Autonomie et dépendance

Temps de lecture : 21 minutes

L'autonomie est toujours partielle mais plus on est autonome et plus on a de dépendances, plus on est responsable, plus les dépendances sont intériorisées. Il n'y a pas de libertés sans pouvoirs qui les contraignent mais l'autorégulation par l'autonomie est indispensable au-delà d'une certaine complexité. A l'ère de l'information l'autonomie devient indispensable dans la production, exigence de développement humain et d'un revenu d'autonomie mais il y a aussi des pathologies de l'autonomie qui renforcent la servitude volontaire, libéralisme détruisant les libertés d'individus coupés de tout lien social et ne pouvant plus se coordonner, avec les dépressions qui vont avec.

"Plus un système vivant est autonome, plus il est dépendant. Plus il s'enrichit en complexité et entretient par là même des relations multiples avec son environnement, plus il accroît son autonomie en se créant une multiplicité de dépendances. L'autonomie est à la mesure de la dépendance." (Jacques Robin, Changer d'ère, p204)

L'écologie ne devrait pas relever de l'idéologie (qui marche toujours au refoulement ou à la censure) mais d'une attention extrême à la fragilité des équilibres et de leur régulation. Dans une perspective d'écologie humaine, prenant en compte la spécificité des sociétés humaines, il nous faut prendre la mesure des contradictions de la liberté et de la dialectique impitoyable qui existe entre autonomie et dépendance dans notre rapport à l'environnement biologique ou social dont les perturbations ont des conséquences immédiates sur notre santé, les maladies du stress qui sont des maladies de l'autonomie prenant le caractère d'une véritable épidémie (surmenage, dépression, addictions, maladies dégénératives, suicides) pendant que se développent toutes sortes de thérapies de l'autonomie ou du développement personnel qui sont autant de nouvelles dépendances alors que la santé individuelle est largement dépendante de son environnement social. On ne peut éviter d'avoir là dessus un point de vue historique et passer directement du biologique au social pour expliquer une situation nouvelle. Une écologie véritablement humaine doit prendre en compte le langage et le désir de reconnaissance, la technique, la civilisation et l'histoire (Braudel), pas seulement les interactions avec le milieu naturel. Nous sommes environnés de fantômes du passé dont l'existence est encore bien réelle et de visions d'avenir qui structurent nos actions.

Impossible bien sûr de tout dire sur cette vaste question que j'ai abordée dans le cadre des "Etats généraux de l'écologie politique" sous l'angle d'une nécessaire "production de l'autonomie" et qui m'a fait rencontrer le GRIT dans la compréhension de la complémentarité pour le vivant entre autonomie et dépendance (Edgar Morin, Jacques Robin) mais surtout la nécessité à l'ère de l'information d'une politique de l'autonomie (développement humain, revenu garanti, monnaies plurielles). Hélas rien de plus difficile que de restituer la complexité des choses alors que les lois de la communication privilégient toujours les simplismes et leur affrontement (plus on s'adresse au grand nombre plus il faut simplifier, question de rapport signal/bruit). Ce que nous avons à apprendre c'est l'étendue de notre ignorance, la dépendance de nos représentations et de nos désirs obnubilés, notre autonomie cognitive et notre rationalité limitée.

Cette question de l'autonomie et des limites de la liberté est pourtant bien au coeur de tous les débats actuels (précarité, néolibéralisme, école, écologie, etc.). Notre époque, post-totalitaire et post-soixantehuitarde, est confrontée sur tous les plans à ce qui semble un excès d'autonomie perturbant tous les équilibres. Que ce soit l'économie devenue autonome, avec des prétentions totalitaires mais qui rencontre ses limites écologiques, le néolibéralisme qui déstructure les sociétés et nous prive de toute liberté collective en déconsidérant la politique, le management exigeant des salariés une autonomie qui prend souvent la forme d'une "barbarie douce" (Jean-Pierre Le Goff), jusqu'à la libération sexuelle, ou le déclin du patriarcat (de la loi du père), qui étend la précarité aux familles dont elle dissout les liens ("Extension du domaine de la lutte" de Michel Houellebecq) tout en accroissant la dépendance affective. Ceci se traduit, entre autres, par une perte de sens, de liens sociaux, de solidarité collective, et par toutes sortes de dépressions prenant la place des anciennes névroses de culpabilité, manifestant les limites de l'individualisme, l'illusion du self made man ou du "moi autonome" (le paradoxe de Robinson), et la nécessité de reconstruire un environnement où nous pourrions vivre.

Souligner l'actualité de la question des contradictions de la liberté, son urgence même, ne veut pas dire que ce serait vraiment nouveau dans l'histoire. L'expérience de la Terreur avait déjà montré qu'une liberté absolue qui refusait de se diviser en factions finissait par abolir toute liberté alors même que le code Napoléon la rétablissait sous l'Empire ! C'est même cette contradiction qui est à l'origine du concept de dialectique pour Hegel, mais tout autant l'expérience de la dialectique amoureuse entre dépendance et liberté, d'une autonomie qu'on veut totale (on veut être aimé librement) et totalement dépendante en même temps (on ne se satisfait pas du serment ni de l'autonomie de l'autre). L'amour constitue un des meilleurs observatoires de notre réalité humaine dans sa complexité, loin des idéalisations moralisantes. La dialectique exprime d'abord les contradictions de la liberté, qui sont exacerbées en ce moment et qui appellent leur résolution.

On peut dire que l'écologie n'est rien d'autre que l'étude de cette dialectique entre autonomie et interdépendances, de leurs contradictions et de leurs complémentarités. Ce qui veut dire qu'il n'y a pas l'un sans l'autre, pas d'autonomie absolue ni de dépendance absolue pour le vivant, aussi sûrement que le plaisir se mesure à la peine. On peut s'étonner qu'on s'en étonne, témoignant de la force d'évidence de l'idéologie, car ce sont des faits établis par de nombreux auteurs.

Un point qui n'est pas assez souligné pourtant c'est le rôle crucial qu'y joue l'information et l'ignorance : l'autonomie résulte de l'impossibilité de programmer la réponse au-delà d'une certaine complexité, de l'ignorance préalable de ce qu'il faut faire, des incertitudes de l'adaptation et des capacités de réponse à l'information (faculté exclusive qu'a chaque individu de connaître ses intérêts mieux que tout autre disait déjà Turgot, mais qui a aussi ses limites).

Il faut clarifier cette question de la liberté (de la liberté comme question et apprentissage) bien éloignée de l'idée d'une liberté absolue, afin de délimiter une autonomie qui est toujours partielle mais caractérise le vivant, autonomie inséparable de l'information et de finalités concrètes, d'une causalité qui part du futur et de l'effet recherché. Les dépendances relèvent de l'entropie, du domaine des causes, et l'autonomie du domaine des finalités, de la lutte contre l'entropie, c'est-à-dire de l'organisation. On ne passe pas d'une causalité contraignante à une absence de causalité mais de la commande subie (hétéronomie) à la réaction autonome, il n'y a pas perte de contrainte mais intériorisation, interaction, boucle de rétroaction entre autonomie et dépendances.

Contrôle de la nature, contrôle social et contrôle individuel forment une sorte d'enchaînement en cercle. 189

C'est seulement à partir du moment où l'individu cesse de penser ainsi pour lui tout seul, où il cesse de considérer le monde comme quelqu'un qui "de l'intérieur" d'une maison regarderait la rue, "à l'extérieur", à partir du moment où, au lieu de cela - par une révolution copernicienne de sa pensée et de sa sensibilité -, il arrive aussi à se situer lui-même et sa propre maison dans le réseau des rues, et dans la structure mouvante du tissu humain, que s'estompe lentement en lui le sentiment d'être "intérieurement" quelque chose pour soi tandis que les autres ne seraient qu'un "paysage", un "environnement", une "société" qui lui feraient face, et qu'un gouffre séparerait de lui. 99

Le besoin d'autonomie va de pair avec celui d'appartenance au groupe social. 202

Ainsi, avec Norbert Elias (et Freud) on comprend que l'autonomie de l'individu a pour contrepartie une intériorisation des contraintes, une précarisation de son statut et une multiplication de ses dépendances, une civilisation des moeurs qui est refoulement de ses instincts. Il se moque de l'individu qui voit le monde par sa fenêtre sans voir les rues, la ville, les structures, les processus, les flux qui font plutôt de l'individu un noeud de relations, l'élément d'un système, un produit historique et social. L'autonomie consiste essentiellement à jouer une dépendance contre une autre ou bien à les neutraliser réciproquement. Par rapport à la discipline hiérarchique, c'est non seulement à chaque fois ne pas savoir ce qu'on va faire, mais c'est multiplier les choix (et les renoncements) ainsi que le risque d'erreur ou de faute.

Pire, c'est multiplier les pouvoirs. En effet, contrairement à ce qu'on croit, Michel Foucault montre qu'il n'y a pas de liberté sans pouvoir qui la contraint, pas de parole sans discours institué (c'est l'ordre du discours, on ne peut dire n'importe quoi). On ne peut asservir qu'un être libre et plus il y a de libertés, plus il y a de pouvoirs. C'est toujours la liberté qui engage (le serment), c'est l'autonomie qui rend responsable, mettant en jeu notre reconnaissance sociale. C'est le pouvoir qui produit le sujet qui y résiste. La liberté s'analyse ici comme une délégation de pouvoir et une culpabilisation, y compris dans les groupes libertaires. La "théorie de l'engagement" est ici très éclairante puisqu'elle consiste à utiliser le semblant d'autonomie pour manipuler les gens ("le pied dans la porte" : je peux entrer ?).

Il n'y a donc pas d'autonomie sans dépendances, mesurées aux réserves disponibles et aux capacités de captation des ressources pour atteindre ses objectifs, et donc d'intégration à des réseaux sociaux. Plus on est autonome et plus on a besoin de réserves, de relations, de rationalité, d'intérioriser l'extériorité. Il ne s'agit pas de faire n'importe quoi. L'autonomie se réduit strictement à l'intériorisation des dépendances extérieures, leur prise en charge. C'est d'ailleurs ce que dit l'auto-nomie pour les Grecs qui l'assimilent à la maîtrise de soi (commander c'est obéir) bien loin des caprices des marchés.

Mais alors d'où peut venir une "autonomie subie" capable de nous asservir par ses excès ? Il y a en effet, plusieurs sens à la liberté (indépendance, efficacité, engagement, projet) et Benjamin Constant a pu opposer la liberté des anciens et la liberté des modernes.

Le danger de la liberté antique était qu?attentifs uniquement à s?assurer le partage du pouvoir social, les hommes ne fissent trop bon marché des droits et des jouissances individuelles. Le danger de la liberté moderne, c?est qu?absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne renoncions trop facilement à notre droit de partage dans le pouvoir politique. Benjamin Constant, De la liberté des anciens comparée à celle des modernes (1819)

La liberté peut consister en effet à s'auto-déterminer, à se libérer des contraintes extérieures ou de soi, à peser sur l'orientation collective aussi bien qu'à se laisser guider par ses passions ou ses intérêts privés ! Les mythes d'autonomie absolue et de libération de nos dépendances sont donc relativement récents et d'origine religieuse (péché), mais tout autant, c'est ce qui est étonnant, anti-religieuse à partir d'une guerre des religions provoquant un processus irréversible de dé-légitimation et de laïcisation des sociétés qui s'autonomisent de toute religion. Bien qu'on puisse la faire remonter à Hérodote confrontant ses lecteurs aux autres civilisations, cette privatisation de la religion n'a plus rien de l'auto-nomie des Grecs remplacée par une culpabilisation individuelle qui reste malgré tout religieuse.

L'oeuvre de Marcel Gauchet (Le désenchantement du monde) permet de prendre la mesure de ce mouvement historique de perte de légitimité, de détraditionalisation et de modernisation qui aboutit à l'individualisation mais surtout à l'autonomisation des champs politiques puis économiques, à ce qu'il définit rigoureusement comme une société de marché. C'est l'autonomie par défaut de légitimité, déjà présente dans la démocratie grecque. A mesure que l'autonomie démocratique se substitue à l'hétéronomie religieuse, ce sont les limites de l'autonomie qui s'imposent sous la forme de l'inconscient ou de la folie et des conditions historiques ou sociales (sociologie).

De même l'autonomie du droit, des sciences ou des arts signifie en fait une dépendance plus grande à l'autoréférence et aux contraintes spécifiques du champ (comme l'a montré le structuralisme), une dépendance trop unilatérale (économique) se substitue aux interdépendances sociales. La question qui doit se poser à chaque fois est donc celle de savoir qui est autonome : l'individu, le marché, la techno-structure ou le collectif ? Mais l'autoréférence tourne à vide. La poésie ne peut être seulement l'auto-réflexion de la langue, ni la peinture seulement de la peinture se démarquant des autres peintres, ni la jurisprudence seulement un jeu de textes juridiques. L'écologie c'est au contraire la réfutation de cette autonomie, c'est la négation de la séparation (déclaration d'interdépendances).

On voit que l'autonomie peut résulter simplement d'une perte de contrainte extérieure ou de direction collective, d'une plus grande désorientation qui n'est pas forcément bénéfique. On est loin d'une autonomie absolue comme une plante se déployant librement en l'absence de tout obstacle (Spinoza). Avec Louis Dumont (et Polanyi) on constate d'ailleurs que la société marchande échange la dépendance des personnes dans les sociétés hiérarchiques, qui procurent une relative indépendance des choses, contre une indépendance des personnes qui se paye par une complète dépendance des choses (le capitalisme supprime l'esclavage mais produit la misère : pas de subordination salariale sans la liberté du prolétaire dépossédé de tout). Il est d'ailleurs significatif que depuis l'origine ce sont des arguments écologiques qui ont prétendu le justifier (De Foe 1704, Mandeville 1706, Quesnay 1758, Malthus 1803) ! C'est un fait que nous expérimentons effectivement : l'autonomie de chacun, c'est souvent la compétition avec tous, là où l'organisation et la hiérarchie limitent les conflits et restituent leur dimension collective. Le problème c'est qu'il semble bien que remettre en cause l'économisme ne peut se faire qu'à revenir à plus de dépendances sociales.

Ce parcours historique devrait permettre d'éclairer la dialectique entre autonomie et dépendance, ainsi que la nature contradictoire de l'injonction contemporaine d'être autonome, double bind d'une autonomie subie doublement aliénante et qui peut servir à manipuler les gens. La nouveauté du téléphone portable permet d'en saisir sur le vif les deux faces inséparables de libération et d'asservissement : le mobile nous donne sa mobilité en supprimant toute déliaison, comme le dit une publicité être mobile c'est être connecté mais il suffit d'opposer la foule à l'organisation pour mesurer les différents degrés de liberté et à quel point ce sont les liens de dépendance dans l'organisation qui procurent une certaine autonomie.

L'autonomie de mouvement, toujours partielle, d'un individu dépend de son intégration aux régulations sociales, à leur hiérarchie de niveaux d'autonomie parcourus par des informations plus ou moins impératives (code de la route). L'individu est toujours relié à son entourage mais ce qu'il faut comprendre c'est la fonction de son autonomie de décision. L'autorégulation par l'autonomie, c'est-à-dire par l'information, est indispensable au-delà d'une certaine complexité.

On entre ici dans le rôle biologique (ou médical) de l'autonomie, inséparable de "modules de dépendance" qui assurent la symbiose des organismes multicellulaires (Ameisen) et de la sélection après-coup, qu'on peut illustrer par l'élimination des neurones inactivés, l'autonomie d'un niveau d'organisation supérieur nécessitant un certain asservissement de ses composants, ce qui implique que leur autonomie soit très encadrée. Dans ce cadre l'autonomie s'identifie aussi bien à la santé qu'à l'objectivité alors que la dépendance manifeste maladies et perte de jugement, notions d'ailleurs toutes relatives et normatives. En tout cas, ce rôle biologique est lié à la complexité et à la décentralisation du traitement de l'information.

De même, à l'ère de l'information, l'autonomie est liée à la formation, à ce qu'on appelle le développement humain. On n'est plus dans la liberté des anciens, ni dans celle des modernes mais dans notre actualité post-moderne, cette nouvelle exigence d'autonomie à l'ère de l'information qui rend impossible un retour en arrière malgré toutes sortes de pathologies de l'autonomie (Ehrenberg, La fatigue d'être soi. Dejours, Souffrance en France).

Le néolibéralisme de Hayek se réclame justement d'une théorie de l'information (ou de la perception) qui n'a plus grand chose à voir avec l'ancien libéralisme supposant une information parfaite et partagée, puisqu'il est basé au contraire sur l'impossibilité d'un traitement centralisé de l'information. C'est un libéralisme post-totalitaire. L'information étant toujours imparfaite et dissymétrique, le marché n'est plus la garantie de l'équilibre ou de la meilleure allocation de ressources sinon qu'à faire autrement ce serait pire (le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres). Mais ce scepticisme qui achève de déconsidérer toute politique assimilée à la "route de la servitude" se révèle dogmatique et dangereux à prétendre qu'on ne sait rien sous prétexte qu'on ne sait pas tout, justifiant ainsi l'inaction malgré les catastrophes annoncées ou les pires injustices comme si nous n'en étions que des spectateurs extérieurs et comme déjà morts.

Les menaces écologiques nous obligent au contraire à passer de l'histoire subie à l'histoire conçue, à concevoir des régulations pour ne pas outrepasser nos limites vitales. Hayek a bien raison de penser qu'il est aussi difficile de réguler l'économie que de maîtriser sa dépendance aux drogues quand les limites ne sont pas données et qu'il faut se donner ses propres limites, mais c'est une nécessité impérieuse et la perte de toute liberté collective produit une nouvelle tyrannie, l'autonomie absolue se révèle encore comme une dépendance absolue. Les limites de la planification ou de la programmation sont bien réelles mais la vie et l'intelligence savent les contourner en corrigeant ses erreurs et en ajustant le tir, principes d'une cybernétique trop souvent mal comprise et dont un simple thermostat illustre comment la finalité s'introduit dans la chaîne des causes par la rétroaction, en se réglant sur ses effets (la température mesurée).

Si de nouvelles régulations sont vitales, notre époque a malgré tout besoin plus que toute autre de notre autonomie et de notre formation, au point qu'on a pu parler d'une inversion de la dette depuis qu'on n'a plus besoin d'une simple "force de travail", depuis que la société doit former des individus pour qu'ils puissent exercer leur autonomie dans la production. Non seulement on ne pourra plus s'en passer mais c'est à l'évidence un progrès dans la reconnaissance de notre essence humaine et c'est avec raison qu'Amartya Sen appelle développement humain l'accroissement de nos capacités d'autonomie. Seulement, la précarité qui en résulte dans la production à l'ère de l'information n'est pas viable car on ne s'arrête pas de vivre entre deux missions. On ne pourra pas l'éviter pourtant, car tout comme l'information, la production immatérielle est souvent non-linéaire, chaotique, imprévisible. Il faut donner les moyens de l'autonomie et si on ne peut empêcher la flexibilité il faut du moins y joindre la sécurité pour tous, si on ne peut se passer du stress il faut essayer de le maintenir dans des proportions raisonnables en terme de santé publique.

A tout accroissement d'autonomie il faut un accroissement des réserves et une consolidation des circuits de distribution. Il faut prendre acte des nouvelles dépendances, des nouveaux aléas introduits par l'exigence d'autonomie qui est à la fois atomisation et individuation où la société semble disparaître ainsi que les libertés qu'elle protégeait. La psychanalyse montre que c'est souvent la Loi qui libère. Pas plus que l'égalité, l'autonomie n'est un fait de nature, c'est une construction sociale, et puisque l'autonomie multiplie les dépendances, il faudrait la rendre plus supportable, au bénéfice de tous, lui apporter des moyens et renforcer les structures collectives à mesure même que la désaffiliation se généralise.

Pour sortir des contradictions de l'autonomie il faudrait s'intéresser aux supports sociaux de l'individu (Castel), à la production de l'autonomie et son organisation (revenu d'autonomie et développement humain) ainsi qu'au projet d'autonomie de la démocratie (Castoriadis) avec l'opposition entre autogestion et auto-organisation (auto-nomie et libéralisme). Car, on l'a vu, il ne s'agit en aucun cas de réduire notre autonomie sous prétexte de ses excès ou de ses pathologies mais bien plutôt de lui donner les moyens d'être au service de l'individu, moyens de prendre des risques et de se former ou se reconvertir, moyens de coopération et d'assistance le plus souvent humains et locaux. Il y a certainement besoin de revivifier aussi une vie locale et de relocaliser l'économie dans des rapports humains directs (de face à face), des liens sociaux, qui sont bien dépendances, sans aucun doute, mais qui apportent la sécurité d'une communauté humaine. Il ne faut pas aller trop loin dans ce sens (moins de biens, plus de liens) et privilégier plutôt les moyens de l'autonomie mais l'un ne va pas sans l'autre.

L'auto-nomie n'est pas seulement auto-limitation, encore moins auto-fondation ou pur arbitraire mais apprentissage et adaptation aux contraintes écologiques. Ce qu'il faudrait retenir au moins c'est que cette question de l'autonomie n'est pas simple ni évidente et qu'il faut à chaque fois aller y voir de plus près et la mesurer aux moyens dont elle peut disposer et aux dépendances ou contraintes qu'elle doit intégrer.

Conférence de l'Observatoire Euro-Méditerranéen Environnement et Santé (OEMES) tenue le Jeudi 23 février 2006 de 18h à 19h30, à la Bibliothèque municipale 58, cours Belsunce, 13001 Marseille (oemes@mairie-marseille.fr). Voir la version pour publication.

1 319 vues

Laisser un commentaire