L’erreur de prospective d’Homo Deus

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La prospective impossible

L'accélération technologique nous a rendus plus sensible à quel point la technique est notre destin et ne dépend pas de nous, contrairement à ce que les écologistes ont voulu croire (jamais la critique de la technique n'a arrêté le progrès). Cette simple constatation nous oblige à passer de l'utopie à la prospective, tout comme on essaie d'évaluer l'augmentation future des températures ou de la population. Que la prospective soit nécessaire ne veut pas dire cependant qu'elle soit vraiment possible. C'est la première chose qu'il faut apprendre, constituant la limite de l'exercice. Il n'est donc pas si certain que nous puissions faire preuve de clairvoyance ni que notre clairvoyance soit tellement utile, qu'elle ait le pouvoir de modifier nos comportements par l'information, car s'ajoute à la difficulté le "putain de facteur humain" qui n'incarne certes pas l'intelligence de l'homme mais bien sa connerie dévastatrice (nationalisme, fanatisme, démagogie) dont la prospective n'est pas épargnée.

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Revue des sciences juin 2018

Temps de lecture : 57 minutes

Pour la Science

La Recherche

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

Une hypothèse séduisante pour l'histoire de notre planète et de la vie prétend que la tectonique des plaques serait plus récente que supposée jusqu'ici et aurait provoqué la "Terre boule de neige" puis favorisé l'explosion cambrienne, qui a pris 40 millions d'années et suit de peu la fin de cette glaciation généralisée, profitant de l'apport par la tectonique de nutriments dans les mers. Une hypothèse plus sensationnelle (mais beaucoup moins crédible) prétend que les pieuvres auraient intégré des gènes extraterrestres par des virus venus d'autres planètes ! Moins farfelue, mais à confirmer quand même, la possibilité dont on avait déjà parlé de transférer une mémoire entre deux organismes. Ce qui mérite le plus d'attention sans doute, c'est qu'on pourrait bientôt tous porter un casque pour la stimulation électrique du cerveau aussi bien que pour la lecture des pensées et le contrôle de nos appareils, de jeux ou de films, éventualité qui ne nous effleurait pas l'esprit mais devient de plus en plus probable. Le passage de la génétique à la programmation épigénétique n'avait pas non plus été anticipé et devrait être de grande conséquence. Sinon la réalité virtuelle pourrait être adoptée grâce aux vidéos familiales 3D. Enfin, l'ère des taxis volants se rapproche un peu plus avec la mise au point par la Nasa et Uber de la régulation du trafic aérien nécessaire.

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Après Mai 68

Temps de lecture : 17 minutes

A 50 ans de distance, ce qui est le plus flagrant, c'est à quel point on était dans une autre époque, témoignant de notre entière dépendance à l'esprit du temps, comme on est le jouet des idéologies du moment même à se croire les plus libres des hommes. Il est assez impressionnant d'en prendre la mesure mais la plus grande leçon à en tirer, c'est combien ce qu'on peut appeler notre bêtise d'alors a pu avoir d'effets positifs malgré tout, effets de la contestation plus que du discours tenu (anarcho-marxiste), illustrant une fois de plus comme le faux peut être un moment du vrai. Avoir raison trop tôt pourrait même égarer. On peut dire de ceux qui se sont désolidarisés du mouvement dès le début qu'ils ont fait preuve de clairvoyance, sans doute, mais c'est qu'ils n'étaient que des réactionnaires le plus souvent, et sont de toutes façons passés à côté de l'histoire.

Impossible de trop médire des événements tant ils ont changé la vie même s'ils n'ont pas débouché sur une révolution politique (désavouée massivement par les élections). C'était au moins l'accélération d'une révolution des moeurs, notamment sexuelle, qui était déjà en cours avec la pilule autorisée par la loi du 28 décembre 1967 ici, ou les love-in californiens. Il est frappant de constater comme une époque n'est pas clairvoyante sur elle-même, vécue sous le mode de nombreuses illusions, notamment révolutionnaires, et produisant tout autre chose que ce qui était voulu. Ce qui est frappant aussi, c'est comme Mai68 n'a pas été du tout provoqué par une crise économique mais n'était qu'une déclinaison d'un moment historique, de la montée de la jeunesse et de la massification étudiante, succédant à la Révolution culturelle chinoise, aux Hippies s'opposant à la guerre du Vietnam, aux Provos hollandais, aux Situationnistes de Strasbourg, etc.

Enfin, le déroulement des faits montre bien comme la logique de l'événement s'impose à ses acteurs, la situation leur échappant constamment, très loin de la conception des révolutionnaires professionnels. Nous participions à un mouvement dont nous avions du mal à comprendre la nature, ne prenant de l'ampleur qu'à protester contre la répression, expression enthousiasmante de solidarité et de puissance. On ne peut parler d'action consciente et préméditée alors qu'on était plutôt pris dans un mouvement général, un peu comme, sur un autre plan, on suivra les différentes modes de la musique rock en hésitant sur le sens à leur donner, sens n'apparaissant vraiment qu'après-coup. Histoire vécue dans l'incertitude contre histoire racontée.

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Toujours étranger en terre étrangère

Temps de lecture : 23 minutes

La fin de l'histoire hégélo-marxiste n'aura pas lieu
L'homme n'est pas chez soi ni dans le monde ni dans l'universel et pas plus dans l'Etat de droit. Bien que notre situation historique soit celle de la conscience de soi de l'humanité nous promettant une fin de l'histoire radieuse, c'est surtout la conscience du négatif de notre industrie et sans que cette conscience de soi globale arrive à une grande effectivité. Cette ineffectivité est notre actualité, dont il faut prendre conscience pour en tenir compte, non pour rêver la supprimer. Les grandes conférences internationales et la prise de conscience climatique ne sont pas rien mais elles rendent manifeste l'insuffisance des mesures prises et les limitations d'un pouvoir politique qui ne va guère au-delà, comme en économie, d'une gouvernance à vue. On est loin d'un Homme créateur du monde à son image, de l'idée qui donne forme à la réalité et commande au réel alors qu'on court plutôt après, en se contentant de colmater les brèches la plupart du temps. Ce dont il faut prendre conscience, c'est qu'il ne saurait en être autrement. L'existence est l'expérience de cette scission de la pensée et de l'être, du vouloir et du possible (du moi et du non-moi).

L'Etat universel en formation changera certainement la donne (après un conflit majeur?) mais il n'aura pas la toute-puissance totalitaire qu'on lui prête, plus proche de la commission européenne sans doute. Comme nous, dans nos vies, comme tout pouvoir, l'Etat universel devra prendre conscience de ses limitations, d'un devoir-être qui se cogne à un réel qui lui résiste, à l'extériorité du monde où le nécessaire n'est pas toujours possible pour autant. Le réel ne disparaît pas dans l'Etat, même s'il n'a plus d'extérieur étatique. S'il y a une compréhension ultime du monde, la vérité de la nature et de l'existence, c'est celle de la contradiction, du conflit et de la division qui règnent sur toutes choses. En reconnaître la nécessité ne peut en annuler la douleur dans une réconciliation finale alors que c'est tout au contraire notre juste révolte contre l'ordre établi qu'il faut affirmer, et aucun amor fati célébrant ce monde inégalitaire, aucune appartenance mystique à l'Être ou béatitude d'une connaissance du troisième genre qui nous ferait prendre le point de vue de Dieu pour justifier l'injustifiable.

Ce n'est pas parce que nous sommes un produit du monde que ce serait pour autant notre monde, ce n'est pas parce que ce serait le meilleur des mondes possibles - car le seul réel - que nous pourrions nous en satisfaire et nous y sentir chez nous. En fait, la contradiction entre ce réel et nos idéaux rend plutôt difficile à comprendre qu'on puisse y être heureux. Certes, la nature est généreuse, nous procurant de quoi nous réjouir de très peu parfois, des bonheurs petits ou grands, en proportion de nos malheurs ordinairement. On peut goûter aussi des jouissances transgressives mais pourtant, dans son fond, l'être parlant, l'homme de culture vit la contradiction de sa nature avec l'universel, c'est une conscience malheureuse et inquiète même si elle connaît des moments intenses de satisfaction et de victoire. Qu'on cherche à dépasser cette contradiction est la prétention de toutes les sagesses, philosophies, mystiques, jusqu'à la promesse de fin de l'histoire de Hegel et Marx, mais la seule sagesse serait au contraire de reconnaître cette contradiction comme irréductible, affirmation d'un matérialisme dialectique et du dualisme matière/esprit ne s'unifiant que dans la pratique.

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Revue des sciences mai 2018

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Pour la Science

Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

Une des nouvelles les plus encourageantes, c'est une combinaison Algues, Bioénergie, Capture du C02 et Stockage qui serait capable de réduire le CO2 tout en nourrissant les populations. La découverte par hasard d'une enzyme dévoreuse de plastique suscite aussi pas mal d'espoirs (peut-être mal placés). Une autre nouvelle potentiellement très importante, c'est une possible baisse de la vente des smartphones qui annoncerait une saturation du marché ? Par contre un nouveau risque majeur inattendu viendrait de l'utilisation de l'IA par les militaires qui pourraient du coup déclencher plus facilement une guerre nucléaire, à ce qu'il paraît. De plus la surveillance s'intensifie, jusqu'à espionner l'état émotionnel des travailleurs. Le fait d'arriver à maintenir vivants des cerveaux (de cochons pour l'instant) en dehors du corps est aussi une nouvelle assez troublante. Plus amusant, l'hypothèse que des extraterrestres ne pourraient pas décoller de leurs planètes trop grosses ! et l'incroyable capacité des Amazoniens d'imiter leur langage avec leurs tambours...

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Philosophie et psychanalyse (Sartre et Lacan)

Temps de lecture : 23 minutes

Dans la lignée de mon texte précédent, il s'agit de défaire la totalisation hégélienne qui va de l'existence individuelle à l'histoire, non pour réduire à rien la dialectique, qui reste si éclairante en de nombreuses occasions, mais pour montrer comme les différentes dimensions ont leur autonomie et leur propre logique, ne pouvant s'unifier en dépit des penchants totalitaires de la pensée, ce qu'ont pu confirmer encore les tentatives calamiteuses de traduction politique de l'existentialisme.

Il n'y a pas continuité de la subjectivité (singulière) aux sciences (universelles) ni au politique (particulier). La raison, qu'elle soit logique, calculante, technique ou cognitive, a incontestablement de larges domaines de pertinence mais à vouloir tout recouvrir de son scientisme, on s'aperçoit qu'elle efface ce qui nous distingue des machines, la part irrationnelle de l'âme dont on peut soutenir qu'elle constitue notre humanité au moins autant que la part rationnelle ("Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point"). Contre la simple identification d'Homo sapiens à un animal rationnel et à la conscience de soi, il faudrait admettre que nous sommes surtout des êtres parlants pris dans des récits familiaux et des croyances collectives, que nous sommes tout autant des Homo demens et que ce n'est pas un détail négligeable. En dehors de capacités techniques impersonnelles, notre humanité se manifeste en effet d'abord par ses mythes et religions (qui sont des histoires à dormir debout), comme au niveau individuel par la folie, le rêve, le fantasme, l'amour, le désir, les symptômes, actes manqués, etc., toutes choses dont les robots et intelligences artificielles sont complètement dépourvus, même à les doter de capacités émotionnelles. Ce sont paradoxalement les épreuves de la vie, nos traumatismes et blessures narcissiques, nos fragilités, nos défauts, nos bizarreries qui nous donnent une profondeur humaine, voire quelques talents spéciaux. La rationalité philosophique se trouve ainsi forcée de reconnaître son dehors et l'opacité à soi-même, tout comme la politique doit renoncer à forger un homme nouveau entièrement rationnel et le cognitivisme ou l'Intelligence Artificielle revoir leur conception de la conscience.

Après avoir montré la séparation de la pensée et de l'être, avec notamment l'autonomie de l'évolution cognitive et technique par rapport au politique, c'est donc l'autonomie de l'inconscient qu'on va mettre en lumière, ce qui oppose la philosophie à l'autre scène, celle de la psychanalyse, de l'incidence du langage et de notre enfance sur nos existences, au-delà de nos projets conscients et de tout souci cognitif puisqu'on est ici plutôt dans le refus de savoir, où la résistance est à la mesure de la vérité qui blesse. La démarche philosophique, y compris sous la forme d'une psychanalyse existentielle, se trouve ainsi débordée par l'évolution technique d'un côté, et par l'inconscient de l'autre, le véritable monde de la subjectivité et du récit de soi, qui se distingue radicalement de celui de l'économie ou du cognitif.

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Hegel et les extraterrestres

Temps de lecture : 18 minutes

A l'exemple de Kant dans son "Idée d'une histoire universelle", on va se servir ici des extraterrestres pour dépasser l'humanité comme espèce et l'universaliser, mais aussi pour insister sur la séparation de la pensée et de l'être, de l'Esprit et de la Nature qu'on ne peut unir qu'en reconnaissant leur contradiction. Dépasser cette contradiction n'est pas l'annuler comme on le croit trop souvent, mais implique une certaine négation de l'Esprit, science soumise à la discipline de l'expérience, à la Nature donc, à l'extériorité ainsi intériorisée (plus qu'intentionalité extériorisée).

S'il apparaît nécessaire, depuis Marx, de renverser l'idéalisme hégélien au profit de déterminations plus matérielles, on peut dire, comme l'avait d'ailleurs bien vu Lénine, que Hegel avait opéré lui-même ce renversement à la fin de sa Logique qui s'achève par "l'idée pratique", idée qui n'est plus abstraite mais part du possible actuel, "fait face au réel effectif en tant que réel effectif", et se comprend comme nécessité, où le subjectif renonce à son arbitraire et sa particularité pour s'unir à l'objectif. Il reste malgré tout chez Hegel (et ceux qui s'en réclament) un primat de la causalité logique et spirituelle à laquelle on doit opposer la prépondérance des causalités matérielles, ainsi que la temporalité de l'après-coup à la place du projet initial ou de l'incarnation d'un logos (jouissance divine supposée à la fin de l'Encyclopédie!).

Il reste aussi chez lui une certaine identification de l'Esprit à l'Homme, qu'on peut dire inévitable à son époque mais qui a pour conséquence de biologiser l'Esprit en quelque sorte. Or, le simple fait que des scientifiques se soient mis à la recherche de signes d'une civilisation extraterrestre suffit à faire vaciller une identité humaine biologisante (sans parler de l'Intelligence Artificielle et des Transhumanistes). Cela relativise aussi notre rôle dans l'histoire. L'existence hypothétique de civilisations extraterrestres implique en effet une vision de l'évolution cognitive largement indépendante de nous et de notre espèce. C'est tout-à-fait conforme à la conception hégélienne d'une action souterraine de la raison dans l'histoire, en dépit des passions humaines, mais la supposition d'autres civilisations technologiques renforce l'autonomie de l'histoire et de l'Esprit au détriment de la liberté de l'Homme - qui n'en est plus qu'un agent quelconque.

Une conception cosmologique de l'évolution cognitive, avec des lois scientifiques identiques dans tout l'univers, constitue un nouveau progrès dans l'universalité. Du coup, c'est l'Esprit qui apparaît d'abord radicalement indépendant de la Nature et purement nécessaire en soi, progrès scientifique et processus de civilisation. Mais si la Nature semble l'inessentiel dans ses particularités planétaires par rapport à la logique ou la physique, en même temps, cet Esprit apparaît comme le résultat nécessaire de l'évolution naturelle et de la sélection par le résultat, restant dès lors un degré de la Nature malgré tout, soumis à l'urgence (histoire subie et non conçue). Cet "Esprit vivant", qui agit dans le monde, reconstitue certes l'unité du concept et du réel mais pas sans leur douloureuse contradiction, Esprit qui se cogne à une Nature qui lui résiste et sur laquelle il doit se régler dans la pratique.

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Revue des sciences avril 2018

Temps de lecture : 91 minutes


Pour la Science

Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

J'ai été très intéressé par la théorie de l'évolution d'Éric Bapteste insistant sur les interrelations et le collectif qu'il définit comme "des handicapés qui s'épaulent" ! Encore une fois notre préhistoire est réécrite gommant un peu plus la différence entre Sapiens et Néandertal, témoignant surtout de notre manque de données. La mort de Hawking est l'occasion de parler de la théorie du multivers. On apprend que l'éventualité rejetée jusqu'ici d'utiliser des bombes atomiques pour détourner un astéroïde est désormais envisagée sérieusement. On s'approche sinon du point de non-retour pour la biodiversité ou la déforestation, en désespoir de cause on pourrait essayer d'empêcher les glaces des pôles de fondre ou protéger les coraux du soleil. Déjà, des Chinois veulent faire tomber la pluie au Tibet avec des cheminées qui répandent de l'iodure d'argent, risquant d'assécher d'autres contrées. A côté de cela, la production d'électricité à partir des variations de température semble très anecdotique mais les tentatives de produire de l'électricité à partir de la chaleur ambiante se multiplient. Alors que l'Intelligence Artificielle occupe le devant de la scène, on pourrait l'utiliser en combinaison avec la blockchain pour contrôler nos appareils numériques par la pensée. Plus inquiétant, de façon très prématurée, il est déjà proposé de conserver son cerveau sous forme numérique en figeant ses synapses afin de pouvoir les enregistrer numériquement dans un avenir hypothétique...

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L’effondrement à venir

Temps de lecture : 9 minutes

Objectivement, ce qui devrait le plus nous préoccuper, c'est bien le risque d'effondrement écologique, de préserver nos conditions de vie et les richesses naturelles. Encore faut-il ne pas se tromper d'effondrement, ce qui ne fait qu'encourager la confusion. Il ne suffit pas de faire un concours d'exagérations au prétexte qu'un effondrement doit inévitablement se produire ! Les prophéties de fin du monde pour l'année prochaine à midi sont une vieille histoire.

On doit bien avouer qu'il n'est pas si facile d'évaluer les risques réels et de les hiérarchiser. La méthode scientifique peut seule nous y aider même si elle ne garantit aucune vérité, se contredisant sans cesse. Ce n'est pas en tout cas une question de convictions personnelles. On a besoin de travaux sérieux et de débats scientifiques, sur le modèle du GIEC pour les risques climatiques. Le rapport de Rome sur les limites de la croissance était un pas dans ce sens mais notre situation a beaucoup changé depuis 1972, les risques principaux n'étant plus tant un épuisement des ressources que le réchauffement climatique et l'effondrement de la biodiversité. Cet effondrement était trop négligé jusqu'ici mais "L'Appel des scientifiques pour le climat" alertant sur l'état catastrophique de la planète, lancé par des écologues et signé par plus de 15.000 scientifiques, met cette fois en avant la perte de la biodiversité et la déforestation en plus de la pollution et du réchauffement.

La prise de conscience de ces risques imminents est d'autant plus importante que nous sommes dans une des phases les plus dangereuses de l'humanité qui continue à croître de façon accélérée (en Afrique surtout maintenant) avant d'atteindre, dans quelques dizaines d'années sans doute, le pic de tout (population, consommation). La démographie pèse effectivement de tout son poids comme ils y insistent, mais bien plus encore le développement des pays les plus peuplés.

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Les causes matérielles : écologie, économie, technique

Temps de lecture : 11 minutes

Depuis l'enthousiasme suscité par la Révolution Française, la conviction que c'est "l'Homme" qui fait l'histoire est profondément ancrée en nous, il est même très mal vu de prétendre le contraire. Notre destin est du coup l'enjeu de luttes sanglantes entre différentes visions de la société, différentes valeurs, différentes croyances. Si le sort du monde est entre nos mains et que ce ne serait qu'une question de volonté, il n'y a pas à lésiner sur les moyens, en effet. L'expérience est pourtant que ce volontarisme non seulement n'atteint pas son but mais qu'il mène au pire notamment dans la répression de ses oppositions et l'acharnement dans la négation d'un réel qui lui résiste.

La politique constitue une grande part de nos problèmes plus que des solutions qu'elle pourrait apporter. Ce règne du discours et des grandes généralités favorise les surenchères et les promesses intenables. La première chose serait de faire descendre la politique de son piédestal et ne plus idéaliser une démocratie toujours gangrenée par les ambitions, la corruption, la manipulation, l'ignorance ou les passions. La critique de la politique est le préalable pour ne pas trop en attendre et reconnaître que les déterminations ne sont pas idéologiques mais largement matérielles, la part de l'idéologie étant de nous rendre aveugles à ces contraintes, de nous enferrer dans l'erreur en surestimant notre pouvoir et nos moyens de créer un monde à notre image. Car, bien sûr, à l'évidence ce monde est inacceptable, ce n'est pas notre monde, il y a disjonction entre la pensée et l'être, mais si changer le monde serait bien nécessaire, cela ne signifie pas que ce soit possible.

Cette critique de la politique par les écologistes est d'autant plus urgente que nous avons absolument besoin de politiques publiques, mais des politiques réalistes, ayant assez d'humilité pour coller au réel et se remettre en cause. Il faudrait surtout revaloriser l'action locale trop délaissée par rapport aux grandes mesures étatiques et rêves de grands chambardements. L'idéalisme des intellectuels ne nous sera d'aucun secours, leurs appels tonitruants, leurs subtilités argumentatives, leurs déconstructions voulant nous persuader après tant de prophètes que l'impossible devient enfin possible, que ce n'est qu'une question de représentation, d'une vérité alternative. Au lieu de croire à la conversion de l'humanité entière à une autre vie et des valeurs plus hautes (toujours espérée, toujours déçue), ce sont les contraintes matérielles effectives qu'il nous faut prendre en compte ainsi que le peu de moyens que nous avons d'y intervenir. Plutôt qu'une bataille des idées, ce sont nos actions locales qui peuvent convaincre et se multiplier. Tous les extrémistes ne font qu'ajouter à notre impuissance quand on a besoin de militants résolus, pas de donneurs de leçons. Pour l'écologie, ne pas se préoccuper de l'efficacité de nos actions ou la surévaluer, c'est être irresponsable et participer au désastre.

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Chansons actuelles

Temps de lecture : 2 minutes

Ce ne sont pas ceux qu'on entend partout mais sûrement plus actuels, la chanson politisée dans ce qu'elle a de meilleur musicalement (HK & les Saltimbanks mais aussi toute la bande Zoufris Maracas, La Caravane Passe, Soviet Suprem).

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Revue des sciences mars 2018

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Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

Les nouvelles les plus importantes (et controversées) sont encore celles de notre préhistoire, notamment des peintures attribuées à Néandertal. En physique, la découverte d'un possible signal des premières étoiles fait grand bruit mais demande à être confirmée et une étude montre qu'on pourrait avec un seul photon envoyer en même temps une information au récepteur et à l'émetteur ! Du côté des biotechnologies, on est plus désormais dans la continuité, même si on se fait difficilement à des chimères hommes-animaux comme à la transplantation aux malades d'un organe animal. Ce n'est pas vraiment une surprise que l'édition de gènes CRISPR devienne l'outil à tout faire (pour enregistrer, détecter, éliminer). Les biotechnologies et leur rapprochement du numérique (la convergence NBIC) sont bien lancés pour longtemps et nous entraînent on ne sait où, nous exposant à de nouveaux risques (bioterrorisme, surveillance généralisée, etc). Le progrès fait rage mais n'est plus aussi inattendu. L'urgence reste de faire face d'abord aux crises climatiques et de la biodiversité, mal engagées encore malgré la transition énergétique en cours. Si nous passons le cap, ce qui n'est pas gagné, on pourrait atteindre dans quelques dizaines d'années seulement le "pic de tout", pic de population mais aussi pic de l'équipement et des consommations de matière grâce à la numérisation et aux nanotechnologies. Pour l'instant, alors que les premiers drones-taxis fantasmés depuis si longtemps prennent leur envol et que les robots (qui intègrent capacité d'abstraction et de deviner nos pensées) arrivent tout juste, on en est encore au développement des pays les plus peuplés...

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Le nazi Heidegger, de l’existence à l’Être comme patrie

Temps de lecture : 30 minutes

La lettre sur l'humanisme (1946)
Revenir sur Heidegger peut paraître excessif à certains - son nazisme le disqualifiant définitivement. Ainsi, pour Emmanuel Faye, il n'y aurait rien à sauver de son oeuvre qui ne relèverait que de l'esbroufe, voire du camouflage, et pas de la philosophie. C'est une double erreur car si son nazisme avait effectivement des fondements philosophiques, ils continuent à travailler notre époque et n'ont pas été assez pris au sérieux. L'influence de Heidegger se fait sentir notamment dans la critique de la technique et une certaine écologie qu'on peut dire religion de la nature. Il y a une véritable nécessité à en déconstruire les présupposés.

Cette entreprise de dénazification met surtout en lumière tous les dangers de se réclamer d'une essence humaine survalorisée dont on pourrait priver les autres, pauvres aliénés. Xénophobie, racisme et sexisme sont l'envers de tous les discours identitaires sous leurs airs les plus avenants. Cela ne les empêche pas de prospérer car ils répondent à une incontestable demande. Ces dangers sont plus globalement ceux de tout idéalisme voulant se persuader d'une détermination du monde par l'idée (métaphysique ou religion), au lieu de nécessités extérieures impérieuses. Du coup, ils ne craignent rien tant qu'un effondrement subjectif et la perte de notre si précieuse essence attachée à l'idéal. Cette construction d'une identité humaine, toujours menacée, a besoin de se fonder sur un récit mythique avec une origine unique, continue et créatrice. A ces mythes primitifs de fondation, célébrant nos ancêtres, il faut opposer notre réalité historique d'une détermination par le milieu qui nous forme et nous change, ballotés par l'histoire, plus que ses acteurs, et dont nous devons encore apprendre de dures leçons.

Cependant, en dépit de cette attaque frontale qui ne se dérobe pas contre des tendances agissant dans la société actuelle, l'autre erreur serait de feindre d'ignorer l'événement qu'a été Être et Temps, ce qu'on a pu y reconnaître de nous-mêmes, devenu inoubliable - tout en refusant l'incroyable glissement qui s'opère à la fin (§74), et plus encore après, de la découverte de l'existence à l'Être comme patrie et plus précisément comme Être allemand - qu'il exaltera jusqu'au bout, où la découverte de notre singularité et notre étrangeté au monde débouche sur l'appartenance à un peuple comme à sa terre et l'adhésion aveugle au parti, nouvel exemple d'une philosophie faite pour refouler la séparation sous une prétendue réconciliation finale qui la suture.

J'ai donc trouvé utile de citer l'extrait de la lettre sur l'humanisme où Heidegger argumente justement ce passage d'une ontologie existentielle - description de notre ouverture au monde qui nous met en cause dans notre être - se tournant ensuite vers l'extériorité de l'Être - comme origine et devenir historique - pour aboutir de façon si décevante à l'identifier à la patrie - qu'il tente certes de dénationaliser mais où se retrouve quand même l'expérience de la guerre à l'origine de sa philosophie de l'existence, et ce qui avait justifié très concrètement son engagement nazi.

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Revue des sciences février 2018

Temps de lecture : 7 minutes

Pour la Science

Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

Il y a au moins une découverte stupéfiante, c'est qu'on puisse produire de l'énergie avec la chaleur de façon inépuisable en utilisant l'agitation des atomes, contredisant ainsi les bases de la thermodynamique - ce n'est pas rien ! Une interprétation réaliste de la fonction d'onde serait aussi bouleversante si elle s'imposait et de nouvelles hypothèses sur la mémoire et les synapses révèlent à quel point notre ignorance est grande encore sur le plus fondamental. Qu'on soit entré dans l'ère de l'Intelligence Artificielle et des neurosciences veut surtout dire qu'on n'en est qu'au tout début et qu'on a beaucoup à découvrir dans ces domaines, qui restent très limités pour l'instant mais se développent rapidement. On doit bien admettre qu'à force de nous annoncer de nouveaux élixirs de jouvence, mois après mois, on finira bien par y arriver un jour. De même, le clonage de macaques ne signifie pas qu'on va pouvoir cloner des humains dans la foulée, mais il est tout aussi certain que cela se fera un jour - tout comme la colonisation de Mars où il y aurait des montagnes d'eau, même si ce n'est pas aussi précipité qu'Elon Musk le voudrait. Sur le climat c'est de plus en plus catastrophique mais il y a quand même la bonne nouvelle que le méthane marin n'atteindrait pas l'atmosphère et qu'on pourrait utiliser des bactéries pour capter le CO2. On nous promet sinon une lévitation acoustique, mais c'est à voir, alors qu'un étonnant Segway aérien pourrait bien devenir le premier transport personnel aérien...

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La légalisation du cannabis est inévitable

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On se moque souvent d'autres pays qu'on trouve arriérés au regard de notre civilisation des lumières, celles de la raison et de la liberté, alors que la France est à la traîne pour reconnaître la nécessité de sortir de la prohibition d'une drogue commune beaucoup moins nocive que l'alcool, et qui soigne de nombreux maux ! On peut dire que, malgré leur expérience des ravages de la prohibition de l'alcool, les Américains ont mis bien du temps aussi depuis les années 1970 pour mettre fin à une hypocrisie qui nourrit le crime, remplit les prisons et qui a ravagé le Mexique.

Une fois le mouvement entamé, il est cependant devenu irréversible et ne pourra que s'étendre devant l'échec complet, là aussi, d'un volontarisme répressif avec tous ses effets pervers trop minimisés, notamment sur les jeunes et les banlieues.

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L’écologie dans la globalisation

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Nous ne sommes plus du tout dans la situation des premiers théoriciens écologistes car depuis la situation n'a fait que s'aggraver en même temps que l'écologie politique a perdu tout crédit. Toute la pensée écologiste doit se mettre à jour car nous n'avons plus de temps devant nous et il n'est plus possible de compter sur un changement de système global - qui aurait été si nécessaire pourtant. En rajouter dans le catastrophisme ne change rien, aussi incompréhensible cela puisse nous paraître ! Le pire n'est d'ailleurs pas toujours aussi certain qu'on peut le craindre (il faut se fier pour cela aux études scientifiques). Ce qui est sûr, c'est qu'il y a des enjeux vitaux et qu'ils nous obligent à un constat lucide sur la situation planétaire et, donc aussi, à ne plus surestimer nos moyens d'y apporter des solutions. La naïveté est sur ce point désarmante alors que la politique, hélas, ne fait pas toujours preuve d'intelligence collective, c'est le moins qu'on puisse dire, et constitue plutôt une grande part du problème. Il ne faudrait pas que les écologistes ne fassent qu'en rajouter, et aggraver encore notre impuissance en continuant à rêver vainement d'utopies globales réglant magiquement tous les problèmes, au lieu de prendre la réalité locale à bras le corps.

Il n'est plus un secret pour personne (sauf pour les militants souvent!) que les anciennes idéologies sont bien mortes malgré tous les efforts pour les réanimer. Elles ont fait l'expérience de l'échec du volontarisme à imposer sa conception du monde comme à sortir d'une histoire subie. Beaucoup se refusent encore à accepter que nous ne soyons pas maîtres de notre avenir mais le comprendre nous engage à faire de la prospective plutôt que de construire de nouvelles utopies. L'évolution technologique a balayé le vieux monde et, à l'ère de l'information ou du numérique ou de l'intelligence artificielle, ce qu'il faut penser, c'est une nouvelle écologie politique, mais, on le sait, le frein principal à tout changement de paradigme, c'est une considérable inertie idéologique et sociale dont il faut bien tenir compte et qui affecte tout autant un écologisme qui reste ancré dans la période post-soixantehuitarde, pourtant si différente d'aujourd'hui.

Une des différences principales, c'est ce qu'on appelle la globalisation marchande et qui résulte de la faillite de l'économie collectiviste étatique. La fin des économies fermées ouvre un Nouvel Ordre Mondial de concurrence généralisée et de multinationales, où (comme le disait déjà Marx) "le bon marché des marchandises est la grosse artillerie qui abat toutes les murailles de Chine" - Chine dont la croissance s'emballe depuis qu'elle s'est convertie à une économie capitaliste bien plus productiviste, et qui s'étend aussi aux autres pays les plus peuplés de la planète - à l'exact opposé de ce que préconisaient les écologistes.

Ce n'est pas cependant la seule globalisation, qu'on ne peut réduire au capitalisme qui n'en est qu'un élément. Avec les réseaux numériques et l'intensification, qu'on peut déplorer, des transports intercontinentaux, il faut admettre que l'unification du monde est bien matérielle et que rien ne semble pouvoir l'arrêter, du terrorisme aux épidémies et migrations. Pendant ce temps la température n'arrête pas de monter mais cette globalisation marchande étant aussi la globalisation des risques écologiques et climatiques, elle suscite la constitution d'une conscience globale qui définit l'écologie politique comme responsabilité collective du négatif de notre industrie. Il s'agit bien d'avertir des catastrophes à venir, ce qui est favorisé par les réseaux numériques. Ceux-ci sont un facteur technique déterminant de l'unification planétaire et de la disparition des frontières, empêchant tout retour en arrière. Il ne faut pas prêter pour autant à cette conscience globale émergente le pouvoir de reconfigurer le monde. Cette conscience de soi collective doit aussi être conscience des limites du politique, sinon elle ne sert à rien. Elle peut du moins pousser à prendre les mesures les plus urgentes. A ce niveau les ONG sont précieuses à condition de ne pas trop en attendre. Ce n'est pas de là que viendra une alternative.

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Revue des sciences janvier 2018

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Pour la Science

Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

Rien d'extraordinaire pour inaugurer ce qui sera la dernière année de cette revue où je fais depuis 12 ans le tour d'horizon du mois écoulé. Il y a quand même de quoi prolonger nos réflexions sur la conscience et le langage, ou bien se questionner sur l'avenir de la réalité augmentée qui pourrait remplacer nos écrans. On trouvera aussi quelques nouvelles étonnantes (un dinosaure à l'allure de cygne ou une nouvelle informatique réversible à base des vallées électroniques, etc.) mais ce sont les mauvaises nouvelles du climat qui dominent encore. Sinon, même les bienfaits attendus de l'édition de gènes sont contrebalancés par les risques de la technique. De même, un traitement antiviral à base de nanoparticules d'or pourrait bien nous débarrasser de presque tous les virus, ce qui n'est pas forcément aussi positif qu'il y paraît, les rhumes par exemple s'attaquant préférentiellement aux cellules cancéreuses. Il est assez troublant enfin de savoir qu'on va réanimer des morts (leur coeur) afin de pouvoir en prélever des organes...

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Le nihilisme de Nietzsche

Temps de lecture : 20 minutes

J'ai toujours trouvé le comble du paradoxe les libertaires se réclamant de Nietzsche, l'expurgeant de tout ce qui a mené les Nazis à s'en réclamer, ce qui n'est quand même pas rien. On peut toujours dire que les penseurs ne sont pas responsables de leurs partisans ni des conséquences de leur pensée, mais c'est un peu léger, tout comme ceux qui ne veulent pas penser le rapport de la philosophie de Heidegger au nazisme, ce qui est encore plus incroyable. Il ne s'agit pas de s'ériger en procureur et renvoyer leurs oeuvres au néant, comme le font trop de critiques superficielles, mais au contraire de relier profondément ce qu'elles peuvent avoir de séduction mais aussi de vérité, tout est là, avec leurs conséquences désastreuses. C'est la même chose pour Marx. On a beau répéter que les régimes marxistes n'avaient rien à voir avec Marx, il y a forcément un rapport, et au lieu de croire pouvoir choisir ce qu'on accepte ou non, il faut comprendre la logique menant à l'inacceptable. En fait, ce que les errements politiques des philosophes depuis Platon illustrent, c'est non seulement qu'ils ne valent pas mieux que les autres sur ce plan mais, pire, que le Bien est l'origine du Mal souvent, comme la folie est un excès de logique. Non seulement la philosophie promet plus qu'elle ne peut tenir mais souvent elle égare tout autant que les religions, que ce soit sur sa prétendue sagesse ou sur la liberté.

On comprend bien ce que Nietzsche peut avoir de séduisant, surtout pour des adolescents qui doivent s'affirmer. D'abord, il est simple (simpliste) et c'est incontestablement un grand écrivain qui nous communique son exaltation en nous encourageant à prendre notre indépendance et renverser les idoles. Sortir de la religion pour un fils de pasteur, ce n'est pas rien (et le poussera vers la paranoïa). Cela en fait donc le philosophe de la mort de Dieu, de son absence et de valeurs ayant ainsi perdu leur fondement, nécessité de s'inventer de nouveaux principes de vie. C'est cette réitération du moment sceptique, réveil du sommeil dogmatique, réaffirmation de l'ignorance, réactivation du doute, qui en fait l'importance dans l'histoire de la philosophie. Si Dieu est mort tout est permis, s'imaginent les croyants, alors qu'il montre que cela nous rend surtout responsables de nos valeurs et de nos vies.

Pas étonnant jusque là que les libertaires y voient un allié mais son erreur est d'en faire un enjeu individuel - il n'y aurait pas d'autre fondement que Dieu ou l'individu - ce qui fait que ça se complique ensuite avec un snobisme élitiste assez ridicule, et qui commence avec l'extraordinaire retournement voulant faire de la morale la dictature des faibles et des dominés alors qu'elle est plutôt au service des propriétaires et des dominants ! Ils nous le répètent sans cesse, les riches sont persécutés par les pauvres ! Derrière une salutaire critique de l'hypocrisie morale et de l'insupportable moraline (critique initiée par les "moralistes français" comme La Rochefoucauld), il y a quand même là de quoi justifier, comme jamais depuis Aristote, inégalités et domination, même déguisées en méritocratie et dépassement de soi. De plus, cette dénonciation d'une morale trompeuse la réduit abusivement à ce qui nous empêcherait de jouir et bride notre instinct ou volonté de puissance.

L'amusant, c'est de constater que son rejet de l'idéal et de la morale ne fera qu'aboutir à un autre idéal, une autre morale négatrice. En effet, derrière la dévalorisation de toutes les valeurs dont il est l'aboutissement, le nihilisme se dévoilait comme la négation de la vie au nom de l'idéal (platonicien) ou de valeurs supérieures, comme si elles n'étaient qu'un obstacle à une affirmation positive de la vie, à laquelle il suffirait de laisser libre cours. C'est bien sûr une illusion dogmatique, et, l'inversion des valeurs au profit de la vie ne se résumera finalement qu'à tout réduire à des valeurs (qui valent pour la volonté - de puissance) et n'en garder que la supériorité, l'effort pour se dépasser qui ne prend sens qu'à pouvoir regarder les autres de haut. Du coup, il ne fait que répéter la promesse du crucifié (auquel il s'identifie à la fin) en reconstituant un idéal de vie héroïque qui transfigurerait l'existence, ce qui dévalorise tout autant la vraie vie, vie quotidienne renvoyée au néant, dans un nihilisme encore plus radical sous ses apparences hédonistes d'une vie débordante (d'ailleurs un fragment de 1887 le confirme : "Je n’ai osé que récemment m’avouer qu’au fond, j’ai toujours été nihiliste"). On peut opposer à cet idéal héroïque inatteignable, la simple beauté du geste quotidien, dans son humanité, qui suffit à donner sens et valeur à nos vies.

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Rock N’ Roll Is Dead

Temps de lecture : 5 minutes

Le rock a été un moment important de notre histoire, un peu comme le romantisme par exemple, porteur de valeurs dont certaines restent à défendre - pas toutes - et qui ne sont justement pas celles du pouvoir, ce pourquoi on peut s'amuser de le voir ainsi célébré. S'il faut enterrer cette époque révolue avec ses derniers survivants, cela ne peut se faire sans en prononcer l'éloge funèbre.

En effet, tous les discours officiels nous invitent inévitablement à l'optimisme et à être contents de nous, célébrant la réussite (de l'école à l'entreprise). Cet utilitarisme assumé de la pensée positive contamine tous les aspects de la vie, mis au service de la santé du corps comme d'un supposé épanouissement professionnel avant la satisfaction d'une vieillesse sereine. Rien de plus raisonnable, sans doute. C'est bien de cette façon que cela devrait de passer s'il n'y avait un hic, un réel qui dément cette belle harmonie où il n'y aurait que des gagnants. Mais, pour la bienveillance du pouvoir, ce serait de leur faute si les pauvres sont au chômage ou se tuent à la tâche ! Dans ce beau monde bien ordonné, il se trouve malheureusement des inadaptés sociaux, des poètes, des idéalistes qui ne rentrent pas dans les cases et ne jouent pas le jeu. Nul doute qu'aux yeux du pouvoir auquel ils échappent, ces marginaux sont des erreurs de la nature dont la société doit se protéger, sinon rectifier leur génome déficient. J'ai bien peur hélas d'être de ces inadaptés ayant horreur de l'hygiénisme. C'est incontestablement un mode d'existence qui n'est pas généralisable. Je ne suis pas le seul pourtant, et pour ceux-là qui ne suivent pas la norme, le rock a pu être un moyen d'affirmation et d'appartenance.

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Revue des sciences décembre 2017

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Pour la Science

La Recherche

Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

Tous les mois ne sont pas aussi riches, avec notamment pas mal d'éléments complétant notre réflexion sur le langage et le discours intérieur, mais aussi de possibles bombes à quarks, une nouvelle unification des forces, une théorie du vide qui réfuterait énergie noire et matière noire, un mystérieux visiteur venu d'autres étoiles, la possibilité que des tardigrades soient arrivés sur Terre dans un nuage cosmique venant d'autres planètes, de nouvelles bases de l'ADN produisant des protéines artificielles. Il n'y a pas que l'IA qui progresse rapidement et trouble notre identité mais aussi la manipulation du cerveau, et un pas de plus a été fait vers le projet fou d'une transplantation de tête d'un humain. Plus anecdotique, les robots sexuels pourraient faire des petits robots mêlant nos caractéristiques génétiques à celles du robot ! La crainte des robots est surtout qu'ils nous mettent au chômage mais si des métiers vont bien disparaître, on verra qu'il devrait y avoir de nombreux nouveaux emplois à venir, même si la reconversion ne devrait pas être facile. L'état de la planète est toujours inquiétant mais il est vraiment difficile de mesurer à quel point avec d'un côté le risque de brusque effondrement, de la biodiversité notamment, ou de l'emballement de la bombe méthane, et de l'autre, le fait que l'espérance de vie continue d'augmenter et que malgré un retard à l'allumage, les mesures se multiplient pour la transition énergétique (sans parler des voitures autonomes) ainsi que les procédés de capture du CO2. Ce n'est pas gagné mais pas encore perdu, toujours sur le fil...

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