L'écologie-politique à l'ère de information
Ecologie ou économie
Le terme écologie a été forgé par Haeckel en 1866, à partir du grec oikos et logos, pour désigner l'étude des habitats naturels des espèces vivantes.
En effet oikos,
qu'on retrouve dans économie, signifie habitat. Ce qui distingue
l'éco-nomie domestique de l'éco-logie, c'est que
l'économie calcule alors que l'écologie relie, l'une est
quantitative quand l'autre est qualitative.
L'économie
est la science des équivalences alors que l'écologie est
la science des différences et des complémentarités
(sexuelles, alimentaires, etc.), l'économie réduit
tout à l'individu alors que l'écologie réinscrit
les corps dans leurs interdépendances mutuelles et leur relation
à l'environnement global. On ne peut pas dire que l'écologie
n'a rien à voir avec l'économie, c'est plus
précisément l'insistance sur la réalité
biologique qui lui manque. L'écologie est d'une certaine
façon la réfutation
de l'économie, sa critique radicale comme pure abstraction
mathématique, la réintégration du temps long et
des cycles naturels dans la productivité immédiate et les
calculs d'intérêt à courte vue.
Pourtant, la tendance dominante de l'écologie-politique
jusqu'à nos jours, sera de se rapprocher de l'économie et
de revenir à une version quantitative de l'écologie
où c'est tout simplement la circulation de l'énergie qui prend la place de la circulation monétaire comme équivalent général. Ces théories énergétiques de l'écologie
sont reliées à l'économie du charbon ou du
pétrole. Nous voudrions montrer qu'elles procèdent d'une
simplification excessive des écosystèmes. Ceux-ci ne sont
évidemment pas réductibles à l'énergie qui
les traverse alors que ce qui constitue le vivant c'est bien
plutôt la complexification et les échanges d'information.
Il faudrait finir par l'admettre, l'écologie est beaucoup plus
liée à l'information
qu'on ne le croit. Au fond, les théories aussi dépendent
inévitablement de leur milieu et changent avec lui, après
un temps plus ou moins long d'adaptation. Il s'agirait donc de passer
aujourd'hui
d'une écologie de l'ère énergétique
à l'écologie-politique de l'ère de l'information,
plus conforme à son concept initial de logique du vivant. On
verra que les enjeux politiques sont considérables entre
écologie technocratique et démocratie participative.
De l'ère de l'énergie à l'ère de l'information
Depuis les débuts de
l'ère industrielle la crise de l'énergie avait
déjà été anticipée par
l'économiste anglais Stanley Jevons (The Coal Question, 1865) sur le modèle du malthusianisme. L'écoénergétique qui
s'est développée ensuite est une interprétation
thermodynamique de l'écologie, prenant la succession d'une
"écologie" malthusienne plus agricole. Dès lors, de
nombreux écologistes ont voulu faire de l'énergie
la seule valeur objective, tout comme les physiocrates avaient voulu le
faire avec la terre !
Depuis notre entrée dans l'ère de l'information, il y a quelques décennies, les
priorités ne sont plus du tout les mêmes, malgré la crise
pétrolière actuelle, et même pour les
écosystèmes, la
circulation de l'information a pris le pas sur les
équilibres thermodynamiques. L'idée que le vivant
pourrait se réduire à des échanges
d'énergie procède comme la plupart des réductionnismes de
l'amputation d'un phénomène ramené à ses
conditions matérielles. Effectivement, il n'y a pas de vie sans
corps matériel mais la chute d'un corps ne suffit pas à
le
caractériser comme vivant. De même, s'il n'y a pas de vie
sans énergie, l'activité vitale n'est pas une simple
structure dissipative. Ce qui caractérise le vivant c'est la
reproduction et l'évolution, la régulation et
l'adaptation, plus généralement l'information et la
réaction, "une différence qui fait la différence"
comme Bateson définissait l'information. On n'est plus dans le
domaine des causes matérielles
mais des finalités biologiques. Pour comprendre les organismes
et les organisations il faut tenir compte de l'information circulante
et de l'information structurante, au moins autant que des flux de
matière et d'énergie, ce que la théorie des
systèmes a montré abondamment.
Ce n'est pourtant pas seulement au niveau biologique que l'écologie est
inséparable de l'information, c'est aussi au niveau historique.
L'ère de l'information transforme radicalement notre monde et nos propres représentations,
bien plus que nous ne le pensons. Ainsi, les
informations qui nous parviennent déterminent
nos responsabilités et c'est notamment à la mesure des
informations
que nous avons, sur les menaces écologiques (entropiques) ou sur les
conséquences insoutenables de notre production, que
nous
pouvons y
remédier et que nous devenons responsables de l'avenir des
équilibres planétaires (nous devrons corriger nos
erreurs). Le principe de précaution ne dit pas autre chose : ce qu'on ne sait pas, il n'y a
aucune chance qu'on s'en préserve. Et pour s'en préserver,
nous aurons besoin de régulations et de
la
circulation des informations vitales.
De toutes façons, si l'écologie-politique est bien née des impasses de
l'économie
énergétique et quantitative, de son productivisme structurel,
c'est la manifestation de l'exigence écologiste d'un passage au qualitatif, à la régulation
de nos ressources (par l'information). On peut considérer que le feedback
de la modernité
industrielle c'est l'écologie-politique, dans son rôle de
critique
du
négatif du progrès, de ses dégradations et
pollutions. C'est son caractère post-moderne de contre-pouvoir. L'écologie-politique
impose de régler
nos actions sur leurs effets sans plus se fier aveuglément
ni aux forces sociales ni aux forces du marché pour
préserver
la "qualité de la vie" et l'autonomie
de chacun.
Enfin il devrait être de plus en plus clair que les technologies
informationnelles sont indispensables pour entamer une
décroissance de la
consommation matérielle au profit de la production immatérielle.
Le basculement de l'économie vers l'immatériel est
l'urgence du moment. Bien sûr, ce n'est pas parce qu'il y a un
développement
sans précédent de l'immatériel et une relative
dématérialisation de l'économie qu'il faudrait
aller s'imaginer que le monde matériel ou
énergétique n'existe plus et que nous n'aurions plus
qu'à nous évader dans un monde virtuel et
déshumanisé. Le développement de l'immatériel ne suffira pas pour rendre
l'économie
actuelle écologiquement soutenable, mais c'est malgré tout absolument
indispensable pour construire une économie plus
écologiste. C'est une condition nécessaire, même si
elle n'est pas suffisante.
L'information se trouve ainsi au coeur de
l'écologie-politique sur tous les plans (biologique, historique, politique, économique), véritable
nouveau paradigme par rapport à des "lois de l'histoire"
mécaniques ou même des équilibres thermodynamiques
dont se distinguent radicalement l'homéostasie aussi bien que le
développement.
Energie, entropie et information
On peut admettre sans doute que l'écologie s'oppose à l'économie comme
l'information à l'énergie. Mais en quoi est-ce si
différent ?
- Le monde de l'énergie est celui de forces
physiques dont l'effet est proportionnel à la cause et donc calculable,
règne de la quantité et des causes subies passivement,
règne de la rareté et de l'entropie, d'un passé
qui se dégrade inexorablement.
- Le monde de l'information
est
tout à l'opposé, c'est le monde de la vie, de
l'activité tournée vers l'avenir, règne de la
qualité et des finalités, de la réussite ou de
l'échec, du oui et du non. A l'inverse de la rareté, le
monde de l'information est celui de la saturation, de la surproduction
et de la reproduction. Au contraire de l'entropie, c'est un monde d'une
complexification croissante mais c'est aussi le monde de la
séparation, du signe qui renvoie à autre chose, et donc
aussi de
l'erreur et de l'illusion. L'énergie est une force
extérieure alors que l'information est un signal
intériorisé, subjectif et capable de provoquer une
réaction aux conséquences incalculables, sans
commune mesure avec l'action initiale. En effet, il n'y a pas seulement
une information circulante, il y a l'information organisée, l'organisation où
elle s'inscrit comme mémoire et qui lui donne sens par sa
nouveauté même qui la remet en cause, sens qui dépend donc de chacun, de son histoire.
C'est à partir du vivant et de son intentionnalité que l'information devient pertinente, prend sens et valeur
de signe. Tout oppose l'énergie et l'information mais la vie incarne pourtant leur
unité car la vie ne se limite pas à l'information inerte
de l'ADN. Il n'y a pas de vie sans un dynamisme interne, ce qu'on peut
appeler son élan vital. La vie n'est pas non plus un pur dynamisme pour autant,
pas plus qu'elle ne se réduit à
l'univers des signes ; c'est la combinaison d'un corps matériel
et d'une âme qui l'anime. Ce qui
définit le mieux le processus vital, c'est la boucle de
rétroaction qui
associe un mouvement auto-entretenu (rétroaction positive)
à l'information qui le
contrôle (rétroaction négative), action
d'exploration et d'intégration, sorte
"d'énergie psychique" constituant la vie elle-même comme
intériorisation de l'extériorité, transduction
à travers une membrane de l'information sur son milieu. Le monde
de la physique et de l'énergie, de l'entropie et de
"l'auto-organisation", est un monde de mort traversé
d'éclairs fugaces, monde aveugle et silencieux. Redonner toute
sa place à l'information, c'est
redonner vie au monde, lui donner sens et l'orienter, le projeter dans
l'avenir ; saut cognitif qui n'est pas encore accompli, loin de
là, mais qui est celui de l'écologie-politique.
L'énergie
en tant que force matérielle s'oppose à l'information
comme la chose au signe qui la représente, mais
l'énergie thermodynamique c'est aussi l'entropie.
On sait
que le premier principe de la thermodynamique est la conservation de
l'énergie dans ses transformations mêmes (c'est le
principe de Lavoisier : "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout
se transforme"). Le second principe qui fait
de la dégradation de l'énergie une loi universelle ne
parle pas d'énergie dans le même sens. L'énergie
étant conservée, ce qui se dégrade c'est
"l'énergie utilisable" qui se disperse en chaleur. Quand on
parle
d'énergie, c'est en ce sens d'énergie utilisable qu'on en
parle ordinairement. Il
faut remarquer cependant que l'entropie n'est pas seulement une perte
d'énergie, c'est l'entropie elle-même qui rend
l'énergie utilisable puisque c'est sa force de dispersion qui
permet de
la transformer en travail une fois canalisée. Toute
énergie est
donc entropique, sa force est dans la pente qui va d'une contrainte de
départ à la libération d'un flux qui rejoint son
état le plus probable. Toute énergie est une
réserve d'entropie.
L'information s'oppose à l'énergie entropique dans un
tout autre sens que l'opposition du symbole à la matérialité physique,
car la fonction vitale de l'information est très
précisément de s'opposer à l'entropie : sa fonction
est néguentropique (ce
qui était pour
Schrödinger dès 1944, dans "Qu'est-ce que la
vie?", la caractéristique du vivant). Plus
précisément, la vie utilise
l'énergie entropique pour échapper à l'entropie
grâce à l'information et profiter des opportunités,
éviter les dangers, réparer les
dégâts, se reproduire. Ce n'est pas simplement un
déversement d'entropie, ou d'organisation, de l'extérieur
vers l'intérieur ; le résultat est beaucoup plus
incertain, de passer
par la rencontre de l'information circulante (message, perception) avec
l'information structurante (mémoire, organisme) et la
réaction qui en répond. On peut dépenser son
énergie en pure perte, un travail peut être improductif, un combat perdu...
Le rôle anti-entropique
de l'information est mal compris mais s'est imposé depuis
longtemps dès lors que l'entropie se définit par la
tendance vers l'état de plus grande probabilité alors que
la valeur de l'information est dans son improbabilité, signal
qui se détache d'un bruit de fond indistinct et fait événement. C'est un fait
reconnu au moins depuis la formule de Shannon, la quantité
d'information d'un message représente exactement l'inverse de
son entropie. Le fait que
l'information soit le contraire de l'entropie est à mettre en relation avec sa fonction
vitale de lutte contre l'entropie à
travers régulations, reproduction, croissance et
développement. De ce point de vue, l'information
s'oppose à l'entropie (ou l'énergie) comme l'actif
au passif, l'objectif
à la cause, le futur au passé. On ne peut séparer
la vie de l'information et de son effort pour persister dans
l'être malgré ce temps qui nous fuit et réduit tout
en cendres. "La vie est la
nostalgie de l'unité déchirée par la contingence
de
l'être" (L'improbable miracle d'exister).
Ecologie et cybernétique
On
a vu ce qui différenciait l'information et l'énergie
ainsi que ce qui l'opposait à l'entropie, on a vu le rôle
de l'information dans les boucles de régulation et la
reproduction du vivant, mais revenons à
l'écologie-politique. Ce qui différencie politiquement une
écologie énergétique d'une écologie
informationnelle c'est que pour l'énergie il suffit d'une "décroissance"
de la consommation, une réduction quantitative, alors que du
point de vue de l'information ce qui compte c'est la qualité de
la vie, le
développement humain qui peut donner sens à cette
décroissance, même s'il est plus difficile de s'accorder
sur un objectif qualitatif, un changement de direction plutôt
qu'un simple ralentissement. L'écologie
énergétique (Odum) ou entropique (Georgescu-Roegen)
verse facilement dans la "technocratie" et des tentations
autoritaires alors que l'écologie informationnelle est
basée sur l'autonomie et les boucles de rétroaction, la
participation et le dialogue, la force n'y a pas le dernier mot.
La cybernétique s'est constituée à partir des boucles de rétroaction (feedback, causalité circulaire, mécanismes téléologiques), débouchant sur la direction par objectif
et la mise en place de régulations permettant de "corriger le
tir". Le thermostat en est l'illustration la plus simple : l'objectif
est fixé sur la température voulue et le thermostat se
régule sur l'écart avec la température
mesurée. Ce dispositif trivial est le principe même de
toute réflexion où l'effet devient cause. La
cybernétique se voulait science du
gouvernement, l'art du pilotage étant d'atteindre ses objectifs en
redressant la barre, en ajustant l'action sur ses
résultats. Elle s'est attirée de nombreuses
critiques, trop souvent justifiées, mais on ne peut ignorer pour
autant le
mécanisme de la boucle de rétroaction par lequel la
finalité s'introduit dans la chaîne des causes (la finalité n'a de sens qu'à guider l'action). D'une
certaine façon, on peut dire que l'écologie-politique est
l'héritière à la fois de la cybernétique et
de ses critiques, refusant le point de vue
extérieur fonctionnaliste, point de vue du pouvoir, au profit
d'une subjectivité vivante, déchirée et créatrice capable de reconnaître ses erreurs.
Il faut retenir de la cybernétique au moins la liaison entre information
et finalités, le fait qu'il faut poser un objectif pour
l'atteindre, contrairement aux théories
néo-libérales de l'auto-organisation, nouvelle version du
"laisser faire" et de la "main invisible" d'une providence inexistante
! Vivre, c'est réagir, pas se laisser faire ! Il faut donc retenir aussi la nécessité vitale des régulations,
de s'opposer à la dégradation des choses. Il y a une
filiation entre la cybernétique, la théorie
des systèmes qui l'a suivie, et l'écologie,
débouchant sur la notion d'écosystèmes, même
si le terme est antérieur. Ainsi, la valorisation de la
biodiversité
trouve, pour une bonne part, sa justification dans la loi de la
"variété requise" de Ashby. Le souci
écologique et la critique de la technique ont
d'ailleurs été présents dès les
débuts de la
cybernétique. Mais ce qui distingue radicalement
l'écologie-politique d'un écosystème, c'est la
réintégration de la finalité dans
l'écosystème, le contrôle du milieu, alors qu'un
écosystème n'étant pas un organisme ne comporte
aucune régulation globale ni réflexivité. C'est un
système imparfait, ce n'est pas un organisme. Les
régulations écologiques
manquent cruellement, c'est pour cela qu'il faut les créer sans
plus croire aveuglément aux bienfaits d'un progrès qui se
fait sans nous et souvent contre nous. Il ne s'agit pas de
laisser-faire des soi-disant lois de la nature qu'on a au moins
très fortement perturbées. Cette prise de conscience
écologiste des risques du progrès c'est ce qu'on appelle la post-modernité ou la
modernité réflexive (U. Beck).
Autonomie ou hétéronomie
L'écologie-politique est donc liée à l'information
plus qu'à l'énergie et de toutes sortes de façons.
De par son concept originel de logique du vivant ainsi que par le
rôle crucial de l'information dans les processus biologiques tout
autant que par son inscription dans l'ère de l'information
à la suite de la théorie des systèmes.
Historiquement l'écologie procède des informations sur le
négatif de notre industrie, de la
nécessité de régulations écologiques et des
possibilités de traitement de l'information pour y
répondre. Economiquement, l'écologie-politique est
liée à l'ère de l'information en ce qu'elle permet
la réorientation de la production vers l'immatériel et le
développement humain.
Enfin, politiquement, l'écologie
constitue l'alternative au libéralisme comme aux divers
totalitarismes par une conception de l'organisation basée sur des finalités collectives,
l'autonomie des acteurs et la circulation de l'information. Alors que
le socialisme restait attaché à une répartition
quantitative des biens, la centralisation du pouvoir et la contrainte,
l'écologie-politique plus attentive au
qualitatif et aux échanges (d'information) privilégiera
la convivialité, la décentralisation, les relations
sociales et la qualité de
la vie.
L'ère de l'énergie, de la rareté et de la force de travail se manifeste
par la violence de la domination et de l'appropriation, ne connaissant d'autre argument que
la contrainte physique et la compétition. L'ère de
l'information privilégie au contraire l'autonomie,
la
motivation et la coopération. Avec l'information, le sujet se
décide de lui-même conformément au but commun, sans
qu'on ait besoin de le contraindre mais seulement de le motiver par des
boucles de rétroaction positives ou négatives. Cela ne
supprime pas
l'(auto-)exploitation qui peut même en être
renforcée, mais cela supprime du moins les violences physiques.
On passe des sociétés disciplinaires aux
sociétés de contrôle mais surtout d'une domination
extérieure à l'exigence d'autonomie de l'individu,
c'est-à-dire aussi d'intégration des contraintes sociales.
La
démocratie
elle-même change de sens, d'une
démocratie de masse, véritable dictature de la
majorité, à une démocratie des minorités
respectueuse des différences,
démocratie participative basée sur l'autonomie de
l'individu (les droits de l'homme) plus que sur une prétendue
volonté générale. Par certains aspects
l'écologie-politique peut sembler proche du libéralisme
dans cette valorisation de l'individu et de sa responsabilité,
mais l'individu n'y est plus exalté contre le groupe puisque la
valeur de son autonomie est d'abord dans sa capacité de
rétroaction et de participation à l'entreprise
collective. De cette
conception écologique de l'autonomie découle aussi la
forme réseau qui se substitue de plus en plus aux
hiérarchies pyramidales, sans les supprimer complètement
mais en optimisant les échanges d'informations, sur le
modèle des organismes vivants.
L'écologie-politique se révèle ainsi être une
forme de cognitivisme
intégrant la complexité et la
multiplicité des dimensions humaines et sociales, mais qui doit
aussi dépasser le cognitivisme au nom de nos finalités
humaines et de notre ignorance, refuser l'illusion d'un point de
vue extérieur ou d'une complétude du savoir et tenir
compte de notre part d'erreur et de folie, en particulier de nos
tentations dogmatiques ou totalitaires. L'écologie-politique est
un matérialisme, attentif aux pollutions comme aux limites
planétaires, mais du point de vue des organismes vivants et de
notre propre vie, c'est donc aussi essentiellement un subjectivisme.
L'écologie-politique n'est pas si naturelle qu'on le dit, c'est
bien plutôt la construction de régulations qui manquent,
en réaction aux destructions de nos bases naturelles.
L'écologie-politique est donc
essentiellement "constructiviste" et plus attachée à la
construction de liens (la communication, l'échange, la
coopération, la solidarité) qu'à un utilitarisme
fonctionnaliste ou une gestion technique des populations. C'est
l'individu vivant qui est sa finalité, la production de son
autonomie, et c'est la rétroaction de l'individu, son expression
qui est son fondement démocratique et autogestionnaire.
Du local au global et réciproquement
Qu'on soit bien d'accord, il ne s'agit pas de prétendre que l'écologie se
réduirait à l'information, pas plus que la vie ! Les
notions de circuits
et de flux reliant le local au global ne se
limitent pas à l'information. En particulier les notions de
cycle et de recyclage se réfèrent à des
phénomènes physiques comme la succession du jour et de la
nuit. Le vivant se caractérise bien par des circulations de
matière et d'énergie, mais aussi d'informations !
Reconnaître la fonction organisatrice des réseaux de
communication n'est pas ignorer les circuits matériels mais se
révèle décisif dans la compréhension des
régulations biologiques et des sociétés humaines
où c'est l'information et sa finalité qui font tenir le
tout et l'animent collectivement. La réalité est ancienne, à n'en pas douter,
mais pas la prise de conscience de son rôle effectif, ni les
"nouvelles technologies" dont nous disposons pour y faire face et qui perturbent nos communications. Il y a une totale
rupture avec les conceptions antérieures, rupture dont il
faudrait prendre toute la mesure.
Tout ceci peut paraître excessivement théorique et
pourtant les conséquences en sont immédiatement
pratiques, en premier lieu par la critique du libéralisme et la nécessité d'expliciter
nos finalités sociales mais aussi, tout simplement, pour savoir quoi faire (comme dit Marx, "La question de l'attribution à la pensée humaine d'une
vérité objective n'est pas une question de théorie,
mais une question pratique."). Ainsi, l'interprétation de notre crise sociale comme la conséquence d'un capitalisme financier
dérégulé rate la profondeur des transformations de
la logique même du capitalisme informationnel, d'une
économie de la demande en temps réel où l'on est
passé de la force de travail à la résolution de
problèmes, de la rareté des marchandises à la
surproduction d'informations. Ce n'est plus tant l'intensification du
travail qui crée du profit que la pertinence de l'information et
le temps de réponse.
Ne pas prendre en compte ce complet renversement de situation ne permet
pas d'y adapter de nouvelles protections sociales, de nouveaux modes de
valorisation, d'indispensables nouveaux rapports de production, dans l'illusion qu'il
suffirait d'une meilleure régulation financière ou d'un
retour en arrière, sans avoir besoin de s'accorder sur un projet
de société, sur la vie que nous voulons et nos
responsabilités écologiques !
L'écologie-politique
est inséparable d'une analyse
systémique de la grave crise que nous connaissons, elle ne se
réduit pas à l'environnementalisme ni aux corrections
à la marge car elle doit remonter aux
causes sociales et technologiques. A ce titre, il faut
reconnaître la place que
l'information a prise dans notre monde, jusqu'à provoquer un
véritable "changement d'ère" (comme l'a souligné
Jacques Robin dès 1989 dans son livre "Changer d'ère"). Cet aspect n'est
pas aussi
conjoncturel qu'on pourrait le penser car l'écologie-politique
comme pensée
globale est entièrement solidaire de cette globalisation
des communications. Du moins, elle doit y opposer un
projet
politique à hauteur des enjeux planétaires de ce nouveau
millénaire afin de préserver notre avenir commun.
Alternative au productivisme et développement humain
Le dévoiement
du terme de développement durable
sert à
couvrir une croissance purement marchande qui est insoutenable énergétiquement
et matériellement, multipliant les pollutions et bouleversant dangereusement le climat. Pourtant un développement
écologique sans croissance quantitative
est bel et bien possible comme processus de complexification,
de spécialisation et d'optimisation de ressources
(économie d'énergie, réduction
de l'entropie grâce au traitement de l'information).
Ce n'est pas autre chose qu'un développement local et humain. Si
on doit se soucier des générations futures, on ne peut
négliger les générations actuelles ! Il faut d'ailleurs souligner que c'est la nature des nouvelles
forces
productives qui fait du
développement humain une priorité économique, pour
des raisons d'efficacité plus que de morale. Cela
n'empêche pas le développement humain exigé par l'économie de l'information d'être
à la fois une des seules finalités possibles d'une
communauté humaine et ce que doit viser l'écologie au niveau planétaire. Il y a une totale
solidarité entre l'ère de l'information, l'écologie et le
développement humain, l'un appelant les deux autres.
Il ne suffira pas de réformer aux marges le système
actuel, il faut construire dès maintenant de nouvelles
structures de production avec de
nouvelles protections sociales en relocalisant
l'économie (coopératives municipales, monnaies locales,
revenu garanti). Il faut s'adapter à la "nouvelle donne", aux
nouvelles forces productives de
l'ère de l'information, mais
surtout tirer parti des chances qu'elle nous apporte et faire face aux
responsabilités
qu'elle nous donne, en s'engageant dans un développement humain
qui préserve notre planète, pour nous et les générations futures...
Changer la vie (finalités humaines et projet collectif)
Prendre conscience de notre
entrée dans l'ère de l'information ne signifie aucunement
vouloir embellir la situation et s'en faire le spectateur enthousiaste,
c'est bien plutôt vouloir prendre en main notre destin, assumer
notre responsabilité collective, corriger le tir, surmonter nos échecs.
Ce n'est pas parce que, à
l'opposée des tentations d'un impossible retour en
arrière, il nous faudra bien tirer parti de la nouvelle
logique coopérative des réseaux, nous adapter au
passage à l'immatériel, construire une
démocratie cognitive et des régulations
écologiques, qu'il faudrait tomber pour cela dans une
quelconque technophilie. Rien ne se fera tout seul, ce qui se fera sans
nous
se fera contre nous.
Il n'y a pas de déterminisme technologique,
seulement
de nouvelles possibilités que nous pouvons transformer
en opportunités
mais qui peuvent aussi bien se retourner contre nous, détruire
de fragiles équilibres. C'est à nous de savoir tirer
parti
des nouvelles potentialités de régulation, de
coopération
et de développement humain ouvertes par les technologies
informationnelles, ainsi que de lutter contre
leurs côtés pervers (précarité,
flexibilité,
temps réel, dictature du court terme, fracture numérique,
insignifiance).
Seulement, pour construire un monde plus humain et
s'adapter à ses transformations, il faut d'abord
l'interpréter correctement, essayer d'en comprendre la nouvelle
logique. Ce n'est pas immédiat et pour cela on a besoin de disposer d'indicateurs qualitatifs au côté
du PIB ainsi que
de l'introduction de nouveaux moyens d'échange des richesses
matérielles et intellectuelles (en particulier des monnaies locales) constituant des systèmes d'information
indispensables à cette nouvelle économie du
développement local et humain constituée de services et
de biens immatériels.
Nous avons besoin de toutes ces informations pour résoudre
ensemble les problèmes collectifs, nous organiser, construire un projet
politique
qui nous rassemble dans nos diversités et
permette un véritable développement humain. L'enjeu, on
le voit, est considérable face à une mondialisation
libérale qu'on sait insoutenable. C'est le retour
aux lumières de la raison et du dialogue politique, mais
délestées de l'idéologie du progrès
: passage de l'histoire subie à l'histoire conçue,
de l'irresponsabilité collective au souci des conséquences
de nos actes et de notre industrie, investissement dans l'avenir afin de rendre notre monde
plus durable, donner sens à notre existence et forme à
l'humanité à venir.
Prendre conscience de l'importance
de l'information apparaît bien crucial pour l'écologie ou les
régulations
politiques, à tous les niveaux, au-delà des questions
énergétiques ou des ressources matérielles. C'est
notre entrée dans l'ère de l'information, du
numérique et des réseaux depuis la fin des années
1970 qui donne toute la mesure de la
nécessité d'une
écologie-politique pour le XXIème siècle, de la
construction d'une démocratie cognitive alliant autonomie et
communication, diversité et convivialité,
développement humain et décroissance matérielle,
qualité de la vie et préservation de l'avenir, toutes
choses qui dépendent de l'information et d'une action
publique décidée qui se règle sur ses
résultats.
C'est notre responsabilité historique.
Tout
phénomène laissé à lui-même
va à sa perte selon les lois de l'entropie universelle.
C'est ce monde imparfait et fragile qui est entre nos mains et
auquel nous devons redonner sens. Il faudra bien se donner un but pour
avoir une chance de l'atteindre. Pas moyen d'éviter de
nous prononcer sur nos finalités humaines, de nous
accorder sur une vision collective de notre avenir commun. Il faut
comprendre le monde
avant de le changer, manifester notre liberté vivante en
le sauvant de sa destruction et le rendre plus durable afin de
continuer l'aventure humaine.
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