Il semble qu'on assiste à un décalage grandissant entre les discours et une réalité prenant, sans qu'on s'en soit aperçu, le contrepied de la situation précédente. Les récents plans de sauvetage de l'économie témoignent en effet par leur ampleur du fait que nous serions entrés, depuis la crise de 2008, dans une phase économique à l'antithèse du néolibéralisme précédent, celle d'une économie administrée par les banques centrales et d'un ordre mondial interconnecté devenu too big to fail. Alors même que la pandémie a fermé temporairement les frontières, faisant croire à un retour des nations souveraines, c'est au contraire la solidarité et la coopération économique qui devraient en sortir renforcées ?
La question n'est pas tant que la Chine devienne plus puissante que les Etats-Unis, prenant leur place hégémonique, mais que nous voilà obligés de reconnaître que nous sommes tous sur la même planète et ne pouvons nous passer de la bonne santé de nos partenaires étrangers. La crise de 2008 aura été la dernière conséquence de l'idéologie libérale d'une juste sanction par les marchés éliminant les entreprises qui le méritent, ce qui s'est révélé pas du tout raisonnable quand on s'attaque à un trop gros morceau, fragilisant tout le système économique mondial. C'est pourquoi, depuis, les Banques Centrales (Europe, Chine, USA) ont pris les choses en main de façons plus ou moins coordonnées, "whatever it takes" (comme l'avait martelé Mario Draghi). On pouvait croire que c'était exceptionnel, la suite démontre que non avec les milliards qui continuent à se déverser dans l'économie pour la sauver, quoiqu'il en coûte !
Pas sûr que cela suffise, une inflation galopante ou les tensions internationales pourraient en annuler les bienfaits. Il y a de quoi cependant nous faire entrer dans une toute autre économie, bien que cela ne se fera pas sans heurts, qu'on puisse connaître toutes sortes de dysfonctionnements et conflits qui nous ramènent brutalement en arrière quelque temps. Ce sont des processus lourds et à long terme qui rencontrent des oppositions et des tendances contraires. En tout cas, on fait bien tout, à l'heure actuelle, pour sauver des entreprises, ce qui implique aussi un certain protectionnisme voire des velléités de relocalisation, au lieu d'encourager comme avant une concurrence non faussée et les destructions créatrices qui faisaient toute la dynamique capitaliste. Pas de quoi arrêter la mondialisation pour autant, tout au plus lui faire faire une pause dans son emballement précédent, renforçant là aussi sa stabilité. D'un côté, cela signifie que rien ne va changer, qu'il n'y aura pas de monde d'après rêvé, mais de l'autre, en fait, cela changerait tout et nous ferait entrer dans une économie qui n'est ni auto-régulée, ni politisée, mais bien administrée au niveau global au moins, sous la pression de risques systémiques ne supportant pas de contestation. Par contagion, cela devrait généraliser une nouvelle façon de comptabiliser le rapport coût/avantages des activités économiques en y intégrant les conséquences écologiques et sociales qui en font des activités protégées ou non.
La chose n'est certes pas tout-à-fait assurée mais vaut d'y penser car il n'y a pas de raison que les enjeux climatiques ne puissent justifier, à l'instar de la pandémie actuelle, de telles mesures d'envergure, la pression du réchauffement devenant de plus en plus sensible avec le temps. C'est du moins une perspective entièrement inédite, ne résultant pas d'un choix mais de la nécessité - et la possibilité - de se soustraire à un effondrement de l'économie mondiale toujours possible et menaçant, puissance effective qui s'impose pratiquement et qu'il faudra donc prendre en compte sérieusement même si cette sorte de gouvernance mondiale va à rebours de l'ambiance générale et de la nouvelle mode d'un souverainisme autoritaire ou d'un démocratisme fantasmé.
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