Retour à la normale

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On n'en est certes pas encore à un retour à la normale qui devrait être très progressif mais beaucoup s'imaginent que cela n'arrivera pas, soit que l'état d'exception durera toujours, soit qu'on verrait la fin du capitalisme, du néolibéralisme, de la mondialisation, du productivisme. Devant le désastre, on nous appelle de toutes part à repenser le monde, comme si le monde dépendait de nos pensées alors que c'est plutôt le monde qui nous pense, pourrait-on dire, et nous oblige à réagir en bousculant nos sociétés et nos habitudes. Même des économistes parmi les plus conformistes tombent dans le panneau, comme au moment de la crise de 2008... On a vu la suite. Evidemment, il y aura des changements importants dans quelques secteurs, sans doute une relocalisation de productions vitales voire, espérons-le, une relance des protections sociales mais cela devrait rester assez modéré et s'épuisant d'années en années. Par contre, la reconfiguration économique autour du numérique devrait s'accélérer car, loin d'être un "choix de société", c'est un mouvement irrésistible déjà bien entamé.

Ce que la pandémie actuelle devrait nous enseigner, en effet, c'est qu'on ne fait que répondre à l'urgence. S'il y aura un retour à la normale, ce n'est pas parce que nous approuverions le système actuel, mais parce que nous en dépendons, que ce sont des puissances matérielles qui sont à l'oeuvre et que nous subissons, de même que nous subissons épidémies, guerres et crises économiques. Le normal, c'est le réel, jamais l'utopie rêvée. Au lieu de se croire les maîtres de l'univers ou de la nature, il faut se résoudre à n'être que le produit de notre milieu aussi bien matériellement, biologiquement, techniquement, historiquement, socialement. C'est la véritable philosophie écologique qui nous enjoint de réagir en faisant le nécessaire, loin de l'idéal. On peut bien dire que le réel est rationnel, puisqu'il suit ses lois, il est néanmoins absurde malgré tout d'affirmer que le rationnel serait réel, tant s'en faut, le nécessaire se heurtant souvent à l'impossible. Vouloir l'ignorer obstinément dans la négation de l'existant ne fait que mener au pire.

Au lieu d'un volontarisme autoritaire prétendant soumettre le réel à ses raisons, nous avons besoin d'une pensée stratégique qui colle au terrain pour saisir les opportunités qui s'ouvrent et se protéger des nouveaux risques. Pas d'illusions, il y aura un retour à la normale avec les mêmes inégalités, injustices, pollutions. Tout ce qu'on peut faire, c'est s'appuyer au plus vite sur le traumatisme de l'événement et la nouvelle prise de conscience de l'unité du genre humain afin d'obtenir les mesures les plus radicales possibles pour diminuer les inégalités, les injustices, les pollutions, améliorer nos protections écologiques et sociales, relocaliser notre économie (au niveau local plus que national). Cela demande à la fois une réaction forte et des objectifs réalistes bien ciblés afin d'arracher des mesures immédiates viables, comme la sécurité sociale au sortir de la guerre quand d'autres attendaient la révolution en vain. L'extrémisme est ici un obstacle presque aussi grand que les intérêts financiers qui s'y opposent en y mettant les moyens. On peut toujours faire le malin en exigeant toujours plus, mais un tien vaut mieux que deux tu l'auras quand on sort d'une situation exceptionnelle. On a d'autant plus besoin dans ce moment crucial de prudence, de modération, de stratégie, de réalisme et de réactivité.

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