L’écologie dans la globalisation

Temps de lecture : 14 minutes

Nous ne sommes plus du tout dans la situation des premiers théoriciens écologistes car depuis la situation n'a fait que s'aggraver en même temps que l'écologie politique a perdu tout crédit. Toute la pensée écologiste doit se mettre à jour car nous n'avons plus de temps devant nous et il n'est plus possible de compter sur un changement de système global - qui aurait été si nécessaire pourtant. En rajouter dans le catastrophisme ne change rien, aussi incompréhensible cela puisse nous paraître ! Le pire n'est d'ailleurs pas toujours aussi certain qu'on peut le craindre (il faut se fier pour cela aux études scientifiques). Ce qui est sûr, c'est qu'il y a des enjeux vitaux et qu'ils nous obligent à un constat lucide sur la situation planétaire et, donc aussi, à ne plus surestimer nos moyens d'y apporter des solutions. La naïveté est sur ce point désarmante alors que la politique, hélas, ne fait pas toujours preuve d'intelligence collective, c'est le moins qu'on puisse dire, et constitue plutôt une grande part du problème. Il ne faudrait pas que les écologistes ne fassent qu'en rajouter, et aggraver encore notre impuissance en continuant à rêver vainement d'utopies globales réglant magiquement tous les problèmes, au lieu de prendre la réalité locale à bras le corps.

Il n'est plus un secret pour personne (sauf pour les militants souvent!) que les anciennes idéologies sont bien mortes malgré tous les efforts pour les réanimer. Elles ont fait l'expérience de l'échec du volontarisme à imposer sa conception du monde comme à sortir d'une histoire subie. Beaucoup se refusent encore à accepter que nous ne soyons pas maîtres de notre avenir mais le comprendre nous engage à faire de la prospective plutôt que de construire de nouvelles utopies. L'évolution technologique a balayé le vieux monde et, à l'ère de l'information ou du numérique ou de l'intelligence artificielle, ce qu'il faut penser, c'est une nouvelle écologie politique, mais, on le sait, le frein principal à tout changement de paradigme, c'est une considérable inertie idéologique et sociale dont il faut bien tenir compte et qui affecte tout autant un écologisme qui reste ancré dans la période post-soixantehuitarde, pourtant si différente d'aujourd'hui.

Une des différences principales, c'est ce qu'on appelle la globalisation marchande et qui résulte de la faillite de l'économie collectiviste étatique. La fin des économies fermées ouvre un Nouvel Ordre Mondial de concurrence généralisée et de multinationales, où (comme le disait déjà Marx) "le bon marché des marchandises est la grosse artillerie qui abat toutes les murailles de Chine" - Chine dont la croissance s'emballe depuis qu'elle s'est convertie à une économie capitaliste bien plus productiviste, et qui s'étend aussi aux autres pays les plus peuplés de la planète - à l'exact opposé de ce que préconisaient les écologistes.

Ce n'est pas cependant la seule globalisation, qu'on ne peut réduire au capitalisme qui n'en est qu'un élément. Avec les réseaux numériques et l'intensification, qu'on peut déplorer, des transports intercontinentaux, il faut admettre que l'unification du monde est bien matérielle et que rien ne semble pouvoir l'arrêter, du terrorisme aux épidémies et migrations. Pendant ce temps la température n'arrête pas de monter mais cette globalisation marchande étant aussi la globalisation des risques écologiques et climatiques, elle suscite la constitution d'une conscience globale qui définit l'écologie politique comme responsabilité collective du négatif de notre industrie. Il s'agit bien d'avertir des catastrophes à venir, ce qui est favorisé par les réseaux numériques. Ceux-ci sont un facteur technique déterminant de l'unification planétaire et de la disparition des frontières, empêchant tout retour en arrière. Il ne faut pas prêter pour autant à cette conscience globale émergente le pouvoir de reconfigurer le monde. Cette conscience de soi collective doit aussi être conscience des limites du politique, sinon elle ne sert à rien. Elle peut du moins pousser à prendre les mesures les plus urgentes. A ce niveau les ONG sont précieuses à condition de ne pas trop en attendre. Ce n'est pas de là que viendra une alternative.

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Revue des sciences janvier 2018

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Pour la Science

Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

Rien d'extraordinaire pour inaugurer ce qui sera la dernière année de cette revue où je fais depuis 12 ans le tour d'horizon du mois écoulé. Il y a quand même de quoi prolonger nos réflexions sur la conscience et le langage, ou bien se questionner sur l'avenir de la réalité augmentée qui pourrait remplacer nos écrans. On trouvera aussi quelques nouvelles étonnantes (un dinosaure à l'allure de cygne ou une nouvelle informatique réversible à base des vallées électroniques, etc.) mais ce sont les mauvaises nouvelles du climat qui dominent encore. Sinon, même les bienfaits attendus de l'édition de gènes sont contrebalancés par les risques de la technique. De même, un traitement antiviral à base de nanoparticules d'or pourrait bien nous débarrasser de presque tous les virus, ce qui n'est pas forcément aussi positif qu'il y paraît, les rhumes par exemple s'attaquant préférentiellement aux cellules cancéreuses. Il est assez troublant enfin de savoir qu'on va réanimer des morts (leur coeur) afin de pouvoir en prélever des organes...

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Le nihilisme de Nietzsche

Temps de lecture : 20 minutes

J'ai toujours trouvé le comble du paradoxe les libertaires se réclamant de Nietzsche, l'expurgeant de tout ce qui a mené les Nazis à s'en réclamer, ce qui n'est quand même pas rien. On peut toujours dire que les penseurs ne sont pas responsables de leurs partisans ni des conséquences de leur pensée, mais c'est un peu léger, tout comme ceux qui ne veulent pas penser le rapport de la philosophie de Heidegger au nazisme, ce qui est encore plus incroyable. Il ne s'agit pas de s'ériger en procureur et renvoyer leurs oeuvres au néant, comme le font trop de critiques superficielles, mais au contraire de relier profondément ce qu'elles peuvent avoir de séduction mais aussi de vérité, tout est là, avec leurs conséquences désastreuses. C'est la même chose pour Marx. On a beau répéter que les régimes marxistes n'avaient rien à voir avec Marx, il y a forcément un rapport, et au lieu de croire pouvoir choisir ce qu'on accepte ou non, il faut comprendre la logique menant à l'inacceptable. En fait, ce que les errements politiques des philosophes depuis Platon illustrent, c'est non seulement qu'ils ne valent pas mieux que les autres sur ce plan mais, pire, que le Bien est l'origine du Mal souvent, comme la folie est un excès de logique. Non seulement la philosophie promet plus qu'elle ne peut tenir mais souvent elle égare tout autant que les religions, que ce soit sur sa prétendue sagesse ou sur la liberté.

On comprend bien ce que Nietzsche peut avoir de séduisant, surtout pour des adolescents qui doivent s'affirmer. D'abord, il est simple (simpliste) et c'est incontestablement un grand écrivain qui nous communique son exaltation en nous encourageant à prendre notre indépendance et renverser les idoles. Sortir de la religion pour un fils de pasteur, ce n'est pas rien (et le poussera vers la paranoïa). Cela en fait donc le philosophe de la mort de Dieu, de son absence et de valeurs ayant ainsi perdu leur fondement, nécessité de s'inventer de nouveaux principes de vie. C'est cette réitération du moment sceptique, réveil du sommeil dogmatique, réaffirmation de l'ignorance, réactivation du doute, qui en fait l'importance dans l'histoire de la philosophie. Si Dieu est mort tout est permis, s'imaginent les croyants, alors qu'il montre que cela nous rend surtout responsables de nos valeurs et de nos vies.

Pas étonnant jusque là que les libertaires y voient un allié mais son erreur est d'en faire un enjeu individuel - il n'y aurait pas d'autre fondement que Dieu ou l'individu - ce qui fait que ça se complique ensuite avec un snobisme élitiste assez ridicule, et qui commence avec l'extraordinaire retournement voulant faire de la morale la dictature des faibles et des dominés alors qu'elle est plutôt au service des propriétaires et des dominants ! Ils nous le répètent sans cesse, les riches sont persécutés par les pauvres ! Derrière une salutaire critique de l'hypocrisie morale et de l'insupportable moraline (initiée par les "moralistes français" comme La Rochefoucauld), il y a quand même là de quoi justifier, comme jamais depuis Aristote, inégalités et domination, même déguisées en méritocratie et dépassement de soi. De plus, cette dénonciation d'une morale trompeuse la réduit abusivement à ce qui nous empêcherait de jouir et bride notre instinct ou volonté de puissance.

L'amusant, c'est de constater que son rejet de l'idéal et de la morale ne fera qu'aboutir à un autre idéal, une autre morale négatrice. En effet, derrière la dévalorisation de toutes les valeurs dont il est l'aboutissement, le nihilisme se dévoilait comme la négation de la vie au nom de l'idéal (platonicien) ou de valeurs supérieures, comme si elles n'étaient qu'un obstacle à une affirmation positive de la vie, à laquelle il suffirait de laisser libre cours. C'est bien sûr une illusion dogmatique, et, l'inversion des valeurs au profit de la vie ne se résumera finalement qu'à tout réduire à des valeurs (qui valent pour la volonté - de puissance) et n'en garder que la supériorité, l'effort pour se dépasser qui ne prend sens qu'à pouvoir regarder les autres de haut. Du coup, il ne fait que répéter la promesse du crucifié (auquel il s'identifie à la fin) en reconstituant un idéal de vie héroïque qui transfigurerait l'existence, ce qui dévalorise tout autant la vraie vie, vie quotidienne renvoyée au néant, dans un nihilisme encore plus radical sous ses apparences hédonistes d'une vie débordante (d'ailleurs un fragment de 1887 le confirme : "Je n’ai osé que récemment m’avouer qu’au fond, j’ai toujours été nihiliste"). On peut opposer à cet idéal héroïque inatteignable, la simple beauté du geste quotidien, dans son humanité, qui suffit à donner sens et valeur à nos vies.

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Rock N’ Roll Is Dead

Temps de lecture : 5 minutes

Le rock a été un moment important de notre histoire, un peu comme le romantisme par exemple, porteur de valeurs dont certaines restent à défendre - pas toutes - et qui ne sont justement pas celles du pouvoir, ce pourquoi on peut s'amuser de le voir ainsi célébré. S'il faut enterrer cette époque révolue avec ses derniers survivants, cela ne peut se faire sans en prononcer l'éloge funèbre.

En effet, tous les discours officiels nous invitent inévitablement à l'optimisme et à être contents de nous, célébrant la réussite (de l'école à l'entreprise). Cet utilitarisme assumé de la pensée positive contamine tous les aspects de la vie, mis au service de la santé du corps comme d'un supposé épanouissement professionnel avant la satisfaction d'une vieillesse sereine. Rien de plus raisonnable, sans doute. C'est bien de cette façon que cela devrait de passer s'il n'y avait un hic, un réel qui dément cette belle harmonie où il n'y aurait que des gagnants. Mais, pour la bienveillance du pouvoir, ce serait de leur faute si les pauvres sont au chômage ou se tuent à la tâche ! Dans ce beau monde bien ordonné, il se trouve malheureusement des inadaptés sociaux, des poètes, des idéalistes qui ne rentrent pas dans les cases et ne jouent pas le jeu. Nul doute qu'aux yeux du pouvoir auquel ils échappent, ces marginaux sont des erreurs de la nature dont la société doit se protéger, sinon rectifier leur génome déficient. J'ai bien peur hélas d'être de ces inadaptés ayant horreur de l'hygiénisme. C'est incontestablement un mode d'existence qui n'est pas généralisable. Je ne suis pas le seul pourtant, et pour ceux-là qui ne suivent pas la norme, le rock a pu être un moyen d'affirmation et d'appartenance.

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Revue des sciences décembre 2017

Temps de lecture : 105 minutes

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Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

Tous les mois ne sont pas aussi riches, avec notamment pas mal d'éléments complétant notre réflexion sur le langage et le discours intérieur, mais aussi de possibles bombes à quarks, une nouvelle unification des forces, une théorie du vide qui réfuterait énergie noire et matière noire, un mystérieux visiteur venu d'autres étoiles, la possibilité que des tardigrades soient arrivés sur Terre dans un nuage cosmique venant d'autres planètes, de nouvelles bases de l'ADN produisant des protéines artificielles. Il n'y a pas que l'IA qui progresse rapidement et trouble notre identité mais aussi la manipulation du cerveau, et un pas de plus a été fait vers le projet fou d'une transplantation de tête d'un humain. Plus anecdotique, les robots sexuels pourraient faire des petits robots mêlant nos caractéristiques génétiques à celles du robot ! La crainte des robots est surtout qu'ils nous mettent au chômage mais si des métiers vont bien disparaître, on verra qu'il devrait y avoir de nombreux nouveaux emplois à venir, même si la reconversion ne devrait pas être facile. L'état de la planète est toujours inquiétant mais il est vraiment difficile de mesurer à quel point avec d'un côté le risque de brusque effondrement, de la biodiversité notamment, ou de l'emballement de la bombe méthane, et de l'autre, le fait que l'espérance de vie continue d'augmenter et que malgré un retard à l'allumage, les mesures se multiplient pour la transition énergétique (sans parler des voitures autonomes) ainsi que les procédés de capture du CO2. Ce n'est pas gagné mais pas encore perdu, toujours sur le fil...

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L’existence éthique de l’être parlant

Temps de lecture : 8 minutes

Après ses conceptions religieuses, voilà que notre époque historique va jusqu'à remettre en cause l'identité humaine elle-même, confrontée aussi bien à l'intelligence artificielle et aux robots qu'au transhumanisme mais aussi au décodage du cerveau et au cognitivisme qui paraissent nous réduire à de simples calculs, à des machines qui pourraient bientôt nous remplacer. En fait, on aurait pu s'inquiéter depuis longtemps de cet effacement de la figure de l'Homme dont parlait Foucault, depuis les premiers ordinateurs au moins, sinon depuis George Boole énonçant "Les lois de la pensée" binaire (en 1854, sans remonter jusqu'à Leibniz). Ce n'est pourtant qu'aujourd'hui que notre identité vacille quand l'on prétend, de façon très prématurée, donner une conscience à nos robots ou manipuler notre génome. Que nous reste-t-il donc, dépouillés de tous nos attributs, y compris de notre espèce génétique et réduits à l'animal ? A ce stade, il semble bien que seul nous distingue encore le langage narratif qui n'est pas du tout maîtrisé par l'Intelligence Artificielle jusqu'ici. Il le sera sans doute un jour mais cela suffira-t-il à faire d'une machine notre égal ? On peut en douter.

On a vu, en effet, que notre conscience était fondamentalement une conscience sociale et morale, dévouée au langage narratif et au récit de soi. Ce qui nous spécifie n'est pas tellement nos capacités cognitives mais d'habiter le langage et d'avoir la capacité de dire "Je", de parler en notre nom. En ce sens, on pourrait arguer que nous ne sommes qu'un produit du langage, comme nous le sommes de l'évolution technique, un simple effet qui ne saurait pouvoir causer. La différence avec ce point de vue extérieur, ce qui nous rend signifiants plus que signifiés, c'est l'envers subjectif de ces causalités objectives, ce à quoi on s'identifie ou à qui l'on s'adresse. Ce qu'un parlêtre vise, c'est une intériorité, une subjectivité bavarde, ce qui empêche de nous réduire à une machine ou un objet. Notre "humanité" ne consiste en aucune propriété objective ou biologique, aucune capacité unique ni essence humaine qui nous serait spécifique et précèderait notre existence mais seulement dans notre rapport aux autres par le langage, c'est-à-dire notre responsabilité qui nous constitue comme interlocuteur, comme un homme de parole. Ce devoir-être qu'on peut appeler le sentiment moral dans un sens élargi au social, voire au commérage, est tout ce qui nous distingue des bêtes comme des robots avec lesquels il restera donc une différence fondamentale sans doute. Mais, cette différence ontologique relève entièrement de l'éthique de l'être parlant, c'est-à-dire de la responsabilité de ses paroles et de ses actes passés, d'une continuité de notre être. Au contraire des machines, nous pouvons ressentir honte et culpabilité sans lesquels aucune parole n'est possible (en dehors de l'impératif). De sorte que, sans aller jusqu'à l'extrémisme intenable de Lévinas, on doit effectivement faire de l'éthique la philosophie première, fondement de notre identité, de notre "humanité", se confondant avec notre ontologie existentielle et la question de notre liberté (morale).

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Le langage de la conscience

Temps de lecture : 16 minutes

Les progrès rapides de l'Intelligence Artificielle et de l'étude du cerveau posent à nouveaux frais la question de la conscience dont on voudrait doter les robots, imaginant le pire et mettant du coup en question notre identité humaine. C'est qu'il y a confusion entre différents niveaux de conscience. Il y a sans conteste une conscience qu'on peut dire animale ou cognitive, se distinguant de l'inconscience totale des automatismes ordinaires et impliquant une certaine conscience de soi, de sa position dans l'espace. On voit bien cependant que cela n'a rien à voir avec notre propre conscience qu'Alain assimilait à la conscience morale et qui est plus largement une conscience sociale et de notre responsabilité, ce qui constitue notre identité. Or, celle-ci n'est pas réductible au calcul ni à l'imitation mais implique le langage narratif, condition d'un monde commun, ainsi qu'un récit de soi, condition de l'individuation. On s'éloigne ainsi du cognitivisme comme de la crainte de pulsions maléfiques prêtées à tort aux machines pour retrouver les pulsions maléfiques des humains qui se racontent des histoires...

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Revue des sciences novembre 2017

Temps de lecture : 75 minutes

Pour la Science

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Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

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En dehors de l'Intelligence Artificielle qui est encore en vedette, et a fait l'objet d'un billet séparé, il n'y a pas de grandes nouvelles mais plusieurs intéressantes quand même, comme le plan de Lockheed Martin pour aller sur Mars, plus réaliste que celui d'Elon Musk, ainsi que l'idée d'y produire de l'oxygène et du carburant avec un plasma de CO2 (ce qu'on pourrait faire sur Terre aussi). On nous confirme que la gestion des sols pourrait fortement réduire le CO2 et les prévisions s'améliorent avec les politiques adoptées. Par ailleurs, une étude, qui devra être confirmée, montre que les pleurs des bébés déclenchent l'envie des mères de leur parler, ce qui pourrait être le canal principal de transmission du langage. Sinon, on apprend que la savane serait apparue il y a 8 millions d'années à cause de l'explosion d'une supernova proche et que c'est la glaciation, synonyme de sécheresse, qui aurait poussé les hommes hors d'Afrique. La génétique montre que les différentes couleurs de peau viennent bien toutes d'Afrique, qui est vraiment notre berceau, y compris pour les peaux claires. On est surpris aussi d'apprendre que Cléopâtre régnait sur une Egypte ruinée par le climat à cause d'une éruption volcanique en -43. Du côté médical, les cellules souches mésenchymateuses se révèlent un traitement anti-vieillissement étonnamment efficace. On reparle de l'utilisation des champignons hallucinogènes contre la dépression mais la production d'un composé anti-épileptique du cannabis avec des levures modifiées annonce sans doute la production ainsi d'autres composants des drogues ou substances thérapeutiques naturelles.

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L’ère de l’intelligence artificielle

Temps de lecture : 11 minutes

On est bien obligé de constater que notre monde a radicalement changé depuis quelques années, avec internet puis les mobiles, mais on n'a rien vu encore et, avec l'arrivée de l'Intelligence Artificielle, rien ne sera plus comme avant malgré toutes les résistances au changement qui détruit l'ordre ancien.

Jamais il n'a été plus clair que ce ne sont pas les idées qui mènent le monde, ce dont se persuadait l'ère des idéologies où il fallait choisir entre libéralisme, communisme et fascisme, alors que c'est l'évolution technologique qui dicte sa loi, comme le pensait Marx, le progrès des connaissances et techniques (la connaissance change le monde plus que les grandes idées).

Si nous n'avons pas notre mot à dire dans cette évolution, à quoi bon en parler ? C'est que, ne pas pouvoir décider de l'avenir n'implique aucun fatalisme ni laisser-faire. Seulement, plutôt que de s'étriper vainement sur le monde idéal que nous voudrions construire, et qui n'a aucune chance d'exister, cela nous oblige à faire de la prospective pour se préparer au monde qui nous attend vraiment et prévenir les catastrophes qui s'annoncent. La prospective est d'autant plus indispensable dans une époque de rupture où tout s'accélère comme maintenant mais c'est aussi ce qui la rend presque impossible. Il y a trop de bouleversements qui se combinent, dont on ne peut prévoir les effets après-coup, pas plus que les nouvelles découvertes ou pratiques émergentes. Le "cycle de la hype" est là pour montrer qu'on se trompe toujours sur les nouvelles technologies, la science-fiction ne pouvant que tomber dans les pires simplismes alors qu'elle est prise bien trop au sérieux. On ne fait jamais que prolonger les dernières tendances, ce qui est très insuffisant, mais c'est notre situation - et la question qui nous est posée, reste de savoir ce qu'on peut faire dans ce contexte d'avenir incertain.

La difficulté de se projeter dans l'avenir est flagrante quand on voit les jugements les plus opposés sur l'Intelligence Artificielle dont les performances progressent si rapidement depuis quelques années seulement et qui commence tout juste à déferler dans nos vies avec les assistants personnels ou domestiques. Si certains ne veulent y voir rien de nouveau, soulignant les limitations actuelles, d'autres tombent dans les exagérations les plus extrêmes, de la crainte du grand remplacement par les robots, qui seront plutôt nos partenaires, à notre asservissement par une intelligence supérieure, quand ce n'est pas une Singularité mythique, extrapolation exponentielle qui n'a aucun sens. La vérité, c'est que l'IA va bien tout bouleverser dans les prochaines années, plus même que le numérique dont elle est l'aboutissement, donnant sens à toutes les données qui se transmettent en masse. On ferait mieux d'en tenir compte mais si on peut s'extasier qu'AlphaGo Zero puisse apprendre en 40 jours une science du Go qui a mis 3000 ans à s'élaborer - tout comme on s'est extasié de la rapidité de calcul de nos ordinateurs - cela n'a rien à voir avec une intelligence omnisciente. Kevin Kelly a raison de dire que la peur d'une intelligence artificielle supérieure à la nôtre est irrationnelle car l'intelligence étant multidimensionnelle, une intelligence supérieure n'a pas de sens sinon dans un domaine spécialisé et il y a des limites à l'intelligence qui ne peut être infinie (ni générale). Apparemment, la seule façon de s'approcher des capacités humaines, c'est d'ailleurs de s'inspirer de notre cerveau mais on n'a pas forcément intérêt à l'imiter complètement car on reproduirait tout autant sa folie (un excès de logique) et ses risques d'erreurs (comme ceux de la pensée de groupe). Il faut ajouter, que, bien plus qu'on ne croit, notre intelligence est déjà largement extérieure (langage, livres, sciences, etc.), liée à notre environnement historique et notre formation plus qu'à notre cerveau.

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L’aliénation dans le travail

Temps de lecture : 7 minutes

J'ai essayé de montrer les dangers du concept moderne d'aliénation (à partir de Feuerbach et Marx), concept entièrement négatif car renvoyant à une identité ou une essence humaine mutilée, faisant de l'aliéné un véritable sous-homme. J'avais critiqué aussi la conception individualiste qu'avait Gorz de l'aliénation dans le travail et son idéal d'auto-production sous-estimant notamment la participation à une entreprise collective.

Chez Hegel, au contraire, malgré sa négativité qui la dépouille de sa subjectivité, l'aliénation est beaucoup plus positive ou dialectique puisqu'elle représente le moment de l'objectivation, de la réalisation, c'est-à-dire de notre existence matérielle en acte à l'intersection de l'esprit et de la matière, du sujet et de l'objet. Le sujet se pose en s'opposant à l'objet, y compris à son propre objet, sa production qu'il dépasse, mais il a besoin pour cela de passer par l'objet. L'aliénation est donc pour Hegel une nécessité de l'expression et de la conscience de soi alors que, si on remet la dialectique sur ses pieds matériels, l'aliénation dans le travail relève plutôt de nécessités extérieures, de besoins sociaux et vitaux, ce qui n'empêche pas que le travail nous objective et que nous y sommes mis en question dans notre être.

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Revue des sciences octobre 2017

Temps de lecture : 74 minutes

Pour la Science

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Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

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C'est difficile d'y croire, mais il y a des bonnes nouvelles ! Les optimistes du mois dernier pourraient bien avoir raison si on en croit une étude britannique qui prétend que le réchauffement est moins fort que prévu il y a 10 ans, et que donc, on pourrait ne pas dépasser les 1,5°C de réchauffement. C'est quand même douteux mais on nous assure aussi qu'il n'y aura pas de bombe méthane. Même si on n'est pas complètement rassuré, cela devrait encourager la transition énergétique commencée un peu tard mais qui nous laisserait donc un peu plus de temps devant nous ? Il y a cependant bien d'autres risques (nucléaire, biotechnologies, supervolcans, etc). En tout cas, on se demande comment font ceux qui sont bardés de certitudes sur l'avenir, d'un côté comme de l'autre ! Les spéculations physiques sont pourtant là pour nous rappeler l'étendue de notre ignorance avec des théories comme celle de l'inflation cosmologique ou la nouvelle interprétation de la gravité comme effet de l'effondrement de la fonction d'onde. Elon Musk prétend toujours aller sur Mars dès 2022, ce dont on peut douter mais il pourrait y avoir un millier de colons sur la Lune en 2050. La médecine prouve également que la science peut se tromper et que des savoirs traditionnels peuvent avoir raison contre elle, en particulier pour le rôle de l'inflammation dans de nombreuses maladies (dépression, obésité, etc.) justifiant les médecines "holistes". Les théories sur l'Alzheimer n'étaient pas plus assurées jusqu'ici mais un traitement qui réduit le cholestérol cérébral semble valider enfin son rôle dans la maladie. Là encore, il faut être prudent. Les théories sur le vieillissement ne sont pas en reste et on apprend cette fois qu'il serait provoqué génétiquement par l'autophagie, la bloquer pouvant doubler l'espérance de vie d'un ver, pour les hommes c'est plus incertain. Par contre, une des nouvelles les plus étonnantes, c'est d'avoir pu réveiller grâce à la stimulation cérébrale un patient en état végétatif depuis 15 ans !

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Qu’est-ce que la démocratie ?

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Il y a un grand malentendu sur la démocratie et toute une fausse mythologie sur ses origines et ce qu'elle est supposée être. D'abord, on nous rebat les oreilles de son invention par les Grecs alors que les agriculteurs qui ont remplacé les marins-pêcheurs de la culture mégalithique, étaient très égalitaires et démocratiques si l'on en croit Alain Testart qui parle à leur sujet de "démocraties primitives". Ce n'est pas que les inégalités en étaient absentes mais assez mal tolérées, et, lorsqu'un village devenait trop peuplé avec des inégalités trop grandes, un groupe partait refonder un nouveau village ailleurs.

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Ce qui donne sens à l’existence

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J'ai déjà essayé de montrer quel était le sens de la vie et de l'évolution, qui est celui d'une diminution croissante de l'entropie, un peu plus que la persistance dans l'être ou une complexification. Il me paraît très utile de le savoir pour comprendre l'histoire et nos sociétés, en premier lieu l'évolution technique comme processus autonome, mais on ne peut dire que ce soit un sens qui nous touche, point de vue qui reste extérieur dans lequel on peut certes s'inscrire, qu'on peut s'approprier, mais qui reste quand même assez abstrait.

Pour l'existentialisme, le sens de la vie nous concerne plus intimement et se confond avec notre projection dans le futur, ce qu'on a à être, ce qu'on veut devenir. C'est ce qui sera, par exemple, le fondement de la critique du travail d'André Gorz pour qui la nécessité de donner sens à son travail passerait par le fait de "voir le bout de ses actes". Cela me semble contestable et surtout trop centré sur l'individu, tout comme l'idéal aristotélicien d'une action qui soit à elle-même sa propre finalité (comme la musique), gommant notamment la dimension de participation à une entreprise collective. Il ne suffit pas de voir le bout de ses actes pour donner sens à son travail de même qu'il ne suffit pas d'augmenter le temps libre pour ne pas s'ennuyer. C'est aller un peu vite en besogne.

Il y a bien dans l'existentialisme une vérité intime, d'être mis en question dans notre être, mais qui nous enferme trop dans notre petite personne et peut mener, comme tout un pan de la philosophie, vers un "développement personnel" si vain. Même les utopies politiques n'ont pas peur de promettre l'épanouissement de l'individu et de ses capacités, dans une conception spinoziste qui correspond sans doute à ce qu'on peut considérer comme la véritable réussite personnelle et va très bien à certains mais ne trouve pas d'écho en moi, ne suffit pas en tout cas à faire sens. Dans une société parfaite, pour quelle raison écrire des poèmes ou philosopher ? La création artistique censée exprimer notre précieuse intériorité ne serait-elle plus qu'un passe-temps sans conséquence ? Ne perd-elle pas tout sens justement ? Le sens ne vient que des actions collectives, de l'histoire et de l'inachevé, d'un enjeu vital pour l'avenir.

Contre un socialisme de caserne effaçant toute individualité, il était salutaire de défendre l'autonomie de l'individu mais ce serait folie inverse de le dépouiller de sa dimension sociale. Comme je le répète souvent, et contrairement à l'idéologie naïve de la liberté, l'autonomie sert à faire le nécessaire, pas à faire n'importe quoi. Le vieil idéal d'être de plus en plus libre est un idéal vide, sans contenu et donc dépourvu de sens. Il faut répondre à la question : que voulez-vous faire de cette liberté ? Que chacun fasse ce qui lui plait ne suffit pas. Le sens ne se décide pas, il n'est sens qu'à s'imposer à nous de l'extérieur, de la société elle-même, sens qu'on n'a pas choisi mais dans lequel on est engagé. Ce qui nous manque pour donner sens à notre vie, notre journée, notre travail, ce n'est aucune condition matérielle mais seulement le sentiment de travailler à une oeuvre commune, d'y avoir une action positive, d'y être reconnu. Dans les pires situations, un résistant pouvait vivre intensément le sens de son combat alors que le confort bourgeois nous laisse dans un ennui profond. On connaît l'histoire du casseur de cailloux qui est heureux parce qu'il construit une cathédrale mais, non, on ne trouvera pas le sens en soi-même. Il n'y a de sens que nécessaire et inscrit dans une finalité collective, un parti-pris manifestant nos appartenances et motivant nos actions.

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Revue des sciences septembre 2017

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Pour la Science

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

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Techno

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La dominante de ce tour d'horizon mensuel me semble un retour au réel qui nous promet, après une libération de l'imaginaire multipliant les projets, de longues années avant de les réaliser - que ce soit la colonisation de Mars ou la transition énergétique, qui prendront beaucoup de temps, ou même l'arrivée des voitures autonomes, retardée d'années en années (mais qui devrait reconfigurer nos villes et nos vies). Les crises qu'on nous annonce de toutes parts aussi bien que l'avenir radieux promis par d'autres pourraient tout autant être remis à plus tard. Il faut donc sans doute s'attendre à ce que cette revue soit plus répétitive. Il faudra bien l'arrêter un jour, les blogs n'ayant plus la côte, et passer aux réseaux sociaux (où la plupart des fausses nouvelles seraient répandues par des robots) ! On verra ainsi des cochons OGM pour produire des organes humains à transplanter, mais on en parle depuis un moment. Ce qui est plus étonnant, c'est d'arriver à reprogrammer instantanément des cellules (de la peau par exemple) avec une puce délivrant de l'ADN. On a aussi réussi à faire des greffes de peau modifiée avec CRISPR contre le diabète ou bien à contrôler par champs magnétiques les mouvements d'un animal, alors que sort le premier jeu de réalité virtuelle contrôlé par le cerveau. Étonnamment, la préhistoire est l'un des domaines qui restent les plus actifs ces derniers temps, même si ce n'est guère une surprise de confirmer que le langage narratif est bien notre spécificité de Sapiens, à laquelle nous nous sommes adaptés épigénétiquement.

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Pour une écologie plurielle

Temps de lecture : 6 minutes

A mesure que les effets négatifs de notre industrie se font plus sentir, les préoccupations écologiques sont devenues incontestablement de plus en plus présentes dans nos sociétés, sans beaucoup de conséquences pourtant en dehors d'une transition énergétique bien engagée - qu'on doit surtout à la baisse des coûts du solaire. Cela a déjà permis une stagnation des émissions de CO2, c'est un début mais, ce qu'il faudrait, c'est les réduire drastiquement !

On est donc bien loin de compte. Les traités internationaux comme les accords de Paris ne doivent pas être sous-estimés ni dénigrés, ce sont des étapes essentielles, même si leur portée est très réduite à court terme. En face, les écologistes qui dénoncent ses insuffisances et alertent sur les dangers courus, ne sont pas pris au sérieux et loin de profiter de la popularisation de leurs thèmes, sont devenus à peu près inexistants, sauf exceptions (il n'est pas si facile d'avoir un rapport de force favorable). Les partis Verts ne sont pas dans un meilleur état que les partis sociaux-démocrates dans le contexte actuel, même si on peut penser qu'ils ont plus d'avenir, mais il faudrait pour cela qu'ils dépassent le carriérisme d'un côté et, de l'autre, le démon de la division groupusculaire qui donne priorité à la lutte entre écologistes sur les menaces vitales. Or, tant qu'on n'a pas prouvé qu'on pouvait faire mieux, ce n'est pas le capitalisme vert qui doit être notre cible, même si on ne peut absolument pas s'en contenter.

Ce n'est pas le moment en tout cas d'abandonner le combat politique et militant mais il faudrait s'entendre au moins sur ce que l'état des lieux a de dramatique, et d'abord sur l'échec collectif, aussi bien des politiques gestionnaires que des courants radicaux à changer la donne. Il n'y a pas lieu d'opposer les uns aux autres quand aucun n'a de résultat probant et que le temps presse. C'est un fait que ce qui est nécessaire n'est pas toujours possible pour autant. Alors que les pays les plus peuplés accèdent au développement capitaliste et que s'accélère la numérisation du monde, il faut bien admettre qu'on ne convertira pas du jour au lendemain la terre entière à une vie plus écologique. On peut tout au plus en donner l'exemple, ici et maintenant, avec des alternatives locales.

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La liberté contre l’identité chez Sartre

Temps de lecture : 27 minutes

Les premiers livres de philosophie que j'ai lu, avant d'en avoir l'âge, ont été la Critique de la raison pratique de Kant puis l'Être et le Néant de Sartre. Ce n'est pas un livre sans faiblesses mais celles-ci n'ont pas tant d'importance au regard de l'influence qu'il exercera sur son époque. En effet, s'y fondait une position politique opposée à celle du nazi Heidegger et de sa quête de l'originaire, position de gauche pour laquelle "l'existentialisme est un humanisme". Revenir à Sartre est utile pour combattre le retour des tendances identitaires et autoritaires en y opposant une liberté de principe qui nous constitue comme interlocuteur, véritable dignité de l'homme. On donnera cependant presque un sens inversé à l'affirmation anti-platonicienne que "l'existence précède l'essence", où l'homme n'est plus au centre, auto-création de soi-même, alors que c'est le milieu qui détermine entièrement l'évolution d'une essence humaine changeante - ce qu'il faut concilier avec notre liberté supposée, sa nécessité métaphysique comme sa réalité pratique.

Le début du livre est difficile à suivre, qui fait de la conscience ce qui introduit le néant dans l'être, difficile car peu convainquant finalement, repris de Kojève en plus confus, mais qui servira de fondement métaphysique à la suite au nom d'une conscience désincarnée qui serait pur néant et négativité du fait que la conscience est toujours conscience de quelque chose dont elle se distingue (conscience de ce qu'elle n'est pas) et projection dans des possibles (qui ne sont pas encore). On peut dire que c'est une simplification brutale de la conscience (et de Hegel ou Heidegger). De même que le travail ne peut être réduit à une négation, de même l'intentionalité ou le projet ne peut être réduit à une néantisation, étant tout au plus de l'ordre de la négation de la négation (néguentropie) ou négation d'un manque (p249), de l'ordre de la réaction, de l'apprentissage et du calcul. On accordera plus facilement la caractérisation de la conscience comme "purement interrogative", à la fin du livre (p713), et qui pour cela nous met en question mais la mise en question de notre être, par la conscience comme par les autres, n'est pas pure annulation ni réductible à l'angoisse de la mort (le Maître absolu) et plutôt division du sujet, culpabilité, réponse argumentée. Bien qu'il soit donc contestable de tout réduire au néant, cela servira de socle à une conception de l'homme très différente de celles de Hegel ou Heidegger - qu'il semble pourtant ne faire que répéter - puisqu'elle le libère au contraire de ses dettes envers le passé comme de toute essence supposée. Il ne s'agit plus d'être-là, d'habiter le lieu, mais de le déborder, toujours déjà pris dans la négation ou la fuite en avant, non à cause de notre finitude de mortels mais de notre réflexivité et de notre projection dans l'avenir, entreprise de désidentification pour laquelle l'identité qui nous fige devient même une insulte, nous ramenant à une chose inerte, nous assignant à notre place, devenus anonymes et muets.

On sent bien ce qu'il y a de nécessaire autant que d'excessif à privilégier ce qu'on peut avoir d'insaisissable et d'imprévisible. Les philosophes me semblent toujours délirer un peu (par excès de logique) et leur argumentation souvent purement instrumentale pour défendre des positions subjectives, des règles de vie qui incarnent leur philosophie et en font toute la séduction. Ce plaidoyer pour une liberté irresponsable (bien qu'elle prétende à la plus grande responsabilité), peut être lue comme son autobiographie aussi bien qu'un manuel de savoir-vivre libertaire nous faisant revivre le souffle de la libération après-guerre - qui devait effectivement rompre avec son passé.

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Revue des sciences août 2017

Temps de lecture : 5 minutes

Pour la Science

Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

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Malgré un regain d'optimisme un peu artificiel, les perspectives sont bien sombres et le portrait de l'époque, dessiné par les dernières nouvelles, assez perturbant. Ce ne sont pas tellement les nouveautés qui frappent mais le fait que les risques annoncés s'affirment inexorablement comme notre futur. Le nucléaire en fait partie plus qu'on ne se l'avoue. Il est difficile de savoir à quel point la Terre pourrait devenir inhabitable avec le réchauffement mais on est déjà sur le fil avec l'extinction de la faune sauvage. Il y a certes quelques bonnes nouvelles comme la prévision des éruptions qui serait un grand progrès si cela se confirme (sans pouvoir empêcher cependant l'éruption catastrophique de supervolcans comme Yellowstone). On ne dit pas assez non plus que la transition énergétique a gagné la partie - même si on reste loin du compte et qu'il est difficile de croire que l'année 2021 pourrait être la plus belle de toutes avec ses voitures autonomes et la viande cultivée en laboratoire ! Il est par contre certain qu'on n'a pas fini d'être envahis dans notre quotidien par une intelligence artificielle dont on aura grand besoin pour dépasser notre bêtise collective. Il est même assez probable qu'on ait à plus ou moins long terme des implants cérébraux nous connectant directement à nos appareils numériques - au moins une puce dans la main. On n'évitera pas non plus la modification (optimisation) de notre génome, comme celui de nos animaux ou des moustiques, etc. On pourrait avoir aussi des réseaux neuronaux à l'intérieur de nos cellules - et commence, là sous nos yeux, l'ère interplanétaire, et même interstellaire...

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La domestication de l’homme par l’homme

Temps de lecture : 7 minutes

crâne humain et crâne néandertalienRené Riesel n'avait aucune idée d'à quel point il avait raison en parlant "Du progrès dans la domestication" puisque, plusieurs études semblent bien confirmer que notre espèce se caractérise justement par le fait que nous nous sommes domestiqués nous-mêmes (et féminisés) avant de domestiquer les animaux (d'abord les chiens). C'est un nouvel exemple de la façon dont nous avons été modelés par le milieu et la technique dans le sens d'une dénaturation culturelle nous séparant de l'animal sauvage en nous faisant plus dociles, capables de se retenir et de suivre des règles sociales, d'obéir enfin (c'est la capacité d'obéir qui donne sens à notre liberté).

Bien sûr, tout est relatif et progressif mais notre domestication signifie que nous avons dû apprendre à réfréner, voire refouler, nos instincts, ce qui se serait fait par élimination (de la reproduction au moins) des plus agressifs et impulsifs, c'est-à-dire principalement ceux qui avaient le plus de testostérone (cela se voit sur les crânes). La causalité hormonale n'est qu'un des aspects de cette sélection sociale mais elle constitue la condition nécessaire à une plus grande socialité, capable de remplacer la violence par le langage ou des rites (ce que Norbert Elias appelait la civilisation des moeurs, qui ne s'est donc pas arrêtée depuis). Il faut dire que les Bonobos aussi ont évolué dans cette direction mais en privilégiant la sexualité.

L'hypothèse intéressante ici, c'est que le développement de notre gros cerveau était antérieur à celui de la culture, précédant l'élimination des plus agressifs qui aurait été la conséquence de nos capacités cognitives permettant de se liguer contre les plus violents (condition de la culture). En d'autres termes, chez les humains, les gentils gagnent contre les méchants (contre la brute blonde néandertalienne), les fils peuvent tuer le père tyrannique de la horde primitive !

On peut d'ailleurs voir dans cette contestation des dominants et l'émergence de la force des faibles, la simple conséquence du perfectionnement et de la disponibilité des armes (qui permettent effectivement aux plus faibles de tuer les plus forts). C'est une hypothèse complémentaire à celle de l'extermination des autres populations consacrant la supériorité des armes et qui pouvait expliquer également l'accélération de l'évolution génétique constatée à cette époque, le rôle de la sélection interne ayant donc été tout autant déterminant, avec sans doute pour partie aussi une certaine domestication des hommes par les femmes (sélection sexuelle).

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Jacques Robin, 10 ans après

Temps de lecture : 5 minutes

L'événement de l'information
Je ne peux pas, en ce jour anniversaire, ne pas penser à Jacques Robin qui est mort, il y a tout juste 10 ans le 7/7/7 et qui m'aura sollicité en permanence de 2002 à 2007. Même si mon rôle était essentiellement critique, ce qu'il m'a apporté a été décisif, non seulement par son estime mais de m'avoir ouvert aux sciences, ce que je n'aurais jamais osé tout seul et qui est bien sûr fondamental. Le plus important pourtant, c'est incontestablement son insistance sur l'information et sur la rupture qu'elle produisait avec l'ère de l'énergie, avertissant sans cesse qu'on était en train de "changer d'ère". L'étonnant, c'est que 10 ans après, cette rupture reste encore relativement méconnue, déniée ou du moins minimisée alors que l'accélération technologique affole tous les repères. Cela donne la mesure de son avance, et du retard d'une époque sur sa conscience d'elle-même.

L'information a mauvaise presse, elle est trop sordide par rapport à la haute opinion que nous avons de notre esprit. Le langage est incontestablement un objet bien plus noble et représentant de notre humanité, au-delà d'un matérialisme réducteur. Le tournant linguistique de la philosophie ne s'intéressait pas du tout à l'information sinon pour s'en distinguer : la parole ne se réduit pas à l'information (elle s'adresse à l'autre et toute phrase est un fantasme, elle construit un monde). Sauf que, l'information, c'est la vie et que nous sommes vivants, pas seulement humains. La place de l'information dans l'inversion de l'entropie est absolument cruciale mais avait été complètement ignorée par les grandes philosophies jusqu'ici. Ce qui peut étonner, c'est que pratiquer l'informatique (comme je le faisais) ne suffisait pas à comprendre l'information et son importance. L'insistance de Jacques Robin était donc bien indispensable, dans sa répétition même, pour nous rendre sensible l'événement de l'information.

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Revue des sciences juillet 2017

Temps de lecture : 89 minutes

Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

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Rien de tel que la recherche pour découvrir son ignorance et apprendre à suspendre son jugement. C'est effectivement assez stupéfiant comme il faut sans arrêt réécrire notre histoire, que ce soit celle de Sapiens avec des fossiles plus vieux de 100 000 ans, la proto-écriture égyptienne qui remonterait désormais à 5200 ans ou le palais impérial chinois de 4000 ans obligeant à réexaminer l'historicité des premiers empereurs considérés comme légendaires. On apprend aussi, qu'à l'origine de notre système solaire, il y avait sans doute 2 soleils ! Le plus étonnant pourtant, c'est qu'on devrait vraiment aller sur Mars. Elon Musk prévoit même d'y envoyer un million de colons malgré tous les risques de ne pas y survivre ! Cela prendra sans doute plus de temps qu'annoncé mais c'est bien en route et c'est difficile à croire. On pourrait aussi reproduire un organisme de Mars sur Terre avec une sorte de "téléportation biologique". Sinon, le cerveau est toujours à l'honneur, approfondissant sa structure multidimensionnelle et la fonction de la conscience dans l'apprentissage. On pourrait même effacer une mémorisation d'un neurone sans toucher à d'autres mémoires. Cela fait bizarre qu'on puisse injecter des cellules de porc dans le cerveau pour lutter contre le Parkinson mais le plus étonnant, là encore, c'est que Sergio Canavero persiste dans son projet de greffer des têtes, ce qui était impensable jusqu'ici et a aussi toutes les chances d'être fatal ! On est loin d'être dans un monde de rêve...

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