Des situationnistes aux djihadistes

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De la difficulté d'être radical

tsimtsoumLe Réel, c’est ce qui s’impose à nous, qu’on n’a pas choisi et qui nous échappe ou nous surprend, ce qui n’est pas conforme à notre vouloir, c’est la transcendance du monde sur lequel on se cogne, indifférent à notre existence. Le réel, c'est notre ennemi sans visage, de quelque nom qu’on le qualifie : que ce soit la finance, le marché, l’injustice, la violence, la domination, l'égoïsme, la bêtise, etc. A chaque fois, cependant, on cherche des coupables (il y en a), désignant quelques boucs émissaires commodes dont il faudrait se débarrasser afin de nous délivrer du mal. Pour cela, il semble bien qu’il suffirait d’un sursaut collectif (démocratique, religieux ou identitaire), sursaut révolutionnaire qui nous sortirait soudain de notre passivité et prétendue soumission volontaire, en laissant place à une merveilleuse société conviviale qui n’aurait plus d’ennemis !

Ces fadaises théologico-politiques sont assez universellement répandues, y compris chez de grands penseurs. Non pas qu'il n'y ait des moments révolutionnaires décisifs mais qui ne résultent pas tant que cela de la volonté des acteurs auxquels la situation échappe continuellement, car le réel est toujours là, quoiqu'on dise. Il y a dans l'idéologie révolutionnaire (à distinguer des révolutions effectives) deux contre-vérités patentes : d'abord l’idée qu’on pourrait se mettre d’accord entre nous, ce que pourtant tout réfute dans nos sociétés pluralistes (qu'on pense aussi bien aux religions qu'aux idéologies, aux controverses sur l'économie ou le climat, les impôts, etc.), ensuite l’idée que l’histoire pourrait s’arrêter, sans plus de pression évolutive, dans une vie vécue d’avance au service des biens et de l’ordre établi. Car, le comique dans l'affaire, c'est que le révolutionnaire qui prend le pouvoir (ou croit le restituer au peuple) ne voit plus du tout de raisons que celui-ci soit contesté désormais, prêt au règne de la pire terreur s'il le faut !

Le problème n'est pas seulement que ces illusions populistes sont fausses mais qu'elles sont dangereuses en particulier parce qu'elles font très logiquement de tous ceux qui ne suivent pas ces illuminés les responsables de l'injustice du monde, devenus de simples ennemis à éliminer, les chantres de l'unité produisant leur propre division. Être persuadé détenir la vérité divise en effet l'humanité en amis et ennemis, comme s'il y avait "eux", les esprits pervers de mauvaise foi qui refuseraient la vérité pour soutenir l'ordre établi, et "nous", les purs, les hommes de bonne volonté, ou les vrais Musulmans, sachant très bien ce qu'il faut faire pour détruire le système et sauver ce monde en perdition.

Ces tendances fascisantes sont à la mode un peu partout, reflets d'une impuissance de plus en plus flagrante qui appelle des politiques autoritaires qui s'y casseront le nez tout autant. Le point qu'il faut souligner ici, c'est que, bien sûr, ne pas adhérer aux délires des complotistes ou de militants "anti-système", plus ou moins violents ou stupides, ne peut absolument pas signifier qu'on ferait partie des partisans du système en place. Et ce n'est certainement pas en renforçant cette dichotomie entre eux et nous qu'on fera reculer la violence. En effet, le plus insupportable face au terrorisme, c’est l’indécence avec laquelle on célèbre une République idéalisée qui feint de découvrir la désespérance de ses banlieues alors qu’elle traite si mal tous ses exclus et qu’elle est accaparée par des élites complètement coupées de la population et des immenses transformations en cours. Non, ce monde dans lequel nous sommes venus à l'existence n’est pas le nôtre, ce n’est pas nous qui l’avons fait et, en dehors des progrès sociaux attaqués de nos jours, il n’y a aucune raison de le glorifier ni de s’en faire les rentiers satisfaits. Ce monde est inacceptable et il faut le dire. Cela ne suffit pas à savoir comment le rendre meilleur, mais c’est un premier pas incontournable.

On ne peut en rester à une condamnation morale, il faut avoir le souci de la traduire dans les faits, même si la mise en pratique n'a rien de l'évidence (j'en sais quelque chose pour la coopérative municipale). Il n'y a pas de raisons de ne pas essayer d'aller au maximum des possibilités du temps, encore moins de se satisfaire du monde tel qu'il est, mais il nous faut tenir les deux bouts d’une révolte nécessaire contre les injustices sociales en même temps que le réalisme obstiné des solutions qu'on y oppose en mesurant, hélas, l’insuffisance de nos moyens - au lieu de se chauffer la cervelle avec des rêves d'absolu qui ne font qu'empirer les choses.

A l'opposé de cette radicalité bien trop prosaïque, il y a, en effet, les révoltés métaphysiques. C'est ce qui va permettre l'étrange rapprochement des situationnistes avec les djihadistes d'aujourd'hui (prenant la place des guérillas communistes d'antan), rapprochement contre-nature et qu'on ne peut pousser trop loin mais qui est plus éclairant, sans aucun doute, que le recours à des diagnostics psychiatriques dignes de la façon dont le régime traitait ses ennemis à l'époque soviétique.

Djihadistes, mes frères

Il est assez risible, en tout cas, de voir comme on s’interroge doctement pour savoir comment des jeunes peuvent sacrifier leur vie et s’engager dans des sectes religieuses ou politiques au nom de leur désir d’absolu, alors qu’ils ont toujours été de la chair à canon enthousiaste ! Il faudrait plutôt se demander comment nos éminents intellectuels ont perdu des savoirs immémoriaux dilués dans les bons sentiments, comment ils ont été déculturés par l’époque médiatique et un utilitarisme moralisateur ! On a honte pour ces adultes qui voudraient nous réduire à la réussite professionnelle, à se faire un petit pactole ("ce qu'on a, on l'a gagné") et se limiter à des objectifs matériels ou des ambitions purement individuelles.

Etre matérialiste, c'est reconnaître qu'on est confronté à des forces matérielles extérieures qui, certes, ne se plient pas à notre volonté mais cela ne doit pas aller jusqu'à dénier l'intervention de notre volonté ni renier notre dimension spirituelle, l'écart entre la réalité et notre volonté qui en est, par définition, la négation. Il ne s'agit pas de nous fondre dans la masse anonyme, matière dans la matière comme un poisson dans l'eau (tout ce qui apparaît est bon) alors que notre expérience est celle de notre inadéquation à l'universel, qui nous individualise, et de l'insatisfaction, fustigée par nos philosophes à la petite semaine qui voudraient nous faire la leçon. L'expérience trop humaine du désir et de la vie, c’est bien pourtant qu’il ne suffit pas de vivre ni même de la jouissance, il faut pouvoir lui donner sens - sens construit sur le non sens du monde et de la mort, de la souffrance ou de l'ennui, gouffre qui s'ouvre sous nos pieds et qui somme chacun d'y répondre pour lui-même. Cela peut aller effectivement jusqu'à préférer la mort, au moins la mettre en jeu. D'autres préfèreront entrer dans les ordres ou l'armée pour se délester d’une liberté trop lourde et pouvoir habiter un monde où tout serait à sa place, toute question trouvant sa réponse à l'avance. Ce n'est certainement pas ma pente mais comment ne pourrais-je pas me reconnaître dans ce désir d’absolu qui rend intolérable le cynisme de la réussite mondaine ? On peut reconnaître cette quête de l'inaccessible étoile et l'aveu de notre incomplétude à sa véritable valeur, qui fait notre humanité, d'un homme qui dépasse l'homme. Ce n’est quand même pas une raison pour tolérer ce que cet absolu peut avoir de mortifère, d’autoritaire, de destructeur, de bêtifiant enfin.

Il est frappant de voir comme la dénonciation sanglante des désordres du monde ne fait qu'amplifier les violences, ajouter du malheur au malheur, participer à ce qu'on croyait combattre. Aussi paradoxal que cela puisse sembler aux béotiens les plus sincères, c'est le Bien la cause du Mal la plupart du temps (comme l'amour est cause de la haine), et plus la cause est bonne, plus la fin justifie les moyens. Tout sera donc permis même le plus abject. La prise de conscience de cette dialectique infernale où les positions se retournent en leur contraire constitue la difficile tâche post-révolutionnaire de l'autocritique, voire de la repentance. La fidélité à ses enthousiasmes de jeunesse ne serait ici qu'aveuglement et obstination dans l'erreur, mais cette dure leçon de l'histoire ne peut aller jusqu'à renoncer à changer le monde autant qu'on peut, encore moins jusqu'à nous faire sombrer dans le conformisme et le soutien à l'ordre établi, ce qui là serait bien scandaleux, en effet ! Le fin mot de l'histoire ne peut se résumer à "noyer frissons sacrés et pieuses ferveurs, enthousiasme chevaleresque et mélancolie béotienne, dans les eaux glacés du calcul égoïste".

En tout cas, il faudrait l'admettre une fois pour toutes : il ne suffit pas d’exister, surtout lorsqu'on ne s'est pas déjà fait une place dans la société, ou qu'on n'a aucune chance de s'en faire une. Nous avons besoin que notre existence soit justifiée et, devant les déceptions récurrentes et les difficultés de la lutte pour la reconnaissance, on peut comprendre que presque tous préfèrent obtenir des religions la certitude du salut et du Bien, la simplicité de la loi et la sécurité de l’appartenance mais aussi, l’exaltation de participer à une grande cause qui nous donne de l'importance, mécanisme universel qui ne se limite pas aux sectes mais a fait le succès des grandes idéologies comme des "avant-gardes". La contrepartie, hélas, de vouloir ainsi incarner le Bien, c'est de très logiquement devoir personnaliser le Mal, par des attaques ad hominem, en faire le simple effet d’une mauvaise volonté si ce n'est d'un complot, et, finalement, d’une population à exterminer (juifs, islamistes, immigrés, homosexuels, etc.). Comment éviter de se massacrer sans perdre tous nos idéaux et vivre comme des porcs ? Telle est la question qui nous est posée - pas de devoir célébrer nos maîtres et la dévastation de nos territoires !

Des situationnistes aux djihadistes

Etonnamment, plus encore peut-être que les scènes de décapitation et les exécutions de masse par des djihadistes fanatisés, ce qui semble choquer par dessus tout le monde civilisé (la communauté internationale et médiatique), c'est leur destruction des idoles antiques et des musées, désignés comme le trésor de l'humanité dans le chemin de la civilisation pourtant parsemé de tant de massacres et destructions déjà. Ces jugements sont pris comme l'évidence même alors qu'on peut s'interroger sur ce qu'on a perdu dans l'affaire (des reproductions en plâtre!) quand l'essentiel était ailleurs et qu'on n'en perdra pas pour autant le souvenir. Surtout, cela n'a pas été sans m'évoquer les situationnistes des premiers temps qui voulaient effectivement détruire les églises et les musées - certes de façon toute symbolique mais j'avoue que cela me paraissait des pensées fortes, une remise en cause radicale de la religion et de la culture dans la lignée de Cobra (l'art pour tous). La culture ne mérite sans doute pas tant de révérence à nous avoir conduit là où nous en sommes. Il est légitime d'exiger mieux - ce qui ne veut pas dire que ce soit si facile.

Il faut être bien clair. Qu'il y ait des points communs aux situationnistes et aux djihadistes n'est pas prétendre que ce serait la même chose ! Il y a une opposition radicale entre le progressisme libertaire et les réactionnaires autoritaires qui osent se réclamer d'eux. On retrouve juste un même côté juvénile, avec la recherche d'une plus grande intensité de la vie ainsi que d'une cohérence profonde entre ses croyances et ses pratiques. Les principes sont certes opposés mais avec la même exigence d'authenticité et de fuite du quotidien (comme dit Foucault, la vraie vie est toujours une vie autre). C'est l'ironie de l'histoire de voir comme les extrêmes peuvent se rejoindre et les valeurs s'inverser là où l'on s'y attendait le moins. Cependant, il faut bien dire que ce qui rapproche surtout Guy Debord des djihadistes, c'est bien son côté guerrier (même imaginaire) et la survalorisation de l'action contre la passivité qui était déjà à la base de l'actualisme de Gentile, le philosophe du fascisme et du totalitarisme (qui commence par la substitution du volontarisme au matérialisme dialectique). J'ai déjà émis le soupçon que la vraie vie, pour ces conspirationnistes en chambre, au fond, c'est le combat et la guerre (comme pour les fascistes) et que, donc, l'homme total, désaliéné, n'était rien d'autre que le guerrier - c'est à dire le maître, bien que feignant de parler au nom des esclaves (appelés à se révolter, risquer leur vie pour ne plus être esclaves). Bien sûr, ce n'est pas sous ce jour qu'apparaissait le projet situationniste d'une vie d'inventions et de plaisirs défiant toutes les autorités mais c'est bien ce qu'il est devenu pour ses admirateurs à mesure qu'ils devenaient plus réactionnaires, se débarrassant d'un marxisme encombrant et assumant leur élitisme. On peut voir la décomposition de cette ligne d'influence de l'Encyclopédie des nuisances à Tiqqun jusqu'au ridicule TsimTsoum qui se mettait résolument du côté des Islamistes et de l'extrême-droite !

TsimTsoûm a été une revue littéraire très éphémère, puisqu'elle n'a eu qu'un numéro, en décembre 2005, qu'on peut dire tentative de récupération de droite (barrésienne) de Tiqqun (le tikkoun olam étant un concept de la Kabbale signifiant la réparation du monde de son injustice alors que le tsimtsoum y désigne la contraction ou le vide précédant la création d'un nouveau monde). Cette revue ne mériterait pas qu'on en parle si elle ne m'avait permis de mesurer l'ampleur du détournement possible des analyses les plus subversives quand la confusion mentale s'en empare. Il n'est pas non plus inintéressant de rappeler qu'on n'a pas attendu Houellebecq pour nous prédire (et nous souhaiter) une France islamisée, seule capable de nous faire revenir avant Mai68 ! Celui qui faisait son numéro ici est un dénommé Laurent James, bien dérangé de la cervelle puisque cet admirateur d'un dangereux crétin comme Soral se réclame d'un "ésotérisme révolutionnaire" à se tordre qui l'amène, par haute stratégie, à vouloir l'islamisation de l'Europe (ou de l'Eurasie) avant sa rechristianisation finale ! Il y a ce genre de délires mystiques à l'extrême-droite qui est très accueillante à tous ces imaginaires les plus absurdes, mais cette revue avait cru bon de lui donner cette tribune et, ce qui est le plus troublant, c'est de voir comment peut être récupérée la prétention d'une révolution métaphysique contre l'individualisme marchand qui devient facilement une révolution religieuse - avec des tarés pareils qui croient détenir la vérité (il n'y a pas que des illettrés, on l'a vu avec le nazisme de Heidegger, la connerie cultivée étant la pire). Pour ce prophète de malheur, l'Occident vendu aux puissances d’argent et du spectacle devrait donc passer par le feu purificateur de l'Islam !

Du coup, l'ennemi, c'est le tiède, l'armée des neutres comme pour d'autres, c'est le Bloom ou le on, mais le seul avenir ici, c'est le retour en arrière, aux vraies valeurs, quel qu’en soit le prix humain. Une si belle utopie dépend inévitablement d'un pouvoir implacable, sans aucune pitié pour les faibles rendus responsables de leur faiblesse ("si les faibles sont faibles, c'est parce qu'ils le méritent"), c'est là où l'extrême-droite est plus honnête que l'extrême-gauche à reconnaître les conséquences fâcheuses d'un pouvoir fort sans lequel il est impossible de changer une société comme ils le voudraient. L'écart est quand même stupéfiant entre l'inspiration libertaire de départ des situationnistes et la morale fasciste du guerrier que des allumés comme celui-ci peuvent en tirer dans des déclarations purement verbales d'ailleurs.

La tournure actuelle de la guerre internationale est intéressante : ni de position ni de mouvement, ni de tranchées ni de guérilla, elle oppose essentiellement des hommes invisibles à des hommes aveugles.

Ensuite, il n'y a décidément rien de plus simple que de lutter concrètement contre cette fameuse "société du spectacle" : il s'agit tout bonnement d'éliminer un à un chaque être "humain" porteur d'une carte de journaliste.

L'islam est aujourd'hui l'unique puissance capable de s'opposer à l'univers néo-balzacien.

Lorsque l'Europe sera sous le joug de la chariya (dans quelques dizaines d'années tout au plus, du moins je l'espère), ce seront Noël Mamère et Bertrand Delanoë qui se feront égorger les premiers, permettez-moi de jouir par avance à cette vision délicieuse !

Je considère tout athée […] comme directement responsable, non seulement de l’absence de vie intérieure en Occident, mais également du trop-plein de cruauté jaillissant de l’arme du Musulman qui saisit sa chance pour établir la Loi d’Allah sur une partie de la planète.

L'Islâm n'est pas une fausse religion. Son but n'est pas de réconcilier l'homme avec une nature fantasmatique ou de développer l'harmonie de son être propre avec le cosmos, mais de pourvoir des méthodes efficaces et viriles pour dissoudre l'individu dans la divinité rayonnante d'Allah.

Le fanatisme est l'honneur de l'homme : là est son aveuglante beauté.

C'est à peu près le contraire de ce que disait Guy Debord, donc on pourrait difficilement lui imputer une responsabilité dans ces discours effrayants plus proches de Tiqqun. Il est quand même stupéfiant que, non seulement Debord n'aura pu empêcher d'être déclaré trésor national mais qu'il se trouve désormais récupéré y compris par l'extrême-droite - aussi inimaginable que cela puisse paraître et qu'on ne saurait laisser faire. Cependant, ce qui le permet sans doute et qu'on peut lui reprocher, c'est de s'être refusé à l'aveu de son échec, qui est celui de toute une génération même si c'est loin d'être un échec total. Impossible, en effet, de nier l'échec de la liberté par rapport aux espoirs démentiels qu'on y mettait, sans que ce soit une raison pour revenir sur la libération des moeurs (pas plus que sur l'abolition de l'esclavage) comme se précipitent à conclure les nouveaux réactionnaires (ou les Islamistes) mais seulement de perdre nos anciennes illusions (pour en faire la psychanalyse). De même, après les expériences désastreuses du fascisme et du communisme, l'échec du volontarisme est patent, nous obligeant à ramener à plus de modestie le combat politique. S'il ne s'agit pas tant de vivre avec son temps que contre lui, ce qu'il nous faut abandonner, ce n'est pas la contestation de la société, c'est le fantasme d'une société réconciliée, d'une seule loi pour tous, de l'appel aux bonnes volontés, à l'unité du peuple et l'exaltation d'être dans le sens de l’histoire ou de préparer le fin des temps. Notre tâche, c’est d’être des libertaires désillusionnés, ayant affronté les limites de la liberté, et même l’autonomie comme fardeau, sans céder sur notre farouche indépendance mais sans frimer non plus, prenant en charge les pathologies de la liberté et les inégalités sociales. C'est de là qu'on doit partir.

Pour une politique matérialiste

Il faudrait se défaire de notre pente naturelle à s’imaginer que le monde devrait être comme nous le voulons, que c’est juste une erreur quelque part à corriger pour supprimer le pillage de la planète et toutes les injustices. C’est complètement en vain que nos philosophes se livrent à toutes sortes d’audaces spéculatives pour éloigner la menace, exorciser le mal, changer notre imaginaire, nous guérir de la croissance, nous faire la morale - sans aucun résultat ! Surtout, cette société idéale dont on rêve, chaleureuse et fraternelle, a toutes les chances au contraire de mener au pire. Dream is over. On ne changera ni de monde ni d’époque, ce qui ne doit pas empêcher de corriger des injustices, des erreurs, des mensonges. Ce n’est pas parce qu’on ne croit plus à des conneries et qu’on est conscient qu’on y a bien peu de prise, qu’il faudrait trouver ce monde défendable, monde de la marchandise et de la finance folle dont l’accumulation de richesses ne peut suffire à la pauvreté qu’il génère. On ne va pas se laisser embrigader par nos gouvernants ni accepter leurs politiques sécuritaires et antisociales. A working class hero is something to be - mais pour que ce ne soit pas du cinéma, il faut prendre conscience que nous sommes face à des réalités matérielles aussi massives que des montagnes à déplacer, qu'il ne suffit pas d'une conversion des esprits ni de se débarrasser de quelques personnalités. Il n'y a pas cependant que des djihadistes enragés pour croire au père Noël puisqu'on va continuer à se persuader à chaque fois que tout pourrait changer à la prochaine élection présidentielle ou la nouvelle mode intellectuelle, ou même le prochain mouvement social !

Il nous faut donc faire notre deuil de l'absolu, ce à quoi ne se résoudront jamais les têtes brûlées et les esprits trop narcissiques qui se croient au-dessus des autres, mais non pas pour déserter le terrain politique, au contraire pour en faire vraiment et obtenir des progrès durables. Ce n'est certes pas ce qui traitera la crise du sens et les questions métaphysiques de consciences torturées, ce n'est pas ce qui intéressera ceux qui sont tout occupés à se libérer de leurs aliénations ou se perdent en effusions mystiques, à la recherche de passions dévorantes et d'émotions fortes. Il ne s'agit pas de trop médire de ces aspirations au dépassement de soi, qui sont inhérentes à notre humanité, manifestation du non sens du monde et de notre insatisfaction foncière, du manque qui nous constitue comme être de désir (désir de désir). Il s'agit de réfuter sa dimension politique et bien séparer là encore le public du privé, principe de laïcité qui devrait empêcher de promettre le paradis à chaque campagne électorale ou révolution. Il serait bien, de même, d'éviter de régler ses problèmes personnels par l'activisme militant (voeux pieux). Renoncer à vouloir convertir les âmes implique également de ne plus prêcher l'opposition des valeurs traditionnelles du socialisme à l'individualisme marchand, pour se limiter à mettre en place des mécanismes de solidarité et des dispositifs coopératifs. C'est un réel qui détermine l'idéologie, pas l'inverse, et on ne peut servir deux maîtres à la fois, l'idéologie (ou la religion, fût-elle laïque) et la politique. Les discours et les compétences ne sont pas les mêmes (qu'on n'attende pas d'un religieux qu'il soit bon politique).

On ne se rend pas assez compte à quel point le prix à payer est lourd pour la démocratie de délester la politique de la religion et de la contrainte puisque c'est aussi faire son deuil de la capacité d'un peuple à décider de son destin ou de la société dans laquelle il veut vivre, du fait qu'il n'y a plus de sujet pour décider, plus de peuple uni dans une même foi ou volonté générale, mais une démocratie pluraliste. C'est aussi parce que malgré les grandes gueules qui prétendent le contraire, on ne décide jamais vraiment de son destin, qu'on ne fait que suivre et subir matériellement, le réel nous faisant payer très cher nos velléités de l'ignorer. La marge de manoeuvre qu'il nous reste est donc très limitée mais n'est pas négligeable pour autant, consistant essentiellement à mieux s'adapter à la situation en corrigeant des injustices et en résistant aux dérives les plus dangereuses. C'est incontestablement beaucoup moins sexy que de se battre pour l'absolu et un ordre juste. Notre rôle peut paraître bien subalterne par rapport aux déterminations extérieures, mais cela n'a rien à voir pour autant avec la défense du désordre existant.

Il faut bien préciser que ce n'est pas l'impossibilité d'une société idyllique en tout temps et en tout lieu qui doit nous faire en rabattre sur nos utopies mais l'impossibilité d'une société étendue idyllique, encore plus globalisée, et en l'état actuel des techniques. Les critiques du présent renvoient souvent à une survalorisation d'un passé qui n'était pas si charitable aux pauvres mais il n'y a pas de raison de rejeter absolument l'hypothèse d'un paradis originel des chasseurs-cueilleurs avant d'en être chassés par l'évolution et devoir travailler la terre. Des populations isolées sur des îles paradisiaques, comme les Jarawas, semblent bien connaître la belle vie, sans travail, pleine de jeux, de rires et d'amour. Aucune raison d'en changer. Les périodes heureuses n'ont pas d'histoire (ce qui n'empêche pas l'histoire de continuer ailleurs). On peut en avoir une légitime nostalgie mais qui témoigne simplement que l’évolution ne vient pas de nous, elle ne vient pas de l’intérieur, comme réalisation de l’homme (expression de son essence) jusqu’à l’homme total et libre, conformément à la conception progressiste qu'avait Marx d'une humanité se produisant elle-même et prenant conscience de soi. L’homme total pourrait bien plutôt se trouver à l’origine, ce serait l’humanité primitive perdue qui ne progresse donc que par le mauvais côté de l’histoire, humanité forgée par la technique, dénaturée par la civilisation et les mauvaises rencontres, les catastrophes climatiques, la guerre, la destruction de l’environnement, les crises, les révolutions technologiques, mettant à rude épreuve notre adaptabilité.

Le négatif n’est pas intérieur comme Hegel le suggère à l’identifier à l’esprit qui dit non, au cognitif, alors que le négatif vient plutôt de l’extérieur, il est matériel et fait de nous les déracinés que nous sommes, des inadaptés, des hommes divisés à la place de la belle totalité archaïque qui n'est plus de mise avec l'accélération technologique. L'échec de l'idéologie de la liberté, c'est d'être confrontée à l'extériorité qui se dérobe à nos désirs en même temps que nous en recevons nos déterminations. Il ne s'agit pas de le nier mais de le reconnaître au contraire. C'est le réel sur lequel on se cogne, qu'on subit, qui nous résiste, nous déçoit, nous dément et qu'on doit penser à nouveaux frais pour continuer l'histoire de l'émancipation. Car, même si l'avenir est sombre, il n'y a pas de retours en arrière durables et seulement de nouveaux défis à relever, de nouveaux problèmes à résoudre, effaré que cette génération vieillissante ne puisse admettre son échec sans retomber dans le pire des conservatismes réactionnaires pendant que des jeunes rejouent aux héros dans des guerres sanglantes.

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53 réflexions au sujet de “Des situationnistes aux djihadistes”

  1. Sur le problème de la transcendance et les moyens de l'affronter, voir le très indispensable, même si très peu connu, livre de Hourya Bénis-Sinacoeur, "Cavaillès" 2013 Les Belles Lettres, ou il est démontré qu'il existe une position du sujet ou la transcendance est réintroduite dans la position critique par le biais de la maîtrise de tout le dispositif cognitif, évitant ainsi les impasses du Kantisme, de l'Hégélianisme et de la phénoménologie d' Husserl. Hors sujet ? Ça reste à discuter !

    • Je n'ai pas lu ce livre mais si Cavaillès était bien un partisan de "la pensée du dehors", sa focalisation sur les mathématiques en fait un processus autonome qui se déploie nécessairement mais de façon un peu autiste. La géométrie parvient à la certitude en partant de la définition des figures, permettant d'en explorer toutes les propriétés, le noème se réduisant à la noèse et la figure géométrique à son intentionalité constitutive. C'est un domaine bien à part, qui existe, possède sa transcendance propre mais, dans l'évolution et l'histoire des hommes, la transcendance du monde se manifeste de façon plus matérielle et aléatoire, intrusion de l'événement ou déséquilibre de l'écosystème auquel il est bien plus difficile de donner un sens qu'au déploiement des mathématiques. Ce n'est pas un sujet idéal qui progresse dans l'histoire, le subjectif n'y apportant comme on voit que d'inutiles perturbations, le matériel ne s'imposant que dans l'après-coup mais sans discussion.

      • "le subjectif n'y apportant comme on voit que d'inutiles perturbations" (Le faux comme moment du vrai)
        pourquoi "inutiles"?
        Les représentations se manifestent en tant que réalités en interaction avec les autres réalités, et je ne crois pas que nous puissions échapper à des représentations puisque c'est l'essence même du langage.

          • C'est pas exactement ce que je veux dire, que nos représentations, personnelles et collectives, soient plus ou moins fidèles ou contradictoires avec les autres réalités, elles n'en demeurent pas moins faire partie des réalités et à ce titre être en interaction avec les autres réalités.

  2. On peut pas changer le monde, j´ai compris, et pourtant le monde nous change tout le temps mais pas toujours dans la "bonne" direction comme dans vos exemples même. Alors? La transcendance elle même change aussi peut-être, donc il y a de l´indétermination possible dans le réel comme possibilité d´action même limité. Il faut faire pour connaitre, la formule de Vico c´est incomplète, bien sur mais pas complétement inutile. Mais peut-être je suis trop "optimiste" ...Si Vico a raison on connait bien la bêtise parce que on fait beaucoup de bêtises dans ce monde. Connaitre de l´erreur comme tel c´est peut-être déjà quelque chose...

    • En fait, l'informatique, c'est la science de l'erreur. Un programmeur trop sûr de lui va au casse pipe. On sait qu'un programme non testé ne marche pas, il faut non seulement traiter les bugs de programmation mais les erreurs des utilisateurs. Quand on vient de la philosophie et qu'on est confronté à la programmation on en rabat beaucoup sur nos prétentions à maîtriser le réel et c'est cette humilité de la correction d'erreur qui permet de maîtriser ce qu'on croyait immaîtrisable...

      La difficulté c'est de ne pas tomber de la naïveté révolutionnaire au cynisme conservateur. Ce n'est pas parce qu'on ne peut pas tout qu'on ne peut rien. Il s'agit simplement de reformuler des prétentions métaphysiques en programme concret et adapté aux problèmes du temps, si possible en prenant les choses à la racine pour autant que la situation produise une ouverture vers une remise en cause profonde mais cela ne se décrète pas.

      Par contre je suis entièrement d'accord qu'on ne comprend le monde qu'à vouloir le changer, en éprouver les résistances mais ce n'est pas une garantie pour le dogmatisme d'en tenir compte, la dissonance cognitive étant omniprésente sur les valeurs qui nous tiennent le plus à coeur jusqu'à refouler tout ce qui nous dément. On apprend difficilement de la bêtise, souvent avec beaucoup de retard.

      Certaines positions peuvent donner une portée globale mais, en général, notre rayon d'action est local et le local, c'est notre monde même s'il peut être éclaté en plusieurs lieux (travail, habitation, etc.). Là on peut changer notre monde, enfin parfois, et comme le roman le plus personnel peut avoir un retentissement universel, un petit monde local peut participer d'un mouvement mondial, expérimenter pour se confronter au réel et trouver la meilleure formule qu'on ne connaît pas à l'avance.

      • Plus largement, la science de l'erreur c'est de se confronter à l'expérience matérielle. Tout bricoleur, chimiste, mécanicien...voit vite ses erreurs, le mélange lui pète au nez, la mécanique prévue se brise, le couteau coupe le doigt qui le manipulait...

        La programmation ne fait que répéter numériquement les embrouilles de tout essai sur la matière.

        Une éducation nationale crédible serait de mettre l'accent sur cet aspect des choses.

        L'art lui même passe son temps à buter sur des échecs pour mieux produire, c'est sans fin.

    • J'ai pris la première traduction que j'ai trouvée (dans la revue dont il est question), ne parlant pas allemand. C'est le mot spießbürgerlichen qui est traduit soit par petit-bourgeois soit par béotien (la traduction officielle étant philistin qui veut dire aussi ignorant). Il semble que petit-bourgeois soit plus près de l'allemand qui a malgré tout un autre terme pour cela. Si on dit petit-bourgeois ce n'est pas très valorisant alors que la naïveté de l'ignorant peut être touchante.

      Die Bourgeoisie, wo sie zur Herrschaft gekommen, hat alle feudalen, patriarchalischen, idyllischen Verhältnisse zerstört. Sie hat die buntscheckigen Feudalbande, die den Menschen an seinen natürlichen Vorgesetzten knüpften, unbarmherzig zerrissen, und kein anderes Band zwischen Mensch und Mensch übrig gelassen, als das nackte Interesse, als die gefühllose „baare Zahlung.“ Sie hat die heiligen Schauer der frommen Schwärmerei, der ritterlichen Begeisterung, der spießbürgerlichen Wehmuth in dem eiskalten Wasser egoistischer Berechnung ertränkt.

          • Spießbürgerlich = petit-bourgeois, épicier ; philistin, béotien — me dit mon Harrap's Weis Matutat de mes années d'étudiant (1989, ça ne s'invente pas 😉 ) — je n'ai pas votre pratique de l'allemand, Olaf, ça va sans dire...

            "Ferveur religieuse, enthousiasme chevaleresque, mélancolie petite-bourgeoise [ou béotienne, ou philistine, ou grossière, ou étriquée]" : la question que finalement je me pose, c'est pourquoi Marx finit cette énumération fameuse par une touche incontestablement péjorative et donc dissonnante.

            Mais cela nous éloigne du propos initial, c'est à peu près sûr...

          • Non, c'est intéressant car, à l'évidence, Marx méprise tout cela (qu'il a éprouvé plus jeune), avec quelque raison même s'il méprise encore plus le calcul égoïste. Le caractère révolutionnaire qu'il prête à la bourgeoisie, c'est de sortir des anciennes illusions.

            D'une certaine façon je me suis fait avoir car la traduction par béotien n'est pas innocente de la part de réactionnaires qui veulent récupérer Marx et glorifier les sentiments chevaleresque dont Marx dénonce le caractère factice (et de classe). Comme on voit le choix des mots, même légitime, peut changer le sens d'un texte.

            Moi, j'ai repris cette citation pour dire que cette "spiritualité" est plus précieuse, humaine, que le froid calcul même si elle est trompeuse, pour faire ressortir le positif du djihadisme même si j'en ai horreur, mais je déforme Marx ainsi, ce qu'il n'est pas mauvais de souligner. Du coup, j'ai un peu changé l'introduction de la citation pour non pas sembler vouloir revenir à ces effusions mais ne pas en être quitte pour autant, en retrouver l'expérience existentielle.

          • J'en ai essayé des dicos francais-allemand, dont le Langenscheidt, mais le meilleur que j'ai trouvé c'est Leo, gratuit, en ligne et plusieurs langues. Réputé aussi chez les profs allemands de langues :

            http://dict.leo.org/

            D'ailleurs, il ne cite pas Spießbürger dans les synonymes allemands de béotien. On a plutôt des synonymes relatifs à l'ignorance, Kulturbanause, Laie.

  3. Moi ma grande question c’est comment me positionner par rapport à tout ça : cette réalité qui m’échappe et que je subis ; comment me positionner individuellement et collectivement.
    Le fait même de se poser la question fait que je me fonde sur un bien et un mal, un choix. Je ne fais pas partie de la ruche des abeilles avec une mission individuelle et collective bien écrite : je patauge, je patauge, je patauge !! Je ne comprends rien à rien et ne sait pas à quel saint me vouer !

    Il m’est pourtant impossible d’en tirer la conclusion que je ne peux rien savoir, rien décider et que tout se vaut. Il y a de bons et de mauvais choix individuels et collectifs. Impossible aussi de dire que je détiens la vérité et que c’est telle ou telle potion qui serait la bonne.
    Notre réalité humaine est un chemin de réflexion et d’action qu’on doit sans cesse corriger. C’est la certitude humble qu’on va rester sur ce chemin parce que c’est bien notre condition et que jusqu’au bout il va falloir avancer et corriger. Non seulement on arrivera jamais à rien de définitif mais en plus on va mourir. On nait sans qu’on y soit pour rien ; on chemine sans comprendre et savoir ,sans repos possible et on meurt ;encore si on a la chance de passer entre les goutes de souffrances , d’injustices et autres civilités terribles de la vie ; voilà le programme .On ne peut ni se faire réellement confiance du fait de notre faiblesse ni faire confiance à l’autre , qui vous quitte pour un autre , alors que tout était prévu pour durer .On peut même s’apercevoir au détour d’une guerre qu’on est le pire des salauds ,alors qu’on se croyait un mec bien comme il faut .Et malgré tout ça on va faire des leçons à tout le monde .

    Pourtant nous ne pouvons rester dans l’incertitude et le désespoir ; tout simplement parce que c’est intenable ; sans confiance en la vie et en nous même et en l’autre, il est impossible d’avancer. Dire le contraire c’est mentir.
    Notre seule préoccupation va ainsi être de sans cesse nous rassurer et trouver du repos. Et cela par toutes les méthodes possibles et imaginables ; politique de l’autruche, folie, course au profit et pouvoir, distraction, religion, racisme, narcissisme etc etc etc etc etc etc
    Nous avons besoin de certitude et le fait d’analyser ce besoin ne nous en dispense pas nous-mêmes.
    Le libéralisme est aussi une échappatoire à notre condition : on divinise le marché et la liberté d’entreprendre qui vont nous faire trouver le grand équilibre du progrès. Foutaise.
    Les politiques de relocalisation à mener soi même ont ceci d’intéressant qu’elles nous resituent directement face à nous-mêmes dans une relation directe aux autres et à un milieu à gérer ensemble. La parole et l’humain, le projet prennent la place d’une gestion technique abstraite et macro économique s’imposant comme la réalité évangélique. Ce n’est pas la panacée allant tout résoudre, mais c’est un élément nécessaire pour équilibrer une mondialisation cinglée.
    Nécessité fait loi. Au travail donc pour les coops municipales et les monnaies locales.

    • J'aime beaucoup ton commentaire, je crois que j'aurais presque pu l'écrire tellement je trouve qu'il décrit de près notre condition humaine ordinaire.
      Quand j'ai mis en place un outil de gestion "participatif" inspiré des règles de la sociocratie dans l'atelier/labo où je bosse, j'en ai ressenti comme un grand soulagement, je me suis senti moins seul, moins envie de gueuler inutilement (ce n'est pas que je gueulais, mais j'en avais envie tout en sachant que c'était inutile), de pouvoir disposer d'un outil d'organisation solide et souple limitant le développement des dominations. ça fait maintenant 2ans1/2 qu'il est en place. Nous l'avons un peu fait évoluer, en nous concertant, et ça marche toujours, sans pour autant que ce soit le paradis ni magique.

      Se décider à agir, c'est à dire s'engager, induit une inévitable identification avec ses engagements, ce qui produit une limitation de la lucidité. Jean Zin s'est brulé les ailes à ce jeu avec ses engagements religieux d'abord dans sa jeunesse, puis politiques, ce qui explique son peu d'engagement, par exemple auprès de l'association des maires de France, pour mettre en place des expérimentations de "sa" coopérative municipale, ce que je déplore mais que je peux comprendre. Le dimanche a été inventé pour se reposer, mais aussi pour prendre un peu de distance vis à vis de ses engagements, pour retrouver de la lucidité. Comment peut-on faire en politique pour s'engager et se ménager des moments distanciés? Individuellement, mais surtout comment organiser collectivement cette nécessaire distanciation qui nous éloigne de l'attracteur grégaire de la meute? C'est un des enjeux de la mise en pratique d'une philosophie de l'information.

      • Heu, on pourrait laisser le lointain temps où j'étais enfant de choeur! Si je me suis retiré, c'est d'abord pour des raisons de santé (ayant très mal supporté mes derniers déplacements, dont celui pour Cité-Philo dont je suis revenu en morceaux). Depuis ma santé s'est nettement améliorée mais je n'ai pas trop envie de prendre le risque de recommencer, on peut aussi prendre sa retraite militante quand on prend de l'âge (bien sûr tout dépend de chacun).

        Il est certain aussi que la fin du GRIT m'a rendu plus sensible l'absence de dialogue possible et que j'ai gagné dans mon éloignement plus d'autonomie de pensée (sans avoir à plaire à ses partisans ni respecter les convictions du groupe). Par définition, c'est peu compatible avec l'action collective. Raison pour laquelle, c'est souvent au nom de fausses croyances qu'on agit, ce qui n'empêche pas que peuvent en rester de réelles avancées (mais aussi des reculs).

        Surtout, c'est parce que je ne sais pas comment arriver à réunir les conditions pour faire une coopérative municipale que je ne suis pas plus actif à en répandre l'idée, ayant l'impression d'en dire tout ce que je peux dans mes écrits et ne me trouvant pas les qualités d'un leader ni d'un homme d'action, ayant trop peur de décevoir (comme j'avais déçu ceux qui m'avaient invité à une tournée en Belgique, il y a longtemps), d'embarquer les gens dans un échec programmé. Je ne crois pas du tout que l'association des maires de France puisse être intéressée actuellement, plus tard peut-être ?

        Enfin, je me dis que si ce que je dis est juste, la personne qui le dit n'a pas d'importance et l'idée devrait être reprise quand les faits l'imposeront.

  4. j'ai regardé et surtout écouté la vidéo avec Fred; je trouve cette idée de coopératives municipales intéressante.
    Comme je viens juste de découvrir et te découvrir, je vais chercher dans ton site ce que tu en dis de plus.
    j'ai signé la pétition pour le revenu de base sans conviction , le revenu garanti géré localement dont tu parles me parle davantage, est plus en adéquation avec mes valeurs. J'ai connu et connaît encore les SEL et suis actuellement en désaccord , j'ai des réticences avec les monnaies locales ( qui d'ailleurs par ici ne décollent pas ) je suis a un carrefour ou cherchant quelque chose j'ai peut être trouvé quelqu'un, en tous les cas j'ai trouvé un concept qui me semble intéressant a développer.
    N'envisageant pas de "tirer quelque charrette que ce soit",je peux peut être mettre ma modeste créativité au service de cette idée qui semble ne demander qu'à s'épanouir et éclore davantage. NB. je suis tres terre à terre , ancrée dans le concret.

    • Moi aussi je re visionne la vidéo sur la relocalisation ; je suis d'accord sur l'idée que la relocalisation est une nécessité d'équilibrage de la globalisation : on a besoin de relocaliser parce qu'il y a globalisation .

      Par contre pourquoi la même logique n'est pas appliqué aux très grandes villes ? Qu'il ne s'agirait pas de raser mais de rééquilibrer ? Il y a des besoins assez forts qui se développent de la part des populations urbaines pour rompre avec leurs modes de vie ; on assiste à des migrations de l'urbain vers le rural. Mais ce qui freine c'est la réalité matérielle de la chose qui oblige à rester en ville . Il faudrait donc développer des politiques nationales et européennes de relocalisation . Le local ne pouvant pas aisément se construire sur lui même.
      Le rééquilibrage en terme d'aménagement et développement des territoires , en terme de métiers autonomes à déployer, en termes économiques (on ne peut pas tout miser sur l'export) en termes démocratique en réactivant la prise direct du citoyen sur le politiques publiques me semble un projet politique à terme réaliste , très ambitieux, pouvant mobiliser . "la ville verte" n'est pas à rejeter mais certainement pas comme une solution ; beaucoup plus comme un aménagement connexe pour ceux qui vont rester dans les villes.

      • Comme je le dis dans cette vidéo, il ne semble pas qu'on puisse éviter les grandes villes, seulement les verdir en effet, la majorité de la population mondiale habite maintenant dans des grandes villes et s'ils envahissaient nos campagnes, ce ne serait pas vivable. L'accroissement de la population empêche les retours en arrière, depuis le néolithique où l'agriculture ayant permis de multiplier la population par 10, il était impossible de redevenir chasseur-cueilleur.

    • Le problème, c'est que ces dispositifs ne peuvent être utiles qu'en prenant une certaine dimension, en touchant tout le monde, et en synergie les uns avec les autres, sinon ce ne sont que des gadgets sans aucune portée. C'est toute la difficulté d'en trouver les conditions politiques. Le revenu garanti sans les institutions du travail autonome n'est que du misérabilisme. Les monnaies locales sont absolument indispensables pour dynamiser l'économie locale et favoriser les circuits courts mais à condition d'être une monnaie officielle, communale ou intercommunale, et de mettre en place des systèmes d'échanges. Il y a pas mal de ces monnaies complémentaires qui se créent mais en risquant de déconsidérer l'idée car elles ne servent à rien la plupart du temps. S'il ne s'agissait que de créer une coopérative, ce ne serait en rien nouveau. Il y a eu déjà de belles réalisations dans les années de contre-culture mais qui n'ont pas été durables. Il y a donc une réelle difficulté qui rend l'idée peut-être infaisable (mais je ne vois pas comment on pourra s'en passer dans le monde qui vient).

      • Oui ,on est d'accord sur le fait que les divers éléments nécessaires à la relocalisation doivent être reliés à une visée politique , une politique . Et c'est bien là la difficulté parce que l'action politique au sens de coordonner les divers éléments, divers secteurs , divers acteurs dans le sens d'objectifs qu'on se donne , n'est pas d'actualité : on est dans le cloisonnement et la résolution technique des problèmes sous la pression des lobbys les plus puissants. Mais quand localement on va chercher à décloisonner et se donner des objectifs communs on va se heurter très vite à cette problématique politique et les initiatives resteront à des niveaux démonstratifs sans impact suffisant . Elles se refermeront sur elles mêmes en se maintenant dans le domaine d'initiatives privées associatives sans rentrer dans le domaine de la politique publique.
        Il va falloir selon moi travailler aux deux niveaux , le local , et je crois encore possible que des dynamiques se mettent en place , mais aussi au niveau national et européen , c'est à dire le niveau de l'institution : comment on fait de la politique .Comment on équilibre le représentatif , comment on introduit du projet. Et le projet dont on a besoin aujourd'hui c'est l'écologie , l'humain et la démocratie , donc la relocalisation.

        Je ne pense pas du tout ,même face à la tendance lourde ,que les très grandes villes soient "l'avenir de l'homme" ; la nécessité du rééquilibrage est là ; parce que les très grandes villes génèrent des modalités de production , de consommation ,de travail , des modes de vie , des relations au pouvoir etc qui ne sont pas durables . La démographie n'est pas un argument suffisant pour repousser l'idée , certes très laborieuse pour en trouver les modalités, d'un réaménagement du territoire consistant à mettre en place des zones rurales beaucoup plus peuplée et s'auto organisant localement . Il suffit de constater ce qui se passe aujourd'hui en matière de vacances tous au même endroit , embouteillages , pollutions , temps de transport démesuré pour aller bosser etc etc

        Je pense qu'il faudrait aller au delà de la proposition de monnaies locales et coop municipales et théoriser un vrai programme politique ; ce qui est un peu fou , mais quand on voit le désert ambiant en terme de propositions ! et la tronche de ceux qui savent et se présentent régulièrement à nos suffrages !

  5. Pour le moment, pour ce qui est de l'UE, les djihadistes se trouvent à la Banque Centrale Européenne ou à Bruxelles (avec leurs fondés de pouvoir élus démocratiquement).

    Ces djihadistes là tiennent-ils compte du réel, ou en sont-ils les seuls représentants attitrés ?

    • On peut effectivement tout mettre au même niveau mais, franchement, ce ne sont pas les manifestations de Francfort contre les dépenses somptuaires de la BCE qui me soucient aujourd'hui qui est vraiment une journée noire, une de ces journées qui vous font sentir comme tout peut aller très vite vers le pire. Les élections israéliennes sont vraiment une gueule de bois alors qu'on avait cru qu'ils pourraient changer de politique, l'extrême-droite en sort renforcée là aussi, tout comme dans nos prochaines élections départementales. Là-dessus, la collusion de Mélenchon avec Buisson finit de noircir le tableau et désespérer de la gauche alors qu'on ne voit pas bien comment la Grèce va pouvoir rester dans l'Euro. En accuser Bruxelles n'est pas juste cette fois-ci puisque notamment les pays ayant massacré leur population ne supportent pas que les Grecs ne massacrent pas la leur. C'est un peu comme les travailleurs pauvres qui sont contre le RSA et les assistés...

      Le réel n'a pas de représentants, tout le problème est là, c'est ce qui échappe à la représentation mais la personnalité des fonctionnaires entre peu en cause (même si Draghi vaut mieux que Trichet), ils ne font que ce qu'ils sont obligés de faire. Ils représentent des forces matérielles très puissantes mais pas la totalité du monde, c'est certain, simplement ils ne comptent pas beaucoup, quelque soit l'élu il fera à peu près la même chose que le précédent.

      Il n'y a de ce côté aucun rêve, sinon l'ambition personnelle, nos djihadistes sont plutôt ceux qui se battent dans la rue et croient que cela sert à quelque chose alors que les extrême-droites montent partout et que ces activistes seront encore une fois les dindons de la farce.

  6. Il semble bien que nos notables nationaux n'aient très bien compris de quoi relève le jihadisme, donc comment le contrer :

    Bloquons donc, péniblement, les sites jihadistes sans que la justice s’en mêle (tous ces magistrats, c’est bien connu, sont de toute façon des agents de l’anti France) et poursuivons sur la voie du délit d’opinion que j’évoquais dans mon – trop – long billet de février dernier. Les réflexions bâclées au sujet de la déradicalisation, les projets de placer à l’isolement en prison des jihadistes, l’obsession pour les pathologies mentales et le blocage des sites Internet suspects participe tous d’une normalisation sociale très contrariante.

    http://aboudjaffar.blog.lemonde.fr/2015/03/18/cest-sans-danger/#xtor=RSS-32280322

  7. @Jean Zin, dans un précédent commentaire vous dites :
    "nos djihadistes sont plutôt ceux qui se battent dans la rue et croient que cela sert à quelque chose alors que les extrêmes droites etc."
    les djihadistes seraient ceux qui s'emploient à "résister" en manifestant contre les aéroports et la répression policière?
    de quelle personnes qui se "battent dans la rue" parlez-vous?
    je ne comprend pas très bien jusqu'où va votre image du djihadiste…

    • Non, je n'assimile pas tous ceux qui résistent à des djihadistes ! mais là on parlait de la BCE donc je faisais allusion aux manifestants professionnels violents du jour qui manifestaient contre l'inauguration du siège de la BCE. Rien à voir avec les ZAD par exemple, qui ont un enjeu concret. Ce n'était qu'une réponse de mail mais qui pouvait se justifier par la déclaration guerrière des tiqquns qui menaçaient ad hominem (mais de façon purement verbale) les personnes responsables selon eux de la situation en Grèce (alors que ce n'est pas la BCE la pire dans l'affaire) et qui se croient très révolutionnaires alors que ce sont les extrêmes-droites qui montent (et que la radicalité des Grecs se dégonfle).

      • Je ne suis pas certain que la radicalité grecque se dégonfle, il y a l'élément temporel des élections dans d'autres pays, Espagne, Irlande...et le contre exemple français du FN.

        Tsipras peut à juste titre estimer que des basculements électoraux dans d'autres pays changeraient la configuration des influences politiques. Parfois, mieux vaut attendre quelques mois que de presser le bouton nucléaire, le Grexit ou Grexident en l’occurrence.

        Merkel parait avoir l'intention de reprendre le dossier grec des mains de Schäuble, n'ayant aucune envie d'une sortie de la Grèce. Ces processus de négociations européens sont très lents et les allemands sont aussi eux mêmes aussi très lents de la détente, j'ai pu m'en rendre compte en 7 ans. En Allemagne, il n'y a presque jamais le feu au lac...

        On y est très loin des latins bien plus impulsifs, voire erratiques.

  8. Bonjour Mr Jeanzin
    Vote // entre situationniste et djihadiste est pertinent, là où les 2, sont le reflet d'une frustration, un non sens qui produit de la rage et de la violence. Dans les années 70 , il y eu un mouvement "d'ultra gauche" , les autonomes, dont j'étais, qui pratiquaient le saccage comme dans les manifs des identitaires où libertaires anars écologiques aujourd'hui.
    Puis j'ai lu un autre situationniste, JP Voyer qui fréquentait Debord et examinait le vraisemblable de "la société du spectacle" qui ne l'était pas.Le spectacle de la société, anonyme, atomisé et impressionnante est autrement pertinente, pas de révolution mais un soulèvement dans le sens de grandir,, voir les choses en face et pas telles qu'on souhaiterait les voir est un pas de géant.
    ("si les faibles sont faibles, c'est parce qu'ils le méritent"), c'est là où l'extrême-droite est plus honnête que l'extrême-gauche, cela se nomme autrement "malheur aux vaincus".
    http://leuven.pagesperso-orange.fr/enquete.htm
    Un homme qui a glisser dans l'extrême droit, sans, e, nous y viendrons tous.

    • Avec Jean-Pierre Voyer, on touche le fond. Après avoir été un propagandiste on ne peut plus dogmatique du sexo-gauchisme (Wilhelm Reich + Situationniste), expliquant bien aux pauvres crétins que nous étions comment il fallait vivre, il a complètement dérapé après avoir été ridiculisé par Debord qui a publié ses premières lettres très confusionnelles sur ses interrogations théoriques effectivement hyper dogmatiques (la folie est un excès de logique). Debord n'a jamais hésité à jeter ceux qui lui avaient été proches quand ils l'entraînaient dans un délire, c'est ce qu'il a fait de mieux mais depuis JP Voyer le poursuit de sa haine obsédante (il semble s'être calmé depuis quand même). Il a squatté ainsi aux débuts d'internet un forum un peu débile (le Deboard) mais, le pire, c'est qu'il a eu une postérité dans sa thèse la plus débile : l'économie n'existerait pas !

      L'article de Tiqqun sur "l'économie comme magie noire" (qui n'est pas de Julien Coupat mais de l'autre Julien) en est assez proche et quand il m'avait fait l'exposé de sa thèse (dans un café près de Tolbiac) j'en avais souligné le caractère intenable et purement critique, mais on renonce difficilement aux effets de plume, cela avait donc été sans effet. Ces beaux discours font plaisir à ceux qui les tiennent, donnant une haute image de soi, mais n'ont, eux non plus, absolument aucun effet, toutes ces envolées métaphysiques n'ayant rien à voir avec une réalité qui effectivement est inhumaine en ce que ce n'est pas oeuvre humaine mais l'existence d'un monde extérieur qu'il ne faut pas renoncer pour autant à réparer, le problème n'étant pas du tout conceptuel mais très pratique d'adopter une stratégie réaliste même si elle n'est pas glorieuse. Sachant que les rapports de force ou les idéologies dominantes empêchent la plupart du temps de se faire entendre.

      L'essence de l'humanité est la faiblesse, pas la force brute. Moi, je suis du côté des vaincus, des minables et j'emmerde les frimeurs radical-chics qui se vautrent dans leurs conneries. On le disait déjà du terrorisme gauchiste des années 1970 : le problème, c'est d'abord la connerie de ces gens (qui auraient été "action directe" à l'époque et sont aujourd'hui djihadistes), en dépit de leurs hautes théories, pas la hargne ni la recherche de la justice ou de la vraie vie.

  9. L'essence de l'humanité est la faiblesse....de croire.
    L'essence de l'humanité est la communication, cela ne se voit il pas aujourd'hui, il y a tout les moyens de l'économie mais.....
    Les riches et la richesse sont dans les réseaux dès le départ.....les pôvres n'ont qu'un mobile de ne pas en avoir. Tiens, ils commencent à se tourner vaguement vers la nation, une idée pratique.

    • Oui, aux mêmes causes les mêmes effets, hélas. Il est insupportable de voir se développer le nationalisme et de ne pouvoir s'y opposer tout comme l'irrésistible montée du nazisme a stupéfié plus d'un progressiste. Certains s'en sont même suicidés mais ce n'est pas le dernier mot de l'histoire et les contraintes matérielles finissent toujours par s'imposer, pas toujours à notre désavantage puisque l'autonomie en est valorisée contre l'ancienne contrainte mais changer de société n'a jamais été un diner de gala...

      • Vous en êtes déjà au point godwin où tout nationalisme est insupportable, alors laissons dériver comme les produits du même nom, avec en prime un front de guerre orange, Ukraine, Syrie, Iran..
        Pourtant 27 Reich en Europe, çà aurait de la gueule, non ?
        Merci pour ce moment.

        • Bien, bien, le point Godwin ! C'est sûr, si on ne peut plus parler du nazisme, cela va rendre les discussions difficiles. Godwin parlait surtout du fait de traiter les autres de nazi alors qu'ici je comparais les situations historiques or, il est un fait que nous sommes dans une crise très semblable à celle des années 1930 avec un chômage de masse et des politiques déflationnistes désastreuses qui ont amené au pouvoir différents fascismes. Aux mêmes causes, les mêmes effets et nous connaissons effectivement un retour du nationalisme et même du nazisme qui était impensable il y a 10 ans de ça (bien que j'en émettais l'hypothèse au nom des cycles de Kondratieff). Ce n'est certes pas qu'il faudrait assimiler tout nationalisme au nazisme, le FN n'est pas nazi et on n'est plus à l'époque des masses ouvrières. Au lieu de national-socialisme, c'est plutôt un national-capitalisme qui est revendiqué aujourd'hui, y compris la gauche keynésienne, voyez le progrès. Le nationalisme reste un belle connerie, quelque soit sa coloration, comme si les nations avaient existé de toute éternité et qu'il n'y avait pas des niveaux plus pertinents aujourd'hui notamment le niveau local.

          La montée du nationalisme a beau ne pas être vraiment équivalente à la montée du nazisme, c'est son caractère irrésistible auquel je faisais allusion, car bien documenté, comme témoignage de notre impuissance à nous y opposer, avec le ridicule de voir de grands débats sur l'aliénation au moment où le pire se préparait, intellectuels complètement déconnectés du réel. On a bien vu, en tout cas, et d'abord dans le fascisme mussolinien (c'est pas Godwin ça ?) comme l'extrême-gauche passait facilement à l'extrême-droite - cela n'a rien d'un mythe, hélas - en passant au nationalisme au nom de leurs idéaux de gauche et du volontarisme ! On a même vu en France le plus anti-fasciste des communistes créer un parti fasciste...

    • Il y a là un confusionnisme très courant mais aussi très dangereux car le fascisme est chose assez précise, non seulement très différent du pouvoir des réseaux financiers (des banquiers juifs) mais justement se définissant par son opposition nationale à la finance internationale, pouvoir fort (un Etat fort contre l'argent fort) qui, lui, fera la guerre (comme l'Etat islamiste). La représentation du fascisme comme pure oppression ou incarnation du mal est une contre-vérité. Le fascisme est un démocratisme (basé sur le plébiscite), ce qui se vérifie par la proximité de Chouard et Soral. Beaucoup sont fascistes sans le savoir (sans savoir ce qu'est le fascisme), se croyant de gauche par son opposition à la finance qui est à la base de l'antisémitisme. Postone a bien montré comme cet antisémitisme tout comme les théories du complot résultent de l'impossibilité d'admettre que le capitalisme est un système automate, sans sujet, dont on cherche les bouc émissaires. Ce n'est pas une mafia et il n'y a pas communauté d'intérêts entre capitalistes qui se font de la concurrence même s'il y a incontestablement des réseaux de pouvoir qui soutiennent ce système et des capitalistes qui investissent leur argent dans les élections. Marx a montré comment le système de production capitaliste était déterminé par la circulation et la théorie des systèmes en a montré les interdépendances entre circuits monétaires et de marchandises.

      Les choses sont donc un peu plus compliquées et matérielles que les fascismes ne le prétendent dans leur construction volontariste d'un peuple unifié supposé tout-puissant et qui ne peut se concrétiser que dans la guerre (intérieure comme extérieure). L'alternative ne vient jamais des fascismes qui abandonnent vite leurs visées sociales pour protéger un capitalisme de connivence (nationale) et réprimer toute contestation. Les fascismes sont les symptômes de notre impuissance politique (plus on est impuissant, plus on appelle un pouvoir fort), ils n'en sont pas les remèdes, l'économie ne se pliant pas aussi bien que les hommes aux dictats du pouvoir et de l'idéologie. C'est d'ailleurs là-dessus que le communisme s'est cassé les dents car on peut dire que la seule différence avec le fascisme du stalinisme et encore plus du maoïsme, c'est d'avoir voulu sortir du capitalisme, mais ce n'est plus de saison, l'expérience ayant été désastreuse, il faudrait juste se rappeler que l'expérience du volontarisme fasciste a été pire encore...

      • « Postone a bien montré comme cet antisémitisme tout comme les théories du complot résultent de l'impossibilité d'admettre que le capitalisme est un système automate, sans sujet, dont on cherche les bouc émissaires. Ce n'est pas une mafia et il n'y a pas communauté d'intérêts entre capitalistes qui se font de la concurrence même s'il y a incontestablement des réseaux de pouvoir qui soutiennent ce système et des capitalistes qui investissent leur argent dans les élections » Il y a environ 200 médicaments indispensables sur les milliers existants ( http://www.topsante.com/medecine/medecine-divers/medicaments/soigner/seuls-151-medicaments-du-marche-seraient-reellement-utiles-246979) On a bien affaire à un système automate alimenté par des productions, des réseaux de vente de la publicité une culture etc Le problème reste entier : qu’est ce qu’on fait face à cela ? En sachant que cet exemple est reproductible à l’infini de nos productions et donc de la correspondance en énergie consommée et CO2 rejeté. Le communisme ou l’étatisme peut au nom de l’intérêt général planifier la production. Sauf que la planification dans l’intérêt général devient très vite méchante dictature pour l’intérêt de ceux qui fixent ce qu’est l’intérêt général. Hors, on voit bien aussi aujourd’hui que la régulation du marché vers l’intérêt général ne se fait pas non plus et que en définitive l’intérêt des puissants est bien le maintien de ce « système automate ». On voit aussi les limites de la démocratie d’appareils qui est en fait impuissante devant cet automate. Dans le même temps, démographie et climat (entre autres) obligent, c’est intenable. On fait quoi ? Je ne vois que la mondialisation des relocalisations, la démocratie cognitive participative et l’utilisation du référendum. Le fait que ce soit une voie improbable du fait que le roseau pensant ne pense pas global , n'enlève en rien le fait qu'il faudrait en passer par là.

        • Oui, nos moyens sont très limitées et il faut partir de là. On peut agir à chaque niveau en tirant parti du peu de marges de manoeuvre qu'on a. Si on se concentrait sur ce qui est à notre portée on aurait plus de résultat qu'à prétendre à plus qu'on ne peut mais bien sûr ce n'est pas assez sexy, on préfère rêver et plus on rêve haut plus on peut s'y croire...

    • Il doit me manquer des billes, mais ca me parait assez évident, bien que Bernanke, Yellen ou Draghi ne soient pas des idiots. Weidmann avait signalé le problème de cette transmission monétaire bullesque.

      L'hélicoptère de Friedman me paraissait plus fin pour doser l'inflation au compte compte avec des possibilités de rétroactions en mode fine tuning. Ils ont opté pour le bolus massif, il y a un truc qui m'échappe...

  10. Moi c'est pas des billes qu'il me manque mais la compréhension de l'ensemble du jeu : je n'y comprends rien !!!!!!!!!
    Je sais seulement qu'à partir du moment où l'économie et l'argent ne sont pas au service d'une politique permettant d'organiser les choses en vue du bien de tous , ça ne peut que merder .
    Exemples : si trop de monde s'appauvrit cela agit en cascade sur la production et les échanges qui ne se font plus . Si tout le monde veut être compétitif , la concurrence en élime beaucoup qui sortent du jeu . Si une ressource naturelle est surexploitée elle s'épuise et ça arrête le jeu . Si l'argent fiche le camp vers la spéculation et s'amasse en dehors du monde réel de la production et des échanges , ça ne peut que coincer.....

    Bien sûr qu'on peut rentrer dans l'analyse des mécanismes et des interactions ; mais est ce bien utile ? Ces analyses ne sont elles pas du même ordre que celles des analystes "politiques" qui compte les points et les paroles des partis et dirigeants politiques : du vent , de la foutaise , de la bouillie pour les petits enfants ?
    Les analystes économiques ne sont ils pas simplement des cons ?
    Non qu'on ait pas besoin d'analyses et de compréhension des mécanismes , mais c'est comme vouloir marcher sur une jambe sans même savoir qu'on en a qu'une . Là encore cette matérialité économique est soumise au politique ; il ne peut pas y avoir d'économie satisfaisante sans projet politique .
    Dans un régime politique libéral ayant éjecté l'action politique globale par la gestion de mécanismes c'est comme une loterie et suivant le contexte ça marche ou c'est calamiteux ; les acteurs n'ayant pas beaucoup d'impact et de pouvoir sur cet automate ; aujourd'hui ça transpire , c'est aussi visible que leurs cravates et ton péremptoire.
    Le problème c'est qu'aujourd'hui le contexte s'est tendu et qu'il faudra beaucoup plus que de l'analyse économique pour se tirer d'affaire .

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