La débandade de l’avant-garde

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Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée. (Une saison en enfer)

Il arrive qu'on se réveille de notre sommeil dogmatique, contemplant avec étonnement nos anciennes croyances. Il parait soudain inimaginable qu'on ait pu donner foi avec tant d'arrogance à pareilles fadaises. Bien sûr, c'était chaque fois pour la bonne cause, et nos trop bonnes intentions qui nous trompaient. Mieux vaut croire à l'impossible que renoncer ! Du coup, ceux qui retrouvent un minimum de lucidité s'imaginent en général qu'il n'y a pas d'autre choix que de passer à l'ennemi, toute honte bue. On en fait même souvent une simple question d'âge !

Cela pose surtout la question de savoir s'il faut obligatoirement être un crétin ou un allumé pour être un activiste, avant-garde qui reste engluée dans la religiosité, mais il faut bien avouer que le mauvais exemple vient de haut, les plus grands esprits ayant pu s'y laisser prendre à se croire effectivement l'avant-garde de l'humanité et la conscience du monde!

Le révolutionnaire, l'artiste, le saint

C'est aux meilleures sources qu'on peut faire remonter ce romantisme révolutionnaire qui mélange l'art, la philosophie et la politique dans une grandiose apothéose, met en cause les savoirs et prétend à une mystique de l'unité, une réalisation de la morale, un accomplissement métaphysique. On le retrouve en effet du jeune Hegel au jeune Marx, et revendiqué par Guy Debord encore avec son exigence d'authenticité faisant preuve curieusement sur ce point d'un manque complet de dialectique. Le filon en semble bien épuisé par la répétition. De quoi justifier de remonter aux origines car ce sont les chimères de toutes les avant-gardes dont il faudrait se délester si l'on veut sortir du spectacle de l'impuissance et prendre les problèmes à leur racine sociale et matérielle plutôt qu'au nom d'une critique artiste ou d'une quelconque spiritualité.

On reproche ordinairement aux avant-gardes leur élitisme mais c'est bien plus grave car le défaut qui les mène irrémédiablement à l'échec et la débandade au premier choc, c'est de se donner en modèle à croire détenir une vérité qu'il suffirait d'appliquer. Ces idéologies post-révolutionnaires se voulant plus audacieuses les unes que les autres ont des tendances totalitaires indubitables, ne tolérant guère la diversité, bien que, paradoxalement, ce soit toujours au nom de la liberté même ! N'ayant aucune prise sur la réalité, l'idée révolutionnaire veut se réaliser dans l'oeuvre d'art, ou plutôt dans l'Artiste, par la déconstruction des règles de l'Art d'une part et la dénonciation de l'ordre établi d'autre part mais dans un acte prophétique purement individuel bien qu'à prétention collective (ou plutôt universelle).

On retrouve ce fil, qui a fait son temps, dans presque toutes les avant-gardes dont on ne peut nier l'intérêt, jouant le rôle d'éveilleurs au moins. On a toujours besoin d'avant-gardes explorant les nouvelles potentialités du temps mais on a besoin de sortir de leur "terrorisme intellectuel" (de la domination des idées) aussi bien que des fantasmagories purement imaginaires. Rien de pire que la comédie de l'intériorité et l'hypocrisie de l'authenticité avec sa cohorte de suiveurs, les mauvais côtés des religions comme du moralisme étant toujours les mêmes malgré leurs prétentions libératrices. Si l'on doit admettre qu'avec les excès des avant-gardes le vrai devient un moment du faux, c'est aussi une façon de reconnaître leur rôle historique à nous permettre d'en tirer les leçons et faire ainsi du faux un moment du vrai !

Les avant-gardes nous ont fait indéniablement progresser en nous encourageant à briser les anciens carcans. Elles nous ont engagés dans la vie, nous qui sortions à peine de la religion, mais au prix de la confusion qu'il faut dénoncer entre le Beau, le Vrai et le Bien. C'est le sujet examiné ici, à partir de l'écart entre un texte de jeunesse, modèle des programmes d'avant-gardes post-révolutionnaires, et des citations plus tardives de Hegel qui sont mises en annexe et dont on suggère une lecture qu'on trouve instructive pour les débats actuels et pour mesurer l'importance de la part de fiction et de religiosité dans la politique comme dans la philosophie.

La Révolution inachevée (contexte)

La Révolution française a beaucoup marqué les Allemands et nourri leurs réflexions philosophiques. D'abord le vieux Kant qui rédigeait sa troisième critique, la "Critique de la faculté de juger", la moins citée mais peut-être la plus intéressante, consacrée à l'universalité subjective des jugements esthétiques et téléologiques qui n'ont pas l'objectivité de la science ou de la loi morale dès lors qu'ils font intervenir les sentiments de plaisir et de peine. C'est vraiment le domaine de la philosophie pratique et de la liberté concrète mais aussi de l'unité immédiate de la communication artistique et qui aboutit à une sorte de confusion entre l'éthique et l'esthétique au §59, intitulé "De la beauté comme symbole de la moralité" (cf note). Si Kant a bien établi qu'il n'y a de philosophie que de la liberté, il faut bien dire que la conception qu'il en a est très éloignée de celle d'un caprice arbitraire alors qu'il l'identifie à la loi morale, une contrainte d'universalité peut-on dire. On n'est libre que si on agit par raison et non par impulsion irréfléchie ni intérêt immédiat.

En ce temps-là, Fichte doit sa notoriété soudaine au fait qu'on ait pris son ouvrage de 1792, "Essai d'une critique de toute révélation" paru sans mention de l'auteur, pour un écrit de Kant ! Jusque là, il était considéré comme un philosophe pour sans-culottes, ayant participé activement à la Révolution après 1789, à Paris même. Il développera ensuite à partir de 1793 une philosophie du moi (qui se pose en s'opposant), de l'action et de l'intersubjectivité (du droit), d'un devoir-être supérieur à l'être, devenant le maître à penser de la jeunesse étudiante ("le Robespierre allemand") et le premier avant-gardiste que l'abstraction de sa pensée, son hermétisme, auréolait de fascination et de mystère, avec déjà l'idée de mission historique. Ce précurseur du socialisme finira cependant par se faire le chantre du pangermanisme avec ses funestes "Discours à la nation allemande" (1807), opposant la particularité allemande et son histoire à l'universalisme latin en réaction à l'invasion napoléonienne usurpant l'héritage révolutionnaire, la destination de l'homme devenant la mission du peuple allemand.

Depuis 1794 et la publication des "Principes de la Doctrine de la science" de Fichte, c'est dans cette atmosphère que baignait le trio d'anciens étudiants Hegel, Hölderlin, Schelling qui s'étaient enthousiasmés pour la Révolution. Aux alentours de 1797, dans une période plus dépressive, celle du Directoire et du retour à l'ordre, Hegel aurait rédigé ce qu'on appelle "Le plus ancien programme systématique de l'idéalisme allemand" retrouvé dans ses papiers, et qui est bien écrit de sa main, mais qui porte la marque de l'influence de ses condisciples, au point qu'on l'attribue en général à Schelling, quand ce n'est pas à Hölderlin... On pourrait dire que c'est un manifeste collectif s'il n'utilisait la première personne. Ce n'est effectivement pas encore le véritable Hegel qui ne restera pas sur ces positions mais ne se détachera de Schelling qu'après 1803 (parlant pour sa philosophie d'une "nuit où toutes les vaches sont noires"!). Ce qui est intéressant, cependant, c'est de retrouver dans ce fragment à peu près tous les poncifs des avant-gardes et du romantisme révolutionnaire, notamment la confusion entre l'art, la morale et la politique, ce qui justifie de s'y pencher d'un peu plus près.

Pour les Allemands, réduits à la position de spectateurs qui renforçait leur idéalisme, la Révolution française semblait réaliser la raison et la liberté dans l'histoire comme si la Révolution avait été un projet préconçu (notamment par Rousseau), ce que s'imagineront tous les futurs révolutionnaires. La minimisation des réels enjeux sociaux inversait, en effet, l'ordre des causes qui n'étaient pas matérielles et contradictoires, forgées par des suites d'événements plus ou moins surdéterminés, ainsi que nous l'enseigne l'histoire. La cause de la révolution devenait la réalisation de la philosophie elle-même comme d'idées préalables, d'une raison établie. De quoi inciter les idéologies post-révolutionnaires à surévaluer le rôle des idées et vouloir continuer le travail inachevé, répéter le renversement révolutionnaire, prendre de nouvelles Bastilles. Au lieu de s'attacher aux raisons de l'inachèvement des idéaux révolutionnaires et descendre dans le concret, l'idéalisme voudra compenser l'échec de la révolution par un surplus d'audace et de volontarisme dans l'utopie, comme si rien ne limitait l'artificialisation de la société (la loi du coeur), que ce n'était qu'une question de valeurs, de moralité, de courage (Français, encore un effort pour être républicains!).

Le premier programme de l'idéalisme (critique)

C'est là que va se constituer l'alliance de l'artiste, du philosophe et du révolutionnaire mais avec un côté religieux, mythique, mystique, millénariste. Il est amusant de voir qu'Hegel lui-même donnait foi à cette idéologie de la liberté résolument anarchiste (protestante) qu'on retrouve jusqu'à nos jours, opposition farouche à l'Etat qui suppose une sorte de communion mystique dans une morale partagée où le beau s'unit au vrai et au bien, où l'art est devenu expression de la vérité commune et symbole de la moralité. C'est donc bien la dimension religieuse et sa nostalgie de l'unité qui fournit l'arrière-fond de cet anarcho-communisme toujours vivace. Dans ce programme, la continuation de la religion, sa réalisation comme "religion sensible" est ouvertement revendiquée, même si sa sécularisation est aussi une critique de la religion en tant que séparée. Le révolutionnaire prend la suite de la prêtrise explicitement dans ce qui se trouvera être effectivement une nouvelle guerre des religions (entre communisme et fascisme notamment) pour unifier le peuple rassemblé dans l'ecclésia et l'idéologie officielle. Dans cette perspective eschatologique, l'artiste devient l'éducateur des foules, témoin et martyr. On est très étonné de retrouver, déjà là, notre si moderne contestation des savoirs au nom de l'égalité démocratique, mais ici pour des raisons qui sont plus religieuses où, comme pour Irénée, la foi doit compter plus que la gnose. L'union du savant et de l'ignorant devrait s'opérer par le mythe "rationnel", la mise en récit, le storytelling.

Si tout cela était absolument faux, de l'ordre de la pure bêtise, cela n'aurait pas tellement d'importance sinon de manifester la permanence de la religion chez ceux qui s'en croient les plus farouches opposants alors qu'ils en reprennent les illusions, prennent au mot ses promesses les plus mensongères. Le fait que ce soient les meilleurs qui aient pu succomber à ces illusions qui nous font encore vivre doit attirer notre attention sur ce qui fait leur force de séduction et qui vient de leur part de vérité, mais aussi de leur trop grande logique, raison de la folie, d'un manque de dialectique ou plutôt d'une dialectique qui s'arrête sur un résultat momentané. Il est frappant de constater l'absence de négativité sur l'essentiel chez ceux qui sont pourtant les chantres du négatif. Ainsi, les conceptions naïves de la "démocratie des conseils" ou de la libération sexuelle. On n'est jamais sauvé car plus on s'approche du coeur de la vérité et plus une infime déviation, un rien d'enthousiasme déplacé peut conduire à des conséquences incommensurables, une vérité un peu trop assurée peut conduire à un aveuglement plus complet encore...

L'idéalisme qui imprégnera le communisme tout aussi bien, malgré son matérialisme affiché, tient à une fausse conception de la "réalisation" en politique, identifiée à la réalisation artistique, quand ce n'est pas au projet industriel, où l'idée s'incarne dans la matière (parfois dans l'après-coup). C'est la voie suivie par toutes les idéologies, communiste, fasciste, néolibérale. Dernièrement, c'est la réalisation des droits de l'homme comme politique qui a montré de nouveau les limites du volontarisme au prix de millions de morts... Derrière ces prétentions moralisantes, c'est l'idée de la table rase qu'il faut dénoncer, son nihilisme qui prétend construire à partir du néant en partant des principes, ce qui ne peut que mener à l'anéantissement au nom des principes. Il faut certes partir du non-sens, ce qui est tout autre chose, pour donner sens à l'existant mais à partir de sa matérialité et de son histoire, à partir de notre situation, du processus lui-même auquel nous participons. C'est ce qu'on peut appeler l'écologie-politique qui part du réel, du local, de la vie concrète, de la transcendance du monde et des équilibres à préserver, non de grandes idées ou de leçons de morale. L'attention à la diversité, aux différences, aux relations, aux limites, aux injustices, aux vrais problèmes enfin, se trouve à l'opposé de la volonté confusionnelle qui anime cette révolte métaphysique, "la quête d'une unité qui dépasse les dichotomies chaque fois constatées : l'écart entre la théorie et la pratique, entre les philosophes et l'esprit commun, la logique et l'imagination, les gens instruits et les rustres" (Panagiotis Thanassas).

Significativement, le titre du programme, c'est "une éthique", ce qui renvoie à Spinoza au-delà de Kant. Le tournant éthique n'a donc rien de nouveau, c'est ce que devient le révolutionnaire sans révolution au même titre que le religieux doit compenser l'absence de son dieu. Partir de la libre subjectivité quand on n'a pas de prise sur les événements oblige à valoriser les bonnes intentions affichées et le vécu personnel, notamment pour les artistes, dans une logique de salut individuel. Une conception plus effective et collective de la liberté, qu'on peut dire stratégique, oblige au contraire à partir des contraintes matérielles et vitales pour corriger des injustices et conquérir de nouveaux droits en fonction de l'analyse des rapports de force et des opportunités de la période historique. Dans ce cadre, on n'attend pas de l'artiste le couronnement du politique ni sa mise en spectacle mais plutôt son indignation, l'expression du négatif et du non-dit, d'une vérité révolutionnaire en tant qu'elle conteste le récit officiel et manifeste la résistance du sujet, son inadéquation à l'universel. Ce n'est plus la voix du peuple ni d'un pouvoir fut-il révolutionnaire, mais de la marginalité, de l'exception qui ne se prend pas pour la règle, d'une liberté qui n'est pas raisonnable sans être irresponsable, ce qu'on pourrait rapprocher d'une attitude rock transgressive à l'opposé du romantisme moralisateur des hippies par exemple. Il vaut, en tout cas, de lire à cet éclairage ce qui se donnait dès l'origine comme une éthique pour l'avenir et dont je n'ai fait que la présentation mais que je cite dans sa presque intégralité en annexe.

La réalisation de la philosophie

Le Hegel de la maturité (Esthétique, Le Beau) sera un peu moins grandiloquent et surtout bien plus attentif aux médiations, sa dialectique étant une critique de ses positions initiales trop proches de celles de Schelling. Il en reprend largement l'esprit malgré tout (ce n'est pas pour rien qu'il a gardé ce vieux papier). Les différences sont significatives, en premier lieu sur l'Etat, bien sûr, comme liberté objective, incarnation de la raison dans le droit et non plus dans la représentation. La liberté reste le fondement de la raison mais tout-à-fait comme chez Kant où c'est un devoir-être contre-nature qui soumet notre corps animal à la loi universelle, on n'est libre que de soi-même (maîtrise, auto-nomos), condition de la réflexion, mais l'homme déchiré ne trouve de satisfaction que dans l'Etat rationnel comme réalisation de la justice universelle et de la raison dans l'histoire (voir les citations en annexe, à la suite du premier programme).

La liberté signifie la disparition de toute misère et de tout malheur, la conciliation du sujet avec le monde, devenu une source de satisfactions, et la disparition de toute opposition ou contradiction.

Il est significatif qu'il reprenne la visée d'une dissolution des oppositions mais comme moment ou tendance, cette fois, et non plus comme achèvement final qu'on retrouvera chez Marx avec la prétendue société sans classes absente des "Principes de la philosophie du droit" de Hegel. Il y aurait donc une régression des "jeunes hégéliens" aux positions de la jeunesse révolutionnaire de Hegel, ce qui se paye d'une incompréhension de la dialectique elle-même (forgée notamment pour rendre compte de la Terreur) rabaissée à une lutte des classes répétitive qui échouerait par manque d'élan révolutionnaire ! Ce n'est pas le matérialisme de Marx (auquel il faudrait revenir) qui est en cause mais l'idéalisme de sa cause. Il est très significatif que dès avant Marx, le pas sera fait par August von Cieszkowski, puis par les autres "jeunes hégéliens" de gauche de vouloir réaliser cette philosophie de l'Esprit, d'achever le système par sa réalisation matérielle. Ce qui est un pas logique nécessaire, sans aucun doute, mais qui ne prétend plus chez le vieux Hegel à une réalisation immédiate seulement à sa réalisation progressive, historique, avec ses renversements dialectiques, dans la constitution laborieuse d'un Etat de droit.

«Réaliser les idées (…) dans la vie pratique (…) telle doit être la grande tâche de l'histoire.»

«L'être et la pensée doivent donc disparaître dans l'action, l'art et la philosophie dans la vie sociale.» «De même que la poésie de l'art est passée dans la prose de la pensée, la philosophie doit descendre des hauteurs de la théorie dans le champ de la praxis. Être la philosophie pratique ou, plus exactement, la philosophie de la praxis.» (August von Cieszkowski, Prolégomènes à l'historiosophie, 1838)

Ces citations sont données par Guy Debord qui les revendique donc. On en voit la proximité avec le marxisme mais en même temps la tromperie d'une praxis qui n'est prête qu'à remettre en cause la pratique et non pas les idées qui veulent s'y incarner, accusant vainement un réel qui résiste à nos trop bonnes intentions alors que la pratique ne devrait pas rester sans rétroaction sur l'idée qui doit faire autant l'objet de la critique que les difficultés pratiques qu'elle rencontre et ne peut rester intouchée comme les prétendus "invariants du communisme" qui sont ceux de l'église. L'analyse du devenir spectacle du monde de la marchandise reste ancrée dans le réel mais, la critique de la séparation a beau toucher juste, elle nourrit le mythe de possibles retrouvailles qui vont bien au-delà d'objectifs concrets comme la conquête de nouveaux droits jugés trop insignifiants. C'est la totalité qui est visée comme telle et ne peut être que ratée. En fait, ce qui se voulait une exigence de cohérence dans la vie quotidienne devient un repli sur soi, dans sa vie privée, et une véritable dictature de l'apparence, un redoublement de l'aliénation, de même que ce qui se voulait une critique radicale, remettant en cause la société et l'économie comme un tout, se dégrade en "critique artiste" déconnectée des enjeux réels et de toute effectivité.

La réification et l'idéologie de l'aliénation

Il faut souligner une inflexion, après Hegel, avec la réaction existentialiste face à la rationalité du système, reposant la question de l'expérience subjective dans sa singularité et son authenticité ou son intensité, pas seulement dans son universalité. La transgression va prendre alors le pas sur la beauté mais restera formelle. Ce qui, sur le versant positif, valorisera le poète plus que sa poésie (vivre en poète, en révolutionnaire, en écologiste aujourd'hui), et sur le versant négatif valorisera le thème de la réification et de l'aliénation qui prennent beaucoup plus d'importance que pour Hegel (ou Marx) dont ils viennent pourtant. Il y a toutes sortes de réponses régressives, du retour à la terre, aux traditions, à la pureté de la race. La réponse progressiste, celle de Lukàcs qui la prend chez Marx mais lui donne une toute autre portée, c'est de passer de la position passive du spectateur à celui d'acteur d'un processus auquel on participe. La réification politique ne serait vraiment dépassée qu'au moment de l'action commune, seulement quand on fait l'histoire ! De même la réification de soi ne serait dépassée que lorsqu'on est acteur de notre propre histoire. Une autre sorte de réification, celle de l'autre, résulterait du fétichisme qui transforme les rapports humains en rapport entre choses (rapports marchands, management). On en sort à chaque fois qu'on a des rapports humains authentiques mais Lukàcs lui-même a critiqué cette interprétation de la réification comme trop réactionnaire escamotant le processus productif. Il préfère insister sur l'intervention active, à l'opposé de la passivité du "modèle du spectateur" (John Dewey) qui fige l'état des choses sans voir le processus en oeuvre et le rôle qu'on y joue, sans voir que ces choses sont des produits. La valorisation de la participation engagée et de l'action commune est cependant problématique, dépourvue de contenu et sombrant dans l'activisme stérile (on n'est pas si loin de l'actualisme de Giovanni Gentile). C'est tout autre chose de reconnaître qu'on est toujours en situation, partie prenante d'un choix déjà fait, de notre intentionalité première et des combats communs. Il y a incontestablement du vrai dans le concept de réification mais il nourrit aussi beaucoup d'illusions sur l'authenticité perdue et la présence au monde, rajoutez là-dessus la libération sexuelle pour ajouter à la confusion... On ne peut s'empêcher de penser, a posteriori, que la focalisation sur ce thème au moment des pires heures de la république de Weimar était tout de même très déplacée, assez ridicule même par rapport aux enjeux de l'époque qu'elle ratait complétement ! On peut même dire que le discours sur la réification participait à la montée de l'obscurantisme qu'il croyait combattre.

Dans le monde germanophone des années vingt et des années trente du siècle dernier, le concept de "réification" est devenu un Leitmotiv de la critique de la société et de la culture. La République de Weimar subissait alors un chômage grandissant et était frappée par des crises économiques. Comme dans un miroir concave, ces expériences historiques semblèrent se refléter dans cette expression "réification"" ou dans des concepts voisins. les rapports sociaux donnaient de plus en plus l'impression d'être soumis à la recherche de finalités terre-à-terre de type calculateur : l'attachement de l'artisan à ses outils et aux produits de son travail se voyait remplacé par une conduite simplement instrumentale, et même les expériences intérieures du sujet semblaient être glacées par le souffle froid de la conduite rationnelle. (La Réification, Axel Honneth, 2005, p13)

Naturellement, il ne s'agit pas de nier la pertinence d'une lutte contre l'aliénation et la nécessité de résister à la barbarie managériale, notamment, mais il s'agit plutôt d'arrêter le délire, de ne pas dépasser les bornes, de trouver un équilibre viable, pas de supprimer toute réification et de se croire obligé d'être ami avec tous ses collègues de travail. On traite inévitablement les gens comme des moyens dans l'action, des anonymes dans les transports. En réalité, l'anonymat des grandes villes a du bon car les relations humaines ne sont pas si idylliques qu'on le prétend et la relation d'objet y a souvent des vertus pacifiantes. De même, la recherche de l'authenticité, c'est ce que nous faisons tous les jours dans notre vie en composant avec nos dépendances et nos identifications pour satisfaire notre narcissisme. L'erreur, c'est de croire pouvoir s'en délivrer une bonne fois pour toute et complétement, comme si on accédait soudain à une autonomie absolue alors que l'autonomie se construit pas à pas et peut se perdre.

Ce qui est douteux, c'est d'en faire un objectif politique en soi qui surdéterminerait tout le reste, ce que promettent de nos jours les "critiques de la valeur" et autres métaphysiciens critiques. Le regard historique permet de mesurer à quel point c'est à côté de la plaque, pur verbiage tout comme les technophobes qui s'attaquent à des moulins à vent imaginaires faute de pouvoir éviter des risques bien réels. Sans aucun doute, on peut dire qu'à l'époque, comme au temps des guerres de religion, l'histoire se jouait bien dans l'esprit, entre idéologies concurrentes, entre hypothèses religieuses dont aucune n'était vraie, comme aujourd'hui entre hypothèses anthropologiques qui sont toutes fausses car trop unilatérales, tout autant que la révolution idéalisée des avant-gardes tentées d'ailleurs plutôt par le catastrophisme apocalyptique désormais (avec quelques raisons, certes) comme son image inversée. Les avant-gardes ne nous font plus rêver, on en a trop vu, la métaphysique se dégonfle avec ses promesses délirantes, foin des guerres de religions alors que l'urgence bien plus terre à terre, c'est celle d'inégalités qui se creusent, de menaces écologiques et d'un nécessaire changement de système de production, vraiment rien à voir avec ces enfantillages !

La part du négatif

Est-ce qu'abandonner le caractère sectaire et religieux des avant-gardes devrait nous inciter à rentrer dans le rang et dans la compétition généralisée au nom d'un réalisme cynique ? Est-ce que ne plus croire au Père-Noël devrait supprimer nos indignations, nos révoltes, notre rage ? Il y a pourtant bien des catastrophes à éviter, des révolutions sociales à refaire, des alternatives à construire, des libertés à conquérir. Il nous faudrait réinventer des avant-gardes exploratrices mais plus modestes, moins élitistes, moins prétentieuses, moins héroïques, l'engagement dans des expériences alternatives honnêtes, ce qui veut dire aussi pas trop ambitieuses matériellement ni humainement. Cependant, délaisser la critique artiste pour la critique sociale ne veut pas dire céder au réformisme et se limiter au quantitatif car s'il faut construire un nouveau système de production, c'est à cause des contraintes écologiques ainsi que pour s'adapter qualitativement aux nouvelles forces productives intellectuelles et relationnelles qui exigent un haut niveau de qualification et d'autonomie individuelle. C'est matériellement qu'il faut donner les moyens de cette autonomie et de l'expérimentation sociale qui ne marchera pas du premier coup. Il faut bien tout changer mais ça ne change pas tout pour autant !

S'il y a réalisation de la philosophie, ce n'est pas dans l'incarnation de l'idée préalable mais dans la productivité de la liberté et dans l'intellectualisation de la production (l'alphabétisation), ce n'est pas dans la table rase mais dans une construction cumulative et une complexification avec le temps, ce n'est pas dans le pouvoir de prétendus sages mais dans la démocratie délibérative. Ce qui distingue la philosophie des "visions du monde" d'idéologies forcément totalitaires, c'est de refuser le dogme auquel elle oppose la discussion rationnelle. La réalisation de la philosophie ce n'est donc pas le royaume de dieu sur la terre, un ordre supposé rationnel donné une fois pour toutes mais son ouverture au dialogue, au débat contradictoire, à la diversité des points de vue et la constitution de contre-pouvoirs. On peut renvoyer sur ce point au chapitre de la Phénoménologie intitulé "La raison examinant les lois" que j'avais rapproché de la désobéissance civique. C'est pourquoi on a besoin aussi de la dimension transgressive des avant-gardes mais sans la frime ni le mépris, au plus près du réel et des techniques pour permettre l'expression du négatif, reconnaître nos échecs, reconnaître nos limites afin de tenter de les dépasser peut-être.

La fin des avant-gardes pourrait être le début de l'innovation sociale avec ses ratés et ses progrès, sûrement pas la fin des illusions. De même que la vérité romanesque, c'est le contraire du mensonge romantique, la véritable voie de la poésie est à l'opposé du sentimentalisme aussi bien que du dandysme à la mode. Plus exigeante, plus douloureuse, plus réelle enfin, c'est plutôt un bateau ivre qui s'enlise dans les sables d'Abyssinie et témoigne de son naufrage comme de ses éblouissements, à vouloir obstinément posséder la vérité dans une âme et dans un corps !

 


Annexe I

Une éthique

Etant donné qu'à l'avenir toute la métaphysique passera dans la morale – ce dont Kant n'a donné qu'un exemple avec ses deux postulats pratiques, sans rien épuiser, cette éthique ne sera rien d'autre qu'un système complet de toutes les Idées ou bien, ce qui revient au même, de tous les postulats pratiques. La première idée est naturellement la représentation de moi-même comme d'un être absolument libre. Avec l'être libre, conscient de soi, apparaît en même temps tout un monde – à partir du néant – la seule véritable et pensable création à partir du néant – C'est ici que je descendrai dans le champ de la physique ; la question est la suivante : comment un monde doit-il être constitué pour un être moral ? Je voudrais donner de nouvelles ailes à notre science physique, qui avance si lentement et à si grand-peine d'expérience en expérience.

De la nature j'en viens à l'œuvre humaine. En tête, l'idée d'humanité – je veux montrer que l'État, étant quelque chose de mécanique, l'idée d'État n'existe pas, aussi peu qu'existe l'idée de machine. Seul ce qui est objet de liberté, s'appelle idée. Nous devons donc dépasser aussi l'État ! – Car tout État est obligé de traiter les hommes libres comme un rouage mécanique ; et c'est ce qu'il ne faut pas ; donc il doit disparaître. Il est évident qu'ici toutes les idées de paix éternelle etc. ne sont que des idées subordonnées à une idée supérieure. Je voudrais en même temps consigner les principes d'une histoire de l'humanité et mettre à nu tout le misérable échafaudage humain que représente l'État, la constitution, le gouvernement, la législation. Enfin, viennent les idées d'un monde moral, de divinité, d'immortalité – renversement de toutes les superstitions, poursuite, par la raison elle-même, de la prêtrise que l'on voit ces temps-ci feindre seulement d'user de la raison. Liberté absolue pour tous les esprits, dépositaires du monde intellectuel, et qui n'ont pas besoin d'aller chercher Dieu ni l'immortalité ailleurs qu'en eux-mêmes.

En dernier lieu, l’idée qui les unit toutes, celle de Beauté, prise au sens supérieur, platonicien. Or, je suis convaincu que l’acte suprême de la Raison, celui par lequel elle englobe toutes les idées, est un acte esthétique et que la Vérité et la Bonté ne s’allient que dans la Beauté. Le philosophe doit avoir autant de force esthétique que le poète. Les hommes dépourvus de sens esthétique pratiquent une philosophie de la lettre seulement. La philosophie de l’esprit est une philosophie esthétique.

La poésie reçoit ainsi une plus haute dignité, elle redevient à la fin ce qu'elle était au commencement – l'éducatrice de l'humanité ; car il n'y a plus de philosophie, plus d'histoire, la poésie seule survivra au reste des sciences et des arts.

En même temps, on entend dire si souvent que les masses ont besoin d’une religion sensible. Pas seulement les masses, le philosophe aussi en a besoin. Monothéisme de la Raison et du cœur, polythéisme de l’imagination et de l’art, voilà ce qu’il nous faut.

D'abord, je parlerai ici d'une Idée, qui, autant que je sache, n'est encore jamais venue à l'esprit de personne – nous devons avoir une nouvelle mythologie, mais cette mythologie doit être au service des Idées, elle doit devenir une mythologie de la raison.

Les idées que nous ne présentons pas sous forme esthétique, c’est-à-dire mythologique, n’ont pas d’intérêt pour le peuple, et inversement, une mythologie qui n’est pas raisonnable est pour le philosophe un objet de honte. Ainsi les gens éclairés et ceux qui ne le sont pas finiront par se donner la main, la mythologie doit devenir philosophique afin de rendre le peuple raisonnable, et la philosophie doit devenir mythologique, afin de rendre les philosophes sensibles. Alors on verra s’instaurer parmi nous l'unité éternelle. Jamais plus de regard méprisant, le peuple ne tremblera plus devant ses sages et ses prêtres. Alors seulement on verra s’épanouir uniformément toutes les forces, celles du particulier comme celles de tous les individus. Aucune force ne sera plus réprimée, la liberté et l’égalité des esprits régneront partout ! – Un esprit supérieur, envoyé du ciel, doit fonder cette nouvelle religion parmi nous, elle sera la dernière, la plus grande œuvre de l’humanité. (Le plus ancien programme systématique de l'idéalisme allemand)

Annexe II

Esthétique

Quelle que soit la valeur propre d'un contenu, nous ne pouvons nous contenter de son caractère abstrait, mais nous exigeons autre chose. Il s'agit d'un besoin insatisfait, d'un sentiment d'insuffisance éprouvés par le sujet et qui cherchent à se supprimer pour se changer en satisfaction. C'est en ce sens que le contenu peut être considéré avant tout comme "subjectif", comme purement intérieur ; à lui s'oppose l' "objectif", et de cette opposition découle l'exigence d'"objectiver le subjectif" (..) Le subjectif éprouve en lui-même et pour lui-même un manque, une négation qu'il cherche à nier à son tour. Par lui-même, et d'après son concept, le sujet représente le Tout, c'est-à-dire non seulement l'intérieur, mais aussi la réalisation de celui-ci dans et par l'extérieur. 145

Or le contenu le plus élevé que le subjectif soit capable de concevoir est celui de la liberté, qui est la détermination la plus haute de l'esprit. Au point de vue formel, d'abord, en ce que le sujet ne voit dans ce qui l'entoure rien qui lui soit étranger, aucune limite ni barrière, mais s'y retrouve lui-même. Déjà envisagée à ce point de vue, purement formel, la liberté signifie la disparition de toute misère et de tout malheur, la conciliation du sujet avec le monde, devenu une source de satisfactions, et la disparition de toute opposition ou contradiction. Mais la liberté a aussi un contenu rationnel : la moralité, par exemple, dans les actes, la vérité dans la pensée. Mais tant que la liberté reste subjective, sans s'extérioriser, le sujet se trouve en présence de ce qui n'est pas libre, de ce qui n'est qu'objectivité et nécessité naturelle, d'où le besoin de concilier cette opposition. Une opposition analogue se trouve, d'autre part, à l'intérieur du sujet lui-même. En parlant de liberté, il faut tenir compte, d'une part, de ce qui est en soi universel et indépendant, telles les lois générales du juste, du beau, du vrai, etc., et, d'autre part, des instincts de l'homme, de ses sentiments, de ses dispositions, de ses passions, bref, de tout ce qu'abrite le coeur concret de l'homme individuel. Entre ces termes opposés se poursuit une lutte incessante, source de désespoirs, de profond sentiment d'insatisfaction. Les animaux vivent en paix avec eux-mêmes et avec les choses qui les entourent, mais la nature spirituelle de l'homme fait qu'il vit dans un état de dédoublement et de déchirement et se débat au milieu des contradictions engendrées par cet état. 146

Dans le domaine spirituel, l'homme recherche la satisfaction et la liberté dans le vouloir et le savoir, dans les connaissances et les actions. L'ignorant n'est pas libre, parce qu'il se trouve en présence d'un monde qui est au-dessus et en dehors de lui, dont il dépend, sans que ce monde étranger soit son oeuvre et qu'il s'y sente comme chez lui. La recherche du savoir, l'aspiration à la connaissance, depuis le degré le plus bas jusqu'au niveau le plus élevé, n'ont pour source que ce besoin irrésistible de sortir de cet état de non-liberté, pour s'approprier le monde par la représentation et la pensée. D'autre part, la liberté dans l'action consiste à se conformer à la raison qui exige que la volonté devienne réalité. Cette réalisation de la volonté, conformément aux exigences de la raison, s'effectue dans l'État. Dans un État organisé conformément aux exigences de la raison, toutes les lois et institutions ne sont que des réalisations de la volonté, d'après ses déterminations les plus essentielles. Lorsqu'il en est ainsi, la raison individuelle ne trouve dans ces institutions que la réalisation de sa propre essence, et lorsqu'elle obéit à ces lois, elle n'obéit en définitive qu'à elle-même. On confond souvent la liberté avec l'arbitraire ; mais l'arbitraire n'est qu'une liberté irrationnelle, les choix et les décisions qu'il provoque étant dictés, non par la volonté raisonnable, mais par des impulsions accidentelles, par des mobiles sensibles extérieurs. 147

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35 réflexions au sujet de “La débandade de l’avant-garde”

  1. "De même que la vérité romanesque, c'est le contraire du mensonge romantique, la véritable voie de la poésie est à l'opposé du sentimentalisme aussi bien que du dandysme à la mode. Plus exigeante, plus douloureuse, plus réelle enfin, c'est plutôt un bateau ivre qui s'enlise dans les sables d'Abyssinie et témoigne de son naufrage comme de ses éblouissements, à vouloir obstinément posséder la vérité dans une âme et dans un corps !"

    Ca résume pas mal de nos impulsions défaillantes, mais conquérantes.

    La poésie n'est pas si douce, souvent rude dans ses conséquences et abords.

  2. Des premières lignes, j'ai presque pensé que vous aviez changer d'avis en vous réveillant ce matin. Puis j'ai compris que le réveil des délires interprétatifs et des grilles de lecture n'était pas pour vous mais pour tous les autres. Dommage, c'eut été un grand moment.

  3. Quand la création du consentement est instillé : est ce qu'elle est mot ou action ? ou oeuvre d'art ou que sais Je ?

    Peut être qu'un jour vous verrez dans l'homme autre chose que l'image du passé répété. De l'éternel retour.

    L'évolution, l'évolution des esprits est là ... vous critiquez le mythe de l'homme pour son image rémanente.

    Pensez vous que tout le monde serait prêt à faire les erreurs du passé, à utiliser les méthodes anciennes.

    DES MOTS.

    Il y a les mots, il y a le contexte, il y a les moyens.

    Dans les mots est ce le sens que vous critiquez ?

    J'aurai aimé que les français gardent leur fougue de liberté, plutot que de suivre leur penchant religieux et gauchiste qui leur fit perdre et les armes, et l'envie de changer les choses.

    Les méthodes d'un nouveau monde : ou le verbe est inutile depuis longtemps, et ou l'homme est inutile corps et âmes.

    [ce commentaire avait été mis en indésirable par le filtre des adresses IP, l'erreur n'ayant été rectifiée que le 21]

  4. J'ai été sur le site de l'humanité, mais ça me parait débile, une accumulation de sons, les bandes audio se superposent, on y comprend plus rien. On ne sait plus bien si ça relève de l'ignorance, ou de la prétention, ou l'inattention.

    C'est vraiment le bordel, à gauche comme à droite, tous les crétins ont un droit privilégié à la parole. Plus nul, tu vis, moins nul, tu meurs. C'est bien plus grave que je ne croyais.

  5. Il est vrai que les musiques qui se déclenchent automatiquement sont assez insupportables, à éviter surtout quand il y a matière à lire et à revenir, mais ce n'est certainement pas un site inintéressant, pas plus que les autres sites de Didier Moulinier qui les multiplie à foison !

    Contrairement aux apparences (à l'illustration), mon article n'est pas du tout centré sur une critique des situationnistes mais plus généralement des avant-gardes de Marx aux pro-situs actuels. Je continue à penser important le concept de spectacle comme la plupart des écrits de Guy Debord même si je le critique aussi mais surtout chez ses suiveurs dont il se distingue par sa capacité à évoluer et brûler ce qu'il avait adoré avant (comme l'urbanisme unitaire mais aussi la dissolution de l'IS).

    Il se trouve que ce que je critique chez Debord, c'est aussi ce que je critique chez Gorz (et les critiques de la valeur) aussi bien que chez Robin ou Morin ! C'est dû en grande partie à Lacan (pas dans sa lecture réactionnaire de Jean-Pierre Lebrun) qui vaut mieux que Gabel assurément, ruinant toute normalité, toute fin possible de l'aliénation dans l'oblativité du stade génital (mais la question s'est reposée à propos de la passe d'une façon comparable à la question de l'éveil bouddhiste). C'est notamment ce qui fait comprendre le rôle des drogues (que Debord détestait en bon alcoolique), le dérèglement de tous les sens n'ayant aucune nécessité si on avait un accès direct à l'être.

    Il me semble que lire le programme du jeune Hegel met en évidence la religiosité de cette réalisation de la philosophie délirante, qu'il oblige à se positionner par rapport à cette apothéose. Le plus important dans mon article, c'est l'opposition de cette incarnation de l'idée à une dialectique où l'idée initiale se brise sur le réel qu'elle échoue à plier à son abstraction. C'est, contre l'idéalisme dominant, partir de la réalité, du processus objectif et non pas du subjectif (ce que j'identifie même à l'écologie-politique). Ce pourquoi on refuse ce qui est pourtant notre expérience quotidienne, c'est qu'on ne voit pas comment on ne passerait pas à l'acceptation de l'aliénation si on ne peut s'en passer et qu'on doit se plier aux réalités. Il est certain que la liberté ce serait idéalement de faire ce qu'on veut (ce serait invivable) mais en fait ce n'est jamais que choisir entre des possibles (et choisir, c'est renoncer).

    Ma position se résume à dire que ce n'est pas parce qu'on a aboli l'esclavage qu'on est beaucoup plus libres, ce qui n'enlève rien à la nécessité d'abolir l'esclavage (et bientôt le travail salarié?). De même, la libération sexuelle était salutaire, indispensable, enthousiasmante mais elle ne nous a pas rendu tellement plus libres en amour, diversifiant plutôt les genres de relations sexuelles (extension du domaine de la lutte dont Houellebecq se présente comme le déchet). On ne se débarrasse pas du réel comme ça, il n'y a pas un péché originel, une erreur à corriger ("le travail abstrait" par exemple) qui suffirait à changer le monde et réconcilier tous les coeurs.

    Hitler disait qu'il fallait toujours présenter le prochain combat comme le dernier et le plus décisif, alors que je dis le contraire, qu'il faudra se battre toujours pour conquérir de nouvelles libertés et ne pas perdre les anciennes, que c'est même beaucoup mieux comme cela. On n'en a pas fini non plus avec la religion. Ce n'est pas pour rien que j'ai commencé par une histoire des religions. Il n'empêche que je n'abandonne pas la réalisation de la philosophie et ce que j'en disais à Lille dans le sillage de Gorz, mais à l'opposé de la conception religieuse et dogmatique d'un avènement de l'esprit totalitaire unificateur, je défends une conception démocratique, délibérative, scientifique, contradictoire, conflictuelle, plurielle, interrogative, prudente, réflexive.

  6. Je comprends bien votre prudence par rapport à une avant-garde et j'aime votre humour quant au titre car bien entendu de participer ou de se déclarer d'avant garde à un effet séducteur manifeste...
    Un autre effet est celui de la provocation puisqu'il faut bien nécessairement proposer de nouvelles pistes sociales tout autant que sociétales; c'est pourquoi devant l'intérêt de ces effets mais aussi la persistance de ce concept je me demande s'il ne serait pas nécessaire d'en inventer un de nouveau?
    Peut-être pas d'ailleurs car l'expression est explicite, peut-être faudrait-il d'abord en définir le domaine tant entre celui philosophique et celui politique il peut y avoir un gouffre. Mais j'avoue que si existait aujourd'hui en France une avant-garde politique, écologiste, productiviste et démocratique je serai heureux que de l'y rejoindre...
    On pourrait je pense rêver d'Etats Généraux de l'Ecologie locaux tout autant que nationaux où pourrait se concevoir un nouveau consensus sur ce qui fonde une société et peut lui faire traverser des moments critiques comme ceux que nous vivons...

    PS: J'ai récemment découvert la Deep Ecology ou écologie profonde et ses frayeurs comme la surpopulation mais cela ne m'apparaît pas si contemporain que cela et je voulais savoir si vous en aviez déjà parlé? Merci pour votre blog et votre réponse.

  7. oui vous avez sans doute raison et j'ai probablement tort , où du moins c'est que mon corps n'a pas les même idées que moi . sous thc je me laisse facilement seduire par ce que vous désignez comme une impasse et de me mettre dans des situations impossibles toutes plus exaltantes les unes que les autres . autant fuir sans doute (quand c'est possible) et se taire que de se laisser embarquer dans ces chemins qui ne mennent nulle part. parler de la révolution ( ou de la réalisation de la philosophie comme d'une fête c'est quand même un peu vrai par certains aspects , même si c'est courir le risque d'être complètement incompris et de leurer les gens avec un mots qui n'a rien à voir avec les pratiques sociales dominantes englobées généralement sous ce vocable . vous dites travail et expression du négatif et bien soit , c'est à ça que je pense quand je parle de fête qui commence plus au moment du petit matin que du grand soir . peutre être vaut il mieux jouer la honte , et l'épuisement du pisse froid souffreteux contre l'exaltation des allumés ( j'en suis malgré tout maladivement un ) et contre l'assurance et la fierté du crétin . mais vraiment pas facile de rectifier le tir ( douloureux même) .

  8. Il est certain qu'on ne laisse pas tomber la religion comme ça puisqu'elle correspond à un désir profond, à la fois le désir d'unité et de reconnaissance de notre excellence, nos bonnes intentions, notre bonne foi et notre dignité. Les plus grands s'y sont laissé prendre, ce n'est pas une bêtise individuelle. Pas moyen d'en sortir si on n'en est pas conscient, et conscient qu'on n'en sort jamais complétement. Le problème n'est pas de faire la fête, ni de nos moments d'exaltation, c'est uniquement de confondre les registres et de ne pas prendre la politique au sérieux avec ses difficultés, ses échecs. Je n'ai pas voulu le mettre dans l'article mais on a là tous les ingrédients du nazisme (qui ressurgit en ces temps troublés). Kant, Fichte, Hegel, Heidegger et bien sûr le dyonisisme de Nietzsche même s'il n'est pas du même niveau philosophique. On a souvent l'impression que les pro-situs les plus agressifs pourraient basculer facilement de l'autre côté, ce qui s'est vu déjà.

    Ceci dit, je me suis bien aperçu en écrivant l'article qu'on ne pouvait pas faire feu sur le quartier général, des avant-gardes restant bien nécessaires, ce que j'ai finalement introduit en donnant quelques conditions pour qu'elles ne répètent pas les mêmes errements. A l'évidence, les idées de Gorz (et celles que je défends) sont d'avant-garde (pas crédibles du tout). On a besoin des artistes, de leurs interventions tout comme de leur éthique, on a besoin de bonne musique, de bons textes, pas d'une esthétisation de la politique.

    D'accord donc pour "une avant-garde politique, écologiste, anti-productiviste et démocratique" mais qui éviterait l'exaltation, l'extrémisme, l'utopisme, attentif aux conditions locales, aux marges de manoeuvres qu'il faut pousser au maximum mais avec prudence, avec la fonction de diffuser les expériences qui marchent et peuvent en inspirer d'autres dans la multiplicité et sans que ce soit jamais sans la part du négatif. Dans ce cadre, il serait passionnant de construire un mouvement à la fois radical, réaliste, pluriel (ce que contestent tous ceux qui ne pensent pas qu'il peut y avoir pluralité de systèmes, la marchandisation étant forcément totalitaire il faut lui opposer un autre totalitarisme). On en est loin, pour l'instant on est encore dans la facilité, le simplisme, les yaka faucons, les leçons de morale, mais on y viendra.

    J'ai participé à des Etats Généraux de l'Ecologie-Politique qui ont échoué lamentablement, sabotés par les Verts que ça dérangeait mais j'ai toujours pensé que c'est ça qu'il faut faire, à condition de mobiliser assez de monde. L'idée d'en organiser plus localement est très bonne car les conditions peuvent être plus facilement remplies à des niveaux régionaux ou départementaux.

    Je suis tout à l'opposé de la deep ecology qui relève de la même religiosité que dénoncée ici et d'ailleurs n'existe pas vraiment comme école imprégnant plutôt les tendances New Age. Je suis du côté de Murray Bookchin dans ce débat, plus opposé encore à ce qui prétend à une écosophie (l'écosophie T) alors qu'on est contre-nature par nature (certes tout contre). La philo-sophie rend vaine toute sagesse même si elle nous enseigne la prudence et la tempérance, c'est surtout par le savoir qu'on pourra se sauver, pas par le sentiment.

    Il est certain que la démographie est un paramètre crucial. Si on était beaucoup moins on pourrait dévaster le monde sans remords mais d'une part on ne connaît pas de meilleur moyen pour arrêter la croissance démographique (un peu après 2050 sans doute) que la transition démographique constatée avec le décollage des économies, d'autre part mettre l'accent sur les pays les plus peuplés, c'est défendre notre mode de vie menacé par les pauvres pour ne rien changer, enfin, même si ce n'est pas gagné, il n'est pas impossible de nourrir 10 milliards d'humains ce qui devrait être un maximum qu'on n'atteindra peut-être même pas avant une longue décroissance sans doute.

    L'identification de l'écologie au malthusianisme est très dommageable, tout comme son identification au libéralisme et à l'auto-organisation. Malthus avait tort sur toute la ligne, non seulement l'accroissement de la population n'est pas géométrique mais l'accroissement des ressources n'est pas non plus arithmétique. C'est l'exemple même du raisonnement absolument convaincant et pourtant complétement faux !

  9. Vous écrivez : « la religion… correspond à un désir profond…d’unité et de reconnaissance de notre excellence, nos bonnes intentions, notre bonne foi et notre dignité… Pas moyen d’en sortir si on n’en est pas conscient ». Ainsi décrit, pour le christianisme du moins ( que je connais un peu mieux que les autres religions monothéistes), vous transcrivez ici l’image d’une déviation moderne de la foi religieuse, telle qu’elle ne peut en effet en rien se reconnaître dans « l’écologie profonde ». Pas plus qu’également l’idéologie scientiste dominante elle aussi fondée sur l’excellence productiviste, les bonnes intentions technologiques, sur une neutralité économiste digne et compétente…
    Etudiant un tant soit peu le thomisme je m’étais rendu compte avec surprise que l’on avait considéré au Moyen Age, tout autrement qu’à l’époque moderne ensuite, la place de l’espèce humaine respectivement à celles des autres espèces vivantes, dans une théorie de la hiérarchie des êtres, moins bête qu’on pourrait croire. L’espèce humaine, unique seulement en ce qu’elle est une seule, n’était pas en tout point supérieure aux autres espèces du monde animal. Certaines espèces animales étaient reconnues dotées de vertus supérieures à celles de l’homme dans certains domaines qui leurs sont particuliers ( vertus au sens de virtualités, sans intentions morales préjugées, sauf dans les fables ! ). Et l’homme est classé comme l’espèce la plus vile du point de vue de la capacité d’intelligence ! (réservée aux anges, ce qui se peut discuter ( !) mais permettait d’instaurer des champs, domaines, niveaux !) Ainsi l’homme était par essence partie intégrante de la Nature .Indépendamment de savoir si cette nature est « Création », ce que je récuse, je retiens une théorie qui le situait sur l’horizon entre un Réel ( inaccessible à la description, à l’expérience intuitive) et une Réalité, (accessible par les sens, par la chair, par l’expérience empirique). Je ne propose pas ici le retour à la pensée symbolique religieuse, et j’insiste volontiers sur les manquements d’une telle description de la Nature à l’époque de St Thomas , mais aussi par insuffisance de connaissances empiriques.

    Je veux seulement proposer que la religion chrétienne n’a pas vocation originelle de toujours être tentée par les réductions néoplatoniciennes : idéalisation et surévaluation de l’espèce humaine, décrétée supérieure par rapport aux animaux et aux plantes, idéalisation par voie de conséquence de certains individus particuliers par rapport à la communauté , accès individuel à la connaissance intuitive, etc… Tous défauts de connaissance sur l’être (l’ universel et le particulier ) qui sont les mêmes que dans une construction idéologique qui prétend inventer une science des idées.

    « Ecologie profonde » ou « écologie sociale », retour sur les fondements historiques de la pensée symbolique et-ou religieuse, autant de variantes, à toutes allier dans la prise de conscience collective d’une urgence? Urgence de redéfinir la place de l’humain dans la nature. C’est cela la révolution, les deux demi-tours de roue à effectuer ,qui ne ramènent pas à la même place, si l’on veut bien considérer le cours non statique mais historique du temps. L’abstraction du sens ( l’ avènement possible d’ une théorie) n’est possible que sur l’étude des faits ( hypothèse sur les évènements). Donc comme correction d’erreurs.

     Pour en finir avec les illusions de la Foi, il faudrait être capable d’en finir avec les illusions de la Raison ! Pour sortir des illusions de constituer l’avant-garde, se dépouiller des oripeaux de l’arrière- garde, dont nous avons été vêtus.

    « Pas moyen d’en sortir si on n’est pas conscient » dites-vous.
    Cordialement. Et merci pour vos textes, et surtout vos commentaires sur nos propres réactions.

  10. Voici certains liens parmi d'autre possibles, à destination de ceux; comme moi, qui sont moins habiles dans la gestion des idées
    Lien possible sur ecosophie T :
    http://www.espacestemps.net/documen...

    lien vers Murray Bookchin ;
    http://ecorev.org/spip.php?article4...

    lien vers l’écologie profonde :
    http://www.mouvements.info/L-ecolog...
    Sur les oripeaux dont nous avons été vêtus :
    Rappel par un doctorant en anthropologie :
    http://web.univ-pau.fr/RECHERCHE/CI...

  11. J'y suis retourné, sur le site, la musique ne s'est pas déclenchée, faut dire que j'ai les tympans sensibles, encore un handicap de plus.

    C'est vrai que le contenu est riche.

    Cet entretien avec I Stengers montre à quel point c'est pas simple, barrage administratifs sous forme de formulaires, syndicalistes effarés, il s'agit d'un SEL en Belgique. Mais c'est partout pareil, il faut apprendre à jongler avec les administrations, dans le monde de l'entreprise idem, étonnant qu'elle découvre ça, comme quoi, quitte à échouer, c'est instructif d'essayer :

    http://nouvellesdelhumanite.over-bl...

  12. Il doit être bien clair que je ne dénonce pas ici la foi religieuse qui se sait comme tel mais bien la foi dans la raison (le mythe raisonnable) un peu trop sûre d'elle et qui ne se sait pas religieuse. Comme je parle des avant-gardes je ne parle pas du scientisme et du prométhéisme technique mais ils tombent bien sûr sous la même critique (qu'on pourrait caractériser comme la critique de la technique appliquée au politique au contraire des critiques de la technique qui ont du politique une conception technique, volontariste).

    Par contre je ne suis pas un critique du progrès mais seulement du progressisme qui croit que tout va toujours au mieux. Je suis de plus en plus persuadé qu'on progresse dans la complexité et le savoir au contraire de ceux qui croient qu'on régresse. C'est même ce que veut dire qu'on passe de l'ère de l'entropie à l'ère de l'information. D'une certaine façon, je n'ai jamais été aussi optimiste au moment où tout s'écroule pourtant sauf que je n'exclue pas du tout des régressions temporaires, des catastrophes terribles qui me semblent même inévitables mais ont un effet accélérateur en fin de compte.

    Les discours contre le progrès me semblent du verbiage facile et sans aucune effectivité, tout comme les remises en cause de la place de l'homme en haut de la hiérarchie des êtres, ce qui ne peut se soutenir que par rapport à un Dieu créateur, sinon c'est une ineptie (mais il est effectivement intéressant de souligner que la rationalité de l'homme est très limitée par rapport aux anges comme au dieu omniscient). Nous dominons la Terre depuis un moment déjà et surtout en nous échappant de la seule évolution génétique, ce n'est pas un détail qui nous différencierait à peine des bactéries comme des singes. Il faut certes rectifier la position de l'homme, l'image qu'il a de lui-même et de son rapport aux autres êtres mais au nom de sa liberté, sa raison, sa dignité et de sa responsabilité qui le met bien au-dessus des animaux malgré notre part animale. Il faut rectifier l'illusion de l'individu comme séparé, son autonomie par rapport à son milieu, éviter de figer dans un rapport sujet-objet ce qui résulte d'une interaction, d'une dialectique, d'une auto-poiésis où l'un se forme sur l'autre et vice-versa.

    L'homme ne peut traiter son environnement dont il dépend comme "fonds disponible", il ne peut traiter les autres êtres comme moyen seulement mais il n'y a personne au-dessus de nous pour nous remettre à notre place, c'est ce qui fait que le prince est à la place la plus haute où lui seul peut décider, sauf qu'à la fin, c'est la matérialité qui décide, l'équilibre des flux, l'efficacité sociale et militaire.

    J'avais rencontré Stengers lors de ma tournée en Belgique et c'était complétement raté, nos références étant aux opposés (elle Spinoza, Nietzsche, Deleuze, moi Hegel, Marx, Lacan). J'ai pourtant aimé beaucoup de choses qu'elle a faites mais son dernier livre et ses histoires de sorcières me semblent sans aucun intérêt alors que je m'applique à la matérialité du système et aux dispositifs concrets d'une alternative.

    Sinon, les commentaires me prennent beaucoup de temps, je m'y consacre quand je n'ai rien d'autre à faire mais ce n'est pas si souvent...

  13. @Jean Zin :

    Je crois que I Stengers parait inspirée des démarches de Tobie Nathan et de l'ethnopsychiatrie, d'où les termes de sorcellerie.

    Cyrulnik a utilisé un terme similaire : " L'ensorcellement du monde ".

    Quand les pressions de l'histoire s'affirment, on en revient vite à ses débuts...

  14. je ne suis pas d'accord pour dire que l'artiste rock s'indigne, il joue une forme qui est positive parce qu'il l'habite, il l'habite parce qu'il la joue, le bruit est un espace dans lequel il se sent bien, et dont la publicité (devant un public, pour un public) lui procure un malin plaisir qui n'est certainement pas méchant, quand je joue il m'arrive de jouer au bord de la destruction, mais sans tout détruire, qu'un espace soit perceptible encore, les musiciens free sont sur cette brèche également (on the corner), "le bruit contient les sons du monde" ou quelquechose de ce genre, Arto Lindsay, No wave style, 1979

    d'accord sur la transgression, mais si le franchissement est une transformation des matières qui sont là, toujours sur le bruit : faire qu'il soit une expérience recevable pour les autres, c'est être "au plus près du réel et des techniques" (la guitare, la batterie, le découpage infinitésimal d'un ordinateur…)

    je me disais en vous lisant que la transgression c'était transformer la réputation d'une chose, transformer sa publicité, passer de sa théorie à sa pratique

    autre chose : la tentative d'unité et d'authenticité, lutte contre la séparation, comme "dictature de l'apparence", critique souhaitable de Debord, oui, car c'est vouloir accéder à l'apparence, tout du moins lui donner la saveur de l'être, or il semble réellement que l'apparence, on y a pas accès

    autre chose encore sur "l'expression du négatif" : elle est lumineuse (on parle de bruit blanc), alors que l'indignation ne peut que rester un moment d'intimité ou disons de l'espace des proches amis, je dirais qu'avec l'indignation il faut rapidement passer à autre chose

    dernièrement : quand je vous lis parler de "vérité romanesque contre le romantisme de la vérité" je me dis que décidément vous êtes à une bonne distance de Jacques Rancière, ("le beau comme trace du vrai", dans Le partage du sensible), ne parlant pas du tout de la même chose ni de la même façon, mais visitant l'énoncé performatif

    merci encore pour vos textes stimulants

    note : les grands expérimentateurs sont amateurs de choses populaires, car le sérieux n'est pas de mise dans l'expérience du réel

  15. je m'excuse, hier soir je n'arrivais pas à retrouver la pharse dans votre texte :
    "vérité romanesque vs mensonge romantique", plutôt que romantisme de la vérité comme je l'avais écrit
    mais la référence à Rancière tient toujours, dans le Partage du sensible il parle de littérature du 19è, en expliquant le scandale que pouvait représenter Flaubert avec sa dame Bovary et le roman de sa "vie banale", faite de sentiments bien sûr, mais pas construite à partir de sentiments et de pensées, une vie plutôt faite d'actions qui sont racontées
    tout du moins c'est comme ça que je le comprend
    "le beau est une trace du vrai" me parait plus valable aujourd'hui que l'authenticité : un peu moins d'être, un peu plus d'espace-temps, on verra peut-être dans quelques années un retour possible de l'authentique, c'est-à-dire sans les malentendus qu'il renforce dans le petit point de vue écologique

  16. Quand je parle de rock, ce n'est pas des musiciens dont je parle, mais de l'éthique rock et de son caractère transgressif joyeux car assumé en opposition au folk par exemple et au New Age hippies. Si je me situe plutôt du côté rock (qui vient du blues) et de sa simplicité, ce n'est pas que j'en accepte toutes les bêtises ni que j'en ferais un idéal indépassable, mais il y a quelques grandes figures qui ont changé notre représentation de l'homme et dont on ne voit guère de précédents. C'est en tout cas mon ancrage dans le XXè siècle puisque j'écoute toujours beaucoup la musique de mon adolescence.

    Si je parle d'indignation, c'est en référence à Juvénal pour qui "c'est l'indignation qui inspire les vers". Bien sûr, c'est contestable mais l'indignation peut prendre la forme de la crânerie. Il y a tout de même pas mal de "protest songs" (sans parler du blues) et les musiques qui ne sont pas fondées sur l'indignation sombrent rapidement dans l'insignifiance. C'est le tournant disco d'abandonner l'idéologie rock qu'on retrouve dans le rap aujourd'hui. La transgression n'a de sens que sociale, revendication, refus, défi, comme expression d'un groupe social. Ce n'est pas la transgression de la musique jusqu'à détruire la musique, la rendre illisible, lui retirer son rythme qui nous soutient. La transgression doit avoir la simplicité d'une ligne de basse.

    Sinon, cet article ne fait que répéter ce que j'avais dit dans des textes récents (savoir-vivre) sur pas mal de points mais la nouveauté c'est le programme de Hegel avec la confusion du Beau, du Bon et du Vrai. Cela n'empêche qu'il y a un rapport entre le Beau, le Bon et le Vrai. Le Beau apparaît bien comme le Vrai, cela peut être cependant un trompe-l'oeil ! Le style renforce les préjugés. Le vrai n'est pas toujours beau à voir. Il semble même que la valorisation de la dissonance soit devenue un signe d'authenticité, aussi artificiel qu'un autre donc. Tout cela n'empêche pas qu'une formule vraie est souvent belle. Pour moi, c'est Rimbaud qui incarne la beauté du vrai mais c'est parce qu'il témoigne de son enfer et de son échec, pas du souci de sa carrière.

    "vérité romanesque vs mensonge romantique", c'est René Girard (que je critique beaucoup par ailleurs).

  17. c'est la manière de se placer qui est transgressive dans les jeux de rythme, pas le fait de taper fort, je n'admire pas le bruit, mais il n'est pas forcément illisible, déconstruire et construire participent d'un même mouvement
    je ne vois pas trop de différence entre les musiciens rock et l'éthique rock (mon éthique c'est mon jeu), disons que faire la différence entre les deux ne m'attire pas, d'autant plus que je n'ai pas d'amour particulier pour le rock (disons pas plus que le jazz), mais tout dépend aussi de quel rock on parle...
    franchement je ne suis pas sûr que le disco soit l'abandon de quelquechose, il répond à une demande pulsation binaire qu'on peut voir comme refus de trans-gresser (d'avancer) et refus de raconter quelquechose, seulement ce serait s'en tenir à la musicalité uniquement, or la musique n'est jamais seule (à part la musique classique?), elle est boite de nuit? voiture? vêtement? aimer le disco c'est jouer un rôle, peut-être... mais ce n'est pas le sujet
    ce serait intéressant d'aller plus loin dans "le beau, le bon, le vrai" (titre spaghetti!)

  18. Moi je ne suis pas très jazz, même si on peut dire que ce que je joue, c'est un peu du jazz (cette musique si agréable à jouer et si chiante à entendre!). C'est plutôt du n'importe quoi mais je suis pour la simplicité et le jazz que j'aime, c'est le new orleans, le ragtime, le blues, voire le gospel quand il déménage. Le retour au basique me semble d'ailleurs cyclique et c'est ça qui est subversif.

    J'avais fait une théorie de la musique quand j'étais jeune et que je n'avais peur de rien, envoyée à Scilicet mais Laurence Bataille n'y a rien compris. J'essayais de montrer que la musique était une variation qui devait avoir un thème reconnaissable pour jouer avec, surprendre sans annuler le rythme initial, un art de la syncope qui ne peut se complexifier sans se muer en plaisir du connaisseur, ce qui est tout autre chose. Tout cela est sûrement trop simpliste justement mais de toutes façons j'ai perdu le texte... Lévi-Strauss a fait une théorie de la musique tout aussi simpliste à partir du Boléro de Ravel qu'il voit comme une dissymétrie initiale qui se résout en accord à la fin sur le modèle mythique.

    Sur le beau, le bon et le vrai, je dirais qu'il faut déjà les distinguer bien qu'ils aient tendance à vouloir se confondre. Une des meilleures façons de les caractériser, c'est sans doute la façon traditionnelle ou ésotérique, reliées aux 3 personnes (Je, Tu, Il = Vrai, Bien, Beau).

  19. En fait, à vouloir approfondir la question, on se rend compte que la position de Kant n'a rien d'originale malgré la résonance particulière qu'elle aura eu sur le romantisme car elle reprend le sens de l'expression grecque "Kalos kagathos", Aristote disant à peu près la même chose : que le beau est le signe de la moralité. Occasion de constater encore une fois que la philosophie dit toujours la même chose, avec seulement des nuances d'interprétation et qu'on attribue en général à un philosophe (Descartes, Spinoza, Kant, Hegel) ce qu'il reprend d'Aristote si on ne le connaît pas assez. Il n'y a pas à se moquer des premiers siècles de la philosophie réduits aux commentaires de Platon et d'Aristote, on ne fait pas autre chose...

    En fait, si la confusion du Vrai, du Juste et du Beau se trouve bien chez Platon, je pensais qu'Aristote rejetant l'idée de bien suprême ne s'y laissait pas prendre mais on trouve bien dans "la grande morale", l'idée que l'homme bon serait beau (le fameux Kaloskagathos), le beau étant le signe de la vertu (comme pour Kant le signe de la moralité), ce qui ne sied pourtant pas à Socrate sauf à parler de sa beauté intérieure.

    On trouve donc la même confusion, que je trouve très contestable, depuis l'origine ; poussée simplement à l'extrême par le jeune Hegel. La référence aux 3 personnes en semble absente (il faudrait des recherches plus poussées).

    On voit bien ce qui réunit le Vrai, le Bien, le Beau d'être les concepts d'une perfection et de n'avoir de sens que pour un être de raison (de langage), de désigner la finalité de la raison dans la connaissance, dans le rapport à l'autre et dans l'expression. Ce sont les thèmes de la philosophie d'être le lieu de l'argumentation, du discours. Toute perfection étant belle, ce serait une erreur logique pourtant d'en déduire qu'elle serait vraie pour autant. La confusion des discours est déréalisante mais, en même temps, elle est productive dans les avant-gardes qui essaient de les mettre en pratique. Voies sans issue qui laissent cependant des traces dans l'histoire.

    Le Vrai, c'est pour les Grecs, l'a-léthé(ia), la re-mémoration, la dé-couverte, le dé-voilement. La vérité est transparente, c'est nous qui la recouvrons du voile de l'oubli (Léthé). On voit bien ce qui peut mener de cette claritas à la splendeur de l'être, de la révélation à la représentation, de la vérité à la beauté. Cette confusion va de soi pour le thomisme qui réinterprète Aristote dans l'ordre religieux, en fait une onto-théologie, mais elle est de l'ordre du sophisme, de la démagogie, de la manipulation par les images plutôt quand la vérité n'est pas donnée mais ne nous est accessible que par un langage et une tradition, si la vérité n'est pas remémorée mais reconstruite, si le réel nous est opaque excédant toutes nos représentations.

    Le lien de la théorie de la connaissance (Vrai) avec l'éthique (Bien) se fait aussi facilement qu'avec l'esthétique (Beau). La vérité comme non-dissimulation, authenticité, bonne foi rejoint la justice, l'équité du rapport à l'autre et la bonne mesure. Pas de beauté ni de sublime sans le sentiment moral disait Kant, et l'harmonie est un principe éthique autant qu'esthétique. C'est justement ce qui permet l'hypocrisie à pouvoir nous tromper. L'idée que la vérité serait obligatoirement harmonie est sans doute ce qui nous distingue du cosmos grec. Il en reste quelque chose dans le fait de considérer que la beauté des équations serait un gage de leur vérité en physique, ce qui ne se vérifie pas toujours, loin s'en faut !

    Pas de doute qu'il y a un nouage (borroméen?) entre les 3 personnes de la perfection (je, tu, il) mais les confondre, c'est vraiment ne plus pouvoir philosopher, ne plus pouvoir user de la raison dans cette nuit où toutes les vaches sont noires. Leurs rapports sont plus complexes. Par exemple, la valeur du roman comme mentir vrai, c'est bien d'arriver à dire par un récit imaginaire ce qui ne peut se dire directement, dire entre les lignes ce qui est de l'ordre de l'inter-dit (d'où le rapport de la persécution et l'art de l'écriture). Ce qui est vrai nous semble beau par effet du refoulement permis par la dénégation du roman à se présenter comme purement imaginaire ou formel. Sa beauté peut être sa charge de vérité mais beaucoup trouvent beaux des romans à l'eau de rose, ce n'est pas la beauté qui peut départager le mensonge romantique de la vérité romanesque. Encore une fois, le style n'est pas un signe d'authenticité, ou plutôt, ce n'est qu'un signe qui peut être trompeur, les littérateurs ayant le talent de répandre des préjugés avec panache.

  20. Ce qui nous parait beau, en mathématiques ou en technique et dans bien des domaines, c'est ce qui nous parait plus efficace, très subjectif.

    J'imagine que certains nazis étaient en admiration devant l'organisation des camps. Un militaire après une bataille gagnée trouvera très belle sa stratégie etc...

    Sinon, étymologiquement, apocalypse signifie dévoilement, rien à voir avec l'utilisation qu'on en fait actuellement.

    J'ai beau avoir fait du grec ancien, je n'avais jamais remarqué ce sens. C'est un plombier d'origine grecque qui me l'avait signalée, cette étymologie. Les plombiers ont bien des connaissances.

  21. Le fascisme en général et le nazisme en particulier sont effectivement une esthétisation de la politique, tout comme le maoïsme rangés par Guy Debord dans le spectaculaire concentré (car il y a tension chez Debord entre la dénonciation du spectacle et le maintien du mythe unitaire qui ne se réalise pourtant que dans le spectacle - ou dans l'action commune, dans une éthique du dialogue, mais qui se réduit au tout petit nombre alors, loin des "conseils ouvriers").

    Pour la beauté asiatique, on peut constater qu'elle peut prendre des orientations opposées, ce qui est frappant avec le zen qui est libertaire en Chine et militarisé au Japon. Cela confirme qu'on ne peut déduire la vérité d'une beauté qui peut être trompeuse, on ne peut ramener le beau au vrai, la représentation n'étant pas la chose même. C'est la source de la mystification unificatrice mais c'est heureux quand même car cela donne du jeu, empêchant de tout totaliser dans un seul système homogène, de même qu'on peut jouer l'Etat contre le marché et le marché contre l'Etat en s'appuyant sur leurs contradictions. C'est la confusion des genres qui est impossible malgré les prétentions du totalitarisme inventé par Mussolini et Gentile mais encore pratiqué par le néolibéralisme qui réduit la société au marché. L'expérience du réel oblige à la différenciation, au maintien de l'autonomie relative des champs (avec une éthique relative au discours), au refus de ramener la politique à la morale, comme le vrai au beau. Notre rapport à nous-mêmes n'est pas du même ordre que notre rapport à l'autre qui n'est pas du même ordre que notre rapport au monde même s'ils conjuguent le même verbe (je, tu, il) et ne sont pas sans rapports entre eux.

  22. Denis Dufour, musicien dit qu'il y a 3 plans :
    1- il y a notre rapport au monde
    2 - l'écriture qu'on met en place pour y faire face, système personnel
    3 - la composition, nécessaire pour que l'écriture devienne publique

    je retrouverai l'extrait de l'entretien que j'ai en tête, car je le met à ma sauce

    autre chose : on est encore un peu dans le "tryptique", mais il est vrai qu'un bon binaire ne vaut que par son attirance vers la syncope, dé-cadence naturelle des respirations nécessaires et adaptées

  23. Il y aurait de quoi dire aussi du ternaire, la valse, rotation du peuple face à l'aristocratie des menuets, devenue musette, même si certains ont évoqué la valse à 2 temps.

    Constitution du couple aussi, dessiné par W. Scheller :
    http://www.youtube.com/watch?v=S-vE...

    Le deuxième temps, le faible temps, m'apparait comme une syncope, un tiret ou point d'interrogation entre les premier et deuxième temps, presque un point d'orgue interrompu par le troisième temps, sorte de dissonance temporelle ou alors respiration avant la conclusion. Schéma thèse, anti-thèse et synthèse.

  24. Zut, j'ai écrit Scheller au lieu de Sheller, c'est l'allemand qui me fait faire des fautes, je me mélange les pédales entre l'anglais et l'allemand, et un peu le français.

    Encore un des tours de ma cervelle soumise aux confusions des langages. Pas très grave, mais amusant.

  25. je dois dire que je n'y comprends plus rien sans doute trop ésothérique pour ma petite cervelle . je croyais que c'était au nom du bien qu'on faisait les pires saloperie et que le mieux était l'ennemi du bien (forme la plus exacerbée de l'agressivité). mais que ce soit la politique, l'art ou la science autant qu'on puisse les ditinguer il me semble qu'ils se rejoingnent ( avec la formation et la santé par certains cotés ) , quand ils procédent par "recherche-action" ou socio analyse , le travail intellectuel se bornant à faire changer les opinium et les nullités des gens de sont époque . bien sur tous les artistes ne procèdent pas ainsi mais tous ces travaux se disntinguent en saisissement et discernement où on fait finalement toujours la même chose , déranger le troupeau attirer l'attention sur ce qui n'était même pas soupçonable , provoquer l'emergence d'une certaine conscience ( même au prix d'autres aveuglements . ) . l'esthétisation de la politique c'est hilter et depuis toute la politique politicienne à l'américaine ( propagande) mais c'est aussi coluche . et si la politique reste essentiellement locale on a aussi besoin d'une intelligentia locale et , même si c'est complètement ridicule des avant gardes locales ( ce serait d'ailleur plus des arrières gardes . )

  26. @brunet :

    Coluche m'a parut faire une dé-esthetisation de la politique, c'est le rôle de l'humour.

    Bien sûr, pour cause, chacun prétend révéler l'insoupçonnable, c'est la cerise sur le gâteau à atteindre.

    Alors qu'après coup, l'insoupçonnable devient une banalité insoupçonnée.

  27. Ne plus comprendre est le début de la sagesse ! Il est certain que s'attacher trop aux mots, c'est discuter du sexe des anges car les mots peuvent s'employer de diverses façons.

    La remise en cause du bien suprême ne remet pas en cause l'existence des biens et l'expression du négatif n'est pas une valorisation du négatif comme s'il pouvait ne plus y avoir de positif. Le bien, c'est la conformité aux fins dont fait partie l'égalité avec l'interlocuteur. Le mal est souvent causé par le bien, soit pour notre bien, soit par le manque d'un bien, mais le mal, c'est le ratage ou le mensonge. Renoncer à une société parfaite, c'est renoncer au Bien, mais pas à améliorer les choses, pas à des biens particuliers qu'il faudra obtenir, pas à corriger ses erreurs et réagir au feedback. Le mieux est l'ennemi du bien signifie qu'il faut se contenter du fait que ça marche et ne pas vouloir la perfection (c'est la règle des 80/20 de Pareto), il n'empêche qu'on doit faire mieux quand ça ne marche pas. Préserver la part du négatif n'est en rien délaisser le positif mais la seule façon d'y arriver (principe de la cybernétique).

    Bien sûr, à chaque époque, il est très difficile de savoir quoi faire, d'avoir le bon diagnostic, de faire les bons choix, de choisir le bon camp, de ne pas être dans la répétition de ce qui est révolu, encore plus dans cette période troublée. Si je pouvais mieux faire, je le ferais, croyez-le !

    Localement, on a besoin surtout de rassembler les habitants de la commune, une avant-garde ne pouvant s'en séparer sinon temporellement mais elle doit se fondre dans la masse ensuite, une fois entraînée dans l'action, même s'il y a toujours une division du travail.

  28. On m'a souvent pris pour un idiot, je m'en indignait, maintenant ça me réconforterai presque.

    Pas vraiment du cynisme, mais j'apprécie désormais la fraicheur des situations qui me placent comme un imbécile. Un idiot parfois utile, parfois nuisible.

    J'ai peut être atteint le début de la sagesse, qui n'a probablement pas de fin.

  29. Denis Dufour :
    "Il y a trois plans : le savant (la manière dont je me situe et me place face au monde), l'écrit (c'est ce que je peux répondre aux sollicitations du monde), le compositionnel (c'est la façon dont je vais résoudre mes symptômes face à cet univers)."
    revue Octopus, n°14, printemps 2002, p.52

    Ca donne à l'action et à la rétro-action une place importante, puisqu'un système d'écriture est évolutif, et que les compositions se succèdent les unes aux autres, chacune intégrant une partie de la recherche précédente. Je le met en parallèle avec l'extrait suivant, qui m'avait paru très juste dans le texte de JZ : "la pratique ne devrait pas rester sans rétroaction sur l'idée qui doit faire autant l'objet de la critique que les difficultés pratiques qu'elle rencontre"

    le work in progress est intime, il tient du petit collectif, il ne dresse pas une perspective idéale, révolutionnaire, il n'a que faire de l'avant-garde?

  30. Il est difficile de traduire la langue d'un autre qu'on ne connaît pas, je ne suis donc pas sûr de bien comprendre mais il y a une résonance indéniable même si on parle d'autre chose, la trinité peut se décliner en multiples façons (la dialectique a beau être quaternaire, il n'y a que 3 personnes, là au moins, ça coince).

    On ne pense pas seuls, ce qui nous fait sujet historique. Comme disait Lacan, le collectif est sujet de l'individuel.

    La rétroaction de la pratique sur l'idée est effectivement décisive, bien que très difficile, c'est ce qui modifie le schéma projet/réalisation et distingue une dialectique mécanique d'une interaction sujet-objet. Il est intéressant de noter que l'insistance sur ce point (notamment dans mon adresse aux communistes de Limoges début juin, pas encore publié), vient de la réfutation des "invariants du communisme" de Badiou (et Balmès). Cela illustre comme le faux est un moment du vrai, l'exagération montrant l'absurdité d'une position qu'on acceptait sans y penser avant et la réfutation qui s'en suit oblige alors à reformuler la position initiale en lui restituant sa dynamique. Ce que je formule comme le dépassement du communisme (état final) en écologie-politique (processus).

  31. Concernant Ravel et son boléro, lui même le considérait comme une caricature pompeuse, intentionnellement, c'est vrai que c'est lourdingue cette rythmique hiératique, un canulard prétentieux dont on a fait une prière.

    Mais beaucoups sont tombés dans le panneau, y compris Béjart et Lelouche.

    Ravel considérait mon grand père comme l'un des meilleurs musiciens de son époque. Il a connu Ravel, Albeniz et bien d'autres, j'en reçu quelques bruits.

    Je l'ai appris familialement.

    C'est de là que j'ai appris cette anecdote sur le Boléro.

  32. Curieusement, 2 livres actuels parlent du "plus ancien programme systématique de l'idéalisme allemand" et des rapports entre esthétique et politique.

    Le livre d'Annie Lebrun "Si rien avait une forme, ce serait cela" m'a semblé très décevant malgré son beau titre, n'arrivant pas à sortir de la confusion et de l'impasse des avant-gardes avec un concept du "noir" qui manque singulièrement de dialectique. Du moins, elle témoigne de la question qui se pose à nous de continuer l'histoire mais elle fait trop crédit à la poésie, au pouvoir des mots et d'un récit qui ne peut être que déceptif.

    J'ai trouvé bien plus surprenant le petit livre de Dominique Pagani "Féminité et communauté chez Hegel" qui sort aux éditions Delga, décidément bien intéressantes malgré un côté archaïsant. Le livre est un peu difficile à lire, jouant trop sur le sous-entendu mais il donne une lecture plus précise que la mienne de la place de l'esthétique dans le système hégélien où elle est sauvegardée comme totalité et pas seulement reniée. L'esthétique se réfugierait dans la révélation du présent assumé comme tel dans le rapport à l'autre. J'y reviendrais peut-être.

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