La catastrophe est politique

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Dieu qu'on est con (et c'est peu de le dire) ! Au moins, tout le monde le voit désormais et l'on ne pourra plus raconter qu'on ne savait pas quand on voit le succès d'un Donald Trump comme de tous les populistes et démagogues en Europe. Bien sûr, il faudrait une politique plus favorable aux pauvres et aux travailleurs, mais il ne suffit pas de le revendiquer pour ne pas faire pire. Il y a bizarrement l'idée qu'on avait sans doute été très cons dans le passé mais que maintenant, c'est fini, qu'on ne nous la fait plus car on est un peu plus éduqués (alors que les Allemands étaient le peuple le plus éduqué justement!). La même confiance en l'humanité était au plus haut peu de temps avant l'engrenage menant au déclenchement de la guerre de 1914-18, la clairvoyance des peuples est vraiment à mettre en doute.

Les nouvelles sont très très mauvaises, pas la peine de le nier. Certes, le pire n'est jamais sûr mais les menaces s'amoncellent. On a évité in extremis un président autrichien d'extrême-droite. Pas de quoi se rassurer d'une victoire aussi courte alors que la demande d'autorité s'intensifie pour nous protéger des évolutions du monde, des migrants et des terroristes, le musulman remplaçant le juif pour nous unir dans la même haine. Là-dessus, la sortie de la Grande-Bretagne de l'Europe, que je trouverais plutôt souhaitable, risque dans ce contexte de renforcer encore les nationalismes, fragilisant l'Europe (sans aller jusqu'à la fin de la civilisation occidentale comme le craint l'autre Donald, Tusk). Nous entrons incontestablement dans une période troublée.

Il n'y a vraiment rien qui va dans notre sens et plutôt d'une gauche en voie de disparition au contraire, rivalisant elle aussi dans la connerie. On se pince à voir qu'il y en a qui s'imaginent que Mélenchon en sauveur suprême pourrait gagner la présidentielle ! Qu'il puisse passer devant Hollande, aucun doute, mais ce sont là des rivalités d'arrière-cour. Ajoutez-ci les Verts en déconfiture appelant un Monsieur Hulot de la politique (d'autres y voient un Thomas Piketty, preuve qu'il n'y a personne), on a la totale ! Chacun avec ses oeillères et une absence de toute stratégie crédible, cultivant la division au nom de l'unité et précipitant ainsi la défaite annoncée, avec des militants qui voudront y croire jusqu'à la dernière minute (car il n'y a que la foi qui sauve et il n'a jamais manqué de croyants) ! Il y a intérêt à ce que la droite multiplie elle aussi ses candidats - ce qui n'est plus complètement improbable. Après tout, il paraît qu'on a la droite la plus bête du monde ! Il ne faut quand même pas trop y compter et se faire des illusions. De toutes façons, on va déguster dans les années qui viennent. Il faudra revenir sur Terre, nous ne sommes pas majoritaires et pas moins bêtes que les autres face à des évolutions auxquelles on ne pourra se soustraire.

On peut dire qu'il y a ceux qui veulent se soustraire aux migrations et ceux qui veulent se soustraire aux évolutions économiques. Ce n'est donc pas un manque de démocratie, comme on voudrait s'en persuader, c'est plus grave, c'est le mauvais côté de la démocratie relevant de la psychologie des foules et des déclarations de guerre, à l'opposé de l'utopie rationnelle des Lumières. Tous les savoirs accumulés ne servent à rien dans la panique collective. Il y a une véritable religion de la démocratie qui lui prête des pouvoirs démesurés alors qu'en fait, il n'y a de pouvoir que sur les personnes. Pourquoi les choses ne pourraient pas être comme on le décide ? Hein ? Eh bien, parce que nous ne sommes pas tout seuls, que nous avons des engagement avec d'autres pays, que nous appartenons à des organisations internationales, que nous sommes intégrés au marché mondial et que, plus globalement, nous sommes des sociétés de droit et des démocraties plurielles, ce qui réduit dramatiquement nos degrés de liberté - tout comme au temps de l'Empire et de la paix romaine (car, la souveraineté, c'est la guerre). Colin Crouch décrit assez bien ce qu'il appelle une post-démocratie où les décisions se prennent à des niveaux supérieurs mais cela n'empêchera pas que les candidats prétendent le contraire à grands coups de menton. Une fois élu, ils feront ce qu'ils pourront...

En attendant qu'on s'enfonce dans la nuit, chacun voudra garder espoir dans la politique et pourtant, s'il est un autre domaine où la connerie humaine saute aux yeux, c'est l'absence de véritable réaction des Etats à la mesure du problème du climat malgré toutes les belles conférences internationales. Cette fois encore, la catastrophe est bien politique car ce ne sont plus les moyens techniques qui nous manquent (les progrès ont été considérables) mais seulement les moyens politiques. Ce n'est pas glorieux mais c'est comme ça, si l'on est sauvé du pire, ce ne sera pas grâce à la politique ni au militantisme écolo mais seulement grâce aux progrès techniques, notamment dans le photovoltaïque qui devient très compétitif. On apprend aussi qu'on pourrait solidifier assez facilement le CO2 dans du basalte ce qui laisse penser que la capture du CO2 aura un rôle pour limiter la catastrophe. Il n'est donc pas impossible qu'on arrive par la technique à compenser l'impuissance politique mais la connerie des écologistes là-dessus, c'est de considérer qu'à laisser croire ainsi à une porte de sortie, on encouragerait l'inaction (qui est un fait, hélas), de même que, lorsqu'on défendait le solaire contre ceux qui nous prédisaient une apocalypse pétrole, on se faisait copieusement injurier. Le constat de l'impuissance des politiques est consternant, mais on ne peut y couper (au moins après une vie de militantisme n'ayant servi à rien). Refuser des stratégies réalistes parce qu'on voudrait tout changer (sans que rien ne change) est effectivement un autre bel exemple de connerie contre-productive. Que le monde sombre plutôt que d'être un réformiste mou ! La catastrophe ne sera peut-être pas écologique (c'est pas gagné), sans qu'on y soit pour grand chose, mais il est certain qu'on aura beaucoup de mal à éviter la catastrophe politique.

Rien ne sert de le dire, sans doute, c'est bien ce qui est désespérant. Il y a des enjeux vitaux et prendre conscience de notre impuissance à y répondre serait bien le premier constat à faire. Il faudrait sonner l'alarme mais on ne peut s'imaginer pourtant que chacun, en prenant conscience, change de discours. La seule chose qu'on peut espérer, c'est que lorsque nous entrerons en résistance contre une droite autoritaire, au lieu de vouloir résister aux transformations du travail à l'ère du numérique, on pourra se replier sur le local où se passe réellement l'adaptation à l'accélération technologique, la transition énergétique et la préservation des équilibres écologiques. C'est là qu'il y a un monde à refaire et qu'on peut se réapproprier un pouvoir collectif, sans en attendre des miracles (on connaît nos voisins, le local est le contraire de l'utopie). Rien de bon à attendre en tout cas de la politique, engagée ces temps-ci dans une mauvaise passe régressive sans qu'on puisse y avoir prise, semble-t-il. C'est râpé pour plusieurs années au moins, même s'il y a bien sûr toujours la possibilité qu'un événement inattendu renverse la tendance, change la donne, comme une catastrophe de grande ampleur qui nous sauverait de la catastrophe politique...

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