Impossible de s'en raconter, faire comme si nous n'étions pas coincés de toutes parts à nous débattre entre mille contraintes, nous cogner contre une dure réalité qui n'a rien d'idéale (où les autres nous font si souvent souffrir). Pour ne rien arranger, il nous faut bien admettre nos limites cognitives et perdre de notre superbe, tant de fois nous nous sommes trompés ou avons été trompés, pris dans les modes du moment ou victimes de notre propre connerie. Perdus au milieu d'un monde dont nous avons tellement de mal à suivre le rythme, le nez dans le guidon, il n'y a pas à la ramener ! Nous sommes bien le jouet de nos humeurs et de nos désirs, le produit de notre milieu et de notre histoire, d'une nature animale aussi bien que d'une culture symbolique...
Le sujet de la science nous dépouille de toutes nos illusions et ce savoir sur le savoir semble bien réduire la liberté, comme le pensait Spinoza, à la simple ignorance des causes qui nous font agir, tout à l'opposé de nos rêves de toute-puissance et de la fascination de penser le monde, un monde qui serait forgé à notre image ! Depuis toujours la sagesse, sinon la guérison, serait paraît-il de s'en arranger, d'accepter notre état de créature et comme s'absenter du monde dans sa contemplation passive ; mais il n'est pas si sûr qu'on pourrait s'en satisfaire, ni surtout que ce serait souhaitable, à perdre l'essentiel de ce qui fait notre humanité en reniant ainsi notre part de liberté - encore faut-il dire laquelle.
On pourrait d'abord rétorquer à cette sorte de monde psychotique implacable de la science (monde compact et sans interstices d'une causalité mécanique abolissant le temps) que la liberté consiste justement à ne pas savoir, tiraillé entre des exigences contradictoires ou hésitant par manque d'informations. Pour Norbert Elias, ce serait même la multiplication des contraintes comme des choix auquel l'individu se trouve confronté qui renforcerait notre sentiment de liberté ! Ne pas savoir quoi faire est indubitablement la preuve qu'on n'est pas si déterminé qu'on le prétend mais cela ne veut pas dire qu'on ne serait pas très largement déterminé quand même, et, surtout, ne rend absolument pas compte de ce qui est en jeu et nous concerne plus intimement, de cette passion de la liberté qui nous habite et qui n'est en rien contradictoire cette fois avec toutes nos déterminations. Il faut complètement inverser la façon dont on pense liberté et détermination pour en faire, non pas un impossible libre-arbitre ni la voix de l'universel en nous ni une question métaphysique, mais bien une passion subie, la négativité d'une rupture, d'un acte qui tranche, d'une limite franchie.
Je ne dirais pas comme Sartre qu'on serait "totalement déterminé et totalement libre", car je crois que la liberté est l'exception plus que la règle, ce n'est pas juste assumer ses déterminismes, c'est une fièvre, un excès, une saillance, une décision inhabituelle enfin, détermination particulière opposée à d'autres déterminations et qui fait coupure. Par contre, j'approuverais assez sa formule que "l'homme est condamné à être libre" mais non pas simplement du fait de notre conscience et de devoir faire des choix, de notre être-pour-les-autres ou de notre condition d'être-parlant, mais au sens tout autre où nous avons une soif vitale de liberté, devoir-être qui nous empêche de nous satisfaire de l'ordre du monde et de ce que nous endurons.
En effet, même s'il y a beaucoup de choses qui ne dépendent pas de nous, et qu'il vaut mieux ne pas surestimer nos moyens alors que notre rayon d'action est si réduit, ce qui est sûr, c'est que le vivant ne se laisse jamais faire. C'est sa définition d'être réactif, toujours occupé à lutter contre l'entropie et la mort aussi bien qu'à explorer tous les possibles. Il est raisonnable d'attribuer cette part de folie à l'exubérance de la nature plutôt qu'à la raison, même si c'est le symbolique qui en est perturbé et que c'est le désir de désir (sans lequel il n'y aurait pas d'amour) qui vient "étayer la pulsion". Adopter là-dessus une position de surplomb, extérieure, objective, rationnelle, rate complètement sa dimension subjective et même sacrificielle d'un manque éprouvé, dans son urgence, et d'une dignité bafouée qui se défend.
La façon dont philosophes, sciences ou religions abordent la question de la liberté m'a toujours paru un peu factice, trop abstraite et très éloignée de ma propre expérience, certes singulière mais qui est plutôt celle d'une passion maladive et d'une sensibilité exacerbée. Je suis sans doute un extrême puisqu'à vouloir garder ma liberté de pensée, j'ai fini par me retirer du jeu, m'isoler du monde et couper la plupart de mes liens. Occasion tout de même de rappeler à quel point ni la passion de la liberté ni la passion de la vérité, poussés jusqu'au bout, ne sont compatibles avec la vie en société - tout en étant indispensables à une société humaine, au dialogue comme au mensonge lui-même qui prend des libertés avec la vérité mais n'a de sens qu'à se prétendre absolument vrai ! Voilà bien des valeurs prônées par tous alors qu'on peut considérer ceux qui les pratiquent comme des psychopathes (ce dont ne se privait pas le socialisme réel!). En tout cas, malgré les contorsions de Kant, ce ne sont pas des principes universalisables (ne pas mentir aux nazis?) alors même qu'ils sont consubstantiels à notre statut d'interlocuteurs. La liberté reste donc rare, difficile, exigeante et se prouve en acte, non en raisons, dans le courage de la rupture, jusqu'à risquer sa vie d'une façon ou d'une autre (sa carrière, son salaire, son statut, son image), révélant non pas "la totalité de l'Être" mais l'ensemble des liens qui nous enserrent et notre dépendance totale des autres.
Bien plus souvent qu'on ne croit derrière les apparences, la liberté est presque toujours reliée d'une façon ou une autre à la mort, à ce qui vaut plus que la vie et en fait tout le prix. C'est pourquoi on aurait tendance à en vanter l'héroïsme, ce qui peut cependant être contesté quand on s'y sent forcé et bien peu libre de s'y dérober. Le déterminisme doit être ici réintroduit dans la supposée suprême liberté donnée au suicide. J'ai toujours détesté le stoïcisme et sa morale de maître qui rend l'esclave responsable de son sort et ne s'affirme jamais mieux que dans la souffrance et le suicide censés servir de preuve (ce qui en fait une dogmatisation de la philosophie). Même si le suicide reste bien le gage de la liberté en dernier ressort, il faut lui ôter ses airs triomphants et dominateurs, avec le mépris des faibles qui en répond. Notre liberté n'est pas si souveraine, même celle de nos maîtres, et le suicide reste une défaite quelque soit le cérémonial dont on l'habille, ne conduisant à aucun paradis.
Ceux qui revendiquent leur passion pour la liberté se réclament assez souvent de Nietzsche qui était pourtant on ne peut plus déterministe lui aussi puisque son mythe de l'éternel retour nous assure qu'aux mêmes causes suivront toujours les mêmes effets. Pour être incontestablement un grand écrivain, je le tiens pour un bien piètre philosophe (notamment de la morale) et un grand malade plein de ressentiments, lui qui prétendait tellement à la grande santé ! Il m'a toujours paru absurde de s'imaginer qu'il pourrait y avoir un nietzschéisme de gauche alors qu'il méprisait tellement le peuple avec son snobisme élitiste et nostalgique d'une noblesse dépassée, se voulant tellement supérieur aux gens ordinaires, pauvres aliénés méritant à peine de vivre ! On verra comme les discours de ceux qui se voulaient les plus subversifs ont pu en être contaminés.
Comme littérateur je préfère, ô combien, Rimbaud assumant son absence de toute noblesse dans son mauvais sang de dominé, sans une goutte d'aristocrate ("Il m'est bien évident que j'ai toujours été de race inférieure. Je ne puis comprendre la révolte") et qui pourtant témoignera de la plus grande liberté envers toutes les règles, n'hésitant pas à rompre même avec sa poésie pour partir à l'aventure, habité par le désir brûlant de "posséder la vérité dans une âme et un corps" - jusqu'à en reconnaître l'échec ! Et tout cela sans en tirer gloire pour autant, ni même se croire l'auteur de ses actes ("Ce n'est pas du tout ma faute. C'est faux de dire : Je pense : on devrait dire : On me pense. − Pardon du jeu de mots. − Je est un autre"). Libre tout autant par rapport à son narcissisme et la reconnaissance sociale, par rapport à ce ridicule orgueil de se vouloir au-dessus des autres, sur-homme si fier de se dépasser au moindre petit effort, à la moindre audace de se prendre pour un autre, de s'y croire enfin, alors qu'il n'y a tout au plus que désir de désir et demande d'amour...
Répétons-le, on ne choisit pas d'être libre et ce n'est pas parce que les sciences nous font descendre de notre piédestal à énumérer tous nos déterminismes neurologiques ou sociaux que la liberté nous serait moins précieuse, non pas liberté inconditionnée, ni pouvoir de choisir entre le bien et le mal (comme si ces notions étaient si univoques), ni la prétention d'être maître de soi comme de l'univers. Notre besoin de liberté ne se réduit pas pour autant à l'autonomie de nos gestes, liberté simplement animale, mais s'étend à ce qu'on appelle en général "liberté de pensée", qui n'est pas de pouvoir penser "ce qu'on veut" mais plutôt des libertés qu'on peut prendre par rapport à l'opinion et toutes les sortes de dogmatismes. Ce n'est pas rien.
C'est du moins mon expérience d'une passion de la liberté qui, sous ses airs timides et effacés, a bien été de l'ordre d'une passion inexorable, presque de la malédiction, menant effectivement à me mettre en danger trop souvent de façon assez injustifiable et me laissant finalement dans une si fragile précarité. Je ne peux nier qu'à chaque fois mon côté suicidaire m'a bien aidé à larguer les amarres, que cela n'avait rien de glorieux, aspiré par l'angoisse plus que par une volonté inflexible et conquérante. Il aurait été incontestablement plus raisonnable de faire carrière et de se répandre sur les tribunes, accepter les postes qu'on m'offrait, l'autorité qu'on me prêtait. Une telle inconscience ne peut se justifier par la raison, mais par quelques déterminations plus biologiques peut-être ou les accidents de l'histoire ? Si je ne peux dire d'où me vient ce feu sacré qui me consume, je sais du moins que, tant que je pourrais, je ne serais jamais sage, à devoir accepter les règles sociales, devenir raisonnable, prévoyant, prudent, présentable - c'est pourtant, je le sais bien, ce que nous devons faire politiquement, écologiquement. On pourrait prétendre que ce serait une position éthique intrépide, ce qu'elle est objectivement, mais je veux insister sur le fait que c'est plus proche d'une pulsion irrépressible, d'une panique éprouvée ne laissant guère d'alternative : inhibition qui m'arrête, me dérobe, m'abandonne, les jambes à mon cou !
Sans que ce soit jamais l'objectif recherché, il suffit de refuser la pensée de groupe pour s'isoler de tous, cela se vérifie à tous les coups. Ainsi, perdre la foi, ce n'est pas seulement changer de croyances, c'est rompre avec tout un milieu et changer de vie. Il était tout aussi difficile de contester les dogmes marxistes dans les années 1970 ou de se soustraire aux injonctions libertaires les plus absurdes. Il y avait déjà de quoi s'isoler pas mal mais si mon intervention dans l'écologie politique a pu faire croire un moment que je pourrais susciter un regroupement autour de moi (notamment avec EcoRev'), cela a vite tourné court (en grande partie de ma faute) et je me suis résolu à devoir être écologiste malgré les écologistes (comme il faut être féministe malgré les féministes) ! Il faut dire que dès le début, j'ai toujours essayé de décourager les admirateurs et me délivrer des disciples ou suiveurs, là aussi non pas tant par rigorisme moral mais parce que cela me gênait, m'empêchait de penser, me forçait à dire les bêtises qu'on attendait de moi et à m'y croire vite un peu trop. La prise de distance avec les Situationnistes, qui prêchaient d'exemple sur ce point, a été curieusement beaucoup plus tardive, ayant nourri mes jeunes années (quand personne n'en parlait encore) de leurs attitudes rebelles et des promesses de la vraie vie (absente, hélas!). Il m'a fallu pour cela passer par la caricature qu'en présentait Tiqqun et qui m'avait d'abord séduit par sa métaphysique du consommateur, d'un monde des apparences suscitant le soupçon, publicité intégrant sa propre critique, réalité virtuelle qui semble sans autre consistance qu'idéelle et sera illustrée de façon si fantasmatique par Matrix. Mais l'erreur était de s'imaginer la chose-en-soi derrière les apparences, un accès à l'Être, et le Bloom censé incarner l'aliénation achevée, c'est le déchet de l'humanité, le juif de l'antisémitisme, une figure abstraite qui n'existe pas mais voudrait ramener là aussi les autres à des ombres d'homme bâclées à la six quatre deux ! La critique de la critique, d'une critique de l'aliénation devenue aliénante, m'a définitivement sorti du petit milieu intellectuel des activistes. Ma dernière rupture, qui a causé hélas la fin du GRIT, a été faite au nom de mon matérialisme dualiste (informationnel) décidément incompatible avec la désarmante naïveté humaniste qui ne sert à rien, là aussi, qu'à flatter son propre narcissisme.
Cela n'a donc jamais été véritablement un effet de ma volonté de rompre ainsi avec tout le monde, à simplement me libérer de fausses libérations, mais, bien sûr, il n'y a pas que la dimension philosophico-politique de la liberté de pensée dans ce besoin farouche d'indépendance qui n'épargnera pas ma vie privée et me fera tant goûter la vie solitaire, moi qui croyais vouloir vivre en communauté au début... Jusqu'à me libérer de l'amour ? Je serais moins catégorique sur ce point. C'est qu'on ne choisit pas, là non plus, inutile de faire le malin ! Je n'ai pas cherché non plus à me libérer des drogues qui, malgré leurs dangers et leur difficulté de maniement, mettant à l'épreuve notre self control, font selon moi partie intégrante de la liberté qu'on peut prendre vis à vis des humeurs du corps et des discours dans lesquels nous sommes pris, nous aidant à penser surtout. La présentation qu'on fait des drogues comme pure dépendance chimique est stupide alors qu'elles nous ont toujours accompagnés dès que notre esprit s'est éveillé - mais là je prend des libertés avec la loi ! En tout cas, on voit qu'il ne s'agit pas de se passer de toute dépendance (aux technologies numériques par exemple, accusées de tous les maux par certains!), il ne s'agit pas non plus d'individualisme, d'une liberté aussi absolue que vide - comme si on pouvait se suffire à soi-même alors que c'est tout au contraire la prise de conscience de notre impuissance, de nos limites et de nos souffrances. Ce sentiment d'injustice et de révolte n'a rien d'une liberté dominatrice sans causes ni raisons et n'est pas non plus une liberté sans foi ni loi, dans l'absence de toute règle qui nous ramènerait à notre animalité, à ce libéralisme débridé dont on sait bien qu'il nous livre au pouvoir de l'argent et à la loi du plus fort. C'est juste une sensibilité à fleur de peau, la tendance d'une nature rétive à sur-réagir, et je ne crains rien plus que la perte d'autonomie de la vieillesse et de la maladie, quand il ne s'agit plus que de rester en vie...
Il y a longtemps, en suivant dans mes cafés philosophiques les 4 causes d'Aristote, j'avais distingué 4 libertés : indépendance, efficacité, engagement, projet. C'est la première seulement dont il a été question ici, la seule qui puisse paraître contradictoire à constituer une rupture de causalité, abandonnant plutôt les autres dimensions à l'économique et au politique, même le projet, la liberté de faire. C'est qu'il s'agit de passions plus circonstanciées qui ne sont plus passion de la liberté elle-même, au profit d'objectifs plus concrets, à l'évidence plus déterminés que déterminants et qui posent de tout autres problèmes, problèmes de méthode, matériels, techniques. Sans liberté de s'engager et de parvenir à ses fins par le travail ou par l'action, la liberté n'est qu'un mirage purement imaginaire, mais elle doit s'abandonner, se suspendre, se renier presque, dans la réalisation, voeux de soumission au moins temporaires aux nécessités de l'exécution. Pour ma part, même si je crains toujours le futur, objet de toutes mes pensées, je n'ai jamais cherché à garantir mon avenir, à savoir ce que je deviendrais, à faire de ma vie un roman, à réaliser mes ambitions, trouvant dramatique d'avoir un destin tout tracé et me laissant plutôt porter par les événements sans m'enfermer dans des projets préconçus, chemin qui se fait en marchant.
C'est aussi que, même s'il y a beaucoup à faire, je ne crois plus guère que ce soit notre action qui puisse être décisive dans une évolution technologique qui ne dépend que très peu de nous et à laquelle nous sommes obligés de nous adapter sans cesse, l'avenir échappant toujours à nos projections futures. Les causalités sont bien matérielles (y compris écologiques) et les grandes décisions ne sont prises que dans l'urgence, sous la pression des faits, nécessité qui fait loi.
C'est enfin que la passion de la liberté, qui ne dépend pas non plus de nous autant qu'on aurait pu le croire, ne porte en elle nulle promesse de bonheur, d'une libération triomphante et définitive, seulement de vivre ou mourir. Non seulement cette passion de la liberté n'a pas le pouvoir de changer immédiatement les lois du monde mais elle pourrait même ne faire qu'empirer la désorientation générale - contre les nostalgiques de l'ordre établi et de toutes sortes de traditions pourtant depuis longtemps caduques - apparemment rien de si désirable donc, si on n'avait tant besoin de liberté malgré toutes nos déterminations, nos inquiétudes, nos ratages...
"La raison est régulière comme un comptable ; la vie, anarchique comme un artiste" (Georges Canguilhem)
Passion de la liberté, oxymore. L'épuisement de la passion mène finalement à plus de modeste liberté, mais il faut en passer par le déséquilibre de la passion pour trouver un équilibre de la liberté.
La culture française me parait parfois en architecture ou en musique avoir su trouver l'équilibre du funambule.
La "culture française", c'est celle de l'homme de cour et de la passion depuis les troubadours, entre galanterie et libertinage.
A la renaissance, en France, en Italie, en Prusse... la culture, la philosophie et l'art sont liés au pouvoir politique, au mécénat, comme à la religion aussi. Rien de spécifique à la France sur ce point. Le style français s'est démarqué sur un autre registre que la passion du baroque italien ou allemand, mais sur des lignes plus sobres loin du faste des passions débordantes.
Ne pas oublier que les artistes de ces époques étaient issus du peuple souvent et pas de l'aristocratie, ils avaient fait leurs classes comme apprentis dans des ateliers.
La cour française était quand même très spécifique et les artistes comptent assez peu dans la définition des canons de l'époque. Les cours européennes, chacune à sa façon sont des processus de civilisation (Elias encore). On a certes quelques musiques populaires anciennes mais la musique classique est une musique de cour. Les choses changent mais je crois qu'une bonne partie de la culture française classique est une culture de cour et que les cultures sont produites par le milieu plus que par les individus (conformément à une évolution guidée par l'information).
Il est probable que la cour, le centralisme, l'absolutisme, le jacobinisme sont une marque française et on le voit encore actuellement dans la sphère politique ou économique. Les résultats réels en France ne sont pas considérés, seuls les cirages de pompes le sont, et l'apparat. C'est ce qui fait l'avantage de l'Allemagne qui malgré ses points occultes privilégie le résultat aux courbettes.
[...] et à laquelle nous sommes obligés de nous adapter sans cesse, l'avenir échappant à nos projections futures.
**"ni la passion de la liberté ni la passion de la vérité, poussés jusqu'au bout, ne sont compatibles avec la vie en société …/… La liberté reste donc rare, difficile, exigeante*"
Tout à fait d'accord.
Personnellement le quotidien en société m'a amené à distinguer 3 types de libertés:
• celle qui consiste à choisir ses chaines
• la liberté du refus (très compatible avec la précédente)
• la liberté de la feuille blanche
La dernière est la plus discriminatoire: il y a ceux pour qui tout est possible si la feuille est blanche et d'autres pour qui rien n'est possible pour la même raison. Çà, j'ignore d'où çà vient.
Pour l'essentiel je crois que la liberté fait terriblement peur à l'humain qu'elle soit de type 1 (la peur du choix), de type 2 (l'incapacité du refus), de type 3 (la peur du vide). Je crois que c'est pour cela qu'il a depuis toujours inventé des religions, des normes sociales, des armées, des hiérarchies… et plus récemment des agendas surchargés qui ne laissent pas le temps de faire… etc
Peut-être faut-il en rester à ce qu'a dit je ne sais plus qui "être libre, c'est se sentir libre"… mais çà aussi c'est de plus en plus difficile.
La feuille blanche, c'est ce qu'on croyait, adolescents, à vouloir du passé faire table rase. Quand on en est à prendre sa retraite, cela n'a plus beaucoup de sens...
Quant aux hiérarchies, c'est un tout autre problème et l'article suivant !
Je ne l'entendais pas comme l'heure 01 du matin du grand soir, mais tout simplement au premier degré: celui de la feuille blanche, celle où l'on se propose d'écrire ou de dessiner.
La plupart des enfants aiment la feuille blanche, la plupart des adultes ne l'aiment pas. Ce qui s'est passé entre les deux fait sans doute partie d'une réflexion sur la liberté.
Attention, je ne mythifie pas l'enfance sur ce point. Je pense d'ailleurs que les enfants aiment être cadrés. Non, c'est quelque chose d'un peu différent, quelque chose qui renvoie au réel et à l'imaginaire.
Il n'empêche, je n'ai plus du tout de pages blanches, seulement des pensées inachevées, des questions à creuser, des contradictions à résoudre, des textes à corriger. A partir d'un certain moment, on est porté parce qu'on a déjà écrit.
Ce qui m'intéresse le plus dans la liberté, c'est celle qu'on peut développer DANS un groupe. C'est une recherche de l'art de combiner nos libertés, l'articulation du je/nous en somme.
L'hypothèse des communautés, c'était que tout le monde pouvait coucher avec tout le monde. La suite a montré que c'était plus compliqué. Il y a toujours des limites aux libertés qu'on peut prendre.
Je veux surtout parler des divers groupes auxquels on est amenés à participer, pas de la vie communautaire pour laquelle je n'ai aucune nostalgie. Pas de nouveau phalanstère dans mes visées.
Dolto (dont vous n'êtes pas fan, mais je retiens son excellente qualité d'observatrice et de praticienne) avait fait un compte rendu convaincant, pour moi, sur les communautés post-68 dans son bouquin "solitude" et des raisons de leur éclatement inévitable.
Oui, ma réponse était un peu déplacée, juste pour montrer les limites que rencontrait la liberté dans les groupes les plus libertaires mais je serais curieux de savoir ce que Dolto (effectivement grande clinicienne) disait des communautés.
J'ai retrouvé ce texte sur un sujet où Dolto n'a pas écrit beaucoup. Extrait in extenso d’un dialogue imaginaire entre un étranger et une praticienne, c’est à dire une psychologue. Tiré de son livre « solitude » pp . 165-168
« ...L'étranger- Ca me fait penser à l'angoisse d'être seul et, à défaut de famille parentale, de tenter de vivre ensemble, jeunes couples dans la même maison, couples réguliers ou non, célibataires ou avec enfants.
La praticienne- Les sectes ?
L'étranger- Non, pas particulièrement les sectes. Les communautés tout simplement, les gens qui se mettaient ensemble, partageant la vie matérielle, les charges de la vie quotidienne, l'élevage de leurs enfants.
La praticienne- Au douzième siècle ?
L'étranger- Non, pas seulement. De nos jours aussi.
La praticienne- C'était des questions de logement, c'est parce qu'ils ne trouvaient pas d'appartements.
L'étranger- Tu crois ?
La praticienne- Ah oui. Je crois que c'était des raisons économiques et aussi le ras le bol de vivre chez les parents. La vie communautaire. Oui, justement, j'ai vu combien les enfants étaient bien, jusqu'à huit ans et neuf ans, c'est formidable comme ils poussaient bien dans ces communautés. Ils savaient très bien qui étaient leurs parents -je veux dire ceux qui les avaient mis au monde- et il y avait une clarté limpide pour eux de la vie sexuelle des adultes -leurs parents et les autres-. Les enfants ne cherchaient pas à coucher dans la chambre des parents, comme les enfants seuls avec leurs parents. Il n'en était pas question. Il n'y avait pas ce retour régressif au giron. Ils savaient que les parents avaient une vie sexuelle maritale et de passage. Ils savaient que cette vie sexuelle parfois engendrait les enfants, dont eux qui avaient été engendrés par ce couple. Il n'y avait pas d'erreur. Il y avait une prise en charge des tâches communes par les familles et aussi par les enfants. Cela donnait l'impression que ces enfants de huit neuf ans étaient à la fois ouverts, équilibrés, intelligents, des égaux de ces adultes et parfois beaucoup plus raisonnables que les adultes qui, eux, étaient pris par des histoires passionnelles les uns avec les autres.
L'étranger- Il n'y a pas eu de perturbation ?
La praticienne- Si, les perturbations sont apparues après parce que ces communautés se dissociaient pour des raisons œdipiennes rémanentes des adultes, des intrigues, des jalousies, des envies de rivalité fraternelle ou sororale. Celui qui, lorsque c'était son tour, dirigeait le mieux la maison devenait comme le père. Celle qui faisait la tambouille la meilleure et la plus économique devenait la mère de la communauté. Puis, finalement, tout se rejouait par rapport à ces rôles, même temporaires -racontars, potins- comme dans les familles pathogènes. Je crois que ce n'est pas possible ces communautés, dans le libre jeu des sexes. Le libre jeu sexuel en communautés, n'est pas possible. Les communautés qui tiennent, ce sont les communautés chastes, par définition, qui par vœu vivent leur sexualité d'une manière dégradée en se détestant, en disant du mal les uns des autres, ou sublimée, déplacée sur une œuvre commune qui exige beaucoup de temps et d'énergie mentale ou physique, mais pas en vivant leur sexualité génitale comme ils le veulent et en faisant des enfants ou en les faisant pour en avorter ensuite. Avec la fécondité charnelle qui est, assumable ou non, à la clef de toutes nos vies d'adultes, la vie en groupe exige une maîtrise exceptionnelle. Dans ces conditions, la chasteté est très difficile.
L'étranger- C'était au nom de la liberté sexuelle.
La praticienne- C'était au nom de la liberté sexuelle, oui, mais ce n'était pas des gens particulièrement axés sur la bagatelle, non. Ils voulaient vivre plus commodément dans un contexte économique et social où c'est difficile de se loger, de travailler ou de faire des études supérieures en élevant ses bébés. Tiens, j'ai connu C.H. juste à ce moment-là. Elle vivait dans une communauté. C'est par cette communauté-là que j'ai connu le phénomène social et ses divers cas de figure. Il y avait sept ou huit enfants, trois couples, un ou deux célibataires. J'y ai déjeuné plusieurs fois. C'était très sympa.
L'étranger- Ils étaient ou ?
La praticienne- Tout près de Paris, à Gentilly. C'était un pavillon, mais très bien organisé. Il y avait un des hommes qui conduisait tous les matins les enfants à l'école. Et puis il y avait les couples qui faisaient la cuisine, pendant une semaine, à tour de rôle ; un tableau des charges et des occupations tenu à jour, visible par tous. C'était gai. Il y avait, disait tout le monde, une semaine où on bouffait mieux que les autres. Moi, je l'ai vue quand ça marchait, la communauté. Et puis après, elle s'est dégradée et chacun a voulu aller habiter chez lui. Je ne sais pas si ça c'est même dit pourquoi. Mais alors, les autres essayaient de culpabiliser les partants : "tu nous fais ça à nous de t'en aller ! T'es pas chic... avec tout ce qu'on a vécu ensemble". C'était surtout les couples qui cherchaient à se loger ailleurs, quand un couple trouvait un studio et était content de s'en aller. Les célibataires ne cherchaient pas. Les enfants auraient voulu rester. On leur promettait qu'ils reverraient leurs copains, adultes et enfants. Dans ces communautés, au début, ça marchait bien ; ils avaient le sentiment d'avoir été très heureux.
L'étranger- Du point de vue de leurs relations, ce n'était pas déstructurant ?
La praticienne- Non, au contraire. C'était des gens de professions ou d'intérêts culturels divers. Cela leur ouvrait les horizons de voir les copains les uns des autres, de jouer le rôle d'oncles et tantes d'occasion avec les enfants, etc. La plupart du temps, ces communautés se logeaient dans des pavillons très bon marché parce qu'ils étaient délabrés. Alors tous ensemble remettaient ces pavillons en état. Tout le monde peignait, tapissait, bricolait. Tout le temps de l'organisation était un temps merveilleux de créativité. Un petit pavillon, on l'arrangeait pour que chacun soit bien chez soi. Et puis, après un temps de marche organisée, ça éclatait. Quand on n'avait plus rien à faire de matériel, alors on était occupés de sentiments, à la veillée, le soir. Dans la journée, chacun travaillait ailleurs. Et puis au lieu de l'alternance, celui qui était chômeur s'occupait des enfants, la chômeuse s'occupait de la cuisine. C'est une façon aussi d'apaiser l'angoisse de se retrouver seul avec ses problèmes. »
Autre éclairage sur les communautés, le livre témoignage romancé d'Azouz Begag "Le gone du Chaâba décrit la fin d'une communauté "hors sol", communauté pourtant rodée et viable dans son sol d'origine. Témoignage sur l'indissociabilité d'une communauté avec la société qui lui a donné naissance.
Oui, c'est tout-à-fait ça, sauf que ce n'est pas pour des raisons matérielles qu'on se met en communauté mais, à l'origine, c'était pour essayer de vivre la liberté, pas seulement sexuelle (se désaliéner). Comme à l'époque, c'était beaucoup des jeunes en rupture de famille, c'était aussi pour recréer une famille et il est vrai qu'au début ça peut être formidable. Ces gens étaient adorables, il y avait un grand bonheur à s'y trouver (comme un chrétien dans une communauté charismatique ?) avant que ça se dégrade petit à petit. En tout cas, les enfants qui vivent la dissolution de la communauté en sont très affectés (mais comme un divorce?).
La jeune fille qui m'avait accueilli à CitéPhilo (en 2009) voulait faire une communauté et je l'avais encouragée tout en lui disant que cela avait toutes les chances de rater...
« A partir d’un certain moment on est porté par ce qu’on a déjà écrit » Quelle chance ! Pour la plupart nous sommes plutôt portés par tout ce qu’on a mal fait en croyant bien faire, par tout ce qu’on a mal dit, ou oublié de faire. Et ça commence dès le début, portés par la parentelle, par les institutions, mais aussi par des contraintes, notre seule chance de bifurcation, si nous avons le courage de les assumer. Pour un blogueur il ajoute à sa capacité personnelle de creuser tout ça par l’écrit la possibilité de renvoyer son lecteur à des textes antérieurs, ou à un dire par ailleurs.
Quant à l’âge de la retraite, j’ai un proche pour qui la « page blanche » est au final d’une tragédie : il ne sait plus que répéter, par instants, sa date de naissance et dans quelle administration régalienne il a fait sa carrière! Il ne connaît plus même son âge. Leçon d’humilité?…
Pour ce qui est de l’art, je m’intéresse à la sculpture romane du XIème siècle dans ma Bourgogne du sud ; le fait de moines qui se pensaient comme « créatures », s’installèrent dans des forêts concédées, les défrichèrent, créant ce qui subsiste encore de nos paysages ruraux : une nature cultivée localement, en fonction du milieu., les contraintes de leur « contrée ». Et leur art symbolisait, en une syntaxe collective, De site en site le pèlerin de passage butinait, sur les bas reliefs, des référents partiels sans catéchisme dogmatique : Tel ange ne leur disait pas « Je suis une entité immatérielle », ni « Voyez comme je suis beau ! » ou « Je suis l’œuvre d’un sculpteur divinement expert » mais plutôt « Attention, j’occupe un angle en marge mais ce que je désigne du doigt à côté est important ! » N’est-ce pas là un « savoir sur le savoir, le second degré, déjà, de « sujets » libres, mais respectueux d’une loi du cadre architectural ? Plus tard les artistes furent contraints de faire croire à une réalité des personnages de la Fable, pour nous y introduire comme fidèles figurants, jouant les utilités sociétales, soient nos rôles secondaires parmi les Saints Personnages, chacun étant subordonné ( ou soumise, pour une femmes) selon son rang social. Je trouve que pour cette sculpture, ( vers 1080 - 1120, courte durée !), le signifiant (une cosmétique) en vue d’exprimer le rapport ouvert d’une communauté au monde (un certain perçu culturel commun du cosmos) ne s’épuisait pas dans un signifié, toujours appelé à être forclos, selon l’ordre du temps .
Il est vrai que pouvoir être porté est un miracle, d'autant plus quand c'est être porté par des lecteurs, des commandes, des rencontres mais c'est aussi qu'après "le sujet de la science" il me fallait parler de "la passion de la liberté" qu'il me faut faire suivre d'un texte sur les hiérarchies...
Les artistes sont redevenus chamans, supposés montrer l'invisible, faire surgir des vérités cachés, supposés être en contact avec des mondes inexplorés.
Alors Michel, on fait du genou?
non, du jenous!
Mon éditeur Eric Arlix contractait le je et le nous en "jou" !
Le Monde Jou
http://www.editions-verticales.com/fiche_ouvrage.php?id=153&rubrique=3
La liberté comme le bonheur, plus fade, est à géométrie variable, au pas de sa porte, comme d'avoir une vision cosmique à un arrêt d'autobus un jour de crachin, un peu l'inverse de la grenouille dans l'eau tiède qui réchauffe. C'est toujours un bête effet de sensation différentielle où l'inattendu met le piment supplémentaire.
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce très beau texte et me sentir moins seul à prendre des décisions qui mettent l'avenir en suspend. La vie est une aventure, soyons aventurier...
« Témoignage sur l’indissociabilité d’une communauté avec la société qui lui a donné naissance ». Cette remarque m’interpelle, qui peut suggérer une analogie avec ce qui se produit au niveau linguistique, concernant l’identité que l’on prédique en tant qu'essance ( mouvement vers l'êtant défini de quoi que ce soit. Par exemple dire «mon chat » (dénotation intensive) c’est l’inclure en sous-entendu dans un ensemble de connotations plus larges, en relation avec les affects que j’entretiens avec lui, et dans une classe de références extensives comme celle de « carnivore », « animal », « dans cette demeure d'où "je" parle et où cet animal échange son milieu de vie, avec "nous" ( faisant " famille »),etc…. Faute de tout cela mon chat n'est rien pour celui à qui je m'adresse!
Ainsi la communauté en crise de pérennité, dont parle ce livre, se trouverait en situation d’hybridation inattendue, de dilemme logique, comme de comprendre un animal désigné sans plus par le mot « autruche », qui montre des ailes comme l’extension « oiseau »: Cette bête a des ailes, mais cependant ne vole pas… Peut-être ai-je écrit une ânerie, à vouloir limiter la liberté, de l’individu ou du groupe dès l’origine du langage, et de reconnaître la nécessité contraignante de dire l’être dans un milieu signifiant, lui -même partie d’un monde de références ? Comme je ne peux désigner du « vermillon » que comme un certain moment plus « vif » dans la connaissance par locuteur et par l'écoutant d’une palette d'ensemble du
« rouge » ?
La seule certitude de celui qui ne se résigne jamais, même s'il n'a guère de chances de changer le cours de l'histoire, est de sauvegarder sa dignité d'homme libre. Et c'est déjà inestimable comme victoire.question de cohérence et de correspondances .. moi je me reconnais dans ce que tu écris , pas loin d'en être au même point existentiellement .. mais dur dur d'être libre , fulgurances ( feu sacré) entrecoupées de coma et de suicide quand la vie malgré elle retourne à l'état clinique ... aucun égo n'y résiste ...
Le texte de Dolto ajouté en commentaire par Michel Martin illustre très à propos le contenu de ce billet de Jean Zin : Une communauté se réclamant d’un éthos différent doit s’approprier un « endroit » où expérimenter son « droit » d’existence selon des principes émancipés. Et cet endroit ne peut que s’enclore dans les vides délaissés à l’envers des comportements majoritaires dominant chez les autres déjà là, en squattant une friche dans le construit. Mais nous sommes tous sujets au libre arbitre de tels choix. Ainsi nous avions choisi avec mon épouse, succombant à la mode générale (perçue déjà comme écologiquement insensée) de vivre plutôt hors la ville, de construire notre demeure dans un écoin en forte pente entre trois chemins, parce qu’il était impropre à toute agriculture ; par refus de champs de blés ou autres terres jusqu’ici cultivées qui nous étaient proposées en terrain réputés dorénavant « zone à bâtir ». Que faire d’autre en un tel lieu qu’une maison ? D’où des difficultés à obtenir un permis de construire, selon une architecture perçue comme étrange car se voulant grâce à un copain architecte respectueuse des conditions physiques du lieu. Et après un temps vécu assez long nous avons perçu en contrepartie les inconvénients de l’en-droit obtenu. : la pente à l’entour est ressentie d’autant plus raide que nous avons quarante années de plus.!
Télévision et neuroscience :
http://www.youtube.com/watch?v=NvMNf0Po1wY
Assez bizarrement, je ne regarde presque plus la télé depuis que je suis en Allemagne, bien qu'ayant accès aux chaines françaises. Le 20 heures et de temps en temps Arte en VOD
Je signale un texte pas tout jeune (1992-1996) mais qui vient juste de ressortir et qui est une excellente analyse de la dérive vers l'anti-sémitisme d'une (petite) partie de l'ultra-gauche (prositus, autonomes, etc.) sur des positions "bordiguistes" (mais partagées par presque tous les marxistes) dont la contradiction est bien montrée du rôle de l'idéologie nié au profit d'une explication purement économique des politiques menées (nazisme et démocraties libérales sur le même plan) alors que l'idéologie révolutionnaire est supposée renverser ce capitalisme totalitaire au nom d'un prolétariat mythique et grâce à un travail critique de dévoilement, aboutissant aux théories du complot et finalement à l'antisémitisme par une logique implacable. C'est ce genre de raisonnements que doit faire quelqu'un comme Dieudonné mais ce qui est fascinant, c'est de voir la subtilité intellectuelle mobilisée pour cela, un peu comme dans les religions. On peut même dire que ces discours paranoïaques sont très convaincants (à l'inverse, par exemple, un site arrive à expliquer tous les concepts de Heidegger par son antisémitisme, effectivement avéré !).
Il est amusant de voir ces crétins se croire compétents en toutes matières, leur esprit critique se résumant au biais de confirmation de leurs fausses certitudes. Leur délire se construit en effet sur la certitude d'un communisme idéalisé (seule vérité et désirable) qui rend incompréhensible que "le prolétariat" ne renverse pas le système sinon par l'intervention d'un esprit mauvais et tout puissant qui arriverait à duper tout le monde (sauf eux). On trouve des délires assez proches aujourd'hui chez des jihadistes se réclamant de l'ultra-gauche.
Cela donne la mesure de ce qu'il faut affronter quand on se trouve dans ces milieux révolutionnaires où l'on ne trouve aucun révolutionnaire sérieux porteur d'une stratégie réaliste mais seulement des allumés qui s'y croient et font des phrases mais finissent mal (y compris à l'extrême-droite comme on le constate ici). Il ne suffit pas de s'imaginer lutter pour notre libération pour ne pas renforcer l'aliénation ou même un pouvoir violent et dictatorial.
http://www.non-fides.fr/?L-ultra-gauche-dans-la-tourmente
Merci pour le lien.