Notre conscience morale fait sans aucun doute notre humanité, le fond des rapports humains qui occupent incontestablement une grande place dans nos vies et dans nos pensées, cependant ils ne prennent pas toute la place et il faut se garder de les idéaliser. Pour revenir à leurs limites et leur ambivalence, il suffit de faire un retour aux choses mêmes, c'est-à-dire à la vie quotidienne dans sa réalité la plus prosaïque, aussi éloignée de celle de Heidegger que de Lévinas. Ce n'est pas une peinture flatteuse (il n'y a en effet que la vérité qui blesse), mais, après le monde matériel qui nous contraint et le monde moral qui nous oblige, il reste donc à faire la phénoménologie de notre vie concrète (matière des bons romans). Il ne s'agit pas de nier les grandes émotions, les moments merveilleux ou douloureux nous faisant éprouver plus intensément le sentiment d'exister ou la présence magique de l'autre, mais la vie quotidienne que les situationnistes avaient voulu magnifier est par définition plus routinière, menacée par la lassitude et l'ennui.
Vivre n'est jamais naturel aux humains, ce qui les distingue des animaux. Il faut sans arrêt décider à nouveau de continuer, y mettre nos conditions, se raconter des histoires. Se lever le matin exige souvent un effort avant de prendre le rythme de nos activités journalières et de nos habitudes. Quand on prend conscience de ce côté fastidieux, il y a de quoi vouloir fuir l'ennui et nous faire aspirer à une autre vie plus palpitante, ce qui certes peut être très positif à réorienter notre vie, nous faire changer de travail ou de lieu, mais ce n'est pas tous les jours qu'on peut passer à un autre mode de vie et il ne faut pas en attendre des miracles dans la vie quotidienne justement, ce qui serait s'exposer à de grandes déceptions en plus de constituer un objectif assez dérisoire, trop centré sur soi au lieu de s'engager dans un combat collectif (écologiste).