La politique à l’ère de l’Anthropocène

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Dans la foulée des éléments d'une philosophie écologique (d'une détermination par le milieu et non par le sujet), j'ai regroupé ici un certain nombre de textes qui en tirent les conséquences politiques en dénonçant l'idéalisme de nos illusions politiques (démocratique, révolutionnaire, volontariste, constructiviste, historique). Il ne suffit pas, en effet, de critiquer avec virulence la marche du monde vers l'abîme et toutes ses injustices pour y remédier. Il y a un besoin crucial de critique de la critique (de l'unité prétendue tout comme de l'opposition ami-ennemi ou la simple inversion des valeurs, ou le subjectivisme des critiques de la rationalité, de la réification, de l'aliénation, de la marchandise, etc.) de même qu'il faut critiquer toutes les solutions imaginaires qui viennent à l'esprit (prendre aux riches, supprimer l'argent ou la propriété, arrêter le progrès ou la croissance, augmenter les salaires, réduire le temps de travail, ne pas rembourser ses dettes, supprimer l'armée, se réapproprier les médias, une démocratie radicale, sortir de l'Europe, etc.). Pour retrouver un minimum d'effectivité, il faudrait ajouter à ces impasses, qui condamnent à l'impuissance et réduisent la politique au semblant, les prétentions délirantes d'une réforme de la pensée et d'un homme nouveau rêvés par le romantisme révolutionnaire et les utopies métaphysiques d'avant-gardes artistiques et philosophiques, sans parler de l'étrange sexo-gauchisme comprenant tout de travers l'incidence de la psychanalyse sur la politique, Freud et Marx se limitant mutuellement au lieu de laisser espérer cette libération des instincts harmonieuse attendue d'une révolution fantasmée - comme d'autres peuvent l'attendre d'une vie plus "naturelle".

Après avoir dégagé le terrain de tout ces mythes du XXè siècle, il faudrait se résoudre à ne plus surestimer nos moyens et prendre la mesure de ce qu'implique vraiment de changer de système de production pour avoir une chance d'y parvenir. Il ne s'agit en aucun cas de décourager l'action et prétendre qu'on ne pourrait rien faire mais, tout au contraire, des conditions d'atteindre un minimum d'effectivité. L'urgence écologique ne peut se satisfaire de nos protestations et de nos plans sur la comète d'un monde idéal mais nous impose une obligation de résultats concrets, même très insuffisants. Ce pragmatisme est méprisé à tort par les radicaux sous prétexte qu'il faudrait effectivement tout changer... si on le pouvait, mais le nécessaire hélas n'est pas toujours possible, dure leçon de l'expérience bien difficile à admettre.

L'autre facteur décisif, avec la globalisation, aura été en effet notre entrée dans l'Anthropocène, non pas tant au sens de sa datation géologique que de sa prise de conscience planétaire, entérinant la destruction de notre environnement et de nos conditions de vie. Ce souci écologique constitue un renforcement du matérialisme au détriment de l'idéalisme des valeurs et de la subjectivité, contrairement à ce que beaucoup d'écologistes s'imaginent. La responsabilité écologique n'est pas compatible avec les conceptions millénaristes de la politique et nous enjoint de passer de l'idéalisme utopique au matérialisme de la production, plus sérieusement que les marxistes eux-mêmes, ayant eu trop tendance, paradoxalement, à tout idéologiser (de l'hégémonie culturelle de Gramsci à la Révolution culturelle de Mao, ou la contre-culture post soixante-huitarde). Il s'agit de rétablir que l'idéologie n'est qu'un produit historique correspondant à l'infrastructure matérielle et aux rapports sociaux. Ce n'est pas la pensée qui façonne l'avenir, comme le plan de l'architecte projette à l'avance sa construction, c'est le temps historique qui change nos pensées et façonne le monde sans nous demander notre avis, monde qu'on ne peut reconnaître comme sien, comme celui que nous aurions voulu, mais dont la destruction par notre industrie nous oblige à réagir en partant de l'existant et du possible pour sauver ce qui peut l'être au lieu de ne faire qu'empirer les choses à prétendre désigner un coupable, bouc émissaire de tous nos maux, quelque nom qu'on lui donne (industrie, technologie, productivisme, capitalisme, financiarisation, croissance, globalisation, néolibéralisme, marché, concurrence, consommation, individualisme, domination, etc, cette accumulation suffisant à montrer qu'il n'y a pas de cause simple).

Il est très éclairant sur ce point de comprendre la façon dont Gentile, philosophe officiel du fascisme, s'est inspiré des Thèses sur Feuerbach de Marx qu'il déforme complètement en faisant de la transformation du monde une réalisation de l'idée au lieu d'un processus objectif, passage du matérialisme historique au volontarisme fasciste. C'est à lire et méditer car, lorsqu'on ne s'appuie plus sur le matériel de la production mais sur des valeurs subjectives qui s'opposent entre elles, il n'y a plus dès lors que le règne de la force, de la propagande et de la censure - dont seule l'objectivité matérielle, sur laquelle on peut s'accorder, pourrait nous sauver.

Si le volontarisme ne mène pas seulement à l'échec mais fait bien des ravages, on peut situer sinon les raisons de l’échec politique, entre religiosité et déterminismes, soit par l'emballement charismatique donnant la sensation de communion et de toute puissance de la foule, soit par le poids plus important qu'on ne croyait des déterminismes et interdépendances qu'il ne suffit pas de nier pour qu'ils n'existent plus. Vouloir changer le monde est souvent très bêtement en ignorer l'écologie réelle, non seulement du vivant mais de la société, la complexité des interdépendances et des équilibres jusqu'aux risques systémiques. La question n'est pas théorique ou philosophique de "notre rapport à la nature". Il n'y aura aucune autre issue pour s'en sortir que de prendre en compte toutes les causes matérielles : écologie, économie, technique.

Il y a aussi un idéalisme institutionnel, rêve du régime politique idéal incarnation d'un rationalisme atemporel. Confronter philosophie politique et politique effective permet de constater cependant comme les analyses d'Aristote sur les gouvernements des cités ont été rendues immédiatement obsolètes par l'Empire d'Alexandre, son élève. Il n'y a pas de politique autonome, fondée sur elle-même ou sur l'esprit d'un peuple, alors qu'elle est soumise aux forces extérieures et à l'Empire qui assure la paix intérieure et les échanges marchands. Les mythes républicains sur la démocratie ne tiennent pas l'examen non plus. Quand on se demande qu'est-ce que la démocratie ?, au niveau de l'Etat on trouve simplement le règne du Droit et des institutions, très loin d'un prétendu pouvoir du peuple et du fantasme d'une démocratie directe basée sur le référendum, témoignant de conceptions naïves de la démocratie assez dangereuses alors qu'elle est faite de compromis, sa souveraineté étant très limitée dans l'Empire du Droit devenu planétaire - avec la lente construction, malgré toutes les résistances, d'un Etat universel et homogène sous l'égide de l'ONU et de ses agences (OMS, OMC, etc). Plus généralement, il semble que les régimes stables soient ceux qui savent combiner démocratie, oligarchie et aristocratie dans la gestion de l'ordre établi par les corps intermédiaires et la séparation des pouvoirs, pas ceux qui prétendent tout changer de façon unilatérale par le pouvoir central d'un Etat fort.

La démocratie locale et le changement par le bas sont tout autre chose et une voie plus sûre vers une économie relocalisée et moins productiviste (pour laquelle j'ai proposé le triptyque revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales), ce qui ne veut pas dire que les politiques étatiques ne sont pas importantes pour la démocratisation de la société et son adaptation aux contraintes extérieures, le soutien des individus les plus faibles, la préservation des minorités et de notre milieu de vie. De même les politiques européennes et les actions globales de l'ONU ou des mouvements planétaires (de jeunes notamment) sont de la plus haute importance. Il y a une dialectique entre top-down et bottom-up, ce n'est pas l'un ou l'autre mais leur complémentarité. Il faut faire feu de tout bois en tenant compte des diversités locales, des minorités, des équilibres sociaux et des contraintes ou puissances matérielles. Par rapport à un anticapitalisme tonitruant, on pourrait croire qu'il n'y a là que le vieux réformisme mou alors qu'il nous faut mettre en place une synergie complètement inédite entre différents niveaux d'une transition écologique réellement transformatrice, supposant des alliances à géométries variables entre acteurs plus ou moins engagés.

A cause de l'urgence réduisant l'horizon, on n'est plus cette fois dans l'idéal d'une morale de conviction mais dans la réalité rugueuse d'une morale de responsabilité et de politiques effectives absolument vitales. Car l'action politique pour changer la vie et sauver ce qui peut l'être est bien indispensable. Il ne s'agit surtout pas de laisser faire et prétendre qu'on ne pourrait rien changer sous prétexte que tout n'est pas possible. Nous sommes obligés de changer, que ce soit devant les catastrophes écologiques annoncées ou à cause des bouleversements économiques et de la numérisation du monde mais il ne suffit pas de le dire, il faut s'en donner les moyens. Ce n'est pas une question de convictions personnelles dès lors que, non seulement les adaptations nécessaires ne dépendent pas de nos opinions, mais qu'elles ne sont souvent même pas connues d'avance, ne s'imposant que dans l'après-coup. Si on a besoin de radicalité, prenant l'urgence au sérieux, c'est dans la détermination d'aller au bout de l'expérience, d'apprendre de nos échecs et de corriger le tir pour atteindre le plus rapidement possible des résultats concrets aussi bien au niveau local que global.

C'est incontestablement une rupture avec les idéologies du passé que beaucoup refusent mais la politique à l'ère de l'Anthropocène devrait être la fin de la politique telle que nous l'avons connue, fin de sa mystique révolutionnaire ou nationaliste, pour une "politique pratique" écologique, plus modeste et réalisable. Si Machiavel nous assure, après la terreur de l'utopie théocratique de Savonarole, que "le monde demeure dans le même état où il a été de tout temps", la politique pourtant change de sens selon les périodes. Ainsi, nous ne sommes plus du tout dans la situation du siècle précédent, ni du côté idéologique, après l'écroulement du communisme et de l'espoir révolutionnaire, ni du côté matériel,  avec les nouvelles urgences écologiques, le pic démographique, la globalisation marchande et la numérisation du monde, monde de l'Anthropocène en transformations accélérées, pas seulement technologiques.

Il serait absurde dans ce contexte de vouloir redonner vie à des idéologies obsolètes alors qu'il nous faut passer du communisme à l'écologie, mais si un changement de paradigme fait bien apparaître par contraste les défauts du paradigme précédent, ses impensés, ses simplifications, ses généralisations, ses préjugés, ses erreurs, ses horreurs, prise de distance nécessaire avec les errements du passé, il n'est pas sûr qu'il puisse se préserver de nouvelles illusions, l'histoire se charge de nous le répéter, et il faut beaucoup de temps pour que ces "changements de paradigme" soient entérinés - des conceptions périmées gardant des partisans nostalgiques, jusqu'à des siècles plus tard parfois. Il y a donc toujours le risque d'avoir un temps de retard, et par exemple de croire qu'on est encore dans une économie de marché sauvage alors qu'on est peut-être déjà entré dans une économie administrée par les banques centrales. On a toujours le risque de s'aveugler de nouveau. Il n'en reste pas moins qu'il y a un pas à faire (tenir le pas gagné), éclairant sous un jour différent notre histoire et notre avenir.

Du matérialisme historique au volontarisme fasciste, 10/09/13
L'actualisme de Giovanni Gentile, philosophe officiel du fascisme, permet de comprendre de quelle façon le fascisme provient du marxisme, à partir d'une interprétation idéaliste à la fois de l'injonction de transformer le monde et de la praxis, d'un sujet actif opposé à un objet passif (bien avant Lukács). L'autonomie donnée à l'idéologie et aux conceptions du monde par rapport à l'infrastructure en fait un choix arbitraire de valeurs, dans un historicisme assumé donnant l'illusion de pouvoir changer l'histoire elle-même. On peut y voir l'origine de la réduction du politique à la morale (l'éthico-politique de Gramsci - le plus influencé par Gentile) menant tout droit aux tendances rouges-bruns qui contamineront les marxismes eux-mêmes. Ce processus de fascisation se caractérise par l'abandon du matérialisme où l'action de l'homme est certes nécessaire mais plus déterminée que déterminante (en dernière instance), au profit du volontarisme et d'un constructivisme dépourvu de dialectique (qu'on peut dire kantien) où la transformation du monde ne tient plus qu'à la lutte idéologique, à l'espoir que "l'idée devienne force matérielle en s'emparant des masses".

L’échec politique, entre religiosité et déterminismes, 23/05/15
La politique est décidément bien décevante, chose acquise à peu près pour tout le monde aujourd'hui - surtout depuis la crise financière et les révolutions arabes - sauf qu'on s'obstine à mettre encore notre impuissance collective entièrement sur le compte de notre défaitisme et notre passivité, alors que notre activisme pourrait y participer tout autant à se tromper de cible et se croire obligé de répéter comme un mantra, d'échecs en échecs, qu'il faudrait rester utopistes car ce serait sinon accepter les injustices du monde ! Le premier obstacle est bien là, en effet, dans cette loi du coeur, simple refus du réel comme de reconnaître l'étendue de notre impuissance que personne pourtant ne peut plus feindre d'ignorer, et préférer croire aux miracles, toujours prêts à suivre les marchands de rêves. A n'en pas douter, se focaliser sur les problèmes concrets (reconversion énergétique, relocalisation, inégalités, précarité) donnerait une bien meilleure chance de les régler mais on préfère rehausser notre image avec des ambitions plus élevées et la dévotion à quelques grands idéaux ou la nostalgie d'une société fusionnelle, perdus dans une religiosité, mêlant l'abstraction et l'affectif, dont c'est la réalité qui fait les frais. Dans le sillage du travail poursuivi, il m'a semblé utile de revenir d'abord sur ce qui nous trompe, nous empêchant de reconnaître nos déterminismes et résoudre nos problèmes, puis sur ce qui nous contraint matériellement, que cela nous plaise ou non, essayant de dessiner ainsi le cadre peu reluisant de l'action collective, nous laissant peu d'espoirs, et les mécanismes effectifs derrière la façade politicienne de la démocratie compétitive. Ce que j'essaie de montrer, c'est que le premier obstacle à la démocratie, à l'intelligence collective, à l'écologie, c'est notre rationalité limité, nos illusions, idéologies, religions, dogmatismes, traditions, préjugés, l'idéalisme des valeurs, la pensée de groupe, les appartenances (clans, partis), la diversité des intérêts, le narcissisme, les accès d'euphorie (qui mènent aux krachs), l'impossibilité de penser le long terme, etc. Il y a surtout les contraintes matérielles incontournables (guerre, technologie, économie, santé, écologie) qui font que la plus grande part de ce que la politique voudrait régenter lui échappe - on en fait l'expérience - ne lui laissant que le ministère de la parole, laissée d'ailleurs aux communicants ou confisquée par la religion et ses bonnes intentions affichées. Il y a de quoi désespérer car, non, nous ne pourrons changer de monde pas plus que d'époque, aussi déplaisant cela puisse nous paraître tant ce monde est inacceptable. Par contre, il n'y a rien d'impossible à changer notre monde à nous, localement, ni à vivre en dehors des codes dominants, même si ce n'est pas toujours facile et que là aussi les échecs sont nombreux.

Les causes matérielles : écologie, économie, technique, 09/03/18
La critique de la politique est le préalable pour ne pas trop en attendre et reconnaître que les déterminations ne sont pas idéologiques mais largement matérielles. Plutôt qu'une bataille des idées, ce sont nos actions locales qui peuvent convaincre et se multiplier. Les causalités matérielles ne sont pas immédiatement déterminantes, elles laissent une certaine marge de manoeuvre à court terme, nourrissant l'illusion de notre liberté, mais c'est à plus long terme qu'elles s'imposent, après-coup, selon différentes temporalités. Ainsi, l'écologie est certainement la contrainte la plus fondamentale mais celle qui s'exerce avec le plus de retard. Ce n'est pas l'amour de la nature qui rend l'écologie si indispensable mais bien la destruction de nos conditions de vie. La causalité économique se fait sentir plus rapidement sans doute, en tout cas, elle est bien déterminante en dernière instance. La troisième causalité matérielle est devenue plus sensible à notre époque avec l'accélération technologique qui s'impose de plus en plus rapidement même si les innovations sont toujours critiquées d'abord comme inutiles (puisqu'elles n'existaient pas jusqu'ici) et accusées de tous les maux, de nous faire perdre notre âme, avant de finir par les adopter comme si elles avaient toujours existé... Une fois qu'on a fait le constat de ces trois causalités matérielles qui s'imposent à nous, il faut construire une stratégie qui en tient compte et ne surestime pas le pouvoir politique. Au lieu de ne servir à rien (à vouloir trop, au-delà des possibilités politiques), il nous faut nous organiser pour obtenir les mesures les plus efficaces, en particulier localement.

Qu'est-ce que la démocratie ?, 22/09/17
Les agriculteurs qui ont remplacé les marins-pêcheurs de la culture mégalithique, étaient très égalitaires et démocratiques si l'on en croit Alain Testart qui parle à leur sujet de "démocraties primitives". Mais alors, si la démocratie était relativement courante dans la préhistoire, bien que dominée par des régimes hiérarchiques et militaires depuis le néolithique, qu'est-ce que les Grecs ont inventé ? On pourrait dire qu'ils ont juste formalisé la démocratie, passage à l'écrit des diverses constitutions permettant la réflexion sur leurs principes, mais, en fait, ils ont surtout inventé la démocratie marchande inégalitaire ! Le marché serait effectivement le déterminant principal de la démocratie si l'on en croit Archytas de Tarente, roi-philosophe ami de Platon, pour qui le concept d'égalité se serait imposé dans les rapports marchands, l'échange équitable entre le vendeur et l'acheteur grâce à une mesure commune et une pensée raisonnée qui égalisent les contractants. Le marché serait ainsi la condition de la démocratie inégalitaire régie par un droit égalitaire. L'autre origine mythique de la démocratie, c'est bien sûr la Révolution Française alors qu'en dehors de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, nos institutions viennent directement de la monarchie constitutionnelle ou de l'Empire.

Du référendum et des conceptions naïves de la démocratie, 23/12/18
Les insurgés peuvent invoquer le récit national pour réclamer ce pouvoir du peuple promis et toujours confisqué par le parlementarisme, ce qui est en fait l'appel à un pouvoir fort et une dictature de la majorité, dont le référendum est l'instrument privilégié, alors qu'il faudrait défendre des politiques de dialogue, une démocratie des minorités et des municipalités, à l'opposé du mythe d'un peuple uniforme (qui se tourne contre les étrangers avant de se retourner contre l'ennemi intérieur). La réalité de la politique, c'est son impuissance, changer la forme de la démocratie ne change pas cela. La prétendue souveraineté de la démocratie est une négation du réel et des contraintes extérieures qui ne peut mener qu'à des dictatures (comme l'étaient les prétendues "démocraties populaires"). Ce démocratisme fascisant se fonde apparemment toujours sur le même récit simpliste où tous nos malheurs viendraient des élites corrompues (comme des juifs) qui s'enrichissent sur notre dos. Dès lors, il suffirait de se débarrasser de ces parasites pour que se reconstitue l'unité supposée du peuple et l'harmonie sociale.

Combiner démocratie, oligarchie et aristocratie, 11/11/16
Aristote, Polybe, Montesquieu, Rousseau
Il est frappant qu'aussi bien Aristote que le grand historien gréco-romain Polybe, ou Machiavel qui s'en inspire après Cicéron, arrivent tout comme Montesquieu, à peu près à la même conclusion, la nécessité d'une république tempérée ou une constitution mixte, avec une division des pouvoirs. Ce qui est encore plus frappant, c'est que notre régime démocratique en soit d'une certaine façon l'incarnation sans qu'on se l'avoue volontiers. Il faut dire qu'il y a une méconnaissance scandaleuse de la véritable histoire de notre démocratie et de l'origine de nos institutions qu'on fait remonter faussement à la Révolution alors qu'elles dateraient plutôt de l'Empire et de la monarchie constitutionnelle dont nous avons gardé l'essentiel (avec un monarque républicain, un sénat, etc.), certes de plus en plus démocratisé. Notre démocratie n'est pas si différente de la constitution anglaise combinant monarchie, aristocratie et démocratie avec une stricte séparation des pouvoirs. Si Rousseau rejette les constitutions mixtes, c'est qu'il se pose la question de ce que devrait être un gouvernement légitime pour des êtres de raison nés libres et égaux. Il ne se soucie pas tant de sa faisabilité dont il peut douter lui-même fortement. Son simplisme doctrinaire est ainsi dicté par sa visée d'un droit légitime qui ne serait pas contaminé par des forces illégitimes mais cette position purement théorique n'est pas tenable pratiquement, comme l'histoire nous l'enseigne depuis l'antiquité. Il n'y a pas de pouvoir complètement légitime, même démocratique, pouvoir qu'on peut toujours contester. La réalité est celle de l'affrontement des intérêts et de la division de la société. L'unité civile est, comme le droit, purement formelle, elle est toute dans les institutions, y compris les fêtes nationales, et pas plus dans l'idéologie ou la culture que dans l'origine ou la race. Si l'on quitte l'idéal régulateur pour se tourner vers l'histoire et l'observation des régimes politiques tels qu'ils ont existé, une constitution mixte se justifie par le fait que le réel s'impose des puissances effectives au-delà des principes (qu'il est dangereux de pousser à bout) et que la dénégation du rôle de l'élite ou de la richesse mène tout simplement à en faire des puissances souterraines, et donc à la corruption de la démocratie.  Il ne serait pas mauvais en tout cas d'introduire dans les débats la question du gouvernement mixte qui est complètement absente au profit de purs et simples postulats de principe.

La fin de la politique, 10/07/14
Plutôt que s'imaginer devoir renforcer les convictions, gagner l'hégémonie idéologique, changer les esprits, appeler à l'amour universel, il faudrait en finir avec ces conceptions messianiques de la politique et d'une communauté fusionnelle pour revenir à la dimension matérialiste et pluraliste d'une politique démocratique qui n'est pas "souveraine" et dominatrice mais bien plutôt faite de compromis et de rapports de force. C'est ce qui est sans aucun doute inacceptable à la plupart dans ce besoin d'absolu devant l'injustice sociale et les désastres écologiques qui s'annoncent. C'est pourtant ce qui constitue la condition pour donner un minimum d'effectivité à nos protestations et avoir une petite chance d'améliorer les choses au lieu d'aller de défaites en défaites. Il ne s'agit pas tant de ce qu'on veut que de ce qu'on peut, non pas de ce dont on rêverait et qui diffère pour chacun mais de ce qu'on est obligé de faire pour nous adapter pas trop mal à une mutation anthropologique radicale comme il n'y en a jamais eu à cette vitesse là dans l'histoire. Le problème, c'est que la supériorité économique du collectivisme n'étant pas vérifiée, on ne peut plus l'appuyer sur le matérialisme historique. En dehors des raisons écologiques pour lesquels la preuve n'en a pas encore été faite, il ne reste plus dès lors qu'un volontarisme des valeurs (des belles idées associées au collectivisme) qui est justement ce sur quoi s'est bâti le fascisme. La fin de la politique politicienne et démagogique n'est donc pas pour tout de suite, il faudra sans doute qu'on s'y casse une fois de plus les dents, mais cela devrait nous renvoyer ensuite à la véritable finalité de la politique quand elle est écologiste et démocratique, c'est-à-dire non pas l'expression autoritaire d'une volonté générale imposant ses normes mais la démocratisation de la société et son adaptation aux contraintes extérieures, le soutien des individus les plus faibles, la préservation des minorités et de notre milieu de vie.

La politique et le vivant, 10/01/17
Vouloir changer le monde est souvent en ignorer l'écologie, la complexité des interdépendances et des équilibres jusqu'aux risques systémiques. Le règne des finalités qui nous a doté d'outils et d'un foyer, nous engageant dans l'artificialisation du monde par notre travail de transformation (néguentropique), toute cette efficacité technique (locale) contraste fortement avec ses effets pervers globaux et l'inefficacité politique, d'autant plus que les masses en jeu sont importantes. Alors que la technique décuple notre pouvoir sur les choses, elle ne nous sort pas pour autant de l'évolution à devenir évolution technique, évolution subie dont se plaignent tant de gens, devenue une seconde nature aussi menaçante parfois que la première. Cette sélection après-coup par le résultat signifie bien la primauté du réel sur la pensée et, c'est ce sur quoi il faut insister, cela oblige à la réintégration des principes du vivant dans la politique, ceux de la théorie des systèmes et de la cybernétique, avec la nécessité de corriger le tir et de se guider sur le résultat. Il y a donc bien des raisons profondes (cognitives) qui limitent l'efficacité de la planification et du volontarisme, passant du paradigme mécaniste au paradigme biologique. Cela n'empêche pas pour autant toutes les entreprises d'investir dans leur développement et planifier leur avenir mais elles ont dû intégrer le feed back de leur action. Il y a une dialectique entre top-down et bottom-up, ce n'est pas l'un ou l'autre mais leur combinaison. On peut penser qu'il serait bien nécessaire qu'il y ait une intelligence collective qui gouverne le monde et préserve l'avenir, nous fasse passer de l'histoire subie à l'histoire conçue. On ne peut que constater son absence. Il faut ajouter que, non seulement les adaptations nécessaires ne dépendent pas de nos opinions mais qu'elles ne sont pas connues d'avance, finissant certes par s'imposer mais toujours après-coup et parfois avec un grand retard.

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