Temps de lecture : 9 minutesComme pour ajouter aux malheurs du temps, il n'a rien été trouvé de mieux que d'appeler radicalisation ce qui n'est que fanatisme suicidaire et basculement dans la violence la plus stupide. Il n'y a pourtant aucune radicalisation dans ce pétage de plomb. Ainsi, les crétins d'Action Directe qui se prenaient pour les héros du prolétariat n'étaient rien d'autre que des petits cons qui jouaient à la guerre subversive. Ils n'ont servi à rien qu'à renforcer l'ordre policier et nuire aux luttes sociales complètement étrangères à leur délire. Les nouveaux théoriciens d'une violence libératrice (d'une violence voyez-vous qui serait anti-autoritaire!) peuvent bien parler d'un échec de la non-violence mais l'échec de la violence est encore plus patent. Bien sûr, la violence est nécessaire, voire décisive, dans certaines situations (guerre, révolution, résistance). Si tuer le tyran fait tomber la dictature, et pas seulement changer de maître, il n'y a pas de devoir moral plus sacré mais c'est très rarement le cas. Comme manifestation de détresse ou d'exaspération, et surtout pour attirer l'attention publique, des actes de violence peuvent aussi être porteurs de sens, mais il s'agit alors de violences symboliques. Sinon, il faut être bien clair, valoriser la violence (comme Mussolini s'inspirant de Sorel) n'est rien d'autre que tomber dans le fascisme, la fascination de la force et du mâle dominant qui recherche l'affrontement.
La violence est l'exact contraire de la démocratie qui n'est pas la volonté agissante d'un peuple uni guidé par son chef vers le même but alors qu'elle est fondée sur la parole et la non-violence d'un débat pluraliste, certes bien décevant mais qui évite la guerre civile (car nous ne sommes pas d'accord sur la politique à mener, il n'y a pas de peuple uni mais l'opposition de la gauche et de la droite). Dans un régime démocratique, renverser l'ordre établi revient à l'abolition de la démocratie. Une autre façon de l'abolir est d'ailleurs de renforcer la militarisation de l'Etat par une escalade de la violence. De toutes façons, faire parler les armes a toujours confisqué la parole et amené un pouvoir militaire, il n'y a rien de radical là-dedans quelque soit le discours révolutionnaire qui l'accompagne, juste la force brute qui s'illusionne sur sa puissance alors que la force est bien supérieure du côté de l'Etat dont c'est le monopole. Ceux qui se persuadent du caractère progressiste de la violence ne le peuvent qu'à être persuadés que cela débouchera sur quelque paradis merveilleux, ce qui n'est évidemment jamais le cas (même avec des religieux au pouvoir). Croire en une société idéale, comme le siècle des idéologies en a nourri l'illusion au prix de massacres inouïs, constitue à n'en pas douter une excellente justification de toutes les violences mais l'expérience historique ne devrait plus permettre de prêter crédit à ces contes pour enfants.
Si la radicalité s'identifiait à la violence, elle serait réservée en effet à quelques attardés, aux débiles mentaux, aux psychopathes, aux terreurs de quartier, aux illuminés. Sauf qu'on a absolument besoin de radicalité, d'une radicalité effective à la fois dans nos vies personnelles et en politique même si cela ne change pas le monde et même si, souvent, cela ne va pas très loin. Il y a un indéniable besoin de radicalisation face aux risques écologiques et pour combattre les injustices, besoin de sortir de l'impuissance politique comme de la routine, des chemins tracés, des dérives de nos vies. Au nom de la déradicalisation on voudrait nous servir une soupe tiédasse à vomir, la modération d'un notable bien installé et satisfait de lui, une vie de conformisme et de pure soumission dédiée à la réussite sociale. Contre cette normalisation, il faut affirmer la nécessité de nous radicaliser un peu plus, augmenter notre puissance d'agir et donner plus de poids à notre existence.
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