Ce qu’il faudrait faire…

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AlterEkoloColloque AlterEkolo du samedi 25 mars 2006

Il n'y a pas d'un côté les problèmes de chômage ou de précarité de nos vies privées d'avenir, et de l'autre les problèmes écologiques de décroissance et de sauvegarde de notre avenir commun, ce qui semble bien peu compatible sous cette forme, alors que, dans les deux cas, il s'agit de mettre des limites à un néolibéralisme destructeur et de préserver nos conditions vitales. Tout projet politique ne tenant pas compte des contraintes écologiques est condamné par avance, de même que tout projet écologiste qui voudrait ignorer les contraintes économiques et sociales. L'altermondialisme représente, bien plus que les Verts, cette prise de conscience écologique et sociale avec ses deux exigences de relocalisation et de développement humain. Ce qui manque souvent à l'altermondialisme malgré tout, c'est la prise en compte des transformations considérables d'une économie informationnelle qui se se réduit pas du tout à la globalisation marchande.

Un autre monde est possible mais il ne suffit pas de résister au totalitarisme marchand, il faut se poser la question : que pourrait être la société à venir, plus écologique et moins précaire ? Ni simple décroissance, ni retour en arrière, cette économie relocalisée et recentrée sur le développement humain doit constituer une alternative concrète au capitalisme en permettant la sortie du salariat productiviste, grâce notamment au revenu garanti ainsi qu'à des monnaies locales. Hélas, tout cela parait encore trop utopique, à contre-courant de la mondialisation et de la précarisation néolibérale mais très éloigné aussi des revendications des organisations de gauche (ATTAC, Copernic, LCR, PC, PS...). Même s'il faut effectivement renforcer l'Etat et réformer la fiscalité, les solutions que nous proposent ces partis (protectionnisme, "plein emploi", étatisme, taxations et même réduction du temps de travail) ne sont pourtant que des solutions imaginaires et trop souvent liberticides alors que c'est notre autonomie qu'il faudrait développer. Il y a de quoi désespérer et se persuader que c'est foutu d'avance... Dans la période actuelle on ne peut se contenter de baratin sur la sécurité de l'emploi, ni d'objectifs trop lointains. Il ne s'agit pas d'établir le programme détaillé d'une cité idéale ni de faire le catalogue de nos valeurs mais de donner une ligne directrice forte et lisible pour la construction d'alternatives locales à la globalisation marchande.

- L'écologie de l'avenir (dématérialisation, relocalisation et développement humain)

L'écologie de l'avenir ne peut être un retour en arrière mais doit tenir compte de notre entrée dans l'ère de l'information et du potentiel des technologies numériques qui bouleversent toutes les données (valeur, travail, reproduction). Loin d'être tournée vers le passé, l'écologie-politique exige de s'affronter aux problèmes les plus actuels, à la préservation de notre avenir, en utilisant toutes les informations disponibles, toutes les ressources de l'informatique et du numérique.

Les réseaux numériques favorisent la dématérialisation de l'économie, le développement des services participe à sa relocalisation et les besoins de formation exigent la réorientation vers le développement humain, qui est devenu non seulement possible mais indispensable ! J'ai essayé de montrer dans mon livre ("L'écologie politique à l'ère de l'information") qu'il y a une entière solidarité entre l'écologie-politique, l'ère de l'information et le développement humain. On ne peut les dissocier.

Cela devrait nous engager à tirer parti du "devenir immatériel de l'économie" avec une réorientation des emplois industriels vers les services, en particulier la formation et la santé, c'est-à-dire tout ce qui a trait au développement humain, développement des compétences, des capacités, de l'autonomie de chacun, de plus en plus indispensable dans une société informatisée où la productivité dépend de la qualification. L'écologie était déjà reliée au développement humain par la qualité de la vie et la convivialité, elle l'est désormais aussi par l'économie immatérielle. On pourrait gagner de bien meilleures protections à regarder vers le futur plutôt que vers une économie fordiste qui n'était pas si glorieuse qu'on le dit et qui ne reviendra pas !

Il faudrait s'en convaincre, nous vivons une rupture comme il y en a eu peu dans l'histoire de l'humanité et ce moment révolutionnaire devrait servir à une mise à jour de notre organisation sociale et de nos institutions, adaptation qui devient plus qu'urgente, mais on a toutes les raisons d'être pessimiste à court terme. Je suis bien conscient que les deux principaux dispositifs à mes yeux de cette écologie de l'avenir (monnaies locales et revenu garanti) sembleront trop partiels. Difficile de convaincre avec ça, en espérant que d'autres trouvent mieux car, en voulant revenir à des temps révolus, on ne pourra que tout perdre (c'est la dure leçon que Thatcher avait infligée aux mineurs en son temps...)

- Sortir du productivisme salarial, de la globalisation et de la précarité (revenu garanti, monnaies locales, coopératives municipales)

Les débats sur la décroissance ne vont guère au-delà de la réaffirmation des contraintes écologiques alors que, le capitalisme ne pouvant vivre sans croissance, il nous faut absolument construire une alternative au productivisme salarial. C'est-à-dire qu'il faut permettre, grâce à une garantie de revenu, de sortir du salariat et de produire localement (soit en association, soit en autonome).

Il faut mettre les points sur les i : cette reconstruction par la base a vocation à réduire petit à petit les échanges mondialisés, pas à les désorganiser, ni donc "abattre" le capitalisme d'un seul coup d'un seul, mais il y a une totale opposition entre d'une part une stratégie réformiste largement illusoire de "réduction" plus ou moins volontaire (de la consommation, du temps de travail) qui reste dans le même système, et, d'autre part, une stratégie d'alternative, tirant parti des nouvelles technologies et des bouleversements en cours dans la production, son devenir immatériel, pour construire un autre système relocalisé, en réseau, et plus coopératif que concurrentiel. Là encore, cela paraîtra bien utopique et pourtant pas aussi impossible qu'il n'y paraît à première vue. En tout cas, ce qui compte ici, c'est le plan global à long terme plus que les résultats à court terme.

Dans cette optique, la revendication d'un revenu garanti est absolument centrale, constituant le symbole d'une rupture de civilisation, de nouveaux rapports de productions plus adaptés aux nouvelles forces productives. C'est, en effet, le symbole d'une refondation des protections sociales sur la personne en même temps que la condition d'une sortie du productivisme salarial, symbole d'une écologie de l'avenir. On a vu qu'il ne s'agit plus seulement d'assurer une sécurité sociale et la réduction de la misère mais bien de s'engager dans le développement des capacités et de l'autonomie de chacun. Le revenu garanti répond à cette logique de développement humain en même temps qu'il constitue une alternative au productivisme salarial et un remède à la précarité. Ce serait une véritable déclaration de paix sociale, libérant les nouvelles forces productives du travail autonome ! Qu'on aborde la question par le biais de la sécurité professionnelle, d'un revenu d'autonomie pour étudiants, des intermittents, des travailleurs pauvres, de la misère, des retraites, des associations, etc., il faudra bien arriver à unifier ces revendications dans un revenu garanti pour tous qui casse le cercle infernal du travailleur-consommateur où l'emploi dépend absurdement du niveau de consommation, où il n'y a rien de pire qu'une surproduction !

L'affichage du revenu garanti serait un slogan au moins aussi fort que la décroissance, même s'il est aussi difficile à faire accepter sans doute. Pour le justifier il faut toujours associer le revenu garanti au développement humain, plus complet, plus juste, mais qui ne devient une véritable rupture qu'associé au revenu garanti. C'est, en effet, le revenu garanti qui permet d'échapper au productivisme salarial et favorise, outre de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires, tout le secteur des activités autonomes, appelé à prendre de plus en plus d'importance, ainsi que les échanges locaux et plus généralement toute la vie sociale (politique, associative). Il n'est pas question de prétendre qu'un revenu garanti règlerait tous les problèmes mais qu'il est une base incontournable pour une alternative écologiste, pour une économie relocalisée et recentrée sur le développement humain.

La relocalisation de l'économie va bien au-delà de la question du revenu. Elle ne pourra se reconstituer avec des barrières douanières mais en jouant par exemple sur la TVA pour les produits "importés" avec des exemptions de taxes pour les produits locaux, mais surtout par des monnaies locales, aussi étonnant que cela puisse paraître (voir l'article "La relocalisation de l'économie par les monnaies locales"). Il faut aussi des structures comme des coopératives municipales pour favoriser les échanges locaux et les circuits courts. Dans ce cadre, réglementations et taxations devront être différenciées selon les différents secteurs (marchand, associatif, local, insertion).

Bien sûr, cette relocalisation ne devrait pas constituer un repli sur soi mais la prise en compte de l'importance de la vie locale dans nos échanges quotidiens. Il ne s'agit pas de renationaliser ni de faire éclater l'Europe mais d'une relocalisation à l'intérieur de l'Europe, une Europe des communes et des régions. Ainsi, il ne s'agit pas de supprimer l'Euro mais de créer des monnaies locales complémentaires pour valoriser les compétences disponibles et les produits locaux.

Hélas, on voit qu'on est bien loin des débats actuels, perdus dans des controverses sur le néolibéralisme, l'anti-libéralisme, le socialisme même parfois, sans aucune idée neuve qu'une révolte contre ce monde qui vient et pourrait être porteur de tant de promesses pourtant...

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6 réflexions au sujet de “Ce qu’il faudrait faire…”

  1. Je vous trouve d'une noirceur absolue. Le pessimisme du constat doit-il nous conduire dans le pessimisme de l'action ? Votre démarche personnelle, votre quête d'absolu me semblent sans issue.

    Sur la relocalisation, sachez que vous n'êtes pas seul à voir les problèmes qui vont surgir, voir nous assaillir très bientôt. Oui, je suis, comme vous, inquiet de la dérive de la classe politique de plus en plus "ethnocentrée" sur sa propre condition. Il y a beaucoup d'espace dans les partis de gauche pour faire valoir ses idées et ses points de vue. Mais, par confort, certains d'entre nous versent dans la marginalité politique, comme pour se protéger, comme pour mieux se dédouaner, comme pour ne pas se salir. "Je vous l'avais dit qu'on y allait dans le mur." Nous le savons tous que nous y allons. Quand on a dit ça, on a tout dit. Sauf qu'on a rien fait !

    La question que je me pose en vous lisant est la suivante : votre action est-elle efficace ? Je ne peux en juger. Vous êtes le seul à le savoir réellement. Et merci pour vos éclairages franchement exceptionnels.

  2. Je vous rassure tout de suite, mon action est complètement inefficace et je ferais mieux de me taire. Il est sûr qu'il est un peu tôt pour sonner la retraite et je force peut-être trop le trait (car je ne sais pas ce qui se passe dans les facs et les lycées), avec sans doute la petite illusion que cela pourrait aider à ce qu'on s'en sorte, si la grève générale est un succès (?), et il faut bien avertir quand on va dans le mur ! Je ne fais pas qu'avertir, cependant, j'en donne l'improbable remède. Tout dépend des jours à venir.

    Après, il faudrait faire mieux, oui, je suis bien déçu de ce que je fais et devrais me taire, je le pense aussi. Tout cela ne vaut rien. Sicut palea, comme du fumier disait Thomas d'Aquin de son oeuvre à la fin de sa vie...

    Pour l'instant autant profiter de la fête, pourquoi gâcher ces rares instants où les générations se soudent ? Les bonnes surprises ne sont pas impossibles, l'histoire est une suite de conjonctures improbables. Il faudra apprendre vite.

  3. Vous mettez dans le mouvement étudiant beaucoup d'espoir sur notre devenir collectif. Les 10% d'illetrés que produit notre système scolaire, les 20% de sans diplômés ne sont pas encore dans la rue. Ils l'étaient, pour partie, en novembre. Quel peut-être l'apport d'une génération dont le seul modèle est d'avoir une belle bagnole, une belle maison, de vivre dans son petit confort ? On est très loin des problématiques d'empreintes écologiques.

    Pour revenir sur la problématique étudiante, sur mon blog, j'ai proposé le CPU : la construction de l'individu dans un parcours réel d'instruction, de construction et d'éducation et l'apprentissage d'un métier en entreprise.

    La suite... sur dszalkowski.free.fr/dotcl...

    J'aurais aimé connaître votre sentiment. Par avance, merci et excusez-moi de la précédente charge forcément provocatrice.

  4. Ce n'est pas dans le mouvement étudiant que je mets beaucoup d'espoir, le mouvement (et Villepin!) a déjà été au-delà de mes espérances, ce dans quoi on pourrait mettre son espoir maintenant, c'est dans le mouvement social et l'unité syndicale, dans l'occupation de lieux de travail ou de lieux publics, dans une radicalisation des grèves. Ce n'est absolument pas gagné pour l'instant, par manque de débouché politique...

    Sinon, je n'ai pas d'avis sur tout et pas trop sur l'université (il faudrait que je travaille la question) mais ce n'est pas vraiment la question (qui est un déséquilibre générationnel) et ça m'agace quand on traite les autres (les jeunes, les pauvres, etc.) de débiles soumis à la publicité. C'est plus compliqué que cela, ils ne sont pas plus débiles que nous, c'est un système dont nous faisons partie et que nous faisons vivre, c'est un autre système qu'il faut construire pas croire que c'est juste une petite inadaptation de l'université qui serait à l'origine des problèmes...

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