Le capitalisme cognitif, la nouvelle grande transformation, Yann Moulier-Boutang, Editions Amsterdam
C'est un livre que tout le monde devrait lire, au moins les économistes, car il fait le point d'études économiques trop méconnues sur les transformations du capitalisme et du travail à l'ère de l'information alors, qu'à part une frange du patronat qui s'y trouve confrontée très concrètement et tente d'en tirer profit, tout le monde semble faire comme si rien n'avait changé, que ce soient les syndicats, les politiques et même la plupart des économistes (libéraux aussi bien que ce qui reste de marxistes à l'ancienne). Il faut dire que, pour tous ceux qui en sont restés à l'ère industrielle, du fordisme et de la "valeur-travail", il est bien difficile de comprendre la logique de cette "nouvelle économie" si déroutante, en réduisant l'analyse à déclarer ce capitalisme "financier", ce qui est une tautologie ! Pour cette impuissance à comprendre ce qui constitue une nouveauté radicale, Yann Moulier-Boutang utilise l'image du "vieux vin dans de nouvelles bouteilles" ou du "vin nouveau dans de vieilles bouteilles", selon qu'on garde l'idéologie pour l'appliquer aux réalités nouvelles, ou qu'on change d'idéologie pour l'appliquer à des réalités anciennes. On peut se demander d'ailleurs si le reproche ne peut lui être retourné dans une certaine mesure, mais, ce qui est sûr, c'est que, ce dont nous avons besoin, ce sont de nouvelles théories pour une réalité nouvelle !
Ces théories existent. Contrairement aux essayistes qui veulent nous faire croire qu'ils ont tout inventé et tirent de leur génie la lumière dont ils éclairent le monde, Yann Moulier-Boutang, comme tous les gens sérieux, nous donne ses références et tous les noms des auteurs et des ouvrages dont il a fait son miel. C'est en s'appuyant sur un grand nombre de travaux d'économistes ou d'autres chercheurs, reliant ainsi fort à propos des savoirs dispersés, qu'il déroule une démonstration implacable de notre "nouvelle économie" et peut en proposer une théorie alternative à l'économie mathématique.
Malgré un très large accord sur la plupart des analyses, nous discuterons cependant les deux principales thèses qui justifient son titre, d'abord le fait que l'économie "cognitive" plus que l'économie de l'information caractériserait notre époque, mais surtout le fait que le capitalisme soit vraiment compatible avec cette nouvelle économie de l'immatériel, alors que tout montre au contraire son inadaptation, aussi bien sur les droits de propriété que sur le salariat : c'est véritablement un nouveau système de production.