L’échec politique, entre religiosité et déterminismes

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Et c’est parce que ce milieu imaginaire n’offre à l’esprit aucune résistance que celui-ci, ne se sentant contenu par rien, s’abandonne à des ambitions sans bornes et croit possible de construire ou, plutôt, de reconstruire le monde par ses seules forces et au gré de ses désirs.
Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique

 

politiqueLa politique est décidément bien décevante, chose acquise à peu près pour tout le monde aujourd'hui - surtout depuis la crise financière et les révolutions arabes - sauf qu'on s'obstine à mettre encore notre impuissance collective entièrement sur le compte de notre défaitisme et notre passivité, alors que notre activisme pourrait y participer tout autant à se tromper de cible et se croire obligé de répéter comme un mantra, d'échecs en échecs, qu'il faudrait rester utopistes car ce serait sinon accepter les injustices du monde ! On peut dire que c'est le privilège de l'âge, après des années de militantisme, de constater à quel point c'était une impasse et n'a servi à rien ou presque, mais cela ne date pas d'hier. Il ne s'agit pas de s'en accommoder mais d'essayer de comprendre pourquoi au lieu de le dénier bêtement en s'imaginant avoir trouvé cette fois la bonne martingale qui grâce aux réseaux sociaux, à notre excellence ou quelque autre merveille assurera le triomphe de ce qui a toujours échoué jusque là... Le premier obstacle est bien là, en effet, dans cette loi du coeur, simple refus du réel comme de reconnaître l'étendue de notre impuissance que personne pourtant ne peut plus feindre d'ignorer, et préférer croire aux miracles, toujours prêts à suivre les marchands de rêves. A n'en pas douter, se focaliser sur les problèmes concrets (reconversion énergétique, relocalisation, inégalités, précarité) donnerait une bien meilleure chance de les régler mais on préfère rehausser notre image avec des ambitions plus élevées et la dévotion à quelques grands idéaux ou la nostalgie d'une société fusionnelle, perdus dans une religiosité, mêlant l'abstraction et l'affectif, dont c'est la réalité qui fait les frais.

Durkheim explique assez bien cette projection dans la totalité par le fait que "le concept de totalité n'est que la forme abstraite du concept de société" même si, à l'origine, cela s'appliquait à des sociétés beaucoup plus restreintes (à taille humaine). Il y a une nécessité des rites d'unification d'une société pluraliste pour sa cohésion et la réduction des tensions internes, fonction des fêtes et commémorations (des banquets républicains chez les Grecs) mais il est aussi essentiel de ne pas en faire trop et de reconnaître nos divisions innombrables, qui nous opposent et réduisent d'autant le pouvoir du politique à un point d'équilibre entre droite et gauche. Hélas, après le désastre des totalitarismes fascistes et communistes, puis le remplacement des anciennes luttes de libération et des guérillas communistes par les djihadistes, il semble bien qu'il soit plus difficile qu'on ne croit de sortir des schémas religieux et de la quête de l'absolu pour prendre à bras le corps les questions matérielles considérables qui se posent alors que jamais période ne fut aussi révolutionnaire - mais pas au sens quasi théologique qu'on voudrait lui donner !

Dans le sillage du travail poursuivi sur la débandade des avant-gardes, la critique de la critique, la surestimation de nos moyens, les solutions imaginaires, la fin de la politique et l'ineffectivité de la philosophie politique, il m'a semblé utile de revenir d'abord sur ce qui nous trompe, nous empêchant de reconnaître nos déterminismes et résoudre nos problèmes, puis sur ce qui nous contraint matériellement, que cela nous plaise ou non, essayant de dessiner ainsi le cadre peu reluisant de l'action collective, nous laissant peu d'espoirs, et les mécanismes effectifs derrière la façade politicienne de la démocratie compétitive. Il n'y a là paradoxalement rien de nouveau, que du bien connu mais dont on ne veut rien savoir dans les discours politiques au moins. Dire ce qui est ne peut viser à décourager l'action mais tout au contraire lui donner un peu plus d'effectivité peut-être, en abandonnant la pensée magique ? En tout cas, même si c'est probablement en vain, c'est pour cela que je continue ce travail ingrat - car il est vital qu'on arrive à s'en sortir et qu'on ne se laisse pas faire, en dépit de tout ce qui nous en empêche (nous-mêmes en premier).

Il y a une fonction de la religion, fonction dogmatique fournissant un langage commun se référant à une tradition et qui donne sens à l'existence dans tous ses aspects, affirmation du social sous couvert d'un pouvoir divin transcendant (la totalité sociale comme mode d'existence qui se distingue des individus qui la composent et qu'elle organise). Ce n'est pas pour rien que le monde entier ou presque reste profondément religieux dans l'infinie diversité des croyances, plus absurdes les unes que les autres - et plus c'est absurde et plus on est fier d'oser y croire en se distinguant ainsi du vulgaire et du sens commun ! Du moins, les religions préservent en général un dualisme entre ce monde-ci et l'autre monde, imaginaire ou symbolique alors que, dans un premier temps du moins, il semble bien que le déclin du religieux mène d'abord à une confusion des genres, une religiosité politique de mauvaise aloi ne pouvant plus s'assouvir dans une communion divine. Je suis persuadé que le déclin religieux est irréversible dans le monde des sciences et des techniques mais l'athéisme devra bien assumer les fonctions sociales des religions. C'est un fait, il y a un respect universel pour les grandes spiritualités qui donnent existence à ce qui n'existe pas, créations purement culturelles qui miment l'intériorité et nous sortent du prosaïque des marchandages quotidiens et autres soucis matériels. C'est ce qui ferait notre humanité paraît-il, témoignage de la capacité à nous détacher de notre nature animale par la domestication d'une personnalité entièrement socialisée, civilisée, conforme, artificielle, construite (avec des mots), voulue, supposée libre de toute causalité biologique. Se croire ainsi d'essence divine suffit à nous distinguer des animaux et toutes autres créatures sans avoir à en donner des spécifications plus précises, avec l'assurance d'être dans le vrai quand on ne fait que répéter des préjugés. De plus, on s'inscrit ainsi dans une histoire qui est toujours celle du triomphe du Bien sur le Mal et d'une justice qui se réalise à la fin (post-mortem). Tout cela permet de donner une valeur absolue à chacun, ce dont il n'est pas question de se passer mais qui est certes bien plus problématique à justifier pour un scientifique, tout comme de définir ce qui ferait notre humanité en dehors du langage narratif et de ses mythes qui nous font vivre dans un monde enchanté. De même, il n'est plus possible de croire à l'histoire sainte marxiste comme après la victoire contre le nazisme et le basculement de la majorité de la population mondiale dans le communisme - La fin de l'histoire libérale-démocrate n'a pas tardé, elle non plus, à faire long feu. C'est le récit lui-même qu'il faut mettre en cause, de l'origine à la fin, quand la détermination vient de l'extérieur et non de la réalisation de notre essence supposée. A l'évidence, l'échec du communisme n'a pas été assez pris au sérieux, ni par ceux de gauche qui s'obstinent à n'y voir qu'un accident regrettable (pourtant systématiquement répété), ni par la droite qui ne peut admettre ce que l'aspiration au politique et le désir d'émancipation peuvent avoir non seulement de légitime mais d'absolument nécessaire. Car si on doit reconnaître les raisons de l'échec, il faut encore reconnaître les aspirations qui en sont la cause et ne sont pas prêtes de s'éteindre. Le besoin spirituel est indéniable (pour Heidegger, ce serait même la vérité et la grandeur du fascisme), sa traduction politique est plus hasardeuse...

Ainsi, même s'il n'est plus du tout raisonnable de croire dans la politique traditionnelle, il serait étonnant qu'on ne tombe pas à nouveau dans le panneau aux prochains grands mouvements sociaux, joie de la foule, de la lutte, du partage et des émotions fortes. C'est notre nature d'animal politique, social, grégaire à laquelle se rajoute la prétention, contradictoire, à une collectivité conduite par la raison et non par les émotions ! Il ne fait aucun doute qu'on préférera toujours suivre ceux qui nous promettent la lune et rassemblent les foules au lieu de construire des alternatives locales à notre portée mais moins exaltantes et parfois lourdes à porter. De toutes façons, et c'est le second point fondamental, les contraintes matérielles restent plus déterminantes que tout volontarisme et ne changent pas si facilement, ou plutôt, connaissent non pas un basculement révolutionnaire (supposé du mal au bien) mais des transformations accélérées auxquelles il faut sans cesse s'adapter. La radicalité la plus sincère se brise inévitablement sur les réalités communes. Dream is over. L'exaltation politique ayant suivi la Révolution Française ne pourra se maintenir plus longtemps, prétention de casser en deux l'histoire humaine comme si on pouvait faire table rase du passé et de tous les savoirs anciens, engendrer un homme nouveau à notre convenance comme un quelconque transhumaniste rêvant de Singularité ! Il n'y a pas d'autre solution que d'y substituer une démarche rationnelle prenant en compte aussi bien la sociologie que l'économie ou l'écologie sans oublier une accélération technologique qui ne nous laisse plus désormais aucun répit. Il ne s'agit pas de s'abandonner au pouvoir de prétendus experts, encore moins de ne rien faire, mais la démocratie, qu'il faut approfondir, n'a pas le pouvoir magique qu'on lui prête et ne peut se contenter de beaux discours et du pouvoir des mots quand elle doit se coltiner le réel tel qu'il est.
 

Il y aurait de nombreux préjugés ou conclusions hâtives à réfuter. D'abord, il faut contester que la dénonciation de nos illusions et de l'échec de la politique, ainsi que la perte des croyances traditionnelles (devant leur diversité dans nos sociétés multiculturelles) mènerait forcément au nihilisme post-moderne où plus rien ne serait vrai ainsi qu'à la passivité où plus rien ne vaudrait le coup de réagir. La tromperie universelle n'est pas le dernier mot de l'histoire mais plutôt, comme Hegel le montre, le premier temps d'une dialectique qui recommence. Il est, en effet, impossible de ne pas se référer à la vérité (combattre le mensonge et la corruption) aussi bien que ne pas défendre la justice qui en découle. La conscience de la fausseté de nos opinions et l'étendue de notre ignorance devrait nous pousser plutôt à en savoir davantage, savoir en progrès (complexification, dés-illusions) sur le long terme mais pas sous la forme idéalisée d'une illumination soudaine et d'une réalisation de la philosophie mais plutôt dans les errements où nous mènent nos limites cognitives, ramenées à la raison par les contraintes matérielles. Il ne faudrait pas identifier progrès rêvé et progrès effectif, promesses de la raison et confrontation au réel - renoncer à l'un ne signifie pas dénier l'autre. Qu'il y ait une dialectique de la raison implique qu'elle n'a pas la main, qu'elle n'est pas aux commandes mais que c'est souvent une raison trompeuse qui ne connait pas son erreur et la découvre après-coup - sans pouvoir abandonner, donc, la prétention à dire la vérité en tombant dans l'indifférence du relativisme. Ce qui constitue la philosophie, aussi bien que les sciences, c'est d'à la fois toujours viser la vérité et de savoir qu'on la rate inévitablement de quelque façon, c'est de rejeter tout autant dogmatisme et scepticisme au profit d'un savoir en progrès sur notre ignorance première et de continuer inlassablement de chercher une vérité qui nous échappe. Il n'y a pas d'autres voies (mystiques) pour s'entendre sinon celle de l'argumentation rationnelle de la philosophie et des sciences soumises à notre critique et vérification - non pas soumission à une autorité ni à nos opinions et préjugés. Impossible pour autant de nous dépouiller de notre part de poésie et de mystère sinon de folie, de notre expérience singulière de l'existence, de l'angoisse de la mort et des impasses du désir de reconnaissance comme désir de désir. Que nous ne soyons pas des êtres entièrement rationnels (ni homo oeconomicus ni homo sovieticus), ne doit pas empêcher d'essayer d'avoir des politiques rationnelles, se donnant les moyens de leurs fins quand notre survie en dépend.

Ceci dit, comme on l'a déploré en introduction, la réaction à l'échec de la politique est plutôt d'en remettre une couche dans l'idéalisme et l'utopie en s'opposant frontalement au scepticisme au nom de n'importe quel dogmatisme simpliste affirmant sa vérité contre les sciences et l'histoire (il ne suffit pas de contester la vérité officielle ni d'avoir des idées claires et distinctes pour que ce ne soient pas des conneries). La peur de tomber dans un scientisme, certes trop réducteur, et la soumission passive à l'ordre du monde, produit une sorte d'opposition de principe aux sciences humaines en politique. Il y a quand même quelque chose de comique à voir comme des esprits éclairés peuvent se permettre de rejeter le déterminisme et les sciences quand elles sont sociales ou touchent à notre humanité, comme la biologie ou la génétique. Ce serait même là un devoir sacré, question de dignité paraît-il. Il y a certes un au-delà de la causalité à préserver, on n'est pas dans un déterminisme mécanique ni rigide mais d'après-coup, qui sanctionne le résultat, et l'ordre symbolique se distingue incontestablement de la matière comme la pensée de l'étendue. Il ne faut pas confondre nature et culture, différences génétiques et formatage social. Le dualisme en ces matières est absolument essentiel comme du signifiant et du signifié, du cerveau (organe de l'extériorité) et du langage commun. La philosophie tient sa place éminente de la méta-physique et de la conscience de notre ignorance, de notre propension à l'erreur et l'aveuglement. Mais les sciences ne prétendent pas à la vérité non plus, plutôt à l'exactitude, ce qui est d'un autre ordre, et ne se fiant qu'à l'expérience, on ne peut plus conscientes de contredire systématiquement nos préjugés. Il ne saurait y avoir de concurrence entre sciences et philosophie qui se situent sur des registres différents, ne pouvant s'ignorer ni mélanger les genres bien qu'on puisse dire qu'elles se dérangent mutuellement, en critiquant justement les empiètements insensibles d'un domaine à l'autre. On ne peut plus concevoir une philosophie qui rejette les sciences. Il est de bon ton pourtant, et partout dans le monde, de fustiger le matérialisme et le déterminisme, donc finalement les sciences. De par leur position même, moralistes et politiques se trouvent très hostiles notamment à la sociologie - comme d'autres refusent le darwinisme. Pour ceux-là, il serait par conséquent possible de ravaler toutes les connaissances accumulées à de la pure idéologie. C'est quand même un peu gros ! Dans cette conception anti-scientifique qui semble consubstantielle au volontarisme politique, tout tiendrait donc à la conviction, la conversion des coeurs et des esprits, "l'hégémonie idéologique" et la mobilisation générale supposée renverser les montagnes. Ce moralisme propagandiste et culpabilisateur reste clairement enraciné dans une position religieuse qui est contradictoire avec une politique réaliste et sociologique, sans relever dans ce cas de contraintes matérielles, notons-le, mais seulement de nos limitations cognitives - qui ne sont d'ailleurs peut-être pas tant de nature anthropologiques que liées à la société et au langage (la langue est fasciste disait Barthes, impérative, on peut dire aussi qu'elle est dogmatique et mythifiante avec ses classifications et storytellings auxquels on croit si facilement).

Dans le rejet de la sociologie, il y a aussi l'incidence du désir de reconnaissance et de la responsabilité de l'interlocuteur. En effet, si la sociologie semble inassimilable, c'est sans doute que la perception disparaît du perçu (l'oeil ne se voit pas) mais surtout qu'elle doit être exclue, par principe, dans nos rapports intersubjectifs qui se doivent d'être personnels et non pas juste conventionnels, assimilant l'individu à sa représentation, sa fonction, son stéréotype voire sa caricature (le stéréotype est premier mais doit être dépassé). Bourdieu remarquait que, dans les sociétés traditionnelles et les relations familiales, les rapports économiques étaient déniés explicitement au profit des relations humaines et affectives, on peut dire la même chose de nos déterminations sociologiques. C'est aussi l'universalisme républicain qui ne peut faire acception des particularités sociales - ce qui n'empêche pas nos déterminations sociales d'être prépondérantes et que notre psychologie, nos pensées ou nos valeurs dépendent de la "psychologie collective" (comme le démontre patiemment Maurice Halbwachs) plutôt que le contraire : nous sommes choqués d'une réalité qui ne correspond pas aux discours et notre délibération intérieure reprend des controverses extérieures dans une sorte de tribunal virtuel. Impossible de se penser comme effet quand on cause. Pourtant, les sondages, dans leur omniprésence, sont bien là pour prouver qu'il suffit d'un nombre incroyablement faible de gens pour extrapoler aux grandes masses - ce pourquoi les Big data, incontestablement utiles, ne sont pas si révolutionnaires qu'on le prétend, à prendre la question par l'autre bout, celle des grands nombres. La théorie de l'échantillonnage fait la démonstration qu'on peut obtenir les corrélations globales à partir de quelques critères sociaux très simples (âge, sexe, catégorie sociale, profession, revenu, lieu, etc.). Il y a une critique à faire des sondages, de leurs questions, de leur interprétation, leur manipulation, cela n'enlève rien à leur étonnant pouvoir d'extrapolation (à une marge d'erreur près assez faible - qui dépend de la taille de l'échantillon - même si cela peut parfois inverser le résultat des élections par rapport aux prévisions). A la fois on utilise les sondages intensément et on n'arrive pas à y croire, les contestant quand ils ne nous sont pas favorables et n'acceptant pas le déterminisme social qu'ils supposent. Pourtant les positions dans le champ politique ont une grande inertie, difficile à remettre en cause, et ce ne sont certes pas les meilleurs qui sont élus, reflétant plutôt des déterminations sociologiques fortes et des réseaux de pouvoir. Admettre ces réalités statistiques permettrait de perdre beaucoup d'illusions - auxquelles on tient semble-t-il comme à notre liberté.

Que reste-t-il en effet de la liberté pour le sociologue ? La sociologie semble bien condamner à un relativisme qui n'est pas l'égale vérité des points de vue mais plutôt leur égale partialité et aveuglement. Contre ce déterminisme social revendiqué par l'avocat, le procureur invoque la liberté et la responsabilité individuelle, tout comme la religion et la politique qui nous rendent coupables de nos actes sinon de ce que nous sommes. C'est pour Kojève le rôle de la religion (juive) d'introduire la liberté (de l'arbitraire du signe, de la création, de la conversion, de la faute) dans le monde aristotélicien, scientifique, ne connaissant que déterminisme. Les Grecs avaient de la liberté une notion très concrète d'indépendance par rapport à l'Empire perse notamment et de n'être pas esclaves mais de pouvoir vivre à leur guise. C'était très loin de notre notion théologique de libre-arbitre inconditionné, restant plutôt les jouets de leurs dieux et enchaînés à leur destin alors qu'on célèbre en Occident l'opportunité de changer son destin et de choisir sa vie sous prétexte de l'individuation des parcours et de la fin des sociétés de castes. L'extension de nos libertés concrètes est effectivement considérable depuis Mai68, même s'il y a encore du chemin à faire. Le relâchement des normes n'empêche aucunement les déterminations sociales pour autant. De plus, si la libération sexuelle a été une grande conquête, aidée par la psychanalyse, elle est loin d'avoir concrétisé tous les espoirs qu'on avait pu y mettre, manifestant ses limites plutôt. Notre époque est bien celle de la confrontation à l'échec de la liberté devenue souvent autonomie subie. Rien à voir avec une liberté indéterminée et souveraine, réduite plutôt au choix entre plusieurs déterminations - car nous devons choisir, notre choix déterminant la suite (et la seule véritable liberté ne se manifeste qu'à ne pas savoir quoi faire). Ce n'est pas une raison suffisante de revenir en arrière comme le voudraient nos nouveaux pères fouettards mais l'ancienne mythologie de la libération ne tient plus et n'a pas grand chose d'autre à promettre désormais que la société de marché. C'est un démenti du réel dont il faut tenir compte pour continuer la dialectique de l'émancipation (au lieu de tomber dans la réaction autoritaire des néocons comme des salafistes) mais cela montre aussi que la liberté n'est pas autant qu'on le croit une conquête des individus. La libération elle-même (le féminisme par exemple) est un processus historique qui nous dépasse et dont les causes sont plus matérielles qu'idéologiques alors que la critique n'est pas dépourvue de dogmatisme à s'opposer au dogmatisme dominant. Il nous faut toujours défendre nos libertés - la passion de la liberté est ancrée en nous comme d'un animal sauvage - mais il faut aussi la désidéaliser, la reconsidérer comme toujours située et contrainte, responsabilité de notre inaction et question qui nous est posée plutôt que nous appartenant en propre. Rien qui supprime notre détermination. L'autonomie est un caractère du vivant sélectionné par le milieu et non un miracle sans raison. La mythologie que nous entretenons de la liberté comme spontanéité n'est d'ailleurs pas sans écho avec l'âge du verseau que nous promet l'ésotérisme astrologique alors que, pour la préserver il faut tout au contraire affronter ses contradictions, ce qui certes est moins exaltant mais sans aucun doute la tâche de cette génération.

On voit l'étendue du problème à ne pas accepter nos déterminations, de nous inscrire dans notre milieu, nos réseaux sociaux, nos appartenances. C'est incontestablement un obstacle pour prendre en compte et au sérieux les déterminations matérielles et ce que notre action peut avoir de déterminante. On fait comme si on se comprenait tous très bien et qu'on pouvait s'accorder sur ce qu'il faut faire alors que nos conceptions se révèlent effroyablement fausses et fluctuantes de questions aussi cruciales que la politique, la démocratie, le peuple, la nation, l'humanité, la nature, la vie, l'amour, l'individu, la liberté, la vérité, le désir, le bonheur, l'économie, la technique, le travail, la monnaie, etc. Non seulement elles sont fausses mais on s'y accroche désespérément, pris dans les discours, les opinions, les préjugés, les dogmes ou les contre-dogmes. Dans ces conditions, les mouvements ne peuvent jamais se produire qu'à la marge, presque malgré nous, comme on le voit avec les changements de mode, les nouvelles pratiques, les nouvelles musiques, les "mèmes" qui émergent, se multiplient avant de pouvoir se justifier rationnellement. Les mèmes sont des faits sociaux significatifs d'une période mais souvent trompeurs, fausses rumeurs, solutions imaginaires, wishful thinking (comme on peut le voir avec le succès de théories du complot ou de théories simplistes comme l'argent-dette). Ce sont surtout des signes d'appartenance, ce qui n'empêche pas qu'ils soient en même temps révélateurs d'un moment particulier, d'une nouvelle étape, signes de changements souterrains. Ce ne sont pas des formes isolées et arbitraires mais l'expression de logiques discursives à décoder.
 

Ce que j'essaie de montrer, c'est que le premier obstacle à la démocratie, à l'intelligence collective, à l'écologie, c'est notre rationalité limité, nos illusions, idéologies, religions, dogmatismes, traditions, préjugés, l'idéalisme des valeurs, la pensée de groupe, les appartenances (clans, partis), la diversité des intérêts, le narcissisme, les accès d'euphorie (qui mènent aux krachs), l'impossibilité de penser le long terme, etc. Ce n'est pas brillant, on part vraiment de loin. La situation n'est pas aussi favorable que si on pouvait croire aux bonnes volontés, s'il n'y avait pas d'erreurs, de malentendus, de tromperies, de névroses, de folies (dont celle de nous voir en sauveur du monde) et qu'il n'y avait pas non plus d'enjeux de reconnaissance, d'ambitions, de compétition, etc. C'est un fait, nous ne savons pas ce qu'il faut faire, notamment en économie (même si tout le monde a sa solution miracle). Pardessus le marché, ces limitations cognitives sont amplifiées par la puissance médiatique, la propagande d'Etat, la publicité, jusqu'à susciter une métaphysique critique suspicieuse (des théories du complot à Matrix) avant un retour au réel rugueux. On peut y ajouter la lourdeur bureaucratique, la loi d'airain de l'oligarchie, qui concerne d'abord les partis, ou le jeu des institutions qui nous échappent, on dit qu'elles ont leur logique propre (comme le Droit qui constitue pour Hegel une aliénation nécessaire de notre liberté subjective afin de passer à une liberté objective). Le concept de discours (ou de champ, préfiguré par Maurice Halbwachs p157-159) est l'un des principaux apports du structuralisme qui montre comme ce qu'on dit est formaté, contraint par le contexte, suscité par ceux à qui l'on s'adresse, l'éthique elle-même étant relative au type de discours ou d'activité (éthique médicale par exemple). Cela ne veut pas dire qu'on serait dans le pur arbitraire, sans un substrat bien réel, mais que la difficulté est très grande d'avoir une bonne politique et peut-être encore plus d'avoir la bonne stratégie pour y parvenir.
 

On peut rêver d'une improbable démocratie cognitive un peu moins aveugle à l'avenir et laissant place à la diversité des opinions mais de toutes façons - c'est l'autre point qui achève de discréditer la politique - l'histoire nous enseigne que les politiques n'ont pas tant de pouvoir, que les déterminations matérielles sont plus importantes que les intentions des acteurs (si les hommes font l'histoire, ils ne savent pas l'histoire qu'ils font), c'est donc de ces déterminations matérielles qu'il faudrait plutôt s'occuper. Les leaders eux-mêmes sont produits par la situation. On dit : "si tu fais de la politique, la politique te fait", sinon tu es éliminé, écrasé, mis hors jeu. La vie de parti est très différente de ce qu'on imagine dans les meetings. Connaître mieux ces déterminismes qui ne s'imposent pas mécaniquement aux esprits, mais seulement après-coup et sur la durée, constitue un programme de recherche qui n'est pas assez exploré ni médiatisé. Ces déterminismes sociaux et politiques sont bien sûr désespérants mais on ne peut les ignorer pour espérer les contourner. Ils ne viennent pas de nulle part et sont dépendants d'une trajectoire historique, ne serait-ce que par ses archaïsmes qui la plombe, mais surtout de l'état actuel de la civilisation et des techniques.

Après le déterminisme sociologique ou culturel (et sa dénégation), la contrainte la plus impérieuse, étonnamment négligée par les beaux esprits car incompatible avec la philosophie et la discussion, c'est bien celle de la force brute qui peut nous priver de nos libertés. Une guerre perdue peut nous contraindre à vivre sous la botte de l'ennemi (dans l'antiquité, la population vaincue était souvent réduite en esclavage). Une autre puissance matérielle irrésistible est celle des grandes masses, décisives dans la guerre mais pas seulement. Derrière les beaux discours sur la justice et tous nos idéaux, il faut rappeler que c'est la violence qui est fondatrice, à l'origine des Etats dont la loi est toujours la loi du plus fort, du vainqueur, ce pourquoi les histoires de servitude volontaire sont des fariboles bien naïves - personne ne choisit d'être esclave, on l'est par force. Il y a d'autres formes de domination qui ne relèvent pas de la violence, notamment dans l'économie qui connaît des abus de position dominante, mais qui, soit recoupent des effets de masse, soit reposent, comme le dollar américain, sur leur force armée. La technologie est ici décisive et s'impose sans états d'âme, jusqu'aux bombes atomiques, par l'avantage qu'elle donne sur l'adversaire (ou l'équilibre de la terreur). On est là dans la pure violence matérielle de forces physiques contre lesquelles il faut dresser d'autres forces matérielles. Sous la paix sociale apparente, aucun pouvoir n'est bienveillant contre les troubles à l'ordre établi et la violence de ses ennemis. S'imaginer qu'on peut appeler impunément à l'insurrection est un enfantillage, témoignant d'une étrange incohérence. Les imprécations contre la tyrannie et ses injustices se brisent immanquablement sur les forces répressives - sauf à réunir assez de forces de résistance pour instituer un nouveau pouvoir sur les ruines de l'ancien. Avant comme après, il est vital que l'ordre règne, que ça circule, ce qui persuadait Gustave le Bon avant 1917 qu'une révolution ne pouvait durer bien longtemps...

En effet, l'autre déterminisme fondamental est plus énigmatique mais tout aussi implacable matériellement - et lié au précédent comme le nerf de la guerre - c'est celui du système de production, de ses circuits économiques, de la monnaie qui en constitue une sorte de système sanguin. Il y a des besoins vitaux et, l'essentiel, c'est que ce qui entre d'un côté doit ressortir de l'autre. La richesse d'un pays est un facteur déterminant de sa puissance guerrière aussi bien que de son avance technique. Tout cela est relié. La richesse est liée à la force qu'elle finance. La violence ne suffit pas, il faut que des richesses soient produites, des moyens matériels. Avec ce développement industriel, on retrouve le rôle de la technologie dans la concurrence marchande et l'amélioration de la productivité, évolution technique que nous subissons plus que nous ne la maîtrisons, tout comme il peut y avoir évolution accélérée dans la course entre prédateur et proie. Il est assez extraordinaire qu'on prétende de nos jours que reconnaître la détermination par l'économie en dernière instance serait un point de vue néolibéral ! Certes, sortir de l'économisme à courte vue est une nécessité (j'ai participé à un livre qui s'appelle "Sortir de l'économisme"), cela ne peut signifier que les performances économiques ne seraient pas déterminantes, dans l'après-coup au moins. Vouloir sortir de l'économie assimilée à une idéologie est un délire d'idéologues ! La question est simple et ne fait pas mystère : comme le disait Marx dans le Manifeste, "le bon marché de ses marchandises est l'artillerie lourde avec laquelle elle abat toutes les murailles de Chine". Contre cela, il n'est rien à faire. N'importe qui peut choisir de vivre en dehors du système économique et d'en payer le coût mais cela n'empêchera pas le système le plus productif de prendre le dessus. Il y a un malentendu sur le rôle de la lutte des classes dans les conquêtes syndicales qui sont incontestablement dans la plupart des pays le résultat de mouvements sociaux mais se sont imposées presque partout sous le nom de fordisme (ou de société de consommation) par leur caractère bénéfique pour l'économie. C'est ce que Marx admet dans "Salaire, prix, profit", le caractère bénéfique pour le capitalisme de la lutte des classes, mais limité au partage de la plus-value, des gains de productivité, sans pouvoir mettre en danger la rentabilité de l'entreprise. Quand ce modèle ne fonctionne plus, à cause de la mondialisation notamment, toutes les grèves ou mobilisations n'y feront rien. Là encore, il ne faut pas surestimer notre action par rapport à ce qu'exige une situation.

En tout cas, non seulement il faut tenir compte de la puissance des intérêts économiques mais il faut prendre conscience que ces intérêts nous divisent, notamment entre capital et travail, riches et pauvres mais aussi entre jeunes et vieux. Ainsi, les retraités sont beaucoup plus dépendants de l'ordre établi que les actifs. Cela n'a pas toujours été le cas mais dans nos sociétés vieillissantes, ce sont bien les retraités qui prennent de plus en plus de poids et renforcent les tendances réactionnaires alors que depuis notre entrée dans l'ère du numérique la réalité est plus révolutionnaire que jamais, bouleversant tous les rapports sociaux. On peut faire la morale, montrer que l'égoïsme de classe, de génération ou de nation est finalement contre-productif, cela ne change rien à des phénomènes de masse qui sont matériels. Que l'économie soit l'un des modes des rapports de force, loin de tout idéal, on ne s'étonnera pas qu'elle génère des inégalités. Pire, l'idée s'impose désormais que pauvres et chômeurs ne seraient pas de simples ratés du système mais des éléments nécessaires afin de contenir les coûts (lois Hartz) et l'inflation (NAIRU). Ainsi, on peut dire que pour les riches, les pauvres constituent une richesse (la question s'était posée, lorsque SimCity a introduit des SDF dans ses villes, si c'était une fonctionnalité supplémentaire) ! Disons-le tout de suite, ce n'est pas parce que ces mécanismes économiques limitent drastiquement ce qu'on peut espérer que cela supprimerait toute alternative (locale) ou régulation (revenu garanti, impôt progressif) qu'il faut simplement inscrire dans ce contexte. Etre conscients de tous ces obstacles devrait permettre d'atteindre les objectifs à notre portée au lieu de s'épuiser à des combats perdus d'avance.

Après la violence des combats et l'invasion des marchandises ou le déchaînement de la finance, il y a un autre domaine vital, très différent, par lequel l'ordre établi et le progrès technique sont soutenus activement, c'est celui de la santé qui produit ses propres contradictions, ayant mené à des situations de surpopulation et de famine avant la transition démographique qui caractérise les économies développées. Toutes les avancées en ce domaine, notamment celles permettant de redonner leur autonomie aux personnes dépendantes, seront adoptées, ne faisant que refléter l'état des sciences et techniques sans qu'on puisse parler de véritable choix dans un mouvement qui suit sa propre logique. Impossible de s'y soustraire quand cela prend la forme de pandémies. A chaque fois, ce qui est déterminant n'est pas notre désir intérieur ni nos idéologies mais un processus extérieur irrésistible, lié au progrès des connaissances, aux nouvelles possibilités que cela nous ouvre - comme aux diverses catastrophes qui peuvent s'en suivre. La dépendance des malades du système de soin ne doit pas être sous-estimée, constituant un poids mort considérable pour toute politique aventureuse.

Enfin, bien sûr, la matérialité s'impose en matière d'écologie, d'épuisement des ressources, de dérèglement du climat, de perte de biodiversité. C'est ce qui fait que des mesures sont prises malgré la mauvaise volonté des pouvoirs. Les écologistes n'y sont pas pour grand chose, faisant plutôt office de repoussoirs. Cela n'empêche pas que, si nous avons indubitablement les moyens technologiques de nous en sortir, ce sont les moyens politiques qui manquent, n'agissant jamais que sous la pression des événements. En effet, le meilleur allié de l'écologie, c'est bien la réalité du désastre et, là encore, quand on n'a plus le choix, comme tout au long de la crise, on se décide dans l'urgence (mais sur un certain nombre de points, c'est sans doute déjà trop tard). Ce qui est certain, c'est qu'on n'échappera pas à la sanction matérielle. La destruction des écosystèmes n'a rien de rare dans la nature, ne serait-ce que par de gigantesques incendies ou éruptions volcaniques. De ces extinctions massives, il peut sortir quelque bien, une nature régénérée, des organismes complexifiés, peut-être, mais de notre point de vue de vivant (et non pour les générations futures) notre souci est très clairement d'éviter les catastrophes et de stabiliser notre environnement pour y survivre en se réglant sur l'information qu'on en a. Là encore, on n'a guère le choix.
 

La liste pourrait se continuer de toutes sortes de contraintes matérielles mais on a déjà avec la guerre, la technologie, l'économie, la santé, l'écologie, un éventail assez large pour voir que la plus grande part de ce que la politique voudrait régenter lui échappe - on en fait l'expérience - ne lui laissant que le ministère de la parole, laissée d'ailleurs aux communicants ou confisquée par la religion et ses bonnes intentions affichées. Il y a de quoi désespérer car, non, nous ne pourrons changer de monde pas plus que d'époque, aussi déplaisant cela puisse nous paraître tant ce monde est inacceptable. Par contre, il n'y a rien d'impossible à changer notre monde à nous, localement, ni à vivre en dehors des codes dominants, même si ce n'est pas toujours facile et que là aussi les échecs sont nombreux. En tout cas, même s'il n'est pas question de renoncer à peser sur les niveaux supérieurs, notamment pour obtenir un revenu garanti, c'est bien le constat des limites de l'action politique nationale (et plus les masses en jeu sont importantes) qui m'a mené depuis longtemps à privilégier la démocratie de face à face et les alternatives locales avec des coopératives municipales et des monnaies locales. Il est difficile de s'en convaincre. C'est certainement bien décevant, trop insignifiant, mais constitue du moins une des voies qui restent possibles et peuvent avoir à la longue un effet global à condition de faire ce qu'il faut, se construire sur les nouvelles forces productives et leur exigence de développement humain, répondre aux besoins actuels sans tomber dans l'utilitarisme le plus plat.

Il n'est pas vrai que rien d'inexorable ne détermine la marche de l'humanité comme on voudrait sans cesse s'en persuader mais nous avons un mur devant nous qu'il faut arriver à escalader, pas un boulevard bien balisé qu'il suffirait d'emprunter, pas une vie déjà vécue promise à la béatitude mais une aventure incertaine, confrontée à un réel étranger et souvent cruel. Ce n'est pas nous qui avons le dernier mot. Prenant le contrepied de l'intentionalité phénoménologique, d'une noèse constituant le noème, le principe d'une philosophie de l'information, c'est que l'information vient de l'extérieur pour orienter notre action. L'évolution est objective plus que subjective, guidée par l'information. Il ne s'agit pas de ne rien faire mais de ne pas faire de mauvaises interprétations d'un monde qui se transforme malgré nous, de ne pas rendre l'adaptation encore plus difficile, ne pas empirer les choses avec nos folies. On est là à l'opposé de la narration d'un progrès humain qui serait dû à quelques héros audacieux ayant renversé le cours du temps. Non, l'homme n'est pas apparu soudain comme une merveille au milieu de la création mais a été petit à petit forgé par ses outils et la pression du milieu. C'est moins drôle, pas assez motivant, on préfère à l'évidence s'en faire un roman trompeur.

Il est certain que l'objectivité froide des sciences ne saurait nous convenir. Notre point de vue est toujours situé, engagé, nous ne parlons pas du point de vue de Sirius ou d'une prétendue connaissance du troisième genre mais de là où nous sommes. Il y a la poésie de l'existence et notre insatisfaction constitutive qu'il nous faut revendiquer haut et fort mais ne pas les confondre avec des tâches plus prosaïques dans lesquelles nous avons trop échoué jusqu'ici. Là aussi maintenir le dualisme entre public et privé est indispensable pour sortir de la confusion et de l'impuissance. Ce n'est pas se mettre au service de biens que de prendre au sérieux l'exigence d'éradiquer la misère et combattre l'injustice. Mon existence personnelle a toutes les chances de rester aussi erratique et bien peu universalisable, mais plutôt que de repousser un réalisme trop sordide, on ne pourra progresser qu'en ayant conscience de tout ce qui s'oppose à une action collective responsable, en même temps que de la nécessité incontournable de s'adapter aux réalités nouvelles et d'agir localement au lieu de s'imaginer vainement pouvoir tout changer par le simple effet de notre volonté.

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