Etat d’urgence

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Certains, comme Agamben, se ridiculisent en assimilant l'état d'urgence sanitaire actuel à l'état d'exception de Carl Schmitt et un déchaînement de l'arbitraire du pouvoir. Sa nécessité est niée pour une pandémie dont la dangerosité ne justifierait pas des mesures si radicales alors qu'elles s'imposent par la rapidité de la contagion et la saturation des hôpitaux qui s'ensuit. On n'est pas loin des théories du complot absurdes pour lesquelles le pouvoir étant l'incarnation du mal, il ne peut rien faire de bon. Il n'y a pas que l'extrême-droite qui délire, au lieu de relever justement la radicalité du moment et l'effraction de l'événement dans notre quotidien.

L'enseignement est tout autre en effet qu'il y aurait à tirer de cette période inédite de pandémie fulgurante, mais qui devrait se répéter à l'avenir dans un monde surpeuplé aux transports globalisés. D'abord sans doute qu'il faut remédier à l'insuffisance de nos moyens médicaux pour faire face à des crises de cette ampleur, et bien sûr relocaliser des productions vitales (médicaments, nourriture, énergie), mais, surtout, ce que confirme le caractère exceptionnel des mesures prises, c'est qu'on n'agit vraiment que dans l'urgence. On ne peut engager des moyens exceptionnels que devant un risque systémique immédiat comme une déclaration de guerre. Il ne s'agit pas du tout d'une "stratégie du choc" machiavélique profitant du chaos pour consolider la domination et accroître l'exploitation. Il s'agit simplement qu'on ne peut prendre des mesures extraordinaires que dans des circonstances extraordinaires.

C'est pour cela que je suis convaincu depuis longtemps qu'il faudra des catastrophes écologiques pour que soient prises des mesures écologiques de grande ampleur mais qu'on ne restera pas les bras croisés en attendant le pire. Il ne faut donc pas désespérer de l'insuffisance actuelle de la transition écologique comme si on était condamné pour toujours à l'inaction. Tout n'est pas perdu, il finira bien par y avoir des réactions à la hauteur des risques (des milliers de milliards de dollars s'il le faut), notamment dans la transition énergétique et la capture du CO2 ou la préservation des milieux (forêts, sols). On peut certes déplorer gravement que ce soit la catastrophe qui nous sauvera, il vaudrait mieux évidemment éviter les catastrophes, mais c'est ainsi, on ne se protège que de la dernière catastrophe comme de la dernière guerre, et encore, l'effort s'épuise avec le temps.

La bonne stratégie serait donc d'essayer d'accélérer les réformes justifiées par la crise pour éviter qu'elle ne se répète. Effectivement, on peut craindre malgré tout que l'état d'urgence devienne moins exceptionnel à l'avenir, mais mieux organisé sans doute, il faudrait prendre ainsi notre actualité plutôt comme une répétition générale (improvisée et qui n'est pas viable en l'état dans la durée).

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