Révolution virtuelle et révolution réelle

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J'avais trouvé intéressant le buzz autour de la proposition d'Eric Cantona de retirer son argent des banques, non que j'aie jamais cru à un véritable bankrun, ni même que ce serait souhaitable, mais parce que le succès médiatique rencontré manifestait une salutaire défiance envers les banques et que cela pouvait être une façon d'exprimer notre protestation citoyenne comme de répondre aux réactions déplacées de nos élites.

L'échec total de l'opération montre cependant toute la distance qu'il peut y avoir entre une mobilisation virtuelle et les mobilisations réelles. Plus important encore, la difficulté éprouvée à la mise en pratique de ce qui semblait si évident et si simple, en parole du moins, aura eu pour effet bien plutôt de faire sentir à chacun à quel point il était dépendant du système, ne pouvant sérieusement souhaiter son effondrement...

On pourrait en tirer la conclusion que toute révolution est devenue impossible, alors même qu'on est dans une période on ne peut plus révolutionnaire où l'intervention des peuples est devenue absolument nécessaire mais il ne faudrait pas se tromper de révolution ni se monter la tête. Cette intervention ne peut prendre d'autre forme qu'une grève générale et ne peut prétendre abattre un système devenu vital, seulement renverser le rapport de force entre le travail et la finance pour changer les règles du jeu, mettre un terme à la destruction des protections sociales, conquérir de nouveaux droits (revenu garanti pour tous) et commencer peut-être à construire un autre système de production.

A l'ère du ready made et de la technique automatisée, d'une abondance trop facile de marchandises transitoires et de plaisirs fades, on pourrait s'attendre à ce que tout soit plus facile, s'acheter une personnalité, devenir le héros d'une aventure sur catalogue et assurée tout risque, ou même une vraie Révolution Assistée par Ordinateur. Qu'on se détrompe ! Du bon usage des révolutions en régime démocratique

Ce qui n'était donc qu'une bulle médiatique et l'emballement d'internautes désoeuvrés pour une révolution purement virtuelle laissera cependant des traces bien réelles sans doute dans la conscience collective. Il ne devrait plus être possible de s'imaginer qu'une insurrection pourrait tout changer sur le modèle léniniste, comme s'évertuent à s'en persuader des militants qui se regroupent dans des petites chapelles se prenant pour les représentants du peuple, voire de l'humanité toute entière. Après la bulle financière, c'est la bulle spéculative des illusions révolutionnaires qu'il faudrait crever pour revenir sur terre et ne pas égarer un mouvement révolutionnaire plus nécessaire que jamais dans des révolutions tout aussi virtuelles.

Je ne suis pas comme ces révolutionnaires professionnels persuadés de détenir la vérité ni comme le romantisme révolutionnaire en mal d'aventures héroïques. C'est la froide raison qui me persuade de la nécessité de révolutions périodiques pour remettre les pendules à l'heure, annuler les dettes (comme pour le Jubilé Juif), changer des institutions devenues obsolètes, laisser place à de nouvelles générations et refonder la solidarité collective. Les guerres ont aussi cette fonction de reconfiguration sociale. Mieux vaut une révolution, il n'y a pas de doutes. Ce n'est pas dire que cela puisse être une partie de plaisir. On a tout à craindre d'une révolution avec ses petits chefs, ses arbitraires, ses mouvements de foule même s'il y a, sur l'autre face, l'exaltation d'une solidarité retrouvée. Plus la révolution se voudra extrémiste et violente, plus le pouvoir sera confisqué par des idéologues plus ou moins totalitaires. Plus la révolution apparaîtra comme raisonnable et plus elle donnera la parole à tous avec la force du nombre.

Dans ce monde de la finance globalisée, ce n'est pas le pouvoir politique démonétisé qu'il faut conquérir, entièrement aux mains de ses créanciers. Comme en 1936, c'est l'économie qu'il faut paralyser, par la grève générale ou par le blocage des flux (énergie, réseaux, routes), à condition bien sûr que ce ne soit pas minoritaire, afin de débloquer une situation figée et une société sclérosée. On ne peut rêver en régime démocratique à un changement complet des équilibres politiques qui verrait tout le monde se convertir au communisme ou à l'écologie. Les prochaines élections mettraient fin rapidement à ces illusions enfantines. La légitimité du mouvement social est tout autre, c'est de se manifester aux gouvernants et de peser de tout notre poids face aux contraintes financières et l'avidité des riches. Pour Machiavel déjà, la fonction du Prince était de limiter l'exploitation de la population par les puissants, mais il a besoin pour cela des protestations du peuple sinon de ses démonstrations de force.

Rien de plus ? Si, bien sûr, les mouvements sociaux de grande ampleur font bouger les lignes et peuvent nourrir des dizaines d'années après d'autres mouvements sociaux. Une révolution sociale, surtout dans notre contexte, devrait produire des changements considérables dans les institutions en fonction des dynamiques du moment. Il ne faut quand même pas trop rêver ni s'imaginer résoudre par nos bonnes intentions tous les problèmes qui n'ont jamais trouvé encore de solution, ni se dire que, tant qu'à changer, autant tout changer avec des exigences délirantes. Paradoxalement, loin des révolutions idéales mais comme de nombreuses révolutions dont le prétexte a pu sembler mince au départ, il faut avoir au contraire des exigences minimales pour réussir à rassembler un maximum de gens et pouvoir se mesurer aux puissances financières. Ensuite, et dans le mouvement, les mesures nécessaires devraient s'imposer sans vouloir appliquer dogmatiquement des théories préalables, même s'il faut s'appuyer sur des réflexions et travaux antérieurs. Ce n'est pas que je n'ai mes propres propositions et analyses mais le moment est sans doute moins celui des utopies, ni même des programmes, que de la résistance et de la mobilisation. Il s'agit pour l'instant de se manifester comme vivants et comme solidaires face à une finance prédatrice, ce qui est loin d'être gagné mais cette intervention des peuples qui n'a rien de virtuelle devrait finir par s'imposer, seule façon d'éviter des mesures anti-sociales de rigueur ne pouvant qu'aggraver la crise, y compris financière. C'est en ce sens que la solution, c'est nous.

- Du bon usage des révolutions en régime démocratique (02/2002)

- De la révolution de 989 à l'asservissement féodal (02/2002)

- Penser la révolution (12/2005)

- Les phénomènes révolutionnaires (06/2006)

- De nouvelles perspectives pour des révolutions futures... (06/2007)

- Le retour des révolutions (inflation et papy boom) (07/2008)

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