre le dieu rationnel (éternel, Un, connaissance), le dieu révélé (historique, dogme, foi), le dieu éprouvé (relation, amour, crainte) et confrontée à de multiples hérésies. On peut d'ailleurs souligner que, si les croyants se retrouvent dans des rites communs, ce n'est certainement pas dans la même foi (ou mode de vie) mais dans une grande diversité de croyances (la diversité religieuse est interne aux religions) derrière le schéma création/chute/salut (qui est encore celui de l'aliénation). On ne souligne pas assez à quel point la question religieuse dominera toute la philosophie moderne même après Marx et Nietzsche, au moins jusqu'à Bergson et au pragmatisme, ce qui la disqualifie en grande partie. Les subtilités logiques ne sont là que pour essayer de rendre compatible Dieu avec les nouvelles découvertes de la science. Le XVIIè siècle a été ainsi obsédé par les preuves de l'existence de Dieu, qui reste à la base des philosophies de Descartes ou de Spinoza, même si c'est sous les formes très différentes de garant de la vérité des pensées claires et distinctes, pour l'un, ou de cause englobante pour l'autre. Cependant, confrontées à la science naissante, ces philosophies explicitement déistes participeront malgré elles à la sortie de la religion au profit d'un pur rationalisme sur lequel (et contre lequel) l'autonomie de la science pourra se construire. L'événement, ici, c'est Galilée et la mathématisation de la mécanique. On va assister dès lors à la pénétration de la science dans la philosophie, d'abord avec le monde mécanique de Descartes (qui avait fondé la géométrie algébrique) puis la méthode géométrique de Spinoza composant ce qui se voulait une philosophie scientifique.