Le retournement du cycle

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L'existence de cycles ne fait aucun doute malgré tous ceux qui le dénient mais les étudier ne permet pas pour autant de faire des prédictions certaines tant leur durée peut être variable et les conditions extérieures différentes (ou la position dans les autres cycles). Nous ne sommes pas dans l'éternel retour du même car le temps linéaire continue, notamment du progrès des sciences et techniques mais il n'y a pas qu'une histoire cumulative, il y a aussi des renversements dialectiques qui se produisent avec une relative régularité aussi bien en politique, dans la mode ou les idées qu'en économie. Justement, l'intérêt d'en reconnaître le caractère cyclique est en premier lieu de ne pas considérer toute tendance actuelle comme définitive mais comme un moment transitoire du cycle.

Ainsi, les analogies de notre crise avec celle qui a suivi 1929 sont assez frappantes pour devoir admettre que les mêmes causes ont les mêmes effets, donnant un aperçu de la suite malgré toutes les différences - c'est très loin d'être aussi dramatique pour l'instant mais on n'est même pas à l'abri d'un conflit nucléaire si les tensions devaient monter ! Evidemment, on s'intéressera d'autant plus aux cycles qu'on espère sortir d'une époque régressive. Lorsque nos idées progressent, on s'imagine facilement que ce sera pour toujours tant il est difficile d'admettre que nos évidences puissent n'être que momentanées mais quand tout va au pire, attendre que le cycle se retourne pour retrouver l'espoir mène sans aucun doute à voir un retournement à tous les coins de rue. Tout de même, les signes ne manquent pas qu'on soit, depuis 2008 au moins, dans un tel moment de bascule avec une montée des protectionnismes, une relative démondialisation et une possible reprise de l'inflation. Il n'est pas sûr par contre que ce soit une si bonne nouvelle pouvant annoncer dans l'immédiat une période encore plus régressive et quelques catastrophes à venir - avant de sortir du cauchemar ?

On croyait avoir évité le protectionnisme qui avait aggravé la crise des années trente mais le mouvement dans le sens d'une démondialisation (certes pas au même niveau) n'a fait que s'amplifier bien avant le Brexit et l'élection de Trump qui ne font ainsi que confirmer la nouvelle tendance. Le populisme surfe sur cette vague qui serait un moment nécessaire du cycle avec toutes les menaces qu'il porte. En tout cas, il y avait eu un effondrement des flux de capitaux transfrontaliers, passant de 16% du P.I.B. mondial en 2007 à 1.6% aujourd'hui ! Plus significatif encore, le déclin du commerce mondial se poursuit malgré le retour de la croissance (faible).

« L'effondrement du commerce mondial est déjà là depuis 2012. Depuis cinq années d'affilée, la croissance des volumes d'échanges mondiaux a été inférieure à la croissance du PIB mondial, alors que le commerce mondial avait connu une croissance explosive au cours des trente dernières années. Cette chute est sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. La démondialisation a déjà commencé, avant même la présidence Trump ».

L'administration Obama était déjà championne des mesures protectionnistes juste derrière l'Inde. Le pire, qui montre bien qu'on a changé de période, c'est que les pays d'Amérique du sud qui se convertissent à contre-temps au libéralisme (Brésil, Argentine, Pérou) ne peuvent qu'échouer alors que ceux qui appliquent des politiques protectionnistes s'en sortent mieux désormais. Sans doute, l'avantage du protectionnisme est d'autant plus fort qu'il est dissymétrique, ses effets étant beaucoup plus négatifs s'il est généralisé. Pour l'instant, cela reste marginal et il est douteux qu'on puisse aller beaucoup plus loin mais on a bien une pause dans la mondialisation au moins, la question étant de savoir si cela sera durable et combien de temps (10 ans ? 30 ans ?). Il y a de bonnes raisons écologiques de souhaiter que cela dure et la fabrication numérisée rapproche la production du consommateur mais les réseaux globalisés vont dans l'autre sens.

La question n'est pas celle du protectionnisme, qui est souhaitable autant qu'il est possible, jusqu'au localisme, mais que ce retour du protectionnisme et de l'Etat semble indissociable d'un retour du nationalisme, de la xénophobie et de politiques autoritaires - sinon de la guerre ? Pendant combien de temps devrons nous subir ces résurgences avant qu'elles ne se brisent sur les réalités de la nouvelle économie et son exigence d'autonomie ? Verrons-nous alors une relance des organisations internationales, de la construction de l'Etat universel et d'une pacification qui a déjà réduit comme jamais les guerres dans le monde ?

L'autre retournement qui lui commence à peine et demande confirmation, c'est l'apparent retour de l'inflation qui s'est fait attendre longtemps. Il faut rester prudent car on en est encore à des taux négatifs, aberration telle que la lutte contre la déflation prend le pas sur la lutte contre l'inflation qui nous a valu les "30 piteuses" (qui sont plutôt 40). En tout cas, les taux longs remontent (très raisonnablement encore), notamment à cause de la perspective d'un plus grand protectionnisme. C'est important pour deux raisons. D'abord parce que cela pourrait précipiter un krach de la dette des Etats qui profitaient de taux presque nuls et ne pourront financer l'augmentation de la charge. C'est important aussi à plus long terme parce que les cycles de Kondratieff sont des cycles d'inflation/déflation, les périodes d'inflation et de croissance étant bien plus favorables que les périodes déflationnistes et dépressives. Certes, cela dépend des mobilisations salariales car l'inflation réduit au début le pouvoir d'achat mais comme tout le monde est concerné, il est plus facile de mobiliser pour obtenir une indexation des revenus sur l'inflation. Dès lors, l'inflation favorise les actifs plus que les rentiers et réduit les inégalités (comme pendant les "30 glorieuses"). Pour cela aussi un niveau élevé de protectionnisme est nécessaire, il n'est pas sûr que ce soit viable.

On n'y est pas encore et ces projections dans le futur qui s'appuient sur le passé restent très spéculatives et peuvent être contredites par les faits. L'incertitude de l'avenir est au plus haut mais ces moments de retournement nous rappellent qu'on ne bâtit pas pour les siècles à venir, que notre horizon est limité à quelques dizaines d'années tout au plus et que, ce qu'on fait sera défait plus tard pour peut-être se reconstruire autrement...

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