Brève histoire de l’homme, produit de la technique

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Il ne m'a pas semblé inutile de tenter une brève récapitulation à grands traits de l'histoire humaine d'un point de vue matérialiste, c'est-à-dire non pas tant de l'émergence de l'homme que de ce qui l'a modelé par la pression extérieure et nous a mené jusqu'ici où le règne de l'esprit reste celui de l'information et donc de l'extériorité. S'en tenir aux grandes lignes est certes trop simplificateur mais vaut toujours mieux que les récits mythiques encore plus simplistes qu'on s'en fait. De plus, cela permet de montrer comme on peut s'appuyer sur tout ce qu'on ignore pour réfuter les convictions idéalistes aussi bien que les constructions idéologiques genre "L'origine de la famille, de la propriété et de l'Etat" de Engels, sans aucun rapport avec la réalité.

Préhistoire

Nous avons longtemps été des singes. Chimpanzés et bonobos nous restent assez proches et on vient de trouver des pierres taillées datées de plus de 3 millions d'années, donc avant les premiers Homos. Les Australopithèques avaient commencé aussi à se redresser et marcher sur leurs deux pieds bien que restant arboricoles. Ce qui caractériserait plutôt les premiers hommes, en dehors d'une bipédie plus exclusive, ne serait pas l'invention des pierres taillées, leur permettant de récupérer la viande sur les carcasses d'animaux, mais bien plutôt que leurs mains s'y sont adaptées tout comme leurs épaules au lancer de pierres, devenue la première arme de jet et les protégeant notamment des prédateurs. Nous devenions ainsi déjà dépendants de nos outils, biologiquement. Il est difficile de dater le moment où la sexualité prend plus d'importance en s'affranchissant des périodes de reproduction (tout comme les Bonobos), ce qui pourrait venir des débuts de la station debout où le sexe des femmes est moins visible.

Entre 2,5 et 1,6 millions d'années, la sélection favorise ceux qui perdent leurs poils et se mettent à transpirer, pouvant dès lors courir sur de longues distances afin de poursuivre le gibier, de plus en plus carnivores à mesure que leur cerveau grossit et dépense plus d'énergie (bien que la viande reste minoritaire et peut être remplacée par le poisson). Dès cette époque reculée, on peut dire que nos ancêtres occupent le sommet de la pyramide alimentaire. L'Homo erectus qui résulte de cette évolution commence à nous ressembler (il y aura pas mal de croisements ensuite), encore largement animal bien que déjà Homo faber pourtant et planifiant ses actions (comme des chimpanzés ou des éléphants), mais, avec une capacité crânienne qui se développe de 850 cm3 à 1 100 cm3 et de plus en plus dépendant de la technique, voire d'un foyer, certaines traces remontant à plus d'1 million d'années (alors que la maîtrise du feu ne se généralisera vraiment que vers 400 000 ans). A partir de ce moment, on est en marche vers Sapiens (qui se sépare de Néandertal, il y a 600 000 ans), la pratique de la cuisine peut être considérée en effet comme réellement fondatrice de notre humanité, élément constitutif de la culture (opposant le cru au cuit) avec la confection de vêtements et d'outils, tout cela sans doute avant le langage narratif et le symbolique (mais sans doute, depuis les premiers bifaces, avec un "langage" gestuel et phonétique assez évolué, se distinguant déjà de celui de l'animal bien que sans grammaire encore). Nos capacités physiques de langage articulé dateraient en tout cas de 600 000 ans.

addendum 2024 : récemment l'hypothèse a été faite d'un goulot d'étranglement ayant décimé (au moins localement) nos ancêtres Homo erectus, il y a 930 000 ans, sans doute à cause d'un changement climatique avec des périodes de glaciation de 100 000 ans désormais, réduisant notre population ancestrale à moins de 2000 individus, avec une presque disparition des fossiles pendant près de 100 000 ans avant une reprise démographique tardive, vers 813 000 ans, permise sans doute par la maîtrise du feu et qui semble un véritable changement de l'espèce se caractérisant désormais par des progrès cumulatifs (culturels) creusant l'écart avec les autres animaux et autres hominidés, ce qui est devenu très visible vers 600 000 ans.

Les origines de l'Homo sapiens, qui le distingue notamment de Néandertal, ne sont pas si claires, datées jusqu'ici de 200 000 ans (195 000 ans pour Omo 1 et Omo 2) mais certains soutenaient des dates beaucoup plus reculée car il y avait des progrès visibles des pierres taillées depuis 300 000 ans (et une découverte récente au Maroc confirme un Sapiens primitif à cette date, dont cependant le cerveau n'est pas encore le nôtre). De leur côté, les généticiens remontent à une femme qui aurait vécu il y a un peu plus de 150 000 ans en Afrique de l'Est (Ethiopie?) et seulement 140 000 ans pour l'ADN masculin, mais selon toute probabilité, nos ancêtres viendraient d'Afrique du Sud (où la diversité génétique est la plus grande et d'où viendrait la langue mère), ce qui n'indique pas forcément une datation antérieure si "l'Afrique de l'Est est un berceau de la diversité et de l'innovation de l’évolution, alors que le sud de l'Afrique est comparable à un musée qui conserve la diversité au cours du temps" (Tyler Faith). Le contexte climatique est celui d'une glaciation européenne (Riss) qui commence en 370 000 après un interglaciaire de 40 000 ans et connaît un radoucissement relatif de 220 000 à 190 000 ans et une fin de la sècheresse (savane) en Afrique avant son retour, en même temps que du froid en Europe (en Afrique, selon les régions, les périodes de glaciation se traduisent souvent par des sècheresses). Il y aura ensuite un interglaciaire de 130 000 à 115 000 ans où le Sahara est verdoyant, avant un nouveau refroidissement, la dernière période glaciaire s'étalant de 110 000 à 13 000 ans. Elle reste cependant assez clémente jusqu'en 70 000 (sans doute avec l'éruption du supervolcan Toba, il y a 73 000 ans, raréfiant la végétation et décimant les populations?), puis se réchauffe de 55 000 à 30 000 ans (avec un Sahara de nouveau humide) pour atteindre les températures les plus basses de 30 000 à 13 000 ans.

Ce n'est pas pour rien que la caractéristique visible la plus importante de Sapiens est la néoténie qui est une déspécialisation, un être inachevé mais plus flexible, renforçant l'artificiel sur le naturel, le rôle de l'apprentissage et le temps d'éducation. C'est pourquoi nous n'avons pas d'essence immuable. Cette plus haute adaptabilité qui nous détache de l'environnement immédiat et fait de nous une espèce invasive colonisant tous les écosystèmes, a sans doute été sélectionnée par ces multiples et brutales modifications climatiques mais nécessite une structure sociale plus stable et une certaine division sexuelle du travail (que ne connaissait peut-être pas Néandertal). L'autre caractéristique essentielle est, bien sûr, le langage narratif. Même si, dans un premier temps, la langue mère n'a été datée par des méthodes linguistiques que de 60 000 ans, les premières tombes ayant un peu plus de 100 000 ans (au Moyen-Orient), il est difficile d'imaginer qu'il n'y avait pas alors déjà un langage évolué et les nouvelles méthodes généalogiques remontent, on l'a vu, en Afrique du Sud à une date bien antérieure. Il y a eu malgré tout un événement fondateur de notre humanité il y a un peu plus de 60 000 ans avec les survivants de l'hiver volcanique et la principale sortie d'Afrique à l'occasion d'un recul momentané des glaciers (qui bloqueront bientôt à nouveau le passage). En effet, après un goulot d'étranglement génétique qui aurait réduit nos ancêtres à moins de 15 000 individus, on constate une accélération sans précédent des progrès techniques et culturels à partir de 50 000 ans, véritable révolution du paléolithique supérieur et qui va permettre au petit groupe au départ (sans doute déjà un peu hybridé avec Néandertal au Moyen-Orient) de se répandre dans le monde entier. Le plus étonnant dans cette période, c'est la disparition des grands animaux partout où les hommes arrivent (47 000 ans pour l'Australie) malgré leur nombre si réduit. Ce qui justifie de dater de cette période relativement récente notre véritable origine (peut-être avec les chasseurs-cueilleurs San en Afrique du Sud), c'est que notre espèce aurait subi alors aussi une accélération de l'évolution génétique, due à une pression sélective qui pourrait être celle de la supériorité des armes, éliminant les autres populations. Les progrès des techniques de chasse sont effectivement aussi le progrès des armes (durcies par le feu). Cette hypothèse ne fait pas l'unanimité mais ce qui est beaucoup plus étayé, c'est que la supériorité de Sapiens, y compris militairement, venait surtout du fait de constituer des groupes plus nombreux et plus solidaires. Cela nécessitait une baisse de la testostérone, visible sur les squelettes depuis 80 000 ans (notamment le menton propre à Sapiens), mais permettait aussi de vivre plus longtemps (au-delà de 30 ans), condition de l'élaboration d'une culture plus complexe. L'existence de grand-parents était indispensable à la transmission et l'augmentation des populations accélérait la diffusion des innovations. Il faudra cependant attendre le réchauffement autour de 50 000 ans pour que ces populations soient devenues assez nombreuses et qu'on assiste à une explosion symbolique et une continuité culturelle. Cet ensemble de spécificités (néoténie, groupe élargi, longévité, culture complexe) suffisent à nous distinguer radicalement de ce qui a précédé (y compris Néandertal) sans qu'on puisse y voir un auto-développement mais le résultat d'une sélection de groupe implacable alors même que les soins familiaux réduisaient la sélection individuelle.

Le récit qui fait exister un monde qu'on ne voit pas et permet la conscience d'exister dans une continuité entre passé et avenir, condition de la réflexivité, constitue ce qui nous distingue fondamentalement de l'animalité. Il n'empêche qu'il n'est pas sans défauts nourrissant toutes sortes de mythes trompeurs et donnant une représentation bien trop linéaire des faits. Ce récit des origines n'échappe pas lui-même à ce travers. Bien sûr les choses se sont passées de façon beaucoup plus compliquée. Il y a eu une évolution buissonnante et d'autres sorties d'Afrique qui n'ont simplement presque pas laissé de traces. Cependant, l'important n'est pas le détail de l'évolution mais le résultat final et de comprendre que nous avons été forgés ainsi que nos capacités techniques par les modifications de notre environnement et une sélection impitoyable, frôlant plusieurs fois l'extinction. Il n'empêche qu'on est dans un savoir très fragile, à la merci de nouvelles découvertes (on vient de le voir avec la découverte d'un Sapiens de 300 000 ans), car, aussi étonnant que cela puisse paraître, il n'y a rien qui change plus que notre préhistoire !

Proto-histoire

A partir de 60 000 ans au moins, nous sommes donc entièrement dans un monde humain et spirituel, monde des chasseurs-cueilleurs en disparition depuis peu de la surface de la Terre et assez bien connu par l'ethnographie qui en a montré toute la diversité (tout comme la diversité des langues). En dehors de la technique et du langage, il est bien difficile de définir ce que serait notre humanité dans cette multiplicité reflétant les différences d'environnement et d'histoire. Si on trouve quelques tribus où la vie semble assez idyllique, notamment dans les îles, ce n'est pas la majorité, les guerres entre clans étant constantes sinon, voire rituelles, et produisant beaucoup plus de morts violentes que dans nos sociétés. L'égalitarisme de ces sociétés était aussi très variable, avec toutes sortes d'inégalités de statut (âge, sexe, nombre de femmes, pouvoirs magiques) et une domination masculine plus ou moins marquée. La dépendance de la nature de ces sociétés originelles qui nous semblent moins dénaturées que nous ne doit pas mener à trop les idéaliser ni à en méconnaître les violences.

Un des événements marquants de cette proto-histoire sera la domestication des chiens (au moins 35 000 ans) qui manifeste la coupure achevée entre l'homme et l'animal, en même temps que sa proximité. C'est d'une certaine façon la marque de la domestication croissante des hommes par la culture et l'éducation. C'est aussi le début des grottes ornées dont la technique nous éblouit encore. Tout porte à croire qu'on est dans une sorte de chamanisme ou d'animisme qui perdure jusqu'à ce jour bien que sous des formes très différenciées. On arrive d'ailleurs à reconstruire des mythes pouvant dater de cette époque et des rites aussi anciens peuvent même perdurer dans quelques lieux. Pour Alain Testart, il y a une "explosion de la communication à l'aide de symboles vers 38000/35000", on découvre ensuite le harpon (23 000), les aiguilles à chas (19 000) et le propulseur (16 000).

Avec la fin de la dernière glaciation, il y a 13 000 ans, suivie d'un nouveau refroidissement brutal de 12 800 à 11 700 ans, se produira la plus grande rupture depuis le langage narratif, celle de la sédentarisation puis de l'agriculture. Il en sortira presque une autre espèce. Le fait décisif sera bien la sédentarisation qui avait déjà eu lieu à plusieurs reprises, notamment autour du stockage de poissons (saumons) séchés ou fumés, aussi bien dans le nord de l'Amérique que dans les villages troglodytes de la Vézère (près de Lascaux), produisant déjà des différenciations sociales (avec des esclaves) ainsi que des dépenses ostentatoires (potlatch). Il y avait également eu auparavant des pratiques agricoles dispersées mais notre civilisation agricole vient directement du Proche-Orient, et surtout de la Turquie actuelle (on devrait dire du Kurdistan) où l'abondance de petit-épeautre aurait incité à se sédentariser pour stocker le grain. La sédentarisation est en soi un facteur de progrès, permettant de multiplier les possessions et ustensiles (poteries, arc, filets, canots, etc.) dont les marcheurs ne pouvaient s'encombrer, mais cela renforce aussi, comme on l'a vu, inégalités et hiérarchies (même s'il y aura des villages égalitaires en Europe).

Les premières céramiques et poteries sont très anciennes mais sont peu utilisées avant l'agriculture qui s'imposera à cause des changements climatiques, ayant été peut-être initiée par l'émergence d'une nouvelle religion (de divinités à forme humaine remplaçant les animaux totémiques), avec le temple de Göbekli Tepe (daté de 12 000 ans), dont les rassemblements imposants auraient nécessité un jardin (d'Eden) pour nourrir tout ce monde (et produire des boissons alcoolisées rituelles) ! Curieusement, au moment où l'agriculture va se répandre à la suite de plus mauvaises conditions climatiques, il y a 10 000 ans, le temple sera recouvert de terre... La sédentarisation et les espaces de stockage étaient un préalable à la culture des sols qui est devenue incontournable une fois que les grains sauvages ont commencé à manquer mais il ne faut pas faire de l'invention de l'agriculture un acte isolé alors que c'est une organisation sociale. "Il ne s'agit pas en effet de planter une graine, ce qui s'est toujours fait, mais de la mise en place progressive d'une économie agraire" (Alain Testart).

Comme l'existence de stocks menacés de pillages renforçait la dimension guerrière (ce qu'on oublie trop souvent), ces sociétés agricoles se sont donc constituées sur une tripartition fonctionnelle, qui n'est pas seulement indo-européenne, combinant travail de la terre, défense armée et religion commune (légitimant le pouvoir et l'organisation sociale, les temples servant aussi de trésor). La pression environnementale étant doublée de la pression militaire (et de la pression religieuse), cela ne laissait guère d'autonomie à personne mais renforçait au contraire les dominations (y compris des femmes). En étant condamnés à faire le travail à la place de la nature (ou des dieux), on est malgré tout passé à un nouvel échelon de la lutte contre l'entropie et de notre autonomisation, qui semble depuis passer à la vitesse supérieure mais, il faut y insister, uniquement sous la pression extérieure. Cette expulsion du paradis terrestre des chasseurs-cueilleurs n'a rien d'un désir irrépressible ni de l'épanouissement de notre intériorité supposée (même si certains s'y épanouissent). Au contraire, l'espèce en sortira transformée (plus fragile), uniformisée (les populations agricoles se mélangent) et s'adaptant génétiquement à la nouvelle alimentation (digestion du lait notamment).

Depuis le déclin du marxisme, il est de bon ton de prétendre que les causes de ce changement de mode de production seraient culturelles et non pas matérielles, sous prétexte qu'il y a, comme au Mexique, une religion qui initie l'agriculture au tout début. Sauf que ce qui est déterminant, ce n'est pas tant l'idéologie contingente qui en a été l'origine ici ou là (ce n'est pas la même religion dans les deux cas). Ce qui est déterminant c'est l'après-coup qui la rend indispensable matériellement ensuite et la généralise. Une fois engagés sur cette voie, il n'y avait plus, en effet, de retour possible car, bien que la nourriture y soit moins riche que celle des chasseurs-cueilleurs, la population se trouvera multipliée par 10 - il était donc bien devenu impossible de s'en passer.

Nous appartenons encore par toutes sortes de traces et réminiscences à ce monde paysan disparaissant depuis quelques décennies seulement, mais il est intéressant de noter que si les débuts de l'agriculture ont connu un rythme rapide d'innovations de toutes sortes, il y en a eu beaucoup moins ensuite, des pratiques ayant été conservées jusqu'à nos jours.

L'histoire

Après la longue période de déglaciation et de montée des eaux, jusqu'à l'optimum climatique chaud et pluvieux (il y a 7500 ans), l'étape suivante sera celle de la civilisation et des grandes villes. Il y aurait eu une sorte de "déluge" (noyant au moins la plaine entre le Tigre et l'Euphrate) qui inspirera aux Sumériens l'histoire de Noé, puis une période plus aride. C'est alors que l'irrigation devenue vitale et la gestion centralisée des canaux institueront une division du travail et une spécialisation qui sera à l'origine des nombreux progrès techniques avec des inventions décisives comme le tour de potier ou la roue (des chars à mulets) et surtout l'écriture. L'écriture est née à Sumer pour le commerce alors qu'elle est née en Egypte pour l'inventaire des biens royaux (en fait elle serait précédée d'une utilisation religieuse) et en Chine pour des inscriptions oraculaires. L'origine dépend du milieu mais ensuite l'écriture gagne tous les domaines. En tout cas, grâce aux tablettes cunéiformes, l'histoire commence donc à Sumer (bien que longtemps oubliée), quelques siècles avant l'Egypte et l'âge du bronze (il y a 5000 ans) qui sera un âge de guerres entre cités-Etats et de constitution des premiers empires. C'est aussi le moment où la domestication des chevaux se répand, permettant au commerce de s'étendre au loin, se "mondialiser". On entre ensuite avec l'âge de fer (il y a 3000 ans) dans l'antiquité grecque et l'âge de raison, notamment grâce à l'écriture phonétique cette fois qui démocratise la lecture, diffuse les idées et constitue une véritable scène intellectuelle internationale. On a essayé de montrer que les autres causes matérielles du "miracle grec" étaient liées au commerce et à la guerre des cités. Dans les empires, la situation était toute autre et les philosophies de Platon et d'Aristote seront assez vite presque oubliées au profit des philosophies du bonheur puis du tournant religieux qui ont suivi, idéologies d'empire ou d'esclave (stoïcisme, néoplatonisme, christianisme).

Le progrès de la raison n'est pas assuré s'il ne procure pas une supériorité matérielle et, avec les Romains, c'est encore une fois la puissance militaire qui a eu le dernier mot mais, en fait, le plus remarquable a bien été la durée de ces conquêtes, leur stabilité, de la République à l'Empire. La richesse commerciale et la Pax Romana viendront essentiellement du Droit romain, donc d'un progrès de la raison faisant reculer l'arbitraire et favorisant les échanges. Pour le reste, les Romains étaient de grands ingénieurs (aqueducs, camps retranchés, catapultes, etc.) mais ils ne connaîtront pas un progrès comparable à celui des Grecs, tentés plutôt par les mystères asiatiques, l'astrologie ou les nouvelles religions (Mithra, Manichéisme, Christianisme, Gnostiques). De plus, la désagrégation de l'Empire romain (476), sans doute précipitée par de mauvaises récoltes dues à un refroidissement climatique (aggravé en 535), inaugurera une longue période de régression, d'invasions barbares et d'un retour des pouvoirs locaux, avec la perte de tant de livres et de savoirs.

L'histoire n'est pas linéaire (ce n'est pas un auto-développement, l'expression d'une essence humaine). Le contexte, les urgences de l'heure priment sur le passé mais après un temps plus ou moins long, le progrès technique et scientifique finit toujours par reprendre quelque part en apportant un avantage décisif. Il faudrait ainsi parler des formidables civilisations chinoises et indiennes, qui ont connu la même logique militaire impériale, si nous ne faisions pas ici l'histoire des vainqueurs dont la supériorité technique a fini par dominer militairement ces cultures raffinées - couperet de l'après-coup et de la force brute. On peut toujours se mettre en retrait de l'évolution technique, comme la Chine a cru pouvoir le faire, mais on est rattrapé un jour ou l'autre...

Au Moyen-Âge, c'est l'Islam qui prend le relais et s'empare facilement des débris de l'Empire pendant qu'en Italie règnent les cités maritimes (sous la coupe de l'Eglise, le pouvoir terrestre n'étant pas religieux) et que l'Europe est livrée au brigandage des seigneurs locaux dont les premiers châteaux forts servent à piller la région. La "révolution de 989", grands rassemblements populaires des reliques contre les châteaux, aboutira à la paix de Dieu ainsi qu'à donner aux seigneurs un fief à exploiter et préserver au lieu de le dévaster - ce qui constituera un grand progrès matériel mais se traduira finalement par le servage de la paysannerie... L'optimum climatique médiéval qui commence en 950 ouvre une période de croissance y compris démographique menant au XIIIè siècle à ce que Pierre Chaunu appelle un monde plein. Cette surpopulation, qui sera à l'origine de la répression sexuelle chrétienne, exposait surtout aux épidémies, la terrible peste noire (1347-1352) tuant plus de 30% d'une population affaiblie par les débuts du Petit Âge glaciaire (à partir de 1303, avec notamment la grande famine de 1315-1317). Du moins, le manque de main d'oeuvre qui en a résulté a permis à toute une paysannerie de sortir du servage. On retiendra quand même de ce temps de reconstruction quelques innovations marquantes comme les moulins à vent au XIIè et les horloges mécaniques au XIVè, préparant la mécanisation tout comme les abbayes préfigurent les futures fabriques.

En Italie la Renaissance est en grande partie un fruit des guerres où les puissances européennes s'affrontent sur son sol avec les nouvelles armes à feu. Elle a donc commencé un peu avant l'invention de l'imprimerie (en 1450) qui lui donnera cependant toute sa portée et permettra de renouer avec l'antiquité, puis la diffusion du protestantisme et de la lecture un peu plus tard (Luther 1517). L'autre innovation décisive (1420) a été les bateaux hauturiers, comme la caravelle, capables d'affronter la haute mer et qui mèneront à la découverte de l'Amérique (1492), achèvement de la mondialisation, ainsi qu'au développement du commerce des épices et de la finance - et, finalement, à la domination occidentale sur le reste du monde. Au niveau du mode de production, on peut citer la multiplication des moulins hollandais aux XVIè et XVIIè, servant d'abord pour assécher les polders mais qui serviront aussi comme premières machines pour usiner les planches destinées à la construction des bateaux. Si les Grecs ont inventé la monnaie, les Italiens ont inventé la banque (banquiers lombards, Médicis) qui va enrichir ses villes commerçantes (Venise, Florence), l'explosion des arts qui s'en suit (Léonard de Vinci 1500) n'étant pas spontanée mais le fruit des rivalités entre les puissances du moment, sorte de soft power qu'on peut comparer au potlatch comme dépenses somptuaires renforçant le prestige. Quand au progrès des sciences, il vient des traductions de l'antiquité, de la circulation des livres mais aussi des ingegneri (dont Léonard) employés dans les guerres italiennes pour les fortifications et la balistique avec l'arrivée des canons. Cette fièvre des connaissances qui n'est donc pas si naturelle, encore moins désintéressée, aboutira, au siècle suivant, à la mathématisation de la physique par Galilée (1604) puis à la philosophie rationaliste des lumières inaugurée par Descartes (1637) avant que Newton ne publie ses Philosophiæ Naturalis Principia Mathematica en 1687. On retrouve cette fois incontestablement pas mal d'analogies avec le miracle grec.

L'étape suivante sera celle des débuts de l'industrialisation qui suffit à expliquer les révolutions. La révolution anglaise datait pourtant du siècle précédent mais la révolution américaine venait d'élaborer sa propre constitution en 1787. On insiste souvent avec raison sur le retard industriel de la France par rapport à l'Angleterre à ce moment, croyant disqualifier ainsi l'explication par l'infrastructure. Or, 1788 aurait été l'année où le produit industriel de la France (industrie, artisanat, service) égalait le produit agricole. C'était aussi l'année d'une banqueroute de l'Etat (krach de la dette) et surtout d'une très mauvaise récolte, alors même que la population augmentait à nouveau depuis 1720. Les causes matérielles de la Révolution ne manquent donc pas, qui ne sera jamais un projet préconçu mais échappera en permanence à ses acteurs. Non seulement l'industrialisation n'était pas étrangère aux bouleversements en cours mais, derrière les beaux discours rousseauistes, une des raisons majeures ayant décidé la noblesse désargentée à l'abolition des privilèges était de pouvoir en contrepartie s'investir dans l'industrie naissante (les premières machines à vapeur sont commercialisées en 1712) dont sortira un homme nouveau, pas toujours beau à voir, mais quand ce n'est pas la force des armes, c'est la force productive et les gains financiers qui s'imposent...

L'histoire ensuite est celle bien connu du capitalisme industriel, et de tous ses ravages, apparaissant dés lors comme une force naturelle sauvage, processus autonome que Marx analysera comme "système de production" où l'investissement et la production sont déterminés par la circulation et le profit, le bon marché des marchandises suffisant pour abattre toutes les murailles de Chine - mais, dans ce système, la surproduction est paradoxalement le plus redouté, nous plongeant dans la misère ! L'investissement dans les machines est un facteur important d'accélération des progrès, ce qui fera du XIXè le siècle scientiste par excellence mais c'est le travail lui-même qui devient aliénant à être machinique et plus seulement subordination à un maître. L'utilisation d'énergie fossile avec le charbon, indispensable pour les machines à vapeur, sera un élément déterminant de la croissance et du progrès technique, comme plus tard le pétrole. On va dès lors produire de plus en plus d'entropie globale et d'effet de serre à mesure que l'industrie se développe et que sa puissance devient démesurée. Le plus significatif de cette transition vers un nouveau système de production, c'est la guerre de sécession, opposant le Nord industriel au Sud agricole et qui a montré la supériorité du salariat sur l'esclavage, véritable raison de l'abolition de l'esclavage (1865) bien plus que les condamnations morales. Il faut rappeler que ce ne sont pas les esclaves qui se sont libérés (ceux qui se sont révoltés ont été crucifiés), c'est le système de production qui avait changé, la condition de salarié n'étant d'ailleurs pas toujours plus enviable que celle d'esclave, simplement plus adaptée à l'industrie ne payant plus qu'un temps de travail mesurable. Le salariat, c'est-à-dire le revenu individuel sera aussi la base matérielle de l'individualisme (au moins de l'individuation).

Aboutissement des grandes industries, ce qui semble dominer la première moitié du XXè siècle, ce sont les guerres industrielles et les idéologies de masse qui se veulent scientifiques, versions opposées du darwinisme entre libéralisme, communisme et racisme. L'extermination des juifs sera elle-même industrielle. On est bien là dans un délire rationnel qui est le contre-coup d'une industrialisation qui dérange notre être-au-monde et nous enivre de sa puissance. C'est le libéralisme américain qui a gagné haut la main la confrontation des idéologies par sa productivité et son hégémonie militaire (basée de plus en plus sur la technologie de pointe), ce qui ne se discute pas. Cependant, tout comme l'abolition de l'esclavage était due au changement de système de production et non pas aux luttes des esclaves, de même le fordisme et la société de consommation ne seront pas tant le résultat des luttes salariales que de ses effets positifs (keynésiens) sur la croissance.

L'économie ne nous est pas toujours défavorable mais, comme toujours, peu importent les bonnes intentions invoquées, seul le résultat compte à la fin et seuls durent les processus viables, capables de s'auto-entretenir. Le problème, c'est que justement ce n'est plus le cas dans la mondialisation, les augmentations de salaire ne profitant plus à la production nationale mais pouvant creuser le déficit commercial. C'est la raison pour laquelle les protections sociales sont attaquées, nous menaçant d'un retour en arrière aux débuts de l'exploitation salariale, et qu'il faut changer de modèle, relocaliser l'économie et s'adapter aux nouvelles conditions matérielles au lieu de se cramponner à des mesures obsolètes et vouloir dénier une mondialisation qui repose sur l'état actuel des techniques.

De même, avec l'automatisation, ce n'est pas que le travail pourrait disparaître comme valorisation de nos compétences mais il se transforme profondément, change de sens et de pratique, ayant besoin de nouveaux dispositifs. Il faudra trouver un système viable avec de nouvelles protections sociales comme un revenu garanti et les institutions du travail autonome qui manquent cruellement mais, pas plus qu'avant, le progrès de l'autonomie ne serait à mettre sur le compte des exigences des travailleurs. C'est de nouveau une question d'efficacité productive. Cela n'empêche pas que le travail autonome, à condition d'être un travail choisi, est un facteur d'émancipation - alors que l'autonomie subie peut être profondément aliénante - mais encore une fois l'émancipation se trouve dépendre de ses conditions matérielles plus que de nos désirs.

La fin de l'homme ?

Avec le numérique, et l'ère de l'information qui remplace l'ère de l'énergie, nous connaissons une révolution comparable à celle du Néolithique, bouleversant tous nos modes de vie en quelques années et nous transformant profondément sans qu'on puisse savoir jusqu'où. Ce qui est sûr, c'est que nous avons déjà beaucoup changé et que nous ne serons pas les mêmes dans quelques années. Une fois la transition bien entamée, comme au Néolithique, le rythme des innovations majeures devrait se calmer mais on n'est qu'au début d'une intelligence artificielle qui n'a pas fini de nous étonner (bien que ne parlant toujours pas notre langage jusqu'ici) et qui remet en cause ce qui nous apparaissait propre à l'homme, obligeant à reformuler ce qui nous spécifie (et ce qui sera valorisé par rapport aux robots).

Un des effets les plus révolutionnaires de l'économie post-industrielle est de priver le patriarcat de son fondement matériel et de donner les moyens (pilule, machine à laver, salariat féminin, etc.) d'une libération de la femme qui, une nouvelle fois, est l'effet de changements dans l'infrastructure productive, plus que de l'activisme féministe. C'est une révolution anthropologique considérable qui nous transforme profondément et remet en cause toutes les sociétés traditionnelles. On n'en est là aussi qu'au début, l'homme à venir étant sans doute bien différent de l'ancien mâle dominant.

Ni les hommes, ni les femmes ne sont vraiment les acteurs de l'histoire et il devient de plus en plus clair que l'évolution technologique, qu'on pourrait partager avec des extra-terrestres, dépasse l'espèce humaine et ne peut s'arrêter. Les manipulations du génome semblent inévitables à plus ou moins court terme, il n'y aura pas de fin de l'évolution ni une éternisation de notre génome, mais, en dépit du fait qu'on n'a aucun moyen de s'y opposer universellement, il est probable que le transhumanisme ne change pas vraiment la donne, ne faisant pas de nous des dieux mais ayant toujours besoin de la reconnaissance des autres et soumis tout autant à l'extériorité et la sélection par le résultat. Il y aura inévitablement des effets regrettables voire très dommageables mais les biotechnologies à la portée de tous sont bien plus dangereuses, et trop sous-estimées, que notre prétendue dénaturation génétique.

L'autre détermination matérielle massive qui devra prendre de plus en plus d'importance, c'est la menace écologique que représente l'Anthropocène avec la perturbation de tous les équilibres, un dangereux réchauffement et une des pires extinctions animales en cours qui, loin de nous rendre maîtres de la nature, nous obligeront à en être les serviteurs. Pour l'instant, le pessimisme est de rigueur, c'est le scénario du pire qui se dessine. Il est difficile de penser que l'espèce humaine elle-même pourrait s'éteindre alors qu'on arrive à des pics de population délirants (qui favorisent des pandémies sinon des bioterroristes). Il y a quand même de quoi s'inquiéter et mobiliser les consciences si on ne veut pas en subir les conséquences brutales, question plus sérieuse que celle de la pureté de la race humaine ou que la menace du grand remplacement par les robots, purs fantasmes identitaires qui ne nous feront pas retrouver le bon temps d'autrefois. La question n'est pas celle de notre identité changeante mais bien de notre environnement.

Il y aurait évidemment beaucoup plus à dire. Pour ma part, j'ai trouvé depuis longtemps très éclairant de voir comme les cycles économiques déterminent les idéologies du moment (les parallèles entre notre situation et les suites de 1929 sont frappantes en dépit de toutes les différences). On pourrait aussi montrer les soubassements économiques des différentes hérésies religieuses, etc. Il ne s'agit pas de prétendre pouvoir rendre compte de tous les événements dans le détail mais de prendre la mesure de tout ce qu'on peut expliquer par l'évolution technique ou climatique au lieu des valeurs morales. Malgré toutes ses insuffisances, cette esquisse trop rapide est juste destinée à mettre en valeur les causes matérielles d'une histoire qui les gomme derrière le récit des actions individuelles présentées comme décisives. Cela peut suffire à montrer que nous ne sommes ni la cause du savoir ni de l'évolution ni de la langue, alors que nous en sommes plutôt les sujets. Ce qui s'efface, c'est la figure de l'homme triomphant que nous nous étions formés. D'un bout à l'autre, on constate le règne de la nécessité où la liberté humaine est de bien peu de poids, pouvant certes intervenir et en changer les péripéties mais sans modifier sensiblement les grandes tendances et les masses en jeu. Certes, croire être libre est une nécessité de l'action, il ne s'agit pas de se réduire à la passivité et au fatalisme. Mon pari, c'est qu'à reconnaître l'évolution en cours, ses contraintes ou opportunités, et donc faire de la prospective au lieu de construire de vaines utopies ou se battre contre des moulins, cela nous donnerait une meilleure chance d'y intervenir positivement, avec des résultats réels, bien que forcément limités...

Voir aussi : Le réel au-delà de la technique

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9 réflexions au sujet de “Brève histoire de l’homme, produit de la technique”

  1. C'est toujours un exercice de mise en perspective très intéressant, et le point de vue matérialiste adopté est très convaincant.
    Si on prive une vache de ses cornes, elle le sait et elle sera beaucoup moins agressive.
    Vous citez l'écriture. Mais il y a une différence entre l'écriture seulement réservée à une petite élite et l'alphabétisation de masse (Cf les travaux d'E. Todd, lui-même inspiré par je ne sais plus qui de l'institut anglais où il a fait une partie de ses études). Disons qu'un "troupeau" de personnes munies de l'alphabétisation ne se comportera pas du tout comme s'ils ne le possédaient pas.

    • Je n'ai pas trouvé que c'était très intéressant. Il est certain qu'il y aura des boulots de merde. Il y en a toujours eu. Il est certain aussi que si on ne fait rien pour le développement humain, il y aura un énorme gâchis mais si on part des désirs de chacun pour valoriser ses compétences, on pourrait y échapper (en donner les moyens, notamment un revenu garanti). C'est peut-être être trop idéaliste de le croire mais cela me semble inscrit dans le nouveau système de production à l'ère de l'information.

      L'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (Onpes) vient de publier une étude critique sur "Revenu universel, revenu minimum garanti : quels liens avec la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale ?"

      http://www.caissedesdepotsdesterritoires.fr/cs/ContentServer?pagename=Territoires/Articles/Articles&cid=1250278808411

      Une réflexion autour des perspectives offertes par un revenu universel peut aider à identifier des voies nouvelles et stimuler l'expertise sur les conséquences sociales anticipées des mutations économiques en cours mais, ni la simplification des minima sociaux, ni le revenu universel ne devraient conduire à négliger la réinsertion sociale des personnes les plus éloignées du marché du travail, et plus généralement la reconnaissance sociale des apports des personnes 'invisibles', exclues de ce fait de la vie sociale.

      • A mon avis, les désirs de chacun, tout le monde s'en fout pour le moment, dans la mesure que même les commanditaires de l'économie ne savent pas vraiment ce qu'ils désirent.

        Cette notion du désir comme boussole économico-existentielle me parait encore largement foireuse.

        • C'est évidemment exotique pour l'ancien système mais c'est le sens des "Territoires zéro chômeurs" dont on avait parlé. Il ne s'agit pas forcément d'un idéal mais du choix d'un travail qu'on aime, tendance de long terme qui n'est certes pas la situation présente bien qu'une très large part des salariés disent aimer leur travail.

  2. Cette brève histoire est plutôt passionnante à lire, et recouvre pratiquement toutes les grandes questions de l'évolution humaine. 1) Je pense néanmoins qu'un mot aurait pu être dit au sujet de l'expansion coloniale qui est le corollaire (à la fois cause et conséquence) du progrès technique du capitalisme sur le continent européen. si l'esclavage a été aboli en Europe, on peut affirmer que le travail forcé s'est perpétué sous une autre forme dans les colonies, ce qui a permis, entre autre, l'essor économique de l'Europe (et l'appauvrissement de l'Afrique). Bien entendu c'est avant tout la puissance des armes (due au développement technique) qui a permis cette domination.
    2) La notion d'anthropocène me gène un peu. Elle me fait penser à la formule de K. Marx cette fameuse 6ième thèse sur Feuerbach où il énonce que l'essence de l'homme n'est pas l'individu pris à part, mais l'ensemble des rapports sociaux (donc, non pas seulement collectifs comme une interprétation un peu fruste de Marx pourrait le laisser penser, mais aussi individuels et psychologiques. On pourrait du reste ajouter: des rapports sociaux sous la pression de l'extériorité technique, même s'il y a une forme à mon sens, de circularité dialectique). O peut se demander si cette notion d'anthropocène donc, ne recèle pas des traces d'idéalisme philosophique (l'homme abstrait, l'individu pris à part). Je parlerais plutôt de capitalocène (mais je ne suis pas l'inventeur de ce terme) remontant au XVIIIième siècle (il n'est bien entendu pas question d'âge d'or écologique "avant").

    • Je parle de domination de l'Occident sur le monde et donc de la colonisation mais je suis obligé pour rester dans les limites d'un article et non d'un livre de dire le minimum.

      L'Anthropocène, c'est simplement le moment où l'activité humaine perturbe toute la biosphère et nous rend donc responsables du monde. On peut effectivement penser que l'Anthropos n'en est pas l'acteur sauf qu'il doit le devenir. C'est la nécessité d'une réaction globale, peut-être impossible mais néanmoins devenue nécessaire.

  3. Il est intéressant de relire aujourd'hui le livre de Kostas Axelos "Marx, penseur de la technique" :

    Pourvu qu’on comprenne le terme dans toute son ampleur et sa vraie profondeur, il serait temps peut-être de commencer à comprendre la pensée de Marx comme une Technologie. La technologie constituerait même le centre de la pensée marxienne, son intention et son nerf. La technologie détient les clés du monde, c’est par le devenir technologique que l’homme se produit en tant qu’homme, la nature devenant histoire et l’histoire se transformant en histoire universelle du monde. C’est la technologie qui édifie les ponts entre le passé, le présent et l’avenir, constituant le rythme du temps historique, du devenir des conquêtes de l’homme. C’est dans la technologie aussi - et principalement - que réside le secret du double aspect du monde et le côté double de l’aliénation, le monde spirituel reflétant et sublimant les insuffisances du monde matériel. Enfin, c’est la technologie qui détient le secret des liens qui unissent la théorie et la pratique, la pensée et l’action, le logos et la technè.

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