Le dernier numéro de Sciences et Avenir consacré à la réfutation des différences entre hommes et femmes m'a paru tellement caricatural qu'il constitue une bonne illustration des dérives idéologiques de la science, aussi bien du côté sexiste que du politiquement correct constituant son pendant et qui n'ont tous deux rien à voir avec la science faussement invoquée dans un cas comme dans l'autre.
Une nouvelle étude qui établit tout au contraire que ces différences existent mais qu'elles ne sont que statistiques va nous permettre de faire le point sur la confusion entre nature et norme.
Que les choses soient bien claires, il est tout-à-fait évident que les femmes sont victimes de préjugés qu'il faut combattre et qu'il y a des études tendancieuses qui doivent être dénoncées mais pas plus que l'antiracisme ne doit mener à nier les différences génétiques, le féminisme ne peut tenir lieu de science. C'est pour ne pas en discréditer la portée critique qu'une critique de la critique s'impose, sans doute plus sur la forme que sur le fond.
Ainsi, la manipulation de la science s'annonce dès le titre : "La science face aux idées reçues", de quoi vous clouer le bec, surtout que tout le dossier sera fait avec un point de vue complètement unilatéral et partisan, en faisant croire à un nouveau consensus ("une rafale d'articles") alors que le dossier est construit autour d'une seule étude très contestable. On pourrait croire qu'une telle assurance vient d'une découverte majeure qui soudain permettrait de clore la question de façon indiscutable, car c'est bien ce qu'on revendique ici, que cela ne fasse même plus question. Or, ce qu'on découvre, c'est juste une étude critique des études antérieures qui en disqualifie les résultats et dénonce leurs biais idéologiques, nous enjoignant à les refouler pour des raisons largement idéologiques. C'est bien là qu'une critique de la critique est indispensable.
Le mécanisme est à chaque fois le même d'un aveuglement symétrique à celui du camp adverse, appuyant ses croyances sur les croyances les plus absurdes de la théorie contraire. On est un peu sidéré de voir quels sont les "clichés démontés", et avec quels arguments ! "Les filles préfèrent le rose", "les hommes sont monotâches", "les femmes ne savent pas lire les cartes routières", on voit le niveau, sans avoir peur de nier que l'attachement maternel puisse être naturel sous prétexte qu'il n'est pas toujours présent ! C'est la grande erreur de cette étude simplement statistique (des autres études) de ne pas prendre en compte le caractère statistique des propriétés biologiques.
Il y a effectivement un résultat qui semble bien établi maintenant, depuis que les femmes occupent toutes sortes de postes, c'est leur égalité de compétences et même souvent leur supériorité pour ce qui concerne "les fonctions cognitives telles que la mémoire, l'attention, le raisonnement" (p44). L'expérience a démontré aussi que les femmes au pouvoir n'étaient pas plus douces que les hommes. On avait vu au début du mois, qu'il y bien des grandes mathématiciennes et que donc, les femmes ne sont pas allergiques aux mathématiques. Voilà bien ce qu'il fallait affirmer haut et fort, pas qu'il n'y avait aucune différence !!! On a le même problème avec le nécessaire combat contre tout racisme. Bien sûr tous les hommes ont globalement des capacités équivalentes, ce qui n'empêche pas des caractères génétiques différenciés en fonction du lieu (oxygène, soleil, maladies, nourriture, etc.).
Langage, mémoire, raisonnement, perception, motricité… La majeure partie des études révèle des aptitudes globalement équivalentes chez les garçons et les filles. Et plus les échantillons analysés sont grands, plus les différences s’estompent : les variations entre les cerveaux d’individus du même sexe sont bien plus importantes que celles existants entre hommes et femmes !
Question mathématiques, des tests menés sur des millions de jeunes gens, aux Etats-Unis et à travers le monde, révèlent que les scores des filles sont directement reliés au degré d’émancipation et d’éducation des femmes dans les différents pays !
Jusque là, rien à dire mais les arguments utilisés sont souvent absurdes, purs arguments d'autorité. Ainsi, on nous dit que la différence sexuelle ne peut pas être précâblée car le cerveau est plastique, produit de l'interaction avec l'extérieur, comme si cela empêchait qu'il y ait dans le cerveau des fonctions différenciées, pré-câblées, comme l'hypothalamus par exemple. Ce qui est vrai, c'est qu'on peut toujours aller contre sa propre nature et développer n'importe quel talent en le travaillant. Rien que la différence de taille du cerveau entre homme et femme ne peut être simplement ignorée et considérée comme sans aucune conséquence même si ce n'est pas pour cela que l'homme est moins bête. Il ne s'agit pas de surévaluer les différences qui sont ténues, mais pas de les nier non plus en ramenant tout à des stéréotypes, bien que les stéréotypes existent aussi et sont très résistants. Le fait qu'il y ait plus de différences entre les individus qu'entre les sexes n'est pas un argument pertinent statistiquement, n'empêchant pas les différences au niveau des moyennes globales comme on le verra. On doit bien admettre au moins qu'il y a plus de schizophrènes et d'autistes chez les garçons (quoi qu'on va jusqu'à inventer des femmes autistes non détectées!). Il est comique de voir remis en cause (p55) rien moins que la psychologie évolutionniste, comme si on était né de nulle part et que la reproduction n'était pas au coeur du biologique. On n'est pas loin de conceptions purement religieuses. Le plus ridicule, c'est de vouloir minimiser les différences hormonales qui sont flagrantes. Il suffit de prendre de la testostérone pour voir son effet (voir Testo junkie de Beatriz Preciado), même s'il est variable effectivement selon les individus et les moments. Le constructivisme des théories du genre tombe dans l'idéalisme kantien à nier la part des corps dans leurs différences, y compris sexuelles. Pour réfuter des préjugés en grande partie sociaux, en effet, et liés à une division du travail sans doute caractéristique de notre espèce par rapport à Neandertal, on n'est pas obligé de devenir complètement idiot, ni de réfuter notre proximité des chimpanzés notamment, jusqu'à vouloir nier les différences de taille (p54) que Priscille Touraille impute à la sous-alimentation et au patriarcat !! On est très loin des sciences et plus proche de l'obscurantisme militant, d'une position critique faisant perdre paradoxalement tout jugement critique (tout ce qui va dans notre sens étant bon à prendre même le plus délirant).
Le livre de Lise Eliot à l'origine de ce dossier, "Cerveau rose, cerveau bleu" (!) avance au moins un argument très intéressant qui est le biais pour une étude de considérer comme résultat seulement une différence. Si le test ne permet de dégager aucune différence entre les sexes, c'est qu'il a échoué. Cela peut paraître pertinent mais peut-être pas au point d'annuler toutes les différences quand même et surtout contredit par le fait qu'elle prétend qu'elle n'a trouvé que 426 études (2,65%) établissant une différence entre sexes sur 16 089 articles (remarquez, c'est pas 16 090, ni 16 000). De même rejeter les études uniques non reproduites est de saine méthode mais quand on disqualifie ainsi des milliers d'études, ce n'est plus aussi innocent, cela devient un emballement de la critique. On ne sera pas étonné qu'il y ait un nombre incroyable d'études mal faites, voire bidonnées. C'est chose courante dans le médical comme dans la psychologie, mais cela ne suffit pas à tout réduire au conditionnement avec des explications aussi simplistes que celles des plus sexistes ou de ceux qui ramènent tout à la biologie et l'animalité.
Ce qui est intéressant surtout, cause de cet article, c'est le télescopage de ce numéro "négationniste" avec le titre d'un article de The Telegraph : "Les stéréotypes sexuels sont bien réels" qui donne peut-être la réponse, statistique, au caractère contradictoire de certaines études :
Les chercheurs ont utilisé une nouvelle méthode pour mesurer leur personnalité sur plus de 10 000 personnes des deux sexes. On a comparé les réponses des deux genres sexuels et on a remarqué de très grandes différences. Ces différences s'estompent si l'on compare trait par trait, séparément. Ce n'est pas le cas si l'on prend tout en compte. Les chercheurs pensent donc que ces différences ont été sous-estimées dans les anciennes études.
Le caractère statistique du biologique est fondamental, n'étant pas du tout de l'ordre de la norme sociale qui s'y superpose et la rigidifie en forçant le trait. Les différences entre les hommes et les femmes sont sûrement beaucoup plus hormonales que neurologiques mais elles sont incontestables à l'opposé de ce que prétend Sciences et Avenir, on ne nous fera pas prendre des vessies pour des lanternes. Au lieu du prétendu consensus sans réplique affiché par la revue, c'est presque tous les mois qu'il y a des études montrant ces différences plus ou moins subtiles (dans le développement du cerveau ou bien en fonction du cycle menstruel et des interactions sexuelles). Il faut une bonne dose de dogmatisme pour n'y voir qu'endoctrinement ou habitus mais, ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a aucun consensus, d'autres revues affirmant exactement le contraire. S'il faut se battre pour l'égalité homme femme, cela ne veut pas dire qu'il y aurait identité entre les sexes, le dimorphisme sexuel l'incarnant visiblement. Il ne peut y avoir d'égalité qu'en reconnaissant nos différences, qu'il ne faut pas surévaluer, sans confondre le biologique (probabiliste) et le normatif (stéréotypé), le fait et le droit.
Aussi bien intentionné soit-il le politiquement correct fonctionne comme refoulement de la simple réalité sous prétexte de sortir de la pensée dominante, ce qui ne peut qu'en affaiblir la pertinence et se perdre dans de faux débats. Ainsi, nier les différences sexuelles est purement idéologique alors que cela prend la forme d'une dénonciation de l'idéologie, affaiblissant du coup la nécessité de l'égalité entre les hommes et les femmes dans leurs différences. (Critique de la critique)
Ceci dit, on comprend bien à la fois la suspicion qu'on doit à tout biologisme nous traitant comme des animaux, de même que l'impatience des femmes à sortir d'une domination patriarcale pluri-millénaires. Les progrès ont été considérables, en très peu de temps (grâce à l'éducation, la machine à laver, la pilule, l'évolution du travail, etc.), mais il reste encore tant à faire, les inégalités devenant de plus en plus insupportables à mesure qu'elles perdent toute justification. Au-delà de ces inégalités qu'on voudrait tant effacer jusqu'à la différence sexuelle elle-même (ce que Colette ou Lou Andréas Salomé trouveraient si étrange), on peut mettre aussi ce rejet de l'injonction biologique sur le refus des femmes de toute identification (la femme, c'est l'Autre!), alors même qu'elles valorisent le corps souvent.
En tout cas, il n'y a pas que sur le climat ou l'économie que la vérité est disputée, les sciences pas plus que la critique n'échappent à la sociologie ni à la politique même si là aussi il est excessif de vouloir réduire les sciences à un pur constructivisme social. La vérité n'est pas donnée et nous égare mais on se cogne au réel qui ne se réduit pas à une fiction. C'est pour cela que la science se fonde sur l'expérience et porte la suspicion sur toutes les théories. Il n'est jamais bon de vouloir mêler l'idéologie à la science et de l'instrumentaliser, meilleur moyen de faire du vrai un moment du faux ! On peut dire qu'on assiste là, en direct, à la dialectique cognitive qui fonctionne par négations excessives qu'il faut relativiser ensuite par une négation de la négation qui n'annule pas le travail critique, ni donc ici la théorie du genre et de la formation des identités sociales, à leur donner simplement une limite avec le soubassement biologique. Il n'y a pas seulement le soubassement sociologique, certes très important, il reste la détermination biologique constituant notre réalité concrète, au moins statistique, même si on peut toujours s'en échapper et notamment dans le choix de notre genre. Aucune raison ne peut faire du biologique un devoir-être encore moins justifier des inégalités sociales qui sont le lourd héritage des temps passés et dont il nous incombe de nous débarrasser à l'ère du numérique, pas de nos différences naturelles dans leur variabilité infinie.
Il n'y a pas de nature humaine, ce qui fait l'homme, c'est la culture qui s'oppose à la nature par construction, la raison qui nous détache du biologique, la civilisation qui réprime nos instincts, l'histoire qui prend le relais de l'évolution. C'est un nouveau stade de la séparation du sujet et de l'objet, de l'autonomisation de l'individu par rapport à son environnement, processus qui vient de loin et n'est pas réservé à notre temps. Tout n'est pas culturel pour autant. Il ne s'agit en aucun cas de nier les mécanismes biologiques étudiés avant, par exemple dans la différence des sexes, mais de ne pas les assimiler trop rapidement à ce que la culture y superpose de systématisation (dans la division actif/passif notamment). Pour les sociétés humaines, rien ne justifie de faire du biologique une raison suffisante, encore moins une norme culturelle, et il faudrait éviter les tentations scientistes de mettre sur le compte de la biologie ce qui résulte d'une longue histoire. (Un homme de parole)
Ce billet devait faire partie de la revue des sciences du mois de février mais il a pris de telles proportions qu'il était préférable d'en faire un article à part entière.
Un excellent article de mars 2018 confirme ces critiques des biais qui opposent les "nativistes" (différencialistes) au socioconstructivisme (notamment de Catherine Vidal). Par contre, si la critique de la "culture du viol" est sans doute juste biologiquement, il y a quand même une sous-estimation de l'incidence de sa justification ou tolérance sociale dans certains pays au moins.
Les commentaires sont fermés.