Revue des sciences février 2015

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Les 1% contre-attaquent

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PeterThielMême si elle est critiquable sur de nombreux points, une étude d'Oxfam prétend qu'en 2016 les 1% les plus riches du monde possèderaient autant que les 99% autres. En fait, ce serait surtout les 0,1% qui en détiendraient la plus grande part, grâce aux bénéfices mirobolants de la pharmacie ou de la finance. On a donc confirmation d'un monde dominé par une toute petite oligarchie, conformément aux thèses de Piketty et du mouvement d'occupation des places. Un peu comme devant les désastres de la saignée grecque, on se dit que la simple connaissance de ces faits devrait suffire à mettre fin à ces aberrations. Ce n'est pas du tout ce qui semble se passer. Non seulement il n'a pas suffi de révéler le complot pour que les conjurés tout honteux soient mis hors d'état de nuire mais l'oligarchie organise la contre-attaque, justifiant d'un côté ces inégalités par des lois de la nature (loi de puissance) ou de l'économie (compétitivité) et achetant des politiciens de l'autre. Il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils baissent la garde et se laissent dépouiller par souci de justice !

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Contre le retour de l’ordre moral

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ordre-moraleNous sommes facilement le jouet de nos émotions. Il y a incontestablement une exaltation de la foule, une puissance des masses qui renforce notre idéal du moi et nourrit pour un temps l’illusion de l’unanimité - si dangereuse à rejeter les récalcitrants hors de la communauté nationale (émotionnelle). On a beaucoup trop parlé de cette communauté retrouvée dont on savait pourtant bien qu’elle serait presque aussitôt perdue - mais dont la nostalgie pourrait nourrir, hélas, les régressions nationalistes et xénophobes. Ceux qui en espèrent plus de solidarité seront sûrement bien déçus alors que, paradoxalement, on récolte plutôt un renforcement du moralisme et de la répression, y compris de la liberté d'expression !

Cependant, au-delà de cette mobilisation générale devant l’ennemi, ce qui distingue cette fois son objet si singulier n’est pas tant la liberté d’expression, erreur vite corrigée par l’emprisonnement de gamins, ni même le droit à la caricature, mais bien plutôt le droit aux transgressions morales si ce n'est aux « gauloiseries » les plus grossières. La façon la plus favorable d’interpréter cette levée en masse en réponse au massacre, avec le slogan identitaire "Je suis Charlie", c’est de constater en effet qu'on ne peut en évacuer ce que cela contient d'opposition résolue au retour de l’ordre moral - auquel on assiste pourtant effarés ! Il ne faut pas se leurrer. En temps ordinaire, cette opposition est loin d'être majoritaire, tant de gens semblent rêver d’un Nouvel Ordre Moral supposé merveilleux et régler tous nos problèmes, sauf que les rêves des uns sont le cauchemar des autres... Le tournant moraliste de la politique est déjà ancien mais c'est une impasse dont il faudrait sortir. On ne peut oublier non plus que les grandes manifestations précédentes étaient dirigées contre le mariage homosexuel au nom des valeurs chrétiennes. Il paraît donc opportun de s’appuyer sur ce qui restait d'immoraliste, de provocateur et de raillerie des autorités dans Charlie Hebdo pour résister aux dérives actuelles et revenir à une conception véritablement laïque de la politique, y compris vis à vis de la morale et des idéologies, fussent-elles déclarées républicaines : droit de ne pas respecter les bonnes moeurs et l'opinion dominante, droit à la liberté individuelle, principe même de la laïcité, dans une stricte séparation du public et du privé !

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Le piège de l’islamophobie

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Evidemment, malgré les appels à ne pas faire d’amalgame entre terrorisme et musulmans, cela ne fait pas un pli, on sait à qui va profiter le crime dans une Europe où l’islamophobie est à son comble, notamment en France avec le succès des Finkielkraut, Zemmour, Houellebecq et la montée du Front National. On le voit avec les crétins qui accusent immédiatement le Coran, rien que ça, d’être le véritable coupable de la tuerie ! Ce ne sont plus des caricatures cette fois mais un livre qui serait maléfique. Au moins, il n’y a pas à s’embêter avec des causes plus concrètes et complexes, le simplisme est bien plus satisfaisant pour l’esprit et pour protéger les si gentils chrétiens que nous sommes, pleins d’amour et d’ouverture à l’autre, contrairement à ces chiens de musulmans. Il serait bien justifié de massacrer ces barbares, au moins de les renvoyer « chez eux » sinon les parquer dans des camps…

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Revue des sciences janvier 2015

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Il faut que ça pète !

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La situation est étrange avec à la fois l'impression que tout s'écroule de partout et que rien ne bouge, comme englués dans un passé immobile en même temps que passent devant nous des trains à grand vitesse. Il semble bien inutile de continuer à écrire sur le sujet tant on pourrait ressortir d'anciens billets sur la crise pour décrire notre présent où rien n'a été résolu, seul a été évité - ou reporté - l'effondrement général mais avec pour résultat de l'éterniser. Chacun peut constater le prix exorbitant payé par les populations les plus fragiles, à cause d'obstinations dogmatiques surannées, condamnées même par le FMI et les USA, ainsi que le caractère irréel des discours tenus, sans qu'il semble qu'on ne puisse rien y faire...

C'est peut-être pour cela qu'on n'entend pas plus parler de ce qui se présente pourtant comme le plus grand défi à l'Europe et à l'Allemagne depuis les pétards mouillés de Matteo Renzi et Hollande. On ne semble pas croire qu'il sera impossible d'acheter à coups de millions une vingtaine de députés pour éviter des élections ! Et si le 29 décembre le compte n'y est toujours pas, que des élections sont inévitables, une victoire de Syriza reste inimaginable. Et pourtant c'est, à l'heure actuelle le plus probable et ce qui pourrait changer complètement les perspectives de l'année à venir, mais dans quel sens ? Tout est là. Dislocation de l'Europe ou son renforcement ? L'hypothèse que cela se passe bien n'est certes pas la plus plausible mais comme toujours qu'il ne se passe rien alors qu'à l'évidence, au point où certains pays sont étranglés, il faudra bien que ça pète un jour ou l'autre !

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La fin programmée de l’humanité

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Trouble dans le genre humain
la-planete-des-singes-les-origines-affiche-cinemaL'humanité a le chic pour se créer de faux problèmes, qui la détournent des vrais, et s'effrayer de sa propre disparition mais non pas pour des raisons écologiques, qu'elle néglige au contraire beaucoup trop, alors que cela pourrait faire de très nombreux morts. Non, ce qui est redouté, c'est la probable fin de notre espèce comme telle, à très long terme et sans faire aucune victime, par la faute de la génétique, des robots ou de l'intelligence artificielle (comme, pour d'autres, ce serait la faute du féminisme, de l'homosexualité ou autre transgression des normes) ! On ferait mieux de s'occuper des êtres humains qui partout sont en souffrance, mais non, on s'inquiète de l'Humanité avec un grand H, comme avant de la race des seigneurs!

Aux dernières nouvelles, il est effectivement certain que les frontières de l'humanité ne sont plus aussi assurées, ce n'est pas une raison pour s'en inquiéter outre mesure mais pour réinterroger nos catégories. C'est sûr que ce serait exaltant de se croire engagés dans un conflit hollywoodien de dimensions cosmiques où nous serions du côté des humains contre les machines, mais il faudrait se demander si on ne donne pas ainsi dans une bêtise trop humaine, en effet, à voir les déclarations récentes de quelques sommités faisant preuve d'une singulière peur de l'intelligence qui nous menacerait, fichtre ! Je croyais le contraire...

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Revue des sciences décembre 2014

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Morale et politique dans la Phénoménologie

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Comme j'ai eu du mal à le retrouver et que je considère que c'est très éclairant, toujours utile à faire connaître et à relire, je republie ce condensé, qui date de 1996, des parties de la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel consacrées à la moralité et à la politique, parties bien trop peu étudiées qui suivent la dialectique du Maître et de l'esclave. Je trouve que condenser ce texte touffu en fait mieux apparaître la dialectique des positions subjectives qu'on peut illustrer avec des exemples très actuels - comme je l'ai fait dans la "version longue" - bien que cela ne puisse évidemment en restituer toute la richesse (et la difficulté). Juste un outil pour ne pas rester coincé dans une posture morale ou politique et mesurer toutes les étapes à franchir...

Moralité

Après la confrontation à la nature extérieure (observation), nous en sommes au point où la conscience de soi n’est plus la certitude de la réalité immédiate, sensible, et de son objectivité, mais se rapporte essentiellement à une autre conscience de soi comme vérité sur soi-même, re-connaissance. "Elle est alors l'esprit qui a la certitude d'avoir son unité avec soi-même dans le dédoublement de sa conscience de soi et dans l'indépendance des deux consciences de soi. Cette certitude doit maintenant s'élever à la vérité".

La conscience de l'unité avec les autres prend d'abord la forme du traditionalisme. Mais celui-ci échoue à se justifier devant des traditions étrangères aussi bien qu'il renonce à se réaliser véritablement. Du coup, sous les critiques des intellectuels, l'unité avec les autres se réduit dès lors à l'égoïsme de la jouissance que chacun dispute à chacun. Mais la vérité de la jouissance est sa fin, consommation du désir qui s'épuise dans la répétition. Avec l'exaltation de la chair, "c'est l'esprit qui se nie avec la force infinie de l'esprit" mais ne peut empêcher que revienne à la conscience la présence angoissante de la mort. Par son côté universel, la conscience surmonte cette menace et trouve en soi le principe du dépassement de son plaisir égoïste comme de la mort dans l'universalité. Cette aspiration morale éprouvée immédiatement comme loi du coeur s'oppose au monde sans plus de raisons que de lui imposer une logique subjective (bonne volonté) qui ne rend pas compte d'elle-même. Ce rejet de la réalité extérieure au nom de pures utopies par une conscience individuelle qui se croit supérieure au monde relève d'un délire de présomption qui peut aller jusqu'à la "folie des grandeurs" et la paranoïa. Si la loi du coeur advient à se réaliser un tant soit peu et se cogne sur le réel, elle perd de son assurance, de sa légitimité face à tous ses ratés et le coeur invoque la fureur extérieure du complot, la main du diable sur de pures intentions. La leçon à tirer de ce délire de persécution est le rejet des prétentions de l'individualité à imposer son arbitraire au cours du monde. C'est plutôt contre cette individualité que va désormais s'appliquer son zèle par la discipline de la vertu. Le cours du monde auquel s'oppose la vertu est justement le règne de l'égoïsme universel et de la recherche du plaisir désormais rejetés. Mais la vertu ne se réalise qu'à la mesure des forces de chacun et sa valeur ne réside donc plus dans sa réalisation mais dans son effort et sa foi. Le mérite se mesurant à la peine, le monde qui nous fait souffrir est revalorisé d'autant comme révélateur de la vertu et de la foi. De plus l'effort et la foi concernent l'individualité dont la discipline voulait se défaire, ne pouvant jouir de ses propres réussites et sans pouvoir modérer l'orgueil de l'ascète comme une boursouflure vide. Plutôt que de rester tournée vers sa propre excellence la vertu ne se suffit plus de la foi mais exige les oeuvres. La vertu est jugée à ce qu'elle fait. Les oeuvres pourtant sont fragiles et multiples, éphémères, disparaissantes. Le but est dès lors tout entier dans le chemin mais l'oeuvre ne vaut plus alors que comme occupation et non plus comme accomplissement. La tromperie, l'escroquerie de cette vertu satisfaite se manifeste dans la compétition sociale ce qui finit par imposer la loi morale, dans son universalité inconditionnelle qui pourtant ne peut rendre compte de la singularité concrète et imposer sa loi sans réflexion. Du coup, ce qui importe à nouveau c'est bien encore la réflexion elle-même, la conscience qui examine la loi et se l'approprie, l'interprète, la loi se réduisant à son application par la conscience. Pourtant là encore la limite est vite trouvée dans le jésuitisme des rationalisations égalisant tout contenu. La conclusion qui s'impose est bien celle de l'impuissance de toute théorie générale à rendre compte des choix pratiques particuliers, tombant dans l'arbitraire. La théorie dépend plutôt désormais de la pratique, devenue politique et qui en détermine la perspective.

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Devrons nous refaire des ateliers nationaux ?

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1848ateliersnationaux2Ce n'est certes pas le moment de tirer des plans sur la comète ni de rêver à quelque sixième république fantasmée. On doit plutôt s'attendre au pire dans les années qui viennent avec sans doute une droite dure décidée à démanteler nos protections sociales et l'effondrement annoncé du parti socialiste. Il ne semble pas qu'on prenne la mesure de notre situation catastrophique avec le chiffre officiel de 3 millions et demi de chômeurs et près de 6 millions d'inscrits au total (auquel on peut ajouter 1 ou 2 millions qui ne sont plus inscrits). Avec ça, inciter les chômeurs à rechercher un emploi est mission impossible. Plus durablement, la précarité se généralise avec la perte des droits sociaux attachés au salariat traditionnel. Cela fait des millions de vies détruites et participe à la désespérance générale sinon une colère sourde pas forcément orientée sur les véritables coupables.

Les politiques démontrent leur impuissance à influer sur ces phénomènes économiques massifs et on peut trouver assez risible que face à cette marée, on annonce 10 000 emplois aidés de plus ! histoire de dire qu'on fait ce qu'on peut, sans doute, mais qui fait une belle jambe à tous les autres chômeurs... On retrouve cette disproportion entre l'étendue du problème et le léger des solutions qu'on prétend y apporter avec ceux qui défendent encore une réduction du temps de travail. En dehors du caractère complètement irréaliste de cette revendication dans la France actuelle, alors que les 35h risquent plutôt d'être abrogées, ce qui frappe, c'est qu'on ne pourrait en attendre qu'une centaine de milliers d'emplois dans l'immédiat, ce qui ne serait là encore qu'une goutte d'eau par rapport aux millions de chômeurs. Les 35h avaient effectivement créé 300 000 emplois sur le moment, pense-t-on, mais si cela nous avait protégé durablement du chômage, cela se saurait, ne pouvant constituer une réponse proportionnée. Il y a une véritable dissonance cognitive dans ce type de propositions complètement déconnectées de la réalité, tout autant que dans les rêves de plein emploi à coup de grandes politiques macroéconomiques.

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Revue des sciences novembre 2014

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Le féminisme d’un point de vue matérialiste

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letorchonbruleLe féminisme fournit un exemple emblématique de représentations collectives intériorisées et d'un changement idéologique qui se fonde sur des changements matériels et n'a donc rien d'arbitraire ni ne dépend d'inclinations personnelles et pas autant qu'on le croit de l'activisme féministe. Le féminisme manifeste ce qu'il y a de culturel mais aussi de lié à l'évolution technique, dans la division sexuelle qui n'explique donc pas tout, ce qui ne doit pas aller jusqu'à nier la part du biologique qui saute aux yeux (de façon trompeuse parfois). C'est un réel qui détermine l'idéologie, pas l'inverse. Le féminisme l'illustre à merveille, même à se persuader du contraire et s'imaginer que ce ne serait qu'une question de valeurs individuelles...

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Revue des sciences octobre 2014

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Matérialisme et idéologie

Temps de lecture : 20 minutes

dossier-materialisme-dialectiqueOn peut penser qu'une philosophie matérialiste ne sert pas à grand chose, puisque la philosophie en perd sa primauté et qu'elle ne peut nous promettre aucune consolation ni même de vraiment se libérer des déterminismes sociaux. C'est ce qui fait que dans le domaine politique, domaine où il reste pourtant le plus indispensable, le matérialisme semble être devenu, depuis le déclin du marxisme, absolument intolérable, assimilé à un réalisme cynique. Il est incontestable qu'en faisant du sujet le produit de son temps, les sciences sociales réduisent en effet à la peau de chagrin le rôle des militants et discréditent tout volontarisme face aux forces en présence alors que les foules s'enthousiasment facilement aux discours enflammés de tribuns appelant au soulèvement pour changer d'imaginaire, renverser les savoirs établis, se libérer des anciennes lois et des siècles passés, casser l'histoire en deux pour faire enfin triompher le Bien et la Justice !

N'étant pas nés de la dernière pluie, on ne devrait plus pouvoir croire ces vaines rengaines mais il faut bien constater qu'il est presque impossible de se défaire de la fausse évidence que si "nous" le voulions et si nous nous rassemblions, tout deviendrait possible (Yes we can, si tous les gars du monde voulaient se donner la main, prolétaires de tous pays unissez-vous, paix sur terre aux hommes de bonne volonté, etc). Y renoncer, ce serait consentir à notre servitude et on se perd en conjectures sur les raisons pour lesquelles cela ne marche pas, incompréhensibles, en effet, si c'étaient les hommes qui faisaient l'histoire, ou un esprit qui nous guide et non des processus très matériels, histoire qui n'est pas cette marche triomphante vers la civilisation qu'on imagine à la gloire de notre humanité mais bien plutôt une évolution subie - notamment l'évolution technologique mais tout autant l'évolution culturelle qui l'accompagne.

Nous sommes victimes d'une double erreur de perspective : celle de surestimer notre rôle dans l'histoire et donc la puissance des idéologies par rapport aux causalités matérielles, celle de nous placer à l'origine de nos pensées en déniant leur origine sociale, culturelle, historique qui nous est inaccessible, renvoyée à un jugement moral. Nous ne sommes pas transparents à nous-même, vides de tout présupposés, la part de l'inconscient nous domine plus qu'on ne veut bien l'admettre. Ce qui nous empêche de percevoir l'énorme influence des représentations collectives, c'est que nous les avons intériorisées, notamment en prenant parti. Ce qui montre qu'elles sont cependant plus déterminées que déterminantes au regard des évolutions matérielles, c'est bien qu'elles changent selon les pays et les époques, dans une histoire dont nous sommes le résultat et non pas l'aboutissement, y compris dans notre opposition à l'ordre établi qui épouse elle aussi les discours du moment avec tous leurs codes et illusions (le jihad religieux se substituant aujourd'hui aux révolutionnaires communistes d'antan).

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Les salauds au pouvoir

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C'est une tendance bien connue dans les moments de crise de rechercher des boucs émissaires et de rendre les pauvres et précaires responsables de leur propre sort. La montée du chômage qui en fait un phénomène social, macro-économique, le rend aussi forcément trop lourd à financer, charge qu'on va imputer aux chômeurs eux-mêmes, devenus une surpopulation indésirable dont on aimerait bien se débarrasser. Il y a toute une tradition anglo-saxonne complètement décomplexée qui va dans ce sens, de Malthus et Spencer à Thatcher et ses successeurs qui en rajoutent sur la culpabilisation des pauvres même si on ne va plus jusqu'à prôner ouvertement leur élimination au nom de la science lugubre que serait l'économie ! Chez nous, cette brutalité était moins bien admise par notre égalitarisme républicain, restant l'apanage de l'extrême-droite ou de petits salauds ambitieux genre Wauquiez. C'est pourquoi il faut s'alarmer de voir ces discours repris par un gouvernement, censé de plus être de gauche !

Certes, il n'y a là rien de neuf, dira-t-on. Les pauvres ont constamment été soumis à l'état d'exception, l'oppression et le mépris : ce sont les perdants, les losers, une race inférieure que les winners, très contents d'eux-mêmes et de leur réussite sociale, contemplent de haut. Il faudrait bien faire changer la honte de camp, rendre plus honteux ces véritables salauds qui nous accablent de leur morgue et de leurs petits esprits mais, par définition, on ne pourra jamais mettre les perdants (prolétariat) au pouvoir. La seule force des pauvres est le nombre - ce qui ne veut pas dire hélas qu'il suffirait de faire nombre pour ne pas se croire du côté des dominants, mettre encore plus salauds au pouvoir et chercher d'autres boucs émissaires : juifs, musulmans, immigrés, étrangers. Le ressentiment peut être ravageur, mieux vaudrait ne pas l'attiser par la haine des chômeurs.

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Revue des sciences septembre 2014

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Un revenu de base nécessaire mais pas suffisant

Temps de lecture : 15 minutes

revenu de baseCela fait plusieurs années que je n'interviens plus en public mais la situation est on ne peut plus mauvaise. Bien que les prévisions économiques restent toujours hasardeuses, le risque d'une nouvelle crise systémique pire que la précédente est loin d'être écarté (cela fait même un moment qu'elle aurait dû se produire). En dépit de l'indifférence générale et malgré les incertitudes du climat, il est encore plus certain hélas qu'on assiste, en Arctique notamment, à un emballement des dégagements de méthane qui s'annonce ingérable. A plus court terme, sans parler des guerres qui se rallument à nos portes, les perspectives politiques sont dramatiques, avec la montée de l'extrême-droite et du nationalisme. Sur tous ces fronts, il n'est certes plus temps de rêver...

Cela ne doit pas empêcher de porter la revendication d'un revenu de base dont le besoin se fait de plus en plus sentir mais devrait empêcher du moins tout optimisme excessif et de s'égarer sur son caractère supposé miraculeux. Qu'on ne puisse vivre sans revenu est une évidence qui tarde à s'imposer et dont c'est tout le mérite du revenu de base de la mettre au premier plan. Reste qu'il ne suffit pas de revendiquer un droit, fut-il vital, ni d'exiger des montants déraisonnables. On est bien obligé de tenir compte de sa faisabilité et de son acceptabilité. Surtout, un "revenu garanti" dans l'esprit du régime des intermittents (mieux qu'un simple revenu de base) ne peut éviter de s'inscrire dans un projet plus global, tenant compte des évolutions du travail et de la production, tout comme des enjeux écologiques et de la nécessité d'une relocalisation de l'économie.

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Revue des sciences août 2014

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Ecologie, intermittents et travail immatériel

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Interview par Ingrid Merckx pour Politis
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Quels rapports voyez-vous entre les revendications des intermittents et l'écologie politique ?

La connexion avec les "intermittents" se situe à plusieurs niveaux : 1) La sortie du productivisme capitaliste, c'est-à-dire du salariat, au profit du travail autonome, d'un travail choisi plus épanouissant mais moins productif - ce qui nécessite revenu garanti et coopératives municipales, institutions locales du travail autonome et du développement humain qui sont la base d'un nouveau système de production non productiviste et plus adapté aux nouvelles forces productives. 2) En effet, le passage de l'ère de l'énergie (industrielle) à l'ère de l'information (post-industrielle) fait passer de la force de travail, dont la production est proportion du temps passé (ou temps machine), au travail immatériel dont la productivité est non linéaire, non mesurable par le temps comme Marx le pressentait dans ses Grundisse, se rapprochant du travail artistique et créatif, travail par objectif beaucoup plus précaire et aléatoire que le salariat industriel.

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La fin de la politique

Temps de lecture : 34 minutes

Politique_par_Miss_TicPlus la situation est bloquée, et dépourvue de toute perspective, et plus on se croit obligé de proclamer sa radicalité, appeler à l'insurrection et promettre une société idéale refaite à neuf, en rupture totale avec la société précédente et tous les millénaires passés... sans aucune chance, bien sûr, d'aboutir à rien, sinon au pire. Car ces visions exaltées, qui sont récurrentes dans l'histoire et auxquelles je n'ai pas échappé avec ma génération, ne sont pas du tout si innocentes qu'on croit mais répondent bien plutôt à un besoin profond dont les Islamistes nous rappellent le caractère à la fois religieux et criminel, en dépit d'intentions si pures (où, dans leur rêve, il n'y aurait aucune raison de ne pas être de leur côté sauf à être foncièrement mauvais).

Plutôt que s'imaginer devoir renforcer les convictions, gagner l'hégémonie idéologique, changer les esprits, appeler à l'amour universel, il faudrait pourtant en finir au contraire avec ces conceptions messianiques de la politique et d'une communauté fusionnelle pour revenir à la dimension matérialiste et pluraliste d'une politique démocratique qui n'est pas "souveraine" et dominatrice mais bien plutôt faite de compromis et de rapports de force. C'est ce qui est sans aucun doute inacceptable à la plupart dans ce besoin d'absolu devant l'injustice sociale et les désastres écologiques qui s'annoncent. C'est pourtant ce qui constitue la condition pour donner un minimum d'effectivité à nos protestations et avoir une petite chance d'améliorer les choses au lieu d'aller de défaites en défaites (en croyant garder la tête haute et n'avoir pas à s'en alarmer!). Il y a le feu, il n'est plus temps de faire des phrases et se donner des grands airs.

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