La subjectivité du vivant

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On a tenté de dégager les principes de la biologie, d'une compréhension scientifique de l'évolution, mais cela nous a mené à reconnaître la subjectivité du vivant, sa spontanéité. Je m'aventure un peu loin sans doute à vouloir aborder la question non plus cette fois du côté de l'objectivité des processus biologiques mais du ressenti, du vécu lui-même que nous ne pouvons connaître que par notre expérience d'être vivant mais qui commence indubitablement avec le plus simple des organismes et donc avec la cellule bien avant l'animal.

Je n'aurais jamais cru pouvoir parler un jour de la subjectivité de l'amibe. Rien ne semble apparemment plus ridicule. Pourtant, si la vie commence avec les bactéries, c'est à ce niveau que doit bien commencer le vécu. Avant Pasteur, les philosophes n'avaient pas ce problème épineux même si on soupçonnait déjà que la fermentation était vivante. Ainsi, Hegel ne connaissait rien du bacille du choléra qui l'a emporté ; mais si Aristote, Kant, Hegel, Heidegger ont tous insisté sur la subjectivité de l'organisme comme totalité, on doit bien admettre que cela s'applique à la cellule tout autant. Ce qui mérite réflexion au moins.

Rappelons d'abord, le résultat auquel nous sommes parvenus :

La vie se caractérise par sa vitalité qui est à la fois reproduction, sélection, évolution, régulation (boucle de rétroaction), exploration, adaptation, activité vitale constituant sa subjectivité, sa spontanéité, et qui s'oppose constamment aux forces de destruction entropiques grâce à l'information, la correction d'erreur et la mémoire. C'est donc bien un processus cognitif dès la première cellule introduisant la finalité dans la chaîne des causes mais qui se manifeste par sa réactivité, son dynamisme propre, l'expérience du temps (de l'après-coup) et l'épreuve du réel que constitue toute vie.

On voit que tout cela commence au premier germe de vie. Qu'il n'y ait pas de malentendu, il ne s'agit pas du tout de parler à ce stade de la subjectivité humaine ni même de la subjectivité animale, seulement d'essayer d'appréhender ce qu'il en reste au niveau des plus simples organismes bactériens qu'on ne peut réduire à des machines ni même à la biochimie. Il est bien sûr aussi difficile de ne pas faire de l'anthropomorphisme d'un côté que de ne pas tomber dans le biologisme de l'autre. Nous sommes bien pourtant des êtres vivants, faits de la même pâte, même si le langage nous sépare de l'animalité et que le biologisme mène à la barbarie.

Il est primordial de bien distinguer les différents niveaux entre procaryotes et eucaryotes, végétal et animal, éponge et ver, entre toutes sortes de poissons, entre une tique et une souris, entre les chimpanzés et nous, entre l'idiot et le sage. La gageure est d'arriver à déterminer ce qu'il peut y avoir de commun entre tous ces niveaux et ce qui les distingue radicalement. Un peu comme la recherche d'un génome minimal, il faudrait arriver à se dépouiller de chacune de ces couches supérieures pour accéder une subjectivité minimale.

La subjectivité minimale (de la cellule)

Parler de spontanéité pourrait sembler plus approprié que de parler de subjectivité pour une cellule si on ne restait ainsi dans le mécanique, réduit aux biotechnologies, alors que le vivant se spécifie à chaque fois par le fait de constituer une totalité. Un organisme peut être le lieu de toutes sortes de contradictions internes entre processus concurrents mais n'en constitue pas moins une totalité effective, qui se (re)produit elle-même constamment comme totalité (elle fait système). D'après Varela, le système immunitaire qui maintient l'intégrité de l'organisme peut être considéré comme l'organe cognitif au niveau moléculaire mais cette fois sans aucune subjectivation en dehors du signal de douleur ou de stress, la réponse immunitaire étant essentiellement locale. En tout cas, une fois qu'on a dépouillé la subjectivité de toute particularité, il reste ce qui la constitue comme totalité, subjectivité qui fait corps avec l'organisme et constitue son âme dont Aristote notait déjà qu'on ne pouvait la séparer des modifications du corps comme de ses mouvements. La plupart des philosophes insistent sur ce qui constitue un organisme comme un tout, sans lequel la spécialisation des organes ne serait pas viable. Or, même une amibe se déplace comme un tout et ses constituants internes sont déjà spécialisés et complémentaires, simples éléments d'un système et d'un cycle reproductif. Comme dit Hegel, seule la totalité est concrète qui va de la graine à l'arbre et au fruit. On n'a pas du tout affaire à une juxtaposition de molécules auto-organisées, mais à toute une panoplie de mécanismes de réaction et de réparation. La cellule la plus simple reste d'une complexité inouïe, c'est déjà tout un monde...

Un corps peut être considéré, en lui-même et dans sa possibilité intérieure, comme une fin de la nature, à condition que les parties de ce corps se produisent toutes réciproquement, dans leur forme et dans leur liaison, et produisent ainsi, par leur propre causalité, un tout, dont le concept puisse à son tour être jugé comme étant la cause ou le principe de cette chose dans un être qui contient la causalité nécessaire pour la produire (...), de telle sorte que la liaison des causes efficientes puisse être jugée en même temps comme un effet produit par des causes finales.

Dans une telle production de la nature, chaque partie sera conçue comme n'existant que pour les autres et pour le tout, de même qu'elle n'existe que par toutes les autres, c'est-à-dire qu'on la concevra comme un organe (...) C'est donc en tant qu'être organisé et s'organisant lui-même qu'une production pourra être appelée une fin de la nature. (...) Un être organisé n'est donc pas une simple machine, n'ayant que la force motrice ; il possède en lui une vertu formatrice et la communique aux matières qui ne l'ont pas (en les organisant), et cette vertu formatrice qui se propage ne peut être expliquée par la seule force motrice (par le mécanisme). Kant, Critique du jugement, §64

Ainsi, pour un corps qui doit être considéré en soi selon sa possibilité interne comme fin naturelle, on exige que ses parties se produisent réciproquement dans leur ensemble, aussi bien selon leur forme que selon leur liaison. Et qu’elles produisent ainsi à partir d’une causalité propre un tout, (...) pourrait inversement être considéré en retour comme cause du tout (...) de sorte que la liaison des causes efficientes puisse être en même temps considérée comme effet par les causes finales.

Dans un tel produit de la nature, chaque partie, de même qu’elle n’existe que par toutes les autres, est également pensée comme existant pour les autres et pour le tout, c’est-à-dire comme instrument (organe) ; mais cela ne suffit pas (car elle pourrait être aussi un instrument de l’art et n’être ainsi représentée comme possible qu’en tant que fin en général), et c’est pourquoi on la conçoit comme un organe produisant les autres parties (chacune produisant donc les autres et réciproquement) (...); et ce n’est qu’alors et pour cette seule raison que tel produit, en tant qu’être organisé et s’organisant lui-même, peut être appelé une fin naturelle. Kant, Critique du jugement, §64

Un produit organisé de la nature est un produit dans lequel tout est fin et réciproquement aussi moyen. Rien en lui n'est gratuit, sans fin ou imputable à un mécanisme naturel aveugle. Kant, Critique du jugement, §66

Seul l'organisme animal est développé en différences de structurations telles qu'elles n'existent essentiellement qu'à titre de membres de cet organisme, ce par quoi il est en tant que sujet. Hegel, Encyclopédie, p321

Il faut s'y résoudre, dans son agitation, une amibe fonctionne tout autant comme un tout, aussi bien pourrait-on dire qu'un être plus évolué composé de milliards de cellules. C'est une caractéristique du vivant qui se conserve car c'est comme un tout qu'un organisme est sélectionné. L'organisme individuel est une unité de sélection. C'est ce qui donne l'avantage aux corps ayant acquis ce fonctionnement intégré (un peu comme les entreprises qui arrivent à faire équipe et développer une culture d'entreprise ont un peu plus de chance de survie). On peut dire que la subjectivité de l'organisme a été sélectionnée dès l'origine ou presque. Il est bien difficile de dire en quoi elle consiste mais on peut déjà séparer ce qui est de l'ordre du réflexe (une molécule, un stimulus, qui se fixe sur un récepteur et déclenche une série de réactions) avec ce qui est une réponse plus globale où les propriétés subjectives sont plus apparentes. En dehors des déplacements et de la reproduction, il semble que ce soit le stress qui exprime le mieux une réaction globale. La subjectivité se signale dans le manque, le signal d'alerte, la fuite, en l'absence de réponse automatique et spécifique, dans une sorte de généralité de l'interaction avec un milieu hostile. La cellule en état de stress va multiplier les stratégies de retour à l'équilibre par une sorte de mobilisation générale (équifinalité), qui pourrait, par exemple, prendre la forme d'un dépliement de l'ADN avec production aléatoire de protéines jusqu'à trouver la bonne combinaison. Soulignons que cet état de stress peut être décrit comme une désinhibition, le principe de l'inhibition étant à la base de l'ADN et donc de la vie. Il faut toujours un désinhibiteur pour que soit produit ce qui devient ainsi la réponse à une information moléculaire et non une production aléatoire (qui existe aussi). Au niveau de la cellule, la vie peut se décrire comme une série d'inhibitions conditionnelles, comme une bibliothèque de routines prêtes à l'emploi en attente de l'événement qui libère leur expression.

On sera d'accord que cela ne va pas loin. Pas de quoi en faire un front de défense des amibes et de toutes les bactéries du monde ! On est très loin évidemment de "finalités conscientes" bien qu'il y ait, même à ce niveau microscopique, des prédateurs et des proies, mais ce n'est pas une raison pour évacuer la question de la subjectivité du vivant comme le fait Kant à la réduire à une projection du jugement réflexif et non à une propriété du vivant lui-même comme s'il était dépourvu de toute sensibilité. La subjectivité reste certes minimale au niveau cellulaire, exprimant simplement une solidarité interne qu'on ne peut attribuer qu'à la sélection sans bien en comprendre le mécanisme mais on peut affirmer du moins que ce n'est pas un processus bottom-up comme beaucoup le prétendent. Le stress est bien un processus top-down (un peu comme une déclaration de guerre), de même que la simple perception ou le déplacement (on ne peut comparer le déplacement d'un organisme, même une cellule, avec celui d'un essaim d'oiseaux ou d'une foule, le réductionnisme aux causalités locales n'a pas de sens ici). Le principe de la boucle de rétroaction est d'asservir le fonctionnement interne à une contrainte globale car externe. Certes, moins la réponse est spécifique et moins elle semble s'imposer "d'en haut" mais au lieu d'une émergence spontanée, la réactivité de la cellule procède de sa mémoire qui est bien centrée sur son ADN et non pas répartie dans toute la cellule. Il ne s'agit pas de faire n'importe quoi mais d'essayer les stratégies déjà éprouvées, des plus courantes aux plus exceptionnelles. C'est justement cette mémoire génétique qui individualise la cellule, étant à la base de sa subjectivité : il n'y a pas de subjectivité sans mémoire, ce ne serait qu'un mécanisme. Ce ne serait encore qu'une mémoire morte pourtant, sans la spontanéité de la vie et sa projection sur l'extérieur, sans cette débauche d'énergie vitale qui l'agite en permanence dans une lutte perpétuelle contre les forces de destruction entropiques. Mémoire et réactivité, l'ADN et le métabolisme, la reproduction et l'évolution sont les deux faces inséparables d'une subjectivité du vivant dont l'expérience est toujours singulière.

Même si, comme on vient de le montrer, on ne peut réduire le déplacement de l'amibe au pur aléatoire, contrairement à ce que semble croire Bergson (EC, p121), l'aléatoire garde une place très importante dans le comportement d'une cellule qui se déplace quand même relativement à l'aveugle bien qu'elle soit orientée chimiquement. Là encore, il faut tenir les deux bouts apparemment contradictoires comme de la reproduction et de l'évolution. L'aléatoire seul n'aurait aucun sens, aucune effectivité dans une absence totale de subjectivité. Cela n'empêche pas que sa part d'aléatoire fait partie intégrante de la subjectivité d'une cellule très structurée mais qui reste singulière et vivante dans le sens où elle se transforme sans cesse et n'est pas entièrement prévisible. Cette part d'aléatoire du vivant et de l'évolution va de pair avec la sélection après-coup mais elle est aussi consubstantielle au concept d'information comme réduction de l'incertitude et inversion de l'entropie, ce pourquoi il n'y a d'information que pour un être vivant, il n'y a sinon que des données inutiles que personne ne lit.

En partant de la reproduction et de la sélection, la vie se construit dès l'origine dans l'interaction avec le milieu (une lecture du monde) et comme totalité organisée où chaque partie a sa fonction propre. On a vu que cela n'empêche pas que l'aléatoire y reste omniprésent dans une sorte de sélection en temps réel qui a une grande valeur adaptative. Il y a même des phénomènes d'auto-organisation assez étonnants comme la formation du ribosome qui pourrait constituer le vrai miracle de la vie puisqu'on le trouve partout et qu'il limite la taille des bactéries (qui ne peuvent être plus petites que le ribosome). Le ribosome ne suffit pas cependant à la vie, ne faisant que produire ce qu'on lui demande, il lui faut une mémoire pour lui dire quoi produire ainsi qu'une membrane pour réguler ses échanges avec l'extérieur, se constituant en totalité et donc en intériorité. On a là les bases d'une subjectivité minimale comme rapport à l'Autre et réactivité. Le plus étonnant sans doute, c'est qu'on trouve même à ce niveau une certaine réflexivité avec les boucles de rétroaction qui règlent la réaction sur ses effets. On ne dira certes pas que la cellule pense (on pourrait le dire plus facilement de l'espèce dans sa diversification génétique), mais bien qu'elle a une subjectivité qui est à la fois dans son dynamisme et dans son stress qui va déclencher toute une série de réponses un peu anarchiques jusqu'au retour à l'homéostasie. Pour nous, la subjectivité d'une cellule est dans sa part d'imprévisible, voire d'innovation mais il est presque impossible de se représenter ce que peut être la subjectivité "pour la cellule elle-même", ce qu'on pourrait appeler son vécu. Ce qui est certain, c'est qu'elle réagit avec son "caractère" propre (plus ou moins réactive) voire qu'elle a une certaine capacité d'apprentissage et qu'elle est bien vivante, ne connaissant pas de repos dans son agitation interne incessante, animation qu'on peut bien appeler avec juste raison son énergie vitale.

Plutôt que de vouloir pousser au-delà l'exercice périlleux d'essayer de déterminer ce qu'on pourrait dire sur la subjectivité d'une cellule primitive, faisons un saut jusqu'à l'animal qui nous est déjà beaucoup plus proche et qui enrichit à l'évidence cette subjectivité minimale dont les bases cependant restent bien les mêmes. Ce qui est intéressant dans cette tentative de reconstitution de la dialectique du vécu, c'est de retrouver à chaque fois ces mêmes éléments mais sous une nouvelle forme, dans un progrès de l'abstraction.

L'animal minimal (la tique)

Passer de la cellule à l'organisme pluricellulaire n'est pas une mince affaire puisque cela implique de passer à une totalité supérieure cohabitant avec le niveau inférieur. En effet, les cellules ne perdent pas leur individualité pour autant. Chacune continue à fonctionner comme un tout, mais le corps lui-même fonctionne aussi comme un tout, comme un ensemble de systèmes et d'organes interdépendants, tous tendus vers le même but. L'organisme pluricellulaire n'est en rien une agrégation de cellules, sa genèse montre au contraire qu'il se constitue par division d'une cellule germinale et différenciation (Bergson, EC, p 260). Là encore, il faut partir de la reproduction elle-même et non vouloir la rajouter à la fin, on ne sait comment. Au lieu d'une auto-organisation d'où émergerait miraculeusement l'unité d'un corps, l'unité est bien originaire d'où procède son organisation et sa complexification, où l'ontogenèse reproduit la phylogenèse manifestant le travail de l'évolution et les différentes étapes de la sélection. Sans être de nature fondamentalement différente, la subjectivité d'un corps n'est cependant pas du même ordre que la subjectivité des cellules dont il est constitué et qui lui sont assujetties (notamment par les mitochondries qui sont les agents extérieurs, leur fournissant l'énergie mais provoquant aussi leur suicide). Ce sont des subjectivités bien séparées (la perte d'une cellule ne nous fait pas pleurer). Le "tout" est à la fois moins et plus que la somme de ses parties. Le tout n'a pas toutes les propriétés de cellules déjà extraordinairement complexes mais il en a d'autres dans son rapport avec l'extérieur. Du coup, la subjectivité animale n'est pas forcément beaucoup plus élaborée que celle de la cellule et on peut d'ailleurs observer toute une gradation dans les organismes multicellulaires, des plus simples aux plus complexes.

Pour étudier une subjectivité animale minimale, il faudrait sans doute partir de l'éponge mais on peut suivre le choix qu'a fait Jacob von Uexküll d'étudier les tiques dont la subjectivité est effectivement minimale, on ne peut plus "pauvre en monde" comme dit Heidegger, au point qu'on peut même penser qu'il y aurait plutôt une simplification par rapport à ce qu'on peut appréhender de la subjectivité de la cellule... C'est d'autant plus intéressant de s'y arrêter mais il faut garder à l'esprit que le fait d'être un parasite permet de se passer de fonctions vitales fournies par l'hôte (un peu comme pour les virus). Le métabolisme d'une tique est si minimal, qu'elle peut survivre des années sans boire ni manger. Le fait qu'elle soit obligée de se déplacer suggère des capacités assez développées quand même alors que sa vie semble malgré tout réduite aux mécanismes les plus simples : grimper en haut d'une herbe ou d'une branche et se laisser tomber sur sa proie quand elle passe par là. La tique attend, parfois pendant plusieurs années, de sentir l'odeur de l'acide butyrique (CH3CH2CH2COOH) émise par les glandes sudoripares de tous les mammifères. Une fois tombée sur l'animal, elle n'a plus qu'à trouver sa peau et d'y enfoncer la tête pour pomper le sang puis une fois bien gorgée de sang, se laisser tomber à nouveau pour pondre ses oeufs et mourir.

Il semble bien que ce soit un minimum, même par rapport aux poissons, aux fourmis ou même aux mouches : une perception rudimentaire, une gamme très réduite de comportements qui répondent à un signal on ne peut plus simple, proches de l'automatisme où l'on a de la peine à déceler une quelconque subjectivité. Ce modèle épuré a permis pourtant à Jacob von Uexküll de dégager une "théorie de la signification" du vivant et de ses organes définissant ce qui constitue son monde, son milieu, ce qu'il appelle l'Umwelt et qui fait de lui un des fondateurs de l'écologie, de l'étude des rapports des animaux à leur environnement mais en soulignant le caractère subjectif de cet environnement qui n'est pas le même pour tous les animaux. Chacun a sa grille de lecture, sa perception d'un réel qui est entièrement relatif à ses organes et ses exigences vitales. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aurait pas d'objectivité de la perception, ce qui serait absurde, mais qu'on ne voit que les aspects du réel qui nous intéressent, qui prennent sens pour nos sens, le reste n'étant que bruit de fond ignoré comme tel. Pas étonnant que, dans le séminaire de 1929-1930 ("Les concepts fondamentaux de la métaphysique"), Heidegger se réclame de cette recherche scientifique qui rencontre pour une fois la démarche phénoménologique d'une intentionalité constitutive de ce qui est perçu (on n'entend que ce qu'on attend), d'une noése déterminant un noème, mais qui vient elle-même de l'extérieur comme la fonction crée l'organe, la subjectivation en constituant simplement l'envers. C'est ce qui va permettre à Heidegger de renverser la Phénoménologie en bouclant la boucle peut-on dire du fait que l'Innwelt s'ajuste sur l'Umwelt, l'organisme s'originant de son milieu, l'un n'étant que le reflet de l'autre, son intériorisation en même temps que sa projection : la causalité vient de l'extérieur et le subjectif de l'objectif. Ce n'est plus la subjectivité ni l'intentionalité qui sont premiers mais la clairière de l'Etre, l'ouverture d'un monde.

La subjectivité ici, c'est le monde intérieur tel qu'il se règle sur le monde extérieur au lieu de s'épuiser en réactions biochimiques, c'est le monde sensible propre (Merkwelt) qui ne prend sens que par rapport à la gamme de réactions possibles (Wirkungswelt), ce qui montre bien l'identité de la subjectivité avec les degrés de liberté entre lesquels il faut arbitrer (la subjectivité s'enrichissant à mesure de la complexification de ses réactions). Une façon de l'illustrer, c'est de mettre des lunettes qui inversent la vision : au bout d'un temps assez rapide, on voit de nouveau à l'endroit, car ce qui compte, c'est le déplacement du corps, la fonction et non l'image (c'est ce qui fait aussi qu'on peut voir avec des sons ou avec la langue). Par contre, cette subjectivité animale minimale est encore loin de tout processus cognitif à ce stade, se limitant à des changements de régime programmés assez rigidement. Jacob von Uexküll parle de "désinhibiteur", notamment pour l'acide butyrique qui déclenche un comportement stéréotypé, inhibé jusqu'ici, où l'on retrouve le principe de l'expression génétique conditionnelle par levée de l'inhibition d'un gène jouant le rôle de commutateur entre états et régimes d'action. Ce point de vue subjectif d'attention à l'information extérieure constitue l'autre face du darwinisme, de l'objectivité implacable de la lutte pour la vie et de la sélection individuelle par le résultat. Avec le point de vue unifiant de l'écologie, d'un organisme inséré dans son environnement, on entre effectivement dans le point de vue subjectif de l'être qui s'éveille au monde et qui en est partie prenante.

L’organisme n’est pas quelque chose qui existe d’abord pour soi et qui s’adapte ensuite. C’est l’inverse : l’organisme s’emboîte chaque fois dans un milieu déterminé. (Heidegger, Les concepts fondamentaux de la métaphysique, monde, finitude, solitude, nrf p384)

C'est à partir de cette position que Heidegger critique la conception de l’animal-machine mais s'il distingue ainsi l’outil de l’organe, l’organe résultant de la canalisation d’une aptitude originelle de l’organisme et déterminant une dimension de l’espace (pour avoir un oeil, il faut pouvoir voir, devoir sa survie à une bonne vision), il définira malgré tout l'outil comme prolongation des organes et donc créateur de mondes. Pour Sartre aussi, la différence, c'est que "cet instrument, nous ne l’employons pas, nous le sommes...Ou bien la conscience survole un univers d’extériorité et ne peut plus entrer dans le monde d’aucune manière. Ou bien le corps est donné concrètement et à plein comme la disposition même des choses... C’est que mon corps s’étend toujours à travers l’outil qu’il utilise" (L'être et le néant, p388/389).

On a déjà vu qu'il fallait mettre un bémol à cette "unité immédiate du sujet et de l'objet en construction réciproque", du simple fait qu'il faut intégrer les longues durées et les changements d'environnement. La plupart des animaux quittent le berceau de leur naissance et doivent s'affronter à un monde hostile. Les nouveaux-nés eux-mêmes se signalent plutôt par leurs cris. Il y a bien des corps projetés dans des milieux qui leurs sont étrangers et auxquels ils doivent s'adapter vaille que vaille. C'est singulièrement le cas des hommes civilisés, des urbains qui vivent dans un environnement artificiel n'ayant plus rien de naturel, mais c'est malgré tout conforme à l'évolution sur de longues durées qui favorisent une autonomie de plus en plus grande par rapport au milieu immédiat, jusqu'à pouvoir coloniser d'autres planètes ! Tout cela n'empêche pas qu'il reste indéniable que l'organe est façonné par la fonction qu'il remplit et détermine un monde qu'il peut habiter, dont il n'est que le résultat et qu'il assimile par la digestion au moins. D'une façon ou d'une autre, nous sommes ce que nous mangeons, et donc adaptés à un monde qui n'est pas si étranger mais qui est bien notre monde, celui qui nous a fait ce que nous sommes, sur lequel nous sommes branchés et que nous incorporons, ce qui ne veut pas dire que nos rapports au monde pourraient être harmoniques, sans contradictions ni prédateurs ou rivaux de toutes sortes puisque toute cette autonomie n'est rien d'autre qu'une résistance constante aux forces de destruction et aux changements extérieurs.

Le stade d'après sera celui, décisif, du plaisir et de la peine qui ne semble pas évident chez les tiques, sans qu'on puisse l'exclure (la présence de médiateurs de la douleur pourraient nous renseigner) mais dont on peut du moins se passer dans la description de leur subjectivité apparente.

Le sujet du plaisir et de la peine (apprentissage)

Il y a des vies sans plaisir, c'est un fait. On ne peut supposer que le plaisir de vivre serait premier, ni faire appel à un conatus mystérieux qui ferait que toute chose voudrait persévérer dans l'être. Il n'y a, bien sûr, aucune volonté derrière la permanence de la matière, qui tient à la nécessité d'un apport d'énergie pour en détruire les forces de liaison, mais on ne peut dire non plus que le vivant se caractériserait par un vouloir-vivre qui viendrait plutôt de l'extérieur. Il y faut bien une énergie vitale débordante et une activité homéostatique incessante mais qui se situent en-deçà de tout vouloir ou subjectivité et non seulement se trouvent comme résultat de la sélection mais s'originent des ressources extérieures. On le voit bien, le "plaisir d'organe" est dans son utilisation qui le renforce alors qu'il s'atrophie s'il n'est plus utilisé (et les taupes perdent la vue à vivre dans le noir). En tout cas, les formes de vie les plus primitives semblent bien se passer de plaisir, qui s'introduirait sans doute avec les premiers neurones ?

En tout cas, une fois qu'on est dans le plaisir et la peine, on est en terrain familier (on se comprend et la souffrance animale nous concerne intimement). D'une certaine façon, ce n'est qu'une extension des boucles de rétroaction positive et négative puisque le plaisir est un renforcement, la peine un évitement. La différence est essentiellement d'en faire un phénomène global, un saut dans l'abstraction de la subjectivité, mobilisant des processus unifiés, des molécules identiques entre différents plaisirs et toutes sortes de peines. Plaisir et peine affectent l'ensemble du corps et décident de son action (l'affect est puissance d'agir) mais leur généralité joue un rôle primordial dans les processus d'apprentissage et de mémorisation, ce qu'on appelle le système de récompense et dont les addictions (ou les phobies) constituent très logiquement la pathologie.

Aussi bien la dopamine que les endomorphines ou la sérotonine peuvent nous emplir d'une grande béatitude (par exemple après un exercice épuisant). On comprend bien la fonction du plaisir mais comment parler de son effet subjectif, le ressenti de la satisfaction, de la complétude (passagère), la sensation de nirvana et d'une désindividuation ? Peut-être qu'on peut prendre les choses par l'autre bout, celui de la peine : le plaisir ne serait alors que la fin de l'irritation, du déséquilibre, ce que suggère la fonction inhibitrice de la dopamine et anesthésiante de la morphine. On perd sans doute un peu, avec ce point de vue assez classique, la fonction de renforcement, nécessitant d'en rajouter, on pourrait tout aussi bien dire que la peine, c'est tout ce qui n'est pas le plaisir mais la vie ne pouvant se réduire à cette ennuyeuse béatitude, ce qu'il faudrait expliquer surtout dans la subjectivité, ce serait donc le malaise, le stress en tant que tonalité de base de la vie, de son inquiétude et de sa lutte constante contre l'entropie.

Ce que Heidegger appelle le souci est le fondement de la vie bien plus que le plaisir ou la satisfaction qui ne sont que transitoires, de même que le repos n'a de sens qu'à suspendre son activité qui reste l'essentiel pour un être vivant et le différencie de l'inerte. Bien sûr, le plaisir guide l'action, il n'y a même de véritable plaisir que dans l'action, mais c'est un plaisir mêlé de contrariétés à surmonter et visant le plaisir de la réussite qui ne peut être un plaisir durable car, répétons-le, la vie, c'est l'activité vitale, une lutte incessante contre la dégradation et la mort. Il faut sans doute un minimum de plaisir garanti pour supporter tous les soucis de la vie : pas de vie sans boucle de rétroaction positive mais avec cette coloration "pathologique" qu'on peut dire informationnelle, il faut réaliser que ce qui compte surtout, c'est la différence, plaisir et peine étant essentiellement relatifs et s'atténuant avec le temps. Il n'empêche que la vie relève avant tout de l'irritation et de l'activité qui en résulte selon le schéma stimulus/réponse au moins. On peut appeler comme Aristote privation ce fondement de la subjectivité en tant qu'elle prépare à l'action et se fait désir, intentionalité, projection vers l'extérieur. La base de la subjectivité est donc le manque (Aristote), l'irritabilité (Hegel), le souci ou l'angoisse (Heidegger), la douleur enfin traduisant un état de stress conduisant à une réaction globale de l'organisme. La peine est moins relative que le plaisir en ce qu'elle peut s'aggraver avec l'état de stress et peut durer beaucoup plus longtemps (sans faire disparaître le plaisir puisqu'il est relatif). En tout cas, il n'y a qu'un être vivant qui peut avoir (ressentir) un manque de quelque chose mais la subjectivité est originairement projection en avant et prévision, dès la bactérie qui génère de l'aléatoire pour parer à l'imprévu.

Comment ce flux d'informations sensibles fait-il un sentiment vécu de fragilité et d'urgence où l'organisme s'individualise ? Sans doute dans la perturbation des fonctions qui en résulte, une certaine nervosité, un état d'agitation, mais non pas directement, en passant au contraire par les médiateurs de l'inflammation ou de la douleur. Notre impression de sentir notre corps n'a ainsi rien d'une sensation directe de sa globalité en masse mais résulte de tout un système de communication et de médiations où la santé se caractérise au contraire par le silence des organes ! Ce qu'on sent, c'est plutôt l'enveloppe, le soleil sur la peau, et donc notre insertion dans le monde. Ce n'est pas pour rien que le cerveau comme organe de l'extériorité et de la sensibilité soit une extension de la peau dans l'embryogenèse. Le vécu de ces sentiments de base, que ce soit l'attirance du plaisir ou la répulsion de la peine, ne sont bien qu'une version supérieure, ce qui veut dire médiatisée, du stress. Ces médiateurs chimiques ou nerveux apportent dés lors un certain jeu entre l'état du corps et l'état d'esprit, entre l'information chimique ou génétique et l'information nerveuse qui subit toutes sortes de filtres.

Il reste un irreprésentable dans le passage de l'objectif au subjectif, entre le software et le hardware, c'est le processus de représentation lui-même dont il n'y a pas de meilleur exemple que la perception où le regard du sujet vise son objet, différence ontologique entre l'information et ce qu'elle représente, entre signe et signifié, percipiens et perceptum (noèse et noème), entre le récepteur et l'émetteur, enfin (le subjectif est réceptivité avant d'être réactif). Dans la plus simple sensibilité, avant même toute représentation, l'information est toujours fonction de notre ignorance, exploration tâtonnante, page blanche à l'opposé de toute co-naissance a priori dans une supposée symbiose avec la nature et l'atmosphère ambiante. On n'est plus du tout ici dans l'unité sujet/objet mais dans une séparation radicale du subjectif et de l'objectif. Ce qui est trompeur dans la perception, c'est effectivement sa part d'objectivité, bien réelle, mais dont il faut comprendre qu'elle est prise dans une subjectivation animale, l'ensorcellement des formes, obnubilée par des saillances "désinhibitrices", prise dans toutes sortes de prégnances instinctuelles (faim, peur, attirance sexuelle, attachement, agression). Loin d'être distanciée et indifférente aux êtres dans leur multiplicité, la perception animale manifeste nos intérêts vitaux et l'implication de l'organisme dans son milieu, dans un monde de significations plus ou moins impératives.

Certaines formes ont (chez l’animal) une signification biologique ; telles sont les formes des proies pour le prédateur (affamé), ou le prédateur pour la proie, le partenaire sexuel en période appropriée... La reconnaissance de ces formes suscite une réaction de grande ampleur chez le sujet : libération d’hormones, excitation émotive, comportement d’attraction ou de répulsion à l’égard de la forme inductrice. J’appellerai prégnantes ces formes, et prégnance ce caractère spécifique. Bien entendu, toute forme prégnante est de ce fait saillante. René Thom, ES p20

Un appareil comme l’oeil repose sur une simulation parfaite des lois de l’optique. Aussi est-il légitime d’affirmer (et ceci en dépit des discours des philosophes qui ne cessent de disserter sur les erreurs de nos sens, ou la "déformation" que nos sens apportent à la réalité (?)) que la fonction essentielle de l’appareil sensoriel (chez l’animal et l’homme) est de fournir une copie aussi fidèle que possible (même métriquement) de l’univers qui l’entoure. C’est cette copie constamment présente qui constitue la "conscience", la "subjectivité " de l‘individu. René Thom, MMp104.

La dynamique intrinsèque de notre pensée n’est donc pas fondamentalement différente de la dynamique agissant sur le monde extérieur. On s’expliquera ainsi que des structures simulatrices des forces extérieures puissent par couplage se constituer à l’intérieur même de notre esprit, ce qui est précisément le fait de la connaissance. MM p265

Or l’affectivité peut être vue comme un agent qui déforme la structure de régulation. La prégnance, qui n’est jamais que le souvenir d’une satisfaction (ou de douleur) antérieure, est aussi l’anticipation de cette même satisfaction (ou douleur). L’action déclenchée par la prégnance vise à obtenir cette satisfaction (ou à éviter cette douleur). ES p29

Toute fonction physiologique correspond à une régulation "catastrophique" du métabolisme, une véritable "onde de choc" physiologique; l’organogenèse est une sorte de lissage rétroactif de cette onde de choc, ce qui donne à l’organe sa finalité, car son fonctionnement prévient la catastrophe physiologique (ainsi, respirer par les poumons prévient l’asphyxie). René Thom, MM p218

On peut dire comme Georges Bataille "A la base de chaque être, il existe un principe d'insuffisance" (Principe d'incomplétude) mais si l'on peut définir la subjectivité animale par son intentionalité tendue vers une fin (la fin de l'irritation) et la nécessité de s'orienter dans l'espace, il ne faudrait pas aller trop vite en besogne jusqu'à lui accorder le statut de finalité consciente alors que l'instinct, notamment sexuel, serait plutôt de l'ordre de l'ensorcellement, d'une pulsion obnubilée par son objet où la conscience peut être complétement inhibée. De plus, si l'on peut penser que le prédateur a conscience de vouloir attraper sa proie, les abeilles n'ont bien sûr aucune conscience de participer à la pollinisation des fleurs dont elles dépendent pourtant. C'est juste une finalité "programmée", ce qu'on appelle téléonomie en opposition à une téléologie plus ou moins consciente. En dehors des réflexes, il faut bien cependant que les finalités objectives soient intériorisées comme telles, entre la faim et la recherche de nourriture, la fatigue et le besoin de repos, la sexualité et la parade amoureuse, le maternage et l'attachement à l'enfant. A chaque fois l'état subjectif diffère, la tonalité affective, sans qu'une conscience y soit nécessairement impliquée mais tendue vers un objet extérieur. Il faut distinguer cependant les finalités innées, qui cherchent leur objet, et les finalités acquises, qui nous attachent à la répétition des plaisirs et impliquent sans doute un niveau minimal de conscience dans l'arbitrage entre les plaisirs et dans la représentation des finalités à poursuivre (des plaisirs à retrouver). On est quand même plutôt dans le dressage avec ce système de plaisir et de peine, de l'ordre du réflexe conditionné où la prégnance instinctuelle se transfère aux signes précurseurs, encore aux balbutiements du cognitif, en deçà du cortex associatif inhibant le cerveau reptilien, sans parler du langage...

On va s'arrêter là pour l'instant, à la subjectivité de l'humeur que nous partageons avec tant d'animaux et qui est justement attribuée aux hormones comme à la bile noire de la mélancholie bien que liée aussi à l'ambiance extérieure, à l'atmosphère du moment, tout en restant au seuil de la conscience et de l'acquisition de compétences, bien loin encore de la conscience humaine et du langage, pour laquelle il nous faudrait mobiliser, phénoménologie, psychologie, psychanalyse, cognitivisme, sociologie, ethnologie (l'intersubjectivité et le feedback social) où l'on verra qu'on retrouve l'inhibition sous la forme du questionnement et l'irritation sous la forme du manque d'information.

Suite... (Chapitre III, La part animale de l'homme)

Pour ces questions voir aussi :

- Emotions et sentiments (Damasio, 2003)
- L'émergence de la conscience (2005)
- Une vérité sortie du cerveau (Changeux, 2002)
- L'homme et l'animal (Agamben, Boccara, 2002)
- Corps et société (Canguilhem, 2002)


Ce texte fait partie du livre "Le sens de la vie" (pdf) :

- La vie incréée
- La subjectivité du vivant
- La part animale de l'homme
- L'humanisation du monde
- Un homme de parole (le sujet du langage)
- De l'entropie à l'écologie

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9 réflexions au sujet de “La subjectivité du vivant”

  1. Mon réalisme me fait dire que vous réduisez la vie notamment anorganique au vivant pourtant la vie est constitué de peuplement, de débordement, de campement... Les fossiles (dont les campements sont bien connus après que Voltaire se soit trompés accusant des coquins de le mettre dans les montagnes) sortent de l'organique mais il en va de même pour les graines qui émergent en fonction de données bioclimatiques (vous être de Brive, vous devriez connaître cet asubjectivisme). Il n'y a pas là de subjectivité. Votre oeil trop scrupuleux veut voir de la subjectivité (ressenti ). Le vivant, l'organique et la subjectivité assimilatrice dont vous êtes font systèmes.

    Question Y-at-il d'autres instinct inscrits dans les circuits cérébraux et moraliser par la suite que le plaisir et la douleur (la douleur étant la base de l'individualisme et ce qui écorche Dionysos)....

    Quelques vidéos de vous dans mon dernier post 🙂

  2. Il est certain que ma tentative de cerner le vécu de l'amibe est plus que périlleuse mais je ne crois pas réduire la vie à sa subjectivité, je l'indique en plusieurs endroits, je ne parle pas des foules ni de l'insecte pollinisateur. J'essaie juste d'appliquer par régression à la cellule ce qu'on dit des animaux par la simple remarque que les cellules sont déjà des totalités et qu'elles sont déjà organisées (il n'y a donc pas de vie anorganique). La graine qui germe a effectivement plus à voir avec l'humidité et la chaleur ambiante qu'avec sa subjectivité sinon que c'est le signe de son réveil (un peu comme on peut redonner vie à un tardigrade seulement avec un peau d'eau). Il en est de même de tout ce qui est réflexe et ne concerne pas la totalité.

    Je m'attaque là, sans aucun doute, à ce qui dépasse mes forces mais je trouvais qu'il y avait un intérêt certain à essayer de penser la continuité de la subjectivité avec ses ruptures, étonné moi-même de devoir régresser jusqu'à la cellule mais c'est où me conduisait la découverte que "la vie artificielle n'est pas la vie". Je ne défends pas une thèse mais déroule un certain nombre de faits qui me semblent changer les perspectives habituelles. Je suis malgré tout conscient du risque de dire autant de bêtise que Descartes même si on en sait un petit peu plus sur le sujet, la confusion est encore totale, ce n'est certainement pas le mot de la fin, juste une tentative de mise en série. L'aboutissement bien sûr, c'est de comprendre ce qui distingue la subjectivité humaine de la subjectivité animale et d'un asubjectivisme qui a une plus grande place qu'on ne croit, mais je ne sais si j'irais jusque là (ayant déjà traité ce sujet abondamment).

    Sinon, je ne suis pas de Brive mais vis dans le Lot, ce qui, certes, n'est pas très loin mais déjà trop pour ma vieille voiture notamment. Il est vrai par contre que je vis en pleine nature où, actuellement, les chênes sont victimes de pullulation de chenilles défoliatrices, les "bombyx disparates" dévastant la forêt et faisant un bruit continuel de pluie rien qu'avec leurs déjections, assez effrayant... Ces catastrophes écologiques ne sont pas si exceptionnelles, paraît-il, et participent peut-être du maintien de la biodiversité ?

  3. J’avais compris dans le billet précédent votre intention d’expliquer le vivant dans une optique strictement matérialiste. Vous osez parler aujourd’hui , bien qu’avec prudence, et vous le faites pour notre bonheur, de subjectivité déjà des êtres les plus simples, comme pour une bactérie. Ne pourriez-vous pas osez encore plus en parlant de subjectivité du végétal, comme d’un arbre, dans la mesure où, pour telle essence donnée, il détermine sa forme ( le port de ses branches) en fonction des conditions locales de son environnement. Chaque plante d’un lieu de vie comme autant de réactions subjectives aux conditions d’un biotope complexe mais précis ? (Sous réserve de définir la subjectivité autrement que dans le contexte d’une pensée idéaliste)

  4. Concernant Descartes, un inconnu que j'ai connu, c'était un de mes profs avec qui j'avais sympathisé quand j'avais 19 ans, un vraiment hors normes, il avait beaucoup d'humour mais aussi beaucoup souffert et résisté, j'ai appris tardivement son décès dans les circonstances douloureuses d'un accident aux Bahamas :

    "Nous pouvions bien voir que notre ami avait un lourd poids sur le cœur. Que ce poids était probablement, mais il ne lâchait jamais le morceau, Descartes lui-même. Souvent, la rédaction de cet immense travail revenait dans les conversations. J’en connais­sais une petite part, ayant mis au propre une centaine de pages. Il faisait quelques confidences au détour. C’était l’heure des mises au point. Combien de temps lui restait-il à vivre ? Il devait régler quelques comptes avec le cartésianisme de quelques-uns, déten­teurs de la « bien-pensance », organisant le mal sur l’échiquier de l’existence plus qu’ils ne préservaient le bien. Gloria victis !"

    http://www.lignedombre.org/MarcAlpo...

  5. Pour Descartes, c'est la prétention à penser par soi-même qui mène aux errements dune introspection approximative et d'une simplification abusive même si elle est utile pour commencer à s'approcher d'une question et la soumettre à l'expérience. Il lui manque l'histoire dont il hérite même à croire la mettre entre parenthèses, et de savoir le discours comme discours de l'Autre. C'est malgré tout un moment nécessaire et important mais je préfère la rigueur d'Aristote ou d'Hegel et la cruelle vérité d'un Pascal. Sur les question qui nous intéressent ici, on ne peut dire que Descartes fut très brillant même s'il ne défendait pas vraiment l'idée de l'animal-machine.

    Pour le végétal, je ne sais pas si je m'y aventurerais, il me manque un biais d'attaque. Comme je procède par régression, le végétal ne faisait simplement pas partie de notre lignée mais il semble qu'on ait une compréhension naturelle de cette croissance ramifiée en fractales qui cherchent la lumière ou s'enfoncent dans la terre. La difficulté, c'est de ne pas faire autre chose que de la poésie. Le végétal montre au moins tout ce que notre subjectivité doit au fait de pouvoir se mouvoir et explorer l'espace.

  6. Et la subjectivité des super-organismes composés de cellules a peine plus évolués que le singe ( au niveau de la capacité de choix et d'analyse) devenu trop grand pour trouver un miroir dans lequel se regarder ?

    et peut être dans l'erreur depuis toujours ?

  7. Un des enjeux de la contestation de la vie comme auto-organisation, c'est de réfuter l'idée de la société comme organisme et donc comme subjectivité. Comme le dit Canguilhem, une société n'a pas ses finalités en elle-même comme un organisme, elle doit se les donner. C'est, si l'on veut, une subjectivité artificielle, en tout cas construite à l'opposé de l'ordre spontané de Hayek qui a d'ailleurs besoin d'une "constitution de la liberté" on ne peut plus construite. Le problème des rapports de l'individu avec la société instituée reste intact et d'une intelligence collective absente (il y a bien perte entre le niveau individuel et le niveau collectif). On devrait pouvoir faire mieux avec nos moyens numériques mais c'est encore la préhistoire...

    Soit on est toujours dans l'erreur puisqu'on progresse et réfute les anciens préjugés, soit on est mort car être dans l'erreur depuis toujours, c'est n'avoir aucune chance d'exister. Aucune erreur n'est sans raison (le faux est un moment du vrai). La question de la vérité est une question pratique.

  8. Question :
    Dans les citations que vous faites de René Thom, je relève : « un appareil comme l’œil repose sur une simulation parfaite des lois de l’optique ». S’agit-il d’une critique de l’attitude qui consiste à déduire le fonctionnement d’un organe perceptif à partir des axiomes de la géométrie héritière d’Euclide ? En effet les lois de l’optique, pour aussi efficaces qu’elles apparaissent comme outil de connaissance dans les structures de notre vie sociale, ne répondent pas de la diversité des organes dont chaque espèce vivante dispose pour que les individus de telle espèce puissent s’affirmer comme existant pour soi, subjectivement, dans leur monde propre.( voir Jacob von Uexküll, dans la première partie de votre texte). Est-ce que je me trompe?

  9. Je ne suis pas sûr de bien comprendre mais si j'ai mis cette citation, c'est pour indiquer que la perception ne nous trompe pas, elle est bien objective, on voit le monde tel qu'il est, sauf qu'on n'en voit qu'un bout, qu'on s'obnubile sur des prégnances, qu'on applique notre grille de lecture mais il n'y a qu'un seul monde commun, un réel qui résiste et n'est subjectif que par le sens qu'on lui donne. En tant que c'est la vision qui a sélectionné l'oeil, celui-ci remplit parfaitement son rôle comme l'aile de l'oiseau.

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