André Gorz bénéficie d'une gloire posthume étonnante par rapport à son audience relativement confidentielle jusqu'ici. C'est à l'évidence dû en grande partie à son dernier livre Ecologica, recueil de textes sur l'écologie politique qu'il a rassemblés juste avant son suicide le 22 septembre 2007. En particulier son tout dernier texte, publié dans EcoRev' et repris dans Ecologica, "La sortie du capitalisme a déjà commencé" parait largement prémonitoire puisqu'il annonce l'effondrement du capitalisme financier. D'autres pourraient se prévaloir d'avoir vu venir la crise avec plus de précisions sur les mécanismes de son déclenchement, mais aucun ne propose comme lui les voies d'une sortie du capitalisme, alternative dessinée en 1997 dans "Misères du présent, richesse du possible" et qui fait sa valeur irremplaçable dans le contexte actuel.
Le livre qui vient de sortir aux éditions La Découverte, André Gorz, un penseur pour le XXI° siècle, regroupe des contributions très disparates d'anciens interlocuteurs d'André Gorz, rassemblées par Christophe Fourel (Patrick Viveret, Jean Zin, Carlo Vercellone, Denis Clerc et Dominique Méda, Marie-Louise Duboin, Jean-Baptiste de Foucauld, Philippe Van Parijs), témoignant de la diversité de ses influences et même des lectures contradictoires qu'on peut faire de son oeuvre.
L'introduction de Christophe Fourel permet de suivre son itinéraire intellectuel, de Sartre et du marxisme à l'écologie politique, montrant à quel point il avait vu juste dans le caractère intenable d'un capitalisme basé sur la spéculation. André Gorz insiste sur le fait que le capitalisme cognitif ou financier est contradictoire, perdant toutes ses bases dans l'économie immatérielle (travail, valeur, propriété). En effet, de façon strictement marxiste, il réfutait que la finance puisse créer de la valeur en elle-même sans passer par l'amélioration de la productivité du travail.
La question de la sortie du capitalisme n’a jamais été plus actuelle. Elle se pose en des termes et avec une urgence d’une radicale nouveauté. Par son développement même, le capitalisme a atteint une limite tant interne qu’externe qu’il est incapable de dépasser et qui en fait un système qui survit par des subterfuges à la crise de ses catégories fondamentales : le travail, la valeur, le capital.
L’économie réelle devient un appendice des bulles spéculatives entretenues par l’industrie financière. Jusqu’au moment, inévitable, où les bulles éclatent, entraînent les banques dans des faillites en chaîne, menaçant le système mondial de crédit d’effondrement, l’économie réelle d’une dépression sévère et prolongée.
Patrick Viveret est un ami que j'estime beaucoup, notamment pour sa remise en cause des indicateurs de richesse mais surtout pour avoir porté le projet SOL de monnaie alternative qui me semble véritablement révolutionnaire et de la plus haute importance dans la période qui s'ouvre. Il n'empêche que je désapprouve sa conception émotionnelle et religieuse de la politique. Je trouve même relativement choquante la récupération politique du suicide de Gorz avec Dorine, sa compagne malade, suicide qu'on peut dire annoncé dans le magnifique "Lettre à D.". Mais, non, "toutes les difficultés de l'humanité" ne sont pas "pour l'essentiel, fondamentalement liées à sa difficulté d'aimer" (p51), c'est absurde et il n'y a aucune chance que ça s'arrange du côté de l'amour. L'amour ne peut être pensé comme question politique. La philia qui nous tient ensemble, la fraternité ou la solidarité plutôt sont bien des questions politiques mais certainement pas l'amour même s'il y a des similitudes entre coup de foudre et insurrection (voir Alberoni). Si le désir de reconnaissance, plus que l'amour, est effectivement un moteur de l'histoire, c'est d'y déployer ses contradictions. La nuance est de taille, car ce n'est certainement pas par "manque d'intelligence du coeur" que les révolutions tournent mal (ou que "les histoires d'amour finissent mal, en général"), position qui permet de juger les autres de haut mais n'a aucune base anthropologique. La conception gorzienne du sujet comme mauvais sujet est à mille lieux de ce moralisme normalisateur et surtout il est dangereux et illusoire de croire qu'il suffit d'éliminer les méchants, de changer simplement les hommes pour que ça se passe mieux alors que ce sont les structures qu'il faut changer (sans en attendre de miracles). Il faut dire que nous avons une lecture diamétralement opposée du "Traître" qui inaugure l'oeuvre de Gorz et de "Lettre à D." qui la clôture. En effet, je vois dans "Le Traître" une tentative héroïque d'atteindre à l'authenticité, jusqu'au malaise et au vide insupportable, sa dernière lettre d'amour me paraissant plutôt une façon de tirer le rideau et de recouvrir la cruelle vérité par un discours de bienséances qui ne soit pas aussi trompeur qu'une vérité trop brutale. C'est le triomphe de l'amour si l'on veut, mais dans l'aveu d'y avoir été absent.
Je m'attache, dans mon propre texte, André Gorz, pionnier de l'écologie politique, à restituer la véritable position politique d'André Gorz et l'alternative écologiste qu'il défendait dans "Misères du présent, richesse du possible". Il me semble que cette petite synthèse peut être utile pour les écologistes anti-capitalistes, même si elle reflète surtout mes propres positions, sans aucun doute, ce que j'ai retiré de son oeuvre pour le projet écologiste. Je ne prétends pas être un fidèle disciple même si je partage les grandes lignes d'une écologie politique humaniste, existentialiste si l'on veut, centrée sur la qualité de la vie et l'autonomie. Par contre, je m'éloigne de plus en plus des théories de l'aliénation, la notion d'homme total ou même d'authenticité me paraissant désormais complètement dénuée de sens, pur flatus vocis, et devant être remplacés par des concepts plus modestes et concrets comme ceux de domination et d'exploitation, du côté négatif, ou d'autonomie et de développement humain du côté positif. Une première version de l'article est disponible sur le blog depuis le 21 juin 2008 (traduit même en espagnol !).
Rien à redire à l'article de Carlo Vercellone, L'analyse "gorzienne" de l'évolution du capitalisme où il montre que pour Gorz, contrairement à Yann Moulier-Boutang par exemple, le capitalisme cognitif est la fin du capitalisme.
Denis Clerc et Dominique Méda tournent surtout autour de leurs propres contradictions sur la "valeur travail", passant à côté du travail autonome qui se généralise. Cela donne une idée des difficiles conversions idéologiques nécessaires pour comprendre les évolutions du travail depuis quelques dizaines d'années. On peut être d'accord avec eux sur le fait que l'automatisation ne crée pas le chômage, dont les causes sont monétaires on le voit bien, mais c'est quand même ce qui tue l'emploi industriel et pousse à la sortie d'un salariat précarisé.
Ce qui est intéressant dans le récit de Marie-Louise Duboin sur les rapports de Gorz avec l'économie distributive, c'est qu'on voit bien qu'il abandonnera une critique trop radicale de la technique et de l'automatisation afin de réduire le travail hétéronome et favoriser le travail autonome. C'est d'ailleurs à cause de cela que certains doctrinaires de la décroissance osent le qualifier de productiviste, ce qui est insensé au regard de l'alternative qu'il défend !
La contribution de Jean-Baptiste de Foucauld aussi témoigne de la confusion des débats autour du travail, débats dans lesquels André Gorz apportait des éléments incontournables même si c'est peu de dire qu'ils étaient difficilement pris en compte. Là, il est un peu comique de voir un grand commis de l'Etat qui n'aime pas les mesures étatiques, encore moins le revenu garanti considéré comme le diable (une démission!). L'utopie qu'il défend encore d'un "temps choisi" néglige le fait que le temps ne peut être choisi quand le travail n'est pas autonome et surtout il ne prend pas en compte le fait que le travail ne peut plus se mesurer en "temps de travail" dans une production immatérielle largement non-linéaire !
Pour sa part, Philippe Van Parijs n'arrive pas à sortir du point de vue de l'individualisme méthodologique et témoigne du plus grand mal à lier écologie et autonomie alors qu'on ne peut les dissocier puisque l'autonomie est à la base de la vie et des systèmes complexes, de l'articulation du local au global. C'est pour cela qu'on a besoin d'autonomie à l'ère de l'information reliant écologie et développement humain. De même, en l'absence d'une conception systémique, il isole beaucoup trop l'allocation universelle, se préoccupant plus qu'elle soit juste que productive !
Passer ensuite à l'interview de Gorz par les syndicalistes allemands, L'homme, un être qui a à se faire ce qu'il est, c'est une bouffée d'air... Le texte sur Kafka est plus un document qui n'intéressera que les spécialistes.
Sommaire
- Itinéraire d'un penseur, Christophe Fourel, p13
- De Kay à Dorine, penser les enjeux émotionnels de la transformation sociale, Patrick Viveret, p37
- André Gorz, pionnier de l'écologie politique, Jean Zin, p 57
- L'analyse "gorzienne" de l'évolution du capitalisme, Carlo Vercellone, p77
- Emploi et travail chez André Gorz, Denis Clerc et Dominique Méda, p99
- André Gorz et l'économie distributive, Marie-Louise Duboin, p123
- Gorz et le temps choisi, un débat inachevé, Jean-Baptiste de Foucauld, p145
- De la sphère autonome à l'allocation universelle, Philippe Van Parijs, p161
Textes inédits d'Angré Gorz :
- L'homme, un être qui a à se faire ce qu'il est, p179
- Kafka et le problème de la transcendance, p198
- Nous sommes moins vieux qu'il y a 20 ans, p230
Une nouvelle édition en poche est sortie le 12 avril 2012 augmentée de plusieurs textes, notamment un texte sur Sartre (Qui est Sartre ? et un étonnant hommage à Che Guevara !). Antonio Negri dit des bêtises (comme si Gorz pensait que l'immatériel n'avait rien de matériel alors qu'il faisait une promotion excessive des fab labs !) et Rossana Rossanda dit qu'il n'y avait aucun leader écologiste à son incinération, ce qui est sans doute vrai, mais c'est parce que Gorz, qui avait tout préparé, ne leur avait pas envoyé de faire-parts et cela pourrait faire croire qu'il n'y avait aucun écologiste alors qu'on était là (3 d'EcoRev').
Mes articles sur André Gorz :
- L'écologie politique, une éthique de libération 21/06/08
- André Gorz - la richesse du possible 08/10/07
- André Gorz, une écologie politique 25/09/07
- La réalisation de la philosophie 07/12/2009
- Sortir du capitalisme 26/01/2010
Les gens qui travaillent dans le mensuel "La décroissance" ne doivent pas être les "doctrinaires" en question, puisque j'y ai souvent lu des papiers qui encensait Gorz... Et puis, une question un peu hors sujet mais votre avis m'interesse... Que pensez-vous de la pensé d'un Michel Onfray qui, parfois à mon étonnement, se fait régulièrement descendre par celà même qu'il défend?
Bien d'accord, nous sommes à la croisée des chemins, plus savamment dit à un point de bifurcation. Une approche bottom up semble s'imposer, à savoir raisonner de la base que constituent les conditions de travail qui sont pourtant trivialement les conditions de vie, puisqu'on y passe une bonne partie de son temps. Mais étrangement, cette approche a été esquivée et n'est pas l'ordre du jour compte tenu des urgences du moment présent de préserver du naufrage le logiciel actuel.
Je suis surtout frappé par le fait que les choix s'imposent aux gouvernements indépendamment de leur volonté ou de leur idéologie. Ainsi, la Guadeloupe semble devoir inaugurer une sorte de revenu d'existence cumulable avec un salaire... Il est certain que l'approche bottom-up ne facilite pas les choses, même si c'est le contraire de l'auto-organisation les alternatives locales à la globalisation marchande exigent une dynamique démocratique difficile à trouver, d'autant plus que l'échelle locale semble dérisoire bien qu'elle soit incontournable. Il semble qu'on n'ait pas beaucoup plus à faire qu'à attendre que la situation murisse.
Sinon pour la décroissance je parle de personnes précises et ne voudrais pas compromettre les autres là-dessus ! Pour Michel Onfray, comme beaucoup de gens, j'apprécie sa capacité de résumer des pensées dissidentes et son style mais je n'ai que mépris pour sa propre pensée et son épicurisme gaullo-gauchiste complètement inconsistant. Ce n'est certainement pas un ennemi. Je ne le connais pas mais il doit être plus sympathique que moi. Il occupe une place dans le cirque médiatique mais il fait partie du problème plus que de la solution. De toutes façons, moi je pense du mal de tout le monde, donc c'est sûrement moi qui suis un peu fou...
Onfray, je le soupçonne sans problème de sincérité. Cependant, ses postures Nietzschéennes rehaussées de Deleuzianisme ou de Bourdieusisme sont un peu désuètes quand bien même elles seraient admirables. Sa réussite médiatique lui a permis une forme d'autonomie. Disons que la réussite individuelle implique souvent une forme de déchéance du confort.
La croisade d'Onfray contre les religions est vénérable, seulement les religions sont là, tout autant que les drogues, depuis des lustres. Il s'agit de faire avec sans les promouvoir par le contre ou par le pour, au lieu de s'ériger contre toutes les turpitudes de l'excès dont les religions seraient l'unique épicentre.
sur cette hypothèse de sortie du capitalisme , vous pouvez en dire plus ? la sortie civilisée j'ai bien ma petite idée cela fait un certain temps que je lis vos écrits politiques , mais la sortie sauvage ? elle est toujours d'actualité ?
je relisais le dernier texte de sapir ( de début janvier). quand il fait une proposition crédible d'ordre monétaire mondial et européen et qu'il decline le déroulement de la crise en fonction des différents pays développés . lui semble croire ,si c'est pas la dépression qui nous guète, que si on fait ce qui faut , on pourra revenir au plein emploi en mettant au panier les politiques de déflations salariale et de création d'un effet de richesse négatif . il n'y fait aucunement mention du revenu garanti et du capitalisme cognitif .
contrairement à gorz qui pense un transition un peu plus radicale que sapir apparament , exigent le maximum du possible et pas seulement le renforcement du système .
qu'est ce que vous en pensez ?
@olaf
Oui, sur les religions Onfray arrive à me faire trouver l'athéisme insupportable de connerie alors que je suis un adversaire farouche de toutes les religions mais je passe par l'ésotérisme et l'histoire des religions, ce qui ne laisse aucun espoir à la position de l'athée qui serait dans la vérité absolue d'avoir réussi à déchirer le voile des mensonges religieux. Ainsi, le passage de l'amour à la liberté et au savoir (du poisson au verseau) me semble toucher juste, les signes astrologiques illustrant qu'on ne peut avoir toutes les qualités à la fois et qu'il y a des positions existentielles irréductibles. Tout cela n'empêche pas que les croyants sont vraiment très cons, mais les non-croyants ne le sont pas forcément moins (qu'on songe au scientisme raciste et au darwinisme social).
@brunet
D'abord, sur la crise, il est intéressant de lire les prévisions du dernier bulletin de LEAP/E2020 sur l'aggravation de la crise systémique :
http://www.leap2020.eu/GEAB-N-32...
Ce sont parmi les premiers à avoir parlé de crise systémique dès 2006 où j'avais repris certaines de leurs analyses (je cite "europe 2020" dans "Une atmosphère de fin de monde" même si j'y parle aussi de catastrophes "naturelles"). Je ne sais pourquoi ils prévoient l'effondrement du système monétaire en été, il peut se produire à tout moment mais ils ont raison de pointer le risque de dislocation, c'est effectivement logique. Il me semble que les interconnexions actuelles peuvent quand même jouer contre cette dislocation, de même que Barak Obama ou même les dirigeants chinois qui ne sont pas des idiots. Le pire n'est donc pas complètement sûr mais ils ont bien raison de souligner que le système devra être reconstruit et que les mesures actuelles ne sont pas à la hauteur de la crise systémique (en fait on ne peut prendre des mesures à la hauteur avant que la crise ne s'aggrave, ce sont les faits qui dictent leur loi). Ce qui fait que les mesures proposées par Jacques Sapir ne seront pas prises, c'est d'une part qu'il n'y a pas de certitude sur la gravité de la crise et, d'autre part, il y a encore moins d'unanimité sur les remèdes. C'est un peu comme pour le climat et cela laisse présager qu'on doit passer par le pire, une dislocation du système mondial. On peut juste espérer que ce moment soit très court et surmonté rapidement grâce aux réseaux et à la coordination des gouvernements (aboutissant finalement à une sorte de gouvernement mondial et donc un renforcement du système).
La perspective d'André Gorz n'est pas la même que celle de Jacques Sapir, elle est à plus long terme. J'ai déjà eu l'occasion de dire que la sortie de crise ne serait pas la fin du capitalisme mais une de ses nouvelles métamorphoses dont l'hégémonie sera de plus en plus contestée par une économie relocalisée montant en puissance. Il est possible que le nouveau capitalisme prenne des formes barbares même si je ne pense pas que ce soit durable car ce n'est pas compatible avec le travail immatériel et créatif. Même s'il peut y avoir des catastrophes démesurées (bombe atomique, etc.), je reste optimiste pour la suite d'un nouveau cycle générationnel qui devrait suivre sur de nouvelles bases plus solides et solidaires à l'ère de l'information, de l'écologie et du développement humain.
Ciration: ''On peut juste espérer que ce moment soit très court et surmonté rapidement grâce aux réseaux et à la coordination des gouvernements (aboutissant finalement à une sorte de gouvernement mondial et donc un renforcement du système)''. Jean, je persiste & je signe, l'athée irréductible que je reste continue à préconiser un gouvernement mondial qui serait dirigé par un ''SixCapita'' avec trois hommes & trois femmes, dont le pape en exercice comme chef suprème, mais qui serait le seul à ne pas avoir de pouvoir, car un pape de 85 ans ne peut rien comprendre à ce qui se passe.
Il est assez effrayant ce bulletin LEAP!...Mais je n'arrive pas à croire que les dirigeants étasuniens, français ou anglais ne se rendent pas compte de la gravité de la situation! Ils ne veulent peut-être pas changer de monde, ils ne sont pas altermondialistes non plus...
C'est vrai que vous n'avez pas l'air très philantrope, même si le fait que vous l'avouer tendrait à penser le contraire, mais rassurez-vous, Onfray est, paraît-il, très ennuyeux. Ce qui ne veut pas dire antipathique, c'est vrai... Mais je ne suis pas d'accord avec OLAF pour "la déchéance du confort". Onfray est tellement athée que le jour où son "maître " lui a avoué être croyant, il a immédiatement stoppé toute correspondance avec lui!...
Herman,
Il y a quand même une sorte d'intégrisme athée de rompre tout rapport avec quelqu'un sous prétexte qu'il y croit. Cet évènement est lointain dans la vie d'Onfray et n'empêche pas d'autres abdications plus tardives.
J Zin,
pour l'astrologie, je ne pense pas qu'elle recouvre une réalité liée aux astres, mais surtout elle retranscrit dans un discours imagé des préoccupations du moment sous des aspects enchanteresques.
Pour compléter sur Onfray, il apparait comme focalisé sur un processus de purification athéiste. La pureté, d'où qu'elle vienne, est problématique car elle convertit, en définitive, tout en religion. Nos capacités cognitives à saisir ce phénomène restent en effet limitées.
L'astrologie n'a rien à voir avec les astres mais seulement avec les rythmes biologiques et les saisons. Elle concentre un savoir psychologique et une réflexion sur la succession des dieux. Voilà encore un exemple de ce qu'on peut condamner comme une croyance de concierges alors qu'il y a bien plus qu'on ne croit dans l'astrologie et surtout tout autre chose que ce qu'on s'imagine (ou qu'on attend des horoscopes). Occasion de vérifier comme la vérité aveugle et qu'une fois qu'on a compris que les montagnes ne sont pas des montagnes ni les nuages des nuages, on finit par comprendre en quoi les montagnes sont des montagnes et les nuages des nuages...
Je suis totalement d'accord avec vous OLAF, j'avais simplement cru comprendre que vous voyiez en Onfray un squatter du filon anticléricale, alors qu'ilest vraiment à fond dedans! Il va finir par faire pitié, ce qui serait un comble pour un "niszchéen! Mais ce qui me surprend en ce moment, c'est l'indigence de ces papiers dans siné hebdo (que je ne lis plus! très décevant ce journal( sauf les dessins!)! En tout cas je prend la proposition de Jean "il fait plus partie du problème que de la solution" pour la méditer... Car je l'avoue, ce site est à un niveau intellectuel bien superieur au mien, ce que démontre assez bien mes interventions, je pense...
L'astrologie et le reste alchimique, on ne sait pas bien ce que ça recouvre.
Qu'il y ait des cycles c'est manifeste, même le shivaisme en parlait, antérieur à l'hindouisme puis au bouddhisme.
Le fait est que, à ma connaissance, les pronostics de l'astrologie reposent sur des calendriers planétaires avec toutes les distorsions de calculs possibles.
Je ne vais pas continuer sur l'astrologie où je ne peux qu'être compris de travers. Je ne crois absolument pas à l'astrologie, pas plus que je ne crois en Dieu. Les pronostics de l'astrologie n'ont absolument aucune valeur et quand on prévoit une crise par exemple cela n'a rien à voir avec l'alignement des astres car si la crise ne se produit pas à la date dite, elle devra se produire plus tard. Le véritable contenu de l'astrologie est ailleurs, de même que le contenu de la religion chrétienne c'est la sortie de la religion (Dieu fait homme, présent quand on se rassemble en son nom, incarné dans le prochain). On ne peut dépasser la religion sans la réaliser peut-on dire, mais pas comme religion. C'est pour cela qu'il faut étudier les religions et l'ésotérisme, on ne peut se passer de ce savoir millénaire comme si le réel nous était révélé et que nous n'étions pas les produits d'une longue évolution. Il est certain de c'est une littérature délirante mais pas plus dépourvue de logique que les fous.
Impossible de se faire entendre. On ne veut qu'être pour ou contre, on voudrait qu'il y ait de purs révolutionnaires et de purs salauds. C'est beaucoup plus compliqué mais c'est pour cela que l'ésotérisme désespérait de pouvoir s'adresser à tous alors qu'il faut se confronter individuellement à nos propres contradictions. L'action collective a besoin de simplification et d'objectifs clairement désignés, on ne peut confondre la fonction intellectuelle et politique...
Une interwieu interessante sur marianne2.fr, sur la diversité, qui termine sur Obama. De quoi ne rien attendre de lui...
Dans l'astrologie, il doit bien y avoir du vrai puisqu'un jour, une fille qui ne connaissait pas grand chose de moi, m'a dit: Toi, tu est poisson. ça m'avait d'ailleurs bien énervé, d'être si facilement classifiable! L'impression de ne pas être maître de moi...
herman,
C'est toujours agaçant l'application d'une grille de classification dans lesquelles certains aimeraient nous mettre. Astro, énéagramme, psychopathologie, DSM...
L'ésotérisme revisité par le new age adore faire ça. Ca doit rassurer d'avoir une série de tiroirs ou ranger les gens...
J Zin,
Je suis ce que vous dites, pour ma part j'avais lu Paul Diel ou même Bachelard. Sans s'attarder sur ce thème, avez vous des liens web développant votre position ?
Le christ crucifié correspond assez bien à une fin du dieu de la bible tout puissant pour aboutir à un "aide toi ( aidons nous, surtout ) et le ciel t'aidera"
C'est vrai qu'il n'y a pas de pur salaud, mais il y a des salauds quand même, nettement plus que d'autres. On peut leur trouver des circonstances atténuantes, leur vécu, la société mal fichue..., mais leurs méfaits n'en disparaissent pas moins. On peut même leur trouver par ailleurs des bons côtés, pas de doute là dessus.
Maintenant, il est raisonnable de penser qu'il faut collectivement dépasser nos querelles de chapelles pour fédérer une action commune au delà de nos discursions personnelles. Les partis politiques sont la suite laïque des religions, c'est légèrement mieux pour avancer, mais vu leur état actuel, ça laisse songeur. Au point où un peu partout on célèbre la venue du président providentiel comme dernier recours. A nouveau, la visagéité du pouvoir de Bergson ?
Lacan montrait qu'à vouloir être aimé pour soi-même (sujet de l'énonciation) on refusait d'être objectivé dans aucune de nos qualités (sujet de l'énoncé), voie sans issue, sauf à être aimé pour ce qui nous manque, car nous sommes inévitablement déterminés y compris biologiquement, dans notre sexe comme dans nos modes de vie. Nous sommes dans des cases, nous sommes objets au regard des autres, le nier est absurde, ce qui n'est pas une raison pour nous y enfermer.
Paud Diel je n'arrive même pas à lire, cela me tombe des mains...
Sinon, j'ai écrit plusieurs textes sur les cycles :
jeanzin.fr/ecorevo/#Cycle...
Sur l'astrologie, c'est un peu différent, ce n'est pas seulement les cycles mais les oppositions de phase, pas le découpage chronologique mais les combinaisons symboliques. Il n'y a qu'un petit texte, simple amusement sur "L'ère du verseau". C'est une bêtise de le mettre là, risquant toutes les mésinterprétations hâtives, c'est juste pour donner une idée de ce qu'il y a à creuser structuralement.
Le problème des salauds, c'est qu'on en exhibe les plus affreux comme des boucs émissaires alors que pour l'essentiel, ce sont ceux qui se croient bons et sont persuadés d'être dans leur droit qui se comportent comme des salauds, souvent sans le savoir. On voit déjà que dans les soulèvements populaires il ne manque pas de petits chefs qui veulent faire la loi et se prennent pour la voix du peuple quand ce n'est pas pour son bras armé !
On a besoin d'un tiers pacificateur pour nous détourner des confrontations duelles entre valeurs mais, cela ne suffira pas pour qu'on refasse commune au niveau local. Je le répète, comme dans la guerre, ce sont les événements qui décident et nous lèvent en masse. Au moment où l'on croit quitter la passivité, notre action est encore plus contrainte que l'indétermination de l'inaction, simple sujet de l'histoire.
Merci pour les références.
Nous sommes dans les cases du regard de l'autre et du notre, mais nous vivons du désir de nous en échapper. Quand bien même la raison des constats nous affirme que c'est sans issue.
Je regrette, mais les salauds ne sont pas aveugles, et savent qu'ils le sont et en portent aussi toute la charge. Il ne faut pas leur dénier cette lucidité qui les tourmente, ça serait leur dénier leur humanité.
Effectivement, j'ai lu Diel lors de mon adolescence, c'était au sujet de la symbolique des mythes, ça m'avait paru intéressant. En lisant aujourd'hui un site qui lui est consacré, je reconnais que j'accroche pas vraiment.
Herman,
Ne vous bilez pas, moi aussi je me considère comme un peu crétin, voire beaucoup des fois, raison pour laquelle j'interviens dans ce blog, en espérant devenir un peu moins débile, ce qui n'est pas gagné.
Se savoir un peu crétin, c'est le début de la sagesse et on en est tous au même point tant qu'on n'a pas étudié une question de près. Un de nos principaux problèmes c'est qu'on ne veut pas passer pour des crétins à cause des enjeux de la reconnaissance sociale, constituant une des causes majeurs de la pensée de groupe.
L'autre principal problème c'est de croire que les salauds sont si différents de nous. L'histoire est l'enfer des bonnes intentions où s'éprouve ce scandale d'une action qui se retourne contre la volonté de son auteur, où les révolutionnaires d'hier deviennent les hommes de pouvoir de demain et les défenseurs des opprimés deviennent des oppresseurs. Reconnaître l'autre en soi, c'est le principe de la dialectique.
Sinon, on peut toujours changer de case, on ne peut pas sortir de toutes les cases à la fois. C'est la multiplication de nos déterminations qui nous rend plus libres car nous pouvons jouer une détermination contre une autre mais la vraie liberté c'est de ne pas savoir quoi faire...
Ne pas savoir que faire, c'est ma hantise permanente, serai je donc libre ?
En plus d'être idiot, je me sais assez avisé et informé pour être un vrai salaud, pourtant j'évite, un relent de déontologie semble t il, même si je regrette de ne pas toujours réussir à éviter ça, comme un kleptomane de qui ses gestes échappent.
C'est bien parce que la liberté nous pèse qu'on préfère des passions tyranniques et qu'on préfère la douleur à l'ennui. Il faut avoir fait l'expérience que l'excès de liberté n'est pas si désirable mais la liberté c'est comme la santé une certaine indifférence dans le silence des organes.
Bien sûr il vaut mieux éviter d'être un salaud, c'est un travail à temps complet mais je me méfie toujours de moi-même et de notre inhabileté fatale...
Hitler disait " libérer des exigences d’une liberté individuelle que très peu d’hommes sont capables de supporter », et aussi " ils ont voté pour moi pour les libérer du poids de leur liberté ". D'où le Sieg Heil. Le personnage ne manquait pas de cynisme...
Je découvre tardivement ce texte de Jean concernant le livre commun sur André Gorz et je voudrais revenir sur ue interprétation que je trouve caricaturale et sur certains points carrément fause de mes propos :
« Patrick Viveret, écrit Jean, est un ami que j'estime beaucoup, notamment pour sa remise en cause des indicateurs de richesse mais surtout pour avoir porté le projet SOL de monnaie alternative qui me semble véritablement révolutionnaire et de la plus haute importance dans la période qui s'ouvre. Il n'empêche que je désapprouve sa conception émotionnelle et religieuse de la politique. »
Outre le fait que à l’égard d’ »un ami que tu estimes » j’aurais trouvé normal, Jean, que tu m’informes du billet très critique dans ton blog me concernant afin que je puisse y répondre, je ne me reconnais absolument pas dans ce résumé que je trouve simplificateur et même caricatural de ma position. Conception émotionnelle et religieuse de la politique dis tu ? Ce que je défends c’est l’hypothèse d’une « intelligence émotionnelle collective » afin justement de tirer l’émotion vers l’intelligence et de donner à l’intelligence toute sa dimension sensible. Il s’agit pour moi de travailler sur un usage positif des enjeux émotionnels qui de toute manière existent bel et bien . Ne pas les prendre en considération en fonction d’une vision réductrice de la rationalité c’est laisser des forces politiques, idéologique, religieuses, instrumenter ces émotions dans un sens régressif voire destructeur comme ce fut le cas du fascisme par exemple ou plus généralement des grands faits totalitaires… C’est aussi le cas de la face dangereuse du fait religieux que je traite avec beaucoup plus de circonspection et d’esprit critique que ne le sous entend Jean. J’ai toujours plaidé depuis les textes écrits sur l’autogestion pour la reconnaissance de l’autonomie du politique (ce qui ne veut pas dire sa séparation) par rapport à l’économique ou même par rapport à l’hypothèse fortement exprimée dans les années 70 d’une simple « traduction politique » des mouvements sociaux. Cette autonomie vaut plus encore sur les rapports au religieux. A l’époque où jeune à la JEC (jeunesse étudiante chrétienne) j’étais fortement engagé dans le courant du christiannisme social (ce que je ne renie pas) l’un des points déterminants de ce courant était précisément le refus des approches de type « démocratie chrétienne » qui prétendaient fonder une politique chrétienne. Il suffit de relire des textes que j’ai écrit alors pour le constater. En outre j’ai, à l’égard du fait religieux dans son ensemble, une attitude beaucoup plus nuancée que celle que semble me prêter Jean. Si je lui reconnais une face positive par son appel à poser des questions sur l’essentiel de nos vies que les sociétés de marché escamotent ou détruisent (la question du lien et celle du sens) je considère aussi qu’il a une face négative très forte lorsqu’il instrumente cette demande de lien et de sens dans un sens qui fait déraper le lien social vers le contrôle social et le débat sur le sens vers des postures identitaires. J’ai encore très récemment évoqué la nécessaire « interpellation spirituelle des grands faits religieux » car il n’y a pas de raison de laisser au religieux le monopole de la quête spirituelle et il est important de récuser du point de vue éthique et spirituel même nombre de régressions, voire de crimes commis au nom d’une certaine idée du divin.
La suite de la critique de Jean est à mon sens plus caricaturale encore : « Je trouve même relativement choquante la récupération politique du suicide de Gorz avec Dorine, sa compagne malade, suicide qu'on peut dire annoncé dans le magnifique "Lettre à D.". «
Où Jean a-t-il lu cette « récupération politique » dans mon texte qui avance avec prudence l’hypothèse qu’il faut lire la lettre à D pas seulement comme un magnifique hommage à sa compagne mais aussi comme un début de relecture, en partie autocritique , non seulement du Traître mais d’autres aspects des postures révolutionnaires fortement influencées par le marxisme ? Venons en ensuite, après ces dénonciations que je trouve pour le coup réellement « choquantes » par leur caractère réducteur et simplificateur, au cœur du débat que soulève Jean dans le paragraphe suivant : « Mais, non, "toutes les difficultés de l'humanité" ne sont pas "pour l'essentiel, fondamentalement liées à sa difficulté d'aimer" (p51), c'est absurde et il n'y a aucune chance que ça s'arrange du côté de l'amour. L'amour ne peut être pensé comme question politique. La philia qui nous tient ensemble, la fraternité ou la solidarité plutôt sont bien des questions politiques mais certainement pas l'amour même s'il y a des similitudes entre coup de foudre et insurrection (voir Alberoni). Si le désir de reconnaissance, plus que l'amour, est effectivement un moteur de l'histoire, c'est d'y déployer ses contradictions. La nuance est de taille, car ce n'est certainement pas par "manque d'intelligence du coeur" que les révolutions tournent mal (ou que "les histoires d'amour finissent mal, en général"), position qui permet de juger les autres de haut mais n'a aucune base anthropologique. »
Sur ce point en effet important il y a une part de vrai débat et une part de vrai malentendu me semble t il. Dans la question globale de l’amour et de sa difficulté j’entends en effet, à l’instar des distinctions grecques, tout autant la philia dont Jean reconnaît lui-même l’importance politique à travers la question de la fraternité et de la solidarité que les trois autres formes évoquées par les grecs : la « porneia » , amour fusionnel et possessif du nourrisson pour sa mère qui devient éminemment dangereux quand il est poursuivi au-delà du premier stade de la vie (refus de l’altérité, prétention à posséder l’autre etc.), l’eros (marqué par l’attraction du désir) et l’agapé qui n’est pas, comme on le croit à tort, marqué par sa non érotisation mais par son inconditionnalité : c’est un degré supérieur dans la qualité de la philia ou de l’eros. Ce que je crois en effet c’est que toutes ces manifestations posent des questions politiques : celles que Mauss a abordées dans l’économie du don et Polanyi dans l’économie de réciprocité par exemple. Celles qu’évoque Alberoni dont Jean admet l’intérêt dans son livre « le choxc amoureux ». Celle aussi des conséquences dramatiques de la porneia ou la logique possessive s’oppose justement à la pleine reconnaissance d’autrui. Quand Jean dit que « le désir de reconnaissance, plus que l'amour, est effectivement un moteur de l'histoire » mon seul point de débat avec lui c’est que je considère le désir de reconnaissance comme une forme de l’amour. Mais s’il tire lui-même les conséquences de sa propre phrase et si le mot amour ne lui convient pas, comment récuser e revanche que le désir de reconnaissance dont il admet l’importance n’a pas de forte implication émotionnelle ?
Avec la phrase suivante c’est de nouveau soit la notation méprisante « La conception gorzienne du sujet comme mauvais sujet est à mille lieux de ce moralisme normalisateur » soit la totale déformation de mes propos à travers l’idée que Jean me prête qu’ « il est dangereux et illusoire de croire qu'il suffit d'éliminer les méchants, de changer simplement les hommes pour que ça se passe mieux alors que ce sont les structures qu'il faut changer (sans en attendre de miracles). » Toute la question de l’ambivalence humaine, de ce que j’ai appelé la question de la barbarie intérieure, de la part d’inhumanité au cœur de l’humanité est aux antipodes de cette caricature de l’élimination des méchants. J’ai eu souvent l’occasion de dire que le point commun des visions de Bush et de Ben Laden par exemple était précisément cette vision de l’axe du mal chez les autres. La vraie difficulté, je le répète régulièrement, c’est que le fait d’avoir été victime n’est en aucune façon une garantie de ne pas devenir bourreau : nul peuple, nulle nation, nulle classe, nulle religion etc. n’échappe à ce risque et le véritable réalisme anthropologique consiste à traiter lucidement cette ambivalence humaine. Quant à croire que j’opposerais « le changer simplement les hommes » aux changements structurels je croyais au moins , à travers le débat sur l’interaction transformation personnelle/transformation sociale que celles et ceux qui, comme moi insistons sur cette interaction, n’étaient pas suspects de refuser le second terme de la transformation. Je rappelle d'ailleurs que toute la première partie de mon texte évoque la vision anticipatrice de Gorz sur la question de la sortie du capitalisme. Et puisque Jean veut bien reconnaître une part positive aux actions où je me suis impliqué dans une nouvelle approche de la richesse et de la monnaie il faudrait que je sois singulièrement inconséquent à passer autant de temps et d’énergie sur des enjeux qui sont clairement de l’ordre de la transformation structurelle, (même si suis prêt à argumenter qu’il relève aussi de la transfo personnelle à travers la question clef de la richesse posée lors des dernières Assises Nationales du développement durable : qu’est ce qui compte vraiment dans nos vies ? »).
Même si je trouve que le « diamétralement opposé » est excessif je pense en effet comme le dit Jean la fin de ce texte qu’après nombre de simplifications, de caricatures voire de procès d’intentions, sa dernière phrase situe justement le débat entre nous quand il écrit : « Il faut dire que nous avons une lecture diamétralement opposée du "Traître" qui inaugure l'oeuvre de Gorz et de "Lettre à D." qui la clôture. En effet, je vois dans "Le Traître" une tentative héroïque d'atteindre à l'authenticité, jusqu'au malaise et au vide insupportable, sa dernière lettre d'amour me paraissant plutôt une façon de tirer le rideau et de recouvrir la cruelle vérité par un discours de bienséances qui ne soit pas aussi trompeur qu'une vérité trop brutale. C'est le triomphe de l'amour si l'on veut, mais dans l'aveu d'y avoir été absent. »
Si nous pouvions avoir un débat serein c’est ici en effet qu’il y a bien deux lectures différentes, mais ce débat là ne nous concerne pas seulement Jean et moi puisqu’il est aussi au moins en partie un débat entre Jean et Le Gorz écrivant la Lettre à D. Mais avant de déclarer comme le fait Jean par ailleurs dans un autre texte « voilà bien un désaccord pas du tout fécond » encore faut il prendre le temps et la peine de le construire ce désaccord, non ?
Fraternellement (si j’ose !) . Patrick
Merci à Patrick d'avoir pris le temps de me répondre même si c'est sans espoir.
Si j'ai fait cette critique, c'est que je m'y sentais obligé car j'ai été réellement choqué de ce que je considère comme un détournement de la pensée de Gorz et que, pour mes lecteurs, je devais faire état de ce désaccord puisque, dans ma partie je dis à peu près le contraire, le productivisme capitaliste étant imputé à son caractère systémique et l'échec du socialisme au fait qu'il n'y avait pas eu de véritable changement dans le système de production et le travail dominé. Rien d'émotionnel là dedans et je n'ai vu nulle part où Gorz en ferait un enjeu émotionnel (mais c'est peut-être dû à mon ignorance).
Nous sommes réellement en opposition politique sur ce point, non que je veuille empêcher quiconque de croire s'améliorer personnellement, mais que je refuse d'en faire une question politique. En effet, il ne s'agit pas de prétendre qu'on a raté les précédentes transformations sociales par manque de transformation personnelle mais, au contraire, que les utopies libérales autant que communistes rataient notre nature double et qu'on ne peut adapter l'homme à un système, il faut adapter le système à l'homme avec ses bons et ses mauvais côtés. Il s'agit justement de ne plus vouloir changer l'homme mais de le prendre tel qu'il est (comme je dis dans le texte précédent qui aborde la question "changer la vie, sans rire!" : ne changez pas, on vous aime comme vous êtes). De mon point de vue (lacano-hégélien) cela n'a même aucun sens ni la maîtrise émotionnelle, ni la transformation personnelle, on ne fait que renforcer le surmoi qui mène au pire. Il est très dangereux de manipuler les émotions collectives qui se ramènent à l'hypnose et l'amour du maître. L'urgence actuelle est de renoncer à ces vieilles lunes pour construire une alternative réaliste tenant compte des contraintes écologiques matérielles et de tous nos défauts. On n'a jamais gagné une guerre en croyant que tous les soldats étaient des héros !
Ce qui est déterminant, c'est uniquement le système, sa logique, ses circuits et pas du tout ses éléments : l'individu est toujours le reflet d'une culture et prend place dans un fonctionnement social avec des modes qui changent du chacun pour soi à la solidarité selon des cycles qui se répètent comme se succèdent libéralisme > totalitarisme > social-démocratie > néolibéralisme > écologie.
Il y a bien là un désaccord, pas du tout fécond jusqu'ici au moins, qui est effectivement fondamental et n'a rien de personnel, c'est un point de vue largement partagé aussi bien à gauche qu'à droite. Bien sûr je ne mets absolument pas en cause les "bonnes intentions" mais il me semble prioritaire de s'en débarrasser. C'est comme toujours entre différentes idéologies une opposition cognitive qui ne peut se résoudre entre conceptions de la vérité incompatibles.
Je m'excuse pour le côté caricatural qui est inévitable quand on parle uniquement de ce qu'on critique et si je comprends bien qu'un libéral peut toujours dire qu'on le caricature car ce qu'il défend c'est un meilleur libéralisme, pareil pour un communiste qui dira que jamais le communisme n'a existé et qu'il défend un tout autre communisme, je considère pour ma part qu'il ne faut pas introduire de dimension religieuse ni même émotionnelle dans la politique qui a besoin de laïcité et de sérénité pour construire une démocratie cognitive.
Le désir de reconnaissance n'est pas l'amour même si l'amour est aussi désir de reconnaissance puisqu'il s'incarne dans la lutte du maître et de l'esclave. De même la philia qui tient les citoyens ensemble n'est pas l'amour, plus souvent constitué par l'ennemi commun. Il est important de bien choisir ses mots car l'amour suscite bien d'autres fantasmes et renforce surtout l'amour du maître. Il ne suffit pas cependant de dire que le désir de reconnaissance expliquerait tout car il faut s'attacher à l'histoire effective dans sa matérialité et là encore donner toute son importance aux systèmes et à leur évolution historique, pas aux fluctuations émotionnelles ni aux rationalisations religieuses qui ne sont pas déterminantes à long terme.
Il est un fait que je ne vois pas en quoi la transformation personnelle se distingue d'un moralisme normalisateur (auquel j'oppose la vérité ou l'expression du négatif) et comment elle ne pourrait pas rejeter ceux qui ne se transforment pas dans la barbarie. Si on veut changer les hommes, on aboutit facilement à changer de personnel tout simplement et donc à "éliminer les méchants", ce qui est caricatural certes mais indique ce à quoi mène cette logique qui n'a rien de nouvelle, qu'on le veuille ou non.
Toutes ces critiques sur le côté transformation personnelle n'empêche pas que je reste admiratif sur le côté transformation sociale, notamment sur le fait d'avoir mené à bien le projet SOL, ce qui pourrait s'avérer absolument décisif dans la période actuelle.
Je tiens à saluer la réponse mesurée et de bon sens de Patrick Viveret.
Personnellement, je ne vois pas bien ce que ça veut dire la transformation, le changement personnel.
Ce qui laisse entrevoir la possibilité d'un changement de comportement d'une personne c'est quand elle est par exemple sous hydratée ou sous nutrite, manque de vitamine... Lorsque ces éléments sont apportés l'individu malade se porte mieux, mais il n'a pas été changé pour autant. Son génome, sa structure psychique, la ligne de base n'a pas changé, seuls les inputs appropriés ont permis un meilleur état. Parlons plutôt d'états de fonctionnement d'une structure selon les contingences, comme l'état thermodynamique d'un gaz peut changer mais pas la structure des atomes qui le constituent. La vitesse et la trajectoire de ces atomes changera mais pas leur constitution.
Ce sont plutôt les paramètres systémiques qui vont amener les états individuels. Lorsque ces paramètres sont calamiteux, les individus ont beau être gentils et patients, le moteur global n'arrête pas sa course.
Les émotions sont produites par les contingences, que l'on tente de les booster par tout ce qui relève des techniques dites de changement personnel ne change pas le contexte ni la structure individuelle. Ca laisse juste quelques bouffées d'espoir ponctuel qui se succèdent dans un éternel recommencement du même système.
Ce qui surprend c'est que souvent les partisans du holisme s'acharnent tellement à proposer de changer l'individu.
Pour conclure, plutôt que de vouloir changer l'homme ou tuer Dieu, on devrait essayer de changer Dieu. Une mise en examen...
De plus, changer un homme fait à l'image de Dieu, ça reviendrait à contester l'œuvre initiale. Paradoxe de la religion qui proclame les deux ensemble.
La théologie c'est un peu confus.
MERCI à patrick et à jean pour cet échange de reflexions très stimulantes . sur les données de la transformation personnelle , je veux juste insister sur le fait que c'est un phénomène social massif . sectes , religions , l'art aussi , psychothérapeutes, et cela correspond à un mouvement de fond dans la société . aussi je renouvelle mon interrogation : n'est ce pas un luxe de ne pas faire de ces enjeux émotionnelles des questions collectives et politique ? si il y a des cultes laïques ( l'art en est sous certaines condition peut être un justement ) sont ils vraiment si incompatible que ça avec la démocratie cognitive ( alors qu'ils me semblent en être l'envers)? qu'on en ai pas besoin je veux bien le croire , mais il me semble qu'il faudra bien faire avec . hélas .... car c'est vrai que ça augmente le risque de bad trip , d'hubris . mais c'est ce qui rajoute aussi un peu de piquant à l'histoire . il faut quand même bien avouer que la mise en place de coopératives municipales , ou de monnaies locales , sauf pour de rares exceptions, n'a rien de très bandant . si ça fait largement sens dans l'orde du discours , cela ne fait pas assez sens pour s'y jetter à corps et à cri . c'est un problème , même pour un futur très proche , car pour ne prendre que l'exemple des monnaies locales , le difficile c'est d'y entrainer les foules , et faire en sorte qu'elles y croient qu'elle aient confience en ses outils .
pourtant ce n'est peut être qu'une affaire d'époque : je me souviens qu'il y a quelque mois jean faisait un article sur le grit , parlant de la faiblesse d'une pensée et de propositions qui étaient en même temps leur force . comme la psychanalyse , longue , coûteuse , qui n'a jamais guéri personnes, et dont on est même pas sur que ça marche vraiment , où du moins qu'il y aurait des bénéfices garantis par avance , ce qui n'empêche que des gens suffisamment en souffrance , mais pas trop non plus, s'y lance malgré tout . la période qui s'achève à peine , en voulant nous faire croire que tout serait comme avant et que ça n'allait pas si mal que ça , a discrédité toutes volontés de transformation sociale , toute alternative et nous a peut être aussi laissé croire qu'il fallait se lancer dans la transformations des individus pour qu'ils puissent mieux transformer la société , façon de répondre aux échecs des tentatives précédentes . c'est peut être qu'il y a des moments où rien n'est possible et qu'il est inutile de tenter quoique ce soit . ce temps est peut être révolu et , avec la crise économique et la possibible dislocation du système monétaire ,ce monde va peut être comprendre sa douleur et manifester quelques relants d'amours pour sa vérité . suffisamment pour envisager l'analyse révolutionnaire et les solutions de cette pensée faible . pourtant rien n'est moins sûr et le septicisme suicidaire peut aussi l'emporter . tout comme le retour dogmatique aux anciennes recettes ( dépassés ) tout aussi irresponsable .
un dernier mot pour signaler qu'il y a une émission autour de la pensée de gorz à france culture , c'est mardi prochain aux alentours de 18 heures . bonnes écoute à tous .
Rien à redire, et merci d'avoir fait référence à Puissance de la faiblesse où je donne ma vision du Grit.
jeanzin.fr/2008...
Il est évident qu'il y a là un noeud et qu'on est dans les contradictions du désir, dans ce qu'on a de tordu et d'irrationnel. Il est évident qu'il y a un besoin religieux et qu'il faut croire à des conneries, qu'on veut se perdre dans des passions et dépasser nos limites. Je ne rêve pas d'une disparition de la religion ni d'une religion universelle (en dehors de la science) mais cela n'empêche pas de vouloir maintenir la séparation entre sacré et profane. Robespierre a perdu la tête quand il est devenu prêtre de l'être suprême, malgré tout son rationalisme affiché, accusé déjà de tyrannie. La séparation laïque est inscrite dans le territoire moyen-âgeux avec le droit d'asile donné aux églises, matérialisation de l'opposition d'Augustin entre la Cité céleste et la Cité terrestre. Séparation de la solidarité citoyenne, du lien social et de la normalisation sociale, de l'idéologie. Ce qu'on peut appeler l'antifascisme. Au fond, sans prétendre interdire d'être fou, il s'agit de maintenir le droit de ne pas l'être ou d'avoir sa propre folie...
De l'écologie politique dans la perspective d'un
Incontestablement, si le grand vainqueur des dernières élections européennes n'est autre que le parti des abstentionnistes, fait par ailleurs toujours inquiétant pour un processus démocratique, il nous faut constater que le score réalisé par la liste...