L’écologie-politique, avenir de la gauche

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On peut analyser de différentes façons l'effondrement des Verts aux dernières élections présidentielles : par leurs défauts internes ou les défauts de l'élection, par la faute à Hulot, à Bové, au PS, aux médias... Certes tout cela a pu jouer mais il faut surtout rapprocher cet effondrement de deux autres faits : d'une part il ne faut pas faire comme si la marginalisation des Verts n'était pas celle de toute la gauche (l'extrême-gauche bien sûr mais jusqu'au PS puisque les valeurs de gauche y étaient marginalisées aussi !), d'autre part cette décrédibilisation du parti écologiste se produit paradoxalement au moment même où les problèmes écologiques commencent à être pris au sérieux par la société toute entière, y compris les partis de droite...

La gauche ne peut se tenir à l'écart de cette prise de conscience écologique et c'est sans doute un des enjeux principaux d'une refondation de la gauche d'arriver non seulement à prendre en compte ces questions écologiques mais à se reconstruire autour d'une véritable écologie-politique qui n'est pas autre chose que la continuation du socialisme par d'autres moyens. En effet, si l'écologie-politique constitue bien une nouvelle façon de faire société, avec de nouveaux biens communs, le sentiment d'une communauté de destin et d'une responsabilité collective, cette solidarité sociale renforcée ne signifie aucunement qu'il faudrait nier pour autant la division de la société ni la nécessaire résistance des dominés. Au contraire, c'est une base solide pour exiger avec plus de force encore la réduction des inégalités, pour ce qui serait une véritable écologie de gauche mais qui aura besoin d'être défendue par toute la gauche, pas seulement par une de ses composantes. La gauche y trouverait sans aucun doute un nouveau souffle pour reprendre l'offensive, une nouvelle légitimité qui pourrait rassembler le mouvement social sur un objectif à long terme. Pour le dire simplement : l'écologie-politique, c'est l'avenir de la gauche ! En effet, la leçon qu'on doit tirer de notre situation historique, c'est qu'il y a une double impasse : celle d'une écologie réduite à un parti groupusculaire, mais tout autant celle d'une gauche tournée vers le passé et sans projet, éclatée en petites chapelles sur le marché des idéologies et confinée à des stratégies purement défensives.

Une écologie de gauche

Le contraste entre la popularité de Nicolas Hulot et le score des Verts a valeur de démonstration du fait que les menaces écologiques sont reconnues désormais par une large partie de l'électorat, sans pour autant que les Verts apparaissent capables d'y répondre en quoi que ce soit ! Il ne faut pas y voir la preuve du caractère apolitique de l'écologie (le fameux ni-ni, "ni de droite ni de gauche") alors qu'il y a bien, au contraire, une écologie de droite comme il y a une écologie de gauche ! C'est juste la preuve que les Verts ne sont pas à la hauteur mais surtout que l'écologie n'appartient pas aux écologistes patentés et qu'elle est devenue incontournable, s'imposant à tous désormais comme notre réalité collective, la crise climatique matérialisant notre existence comme totalité planétaire et l'effet en retour de nos comportements collectifs. Il ne faut pas croire que ce sont les écologistes qui sont à l'origine de la sensibilité aux questions écologiques ni qu'il ne s'agit que d'effets de mode, ce sont les faits eux-mêmes dans ce qu'ils ont de plus matériel qui mettent la préoccupation écologique au centre de la vie publique. Il ne s'agit pas d'idéologie même si l'idéologie vient s'y greffer ensuite. L'écologie n'est pas une "valeur", une préférence pour la nature par exemple. L'écologie n'est pas un sentiment, c'est une prise de conscience, c'est assumer la responsabilité de l'effet de nos actions. Ce n'est pas non plus la nostalgie d'un passé originel alors que c'est tout au contraire une projection dans l'avenir et l'engagement dans un projet commun. Encore faut-il savoir lequel, ce qui devrait être l'objet justement du débat politique entre droite et gauche si la gauche n'avait perdu tous ses repères historiques ! En tout cas, il y a une chose qui apparaît de plus en plus clairement, c'est qu'on n'a pas vraiment le choix puisque, ce qui est en cause, c'est la préservation de nos conditions vitales, la préservation collective de notre existence collective !

Au-delà de Nicolas Hulot, la récupération actuelle de l'environnementalisme par le gouvernement pourrait laisser penser que l'écologie est passée à droite et du coup l'accuser d'être un truc de riches. C'est ce dont rêve la droite, sans aucun doute, dans l'illusion que le "capitalisme vert" pourrait intégrer la contrainte écologique et même relancer l'économie et la croissance, quand ce ne sont pas les tenants du libéralisme qui prétendent que le marché est un écosystème qui réglera tout à merveille tout seul ! Il y a effectivement un certain nombre de mesures urgentes qui peuvent être prises rapidement pour réduire les ravages du productivisme sans nuire à la croissance dans un premier temps mais la contradiction ne tardera pas à se faire sentir entre la logique du profit et la préservation des équilibres écologiques ou sociaux. La prise en compte de l'écologie, c'est-à-dire de tout le hors-travail et le non-économique, condamne à plus ou moins long terme le capitalisme et porte la nécessité d'un retour du politique dans l'économie mais aussi de sa relocalisation. La crise écologique est un élément supplémentaire de la critique du capitalisme productiviste, d'un libéralisme irresponsable et de la mondialisation marchande, c'est même "le plus grand et le plus large échec du marché jamais vu jusqu’à présent" selon le rapport Stern qui ne fait pourtant que proposer des mécanismes de marché pour y répondre ! Certes, on ne pourra se passer d'écotaxes, non pas tant pour internaliser les coûts que pour réduire le gaspillage et préserver les ressources rares, mais elles ne constituent pas du tout une véritable solution pour autant et pèsent surtout sur les plus pauvres. C'est une façon de réserver le droit de polluer aux riches. Pas étonnant que ce soit la voie défendue par la droite. Pour la gauche si des écotaxes sont inévitables, elles ne peuvent être acceptables sans contreparties ni alternatives. En tout cas, il est certainement stupide de prétendre que l'écologie n'est ni de droite, ni de gauche, alors qu'il y a bien une écologie de droite, même si elle ne mène pas bien loin, et une écologie politique de gauche beaucoup plus ambitieuse !

L'écologie ne se réduit pas à l'environnementalisme, comme on le croit trop souvent, se contentant de corriger les effets les plus voyants du système. Au contraire, elle doit remonter aux causes et donc "remettre en cause" le système ; ce que la droite ploutocratique évitera de faire bien entendu, derrière toute sa phraséologie ! Il n'y aura de véritable écologie transformatrice que soutenue par la gauche et les couches populaires. C'est pourquoi, si l'écologie est bien l'affaire de tous, c'est surtout l'affaire de la gauche qui peut lui donner toute sa dimension, en tout cas la plus favorable au plus grand nombre, ouvrant la voie à une transformation sociale émancipatrice, de nouvelles solidarités et la construction d'un avenir commun où la gauche pourrait retrouver toutes ses valeurs. Assumer ce rôle historique en adoptant ces nouvelles perspectives, serait aussi l'occasion pour la gauche de tirer toutes les leçons de ses échecs passés et de ne plus en rester aux vieilles idéologies dépassées du siècle dernier, ni au productivisme industriel, ni à la centralisation du pouvoir. Cela devrait être l'occasion enfin de se tourner vers l'avenir et l'économie de l'immatériel.

Le discours écologiste que la gauche doit reprendre à son compte n'est pas forcément ce qu'on présente habituellement comme le discours "écolo". Rien à voir bien sûr avec l'opposition irrationnelle aux chasseurs par exemple ! Répétons-le, l'écologie n'appartient pas aux écolos ! Il y a tout de même toute une tradition écologiste qui se situe non seulement à gauche mais dans le sillage du marxisme, tout en marquant nettement leurs points de rupture, de Jacques Ellul à André Gorz. Contrairement aux idées reçues, il faut souligner à quel point les analyses de Marx ont été déterminantes dès les origines de l'écologie (le capitalisme comme productivisme, l'aliénation de la marchandise, l'abolition du salariat). L'écologie politique ne se réduit certes pas au rejet du marxisme comme certains écologistes ont pu le croire, elle en reprend plutôt le flambeau ! Une écologie de gauche ne peut qu'être révolutionnaire, engagée dans la construction d'une alternative au capitalisme ainsi qu'au salariat productiviste même si elle devra prêter une attention plus grande au qualitatif, aux spécificités locales ainsi qu'aux effets à longs terme de nos actions. Il y a continuité autant que rupture car si l'écologie vise l'épanouissement de l'individu dans son milieu naturel et social, il lui faut pour cela "changer de révolution" tout de même et notamment "penser global, agir local", comme disait Jacques Ellul.

La révolution écologiste

Les Verts ont beau s'être rangés depuis plus de 10 ans du côté de la gauche plurielle, ils n'avaient rien de révolutionnaire jusqu'à présent, c'est le moins qu'on puisse dire, il était même très mal vu d'oser parler d'écologie révolutionnaire dans leurs rangs, je peux en témoigner ! Les choses ont bien changé depuis car la reprise des thèmes environnementaux par les autres partis a montré qu'il n'y avait pas de place pour un parti écologiste réformiste, ce qui les a poussés à radicaliser leur discours, appelant à une "révolution écologiste" mais qui sonnait un peu faux, il faut bien le dire ! Les Verts qui croyaient avoir l'exclusivité de l'écologie ont dû comprendre, mais un peu tard, qu'un parti écologiste ne se justifiait qu'à défendre un véritable projet écologiste et donc, effectivement, une révolution écologiste, mais il ne suffit pas de le dire...

Si c'est toute la gauche qui doit devenir écologiste, n'est-ce pas l'existence même d'un parti écologiste qui est remis en cause ? La disparition des Verts dans un grand mouvement de gauche, n'est pas exclue, ou plutôt leur éclatement dans différentes familles politiques, mais ce n'est pas forcément le plus probable, ni le plus souhaitable d'ailleurs. Quel pourrait être le rôle d'un parti écologiste dans une gauche écologiste ? On peut penser qu'il pourrait servir utilement d'avant-garde, d'expression politique et de coordination des différents mouvements écologistes mais à condition de ne pas se réduire à un simple parti d'élus à la remorque du PS comme maintenant et d'expérimenter en son sein les solutions qu'il propose à la société toute entière. L'intérêt d'un parti écologiste devrait être, en effet, non seulement de proposer des alternatives mais de les mettre en pratique. Inutile de préciser qu'on en est loin ! Une question cruciale est trop souvent négligée, celle de notre rationalité limitée et donc de la nécessité du principe de précaution et de la construction de l'intelligence collective, ce qu'on peut appeler une démocratie cognitive (non pas une "démocratie populaire" formellement "majoritaire" et qui pourrait décider soi-disant de tout au nom d'une prétendue "volonté générale", encore moins une démocratie des experts plus ou moins indifférents au sort des citoyens mais une démocratie des gens, des minorités, des droits de l'homme, du respect et de la qualité de la vie). C'est ce que les Verts pourraient tenter d'initier en articulant mouvement écologiste et parti. En tout cas, une refondation des Verts est inévitable et ne pourra se faire que sur un projet concret d'alternative, question qui concerne toute la gauche cette fois.

Il ne s'agit pas de faire n'importe quoi. Une alternative effective doit répondre aux contraintes écologiques ainsi qu'aux aspirations sociales mais tout autant aux exigences de l'ère de l'information qui s'ouvre devant nous. Or, il n'y a pas de milliers de façons de prendre en compte à la fois l'écologie, avec la relocalisation des échanges, et l'économie de la connaissance, avec le développement humain. Il ne s'agit pas de prétendre tout réinventer comme si ces questions n'avaient pas été abondamment discutées depuis longtemps mais on peut s'étonner quand même du nombre restreint d'alternatives écologistes effectives. J'en ai dénombré 4 principales (productivisme durable, productivisme bridé, décroissance, production alternative) avec une mesure phare dans chaque cas : écotaxes, RTT, relocalisaton, revenu garanti. La première, trop libérale, ne peut faire plus que limiter les dégâts, c'est l'écologie de droite, pas vraiment alternative ! Les partisans de la réduction du temps de travail et des consommations se heurtent rapidement aussi au productivisme du système qu'ils voudraient seulement réduire, sans offrir d'alternative au capitalisme salarial. La décroissance est un mot d'ordre utile, derrière lequel il y a toutes sortes d'utopies un peu trop volontaristes, moralisantes ou même pires, mais qui insistent avec raison au moins sur la relocalisation de l'économie. Leur faiblesse au-delà de l'utopie un peu floue, c'est de ne pas intégrer du tout la révolution informationnelle.

La dernière alternative est la seule qui tient compte des transformations du travail à l'ère de l'information avec la revendication d'un revenu garanti. Il faut se persuader qu'il n'est pas possible d'attendre du marché qu'il règle magiquement nos problèmes mais pas plus qu'il serait possible de déterminer les besoins sociaux à l'ère de l'information et du travail immatériel où l'autonomie de l'individu devient si essentielle ! C'est pourquoi il faut prendre la question au niveau du travailleur et de son autonomie plus que des besoins sociaux. Cette alternative, qui me semble la seule vraiment sérieuse (bien qu'elle ne soit pas suffisamment prise au sérieux!), a été dessinée dans ses grandes lignes par André Gorz qui vient tout juste de nous quitter. Précurseur de l'écologie politique dans l'après Mai68, d'une écologie politique de gauche et anticapitaliste, héritière du marxisme et attentive aux conditions de travail, il sera toujours resté fidèle à la classe ouvrière malgré ses "adieux au prolétariat" un peu prématurés. C'est surtout dans "Misères du présent, richesse du possible" (1997) qu'il définira précisément les termes de l'alternative écologiste à l'ère de l'immatériel, rejoignant les propositions les plus innovantes de Jacques Robin et de Transversales pour une économie plurielle : revenu garanti, coopératives et monnaies locales... Il ne fait pas de doute que ces propositions qu'il faudrait détailler un peu plus ne paraissent pas assez crédibles, bien trop différentes des revendications habituelles du mouvement social ! Ce ne sont pourtant pas des propositions utopiques issues d'imaginations un peu trop fertiles, ni des résurgences proudhoniennes, ce sont des pratiques effectives, les enjeux du moment, ainsi que les conditions d'une économie plus immatérielle et moins productiviste. Aussi étonnant que cela puisse paraître, c'est à la fois ce qui est possible et nécessaire.

Il y a d'abord le revenu garanti, défendu par bien d'autres comme Toni Négri ou Yann Moulier-Boutang mais qui reste difficile à admettre. C'est presque en contrebande qu'il insiste à travers de nombreuses luttes éclatées (retraités, chômeurs, travailleurs pauvres, précaires, intermittents du spectacle, rmistes, salaire étudiant, handicapés, etc.) et dans de nombreux pays (le Brésil en a le projet au moins). Comme tout le monde, André Gorz a d'abord été choqué par cette idée folle d'un revenu sans contrepartie, idée folle dans l'ancien monde sans aucun doute mais qui s'impose désormais pour assurer non pas seulement une véritable "sécurité sociale" mais bien donner les moyens d'un "développement humain" de plus en plus central. Le revenu garanti unifiant toutes ces luttes non seulement créerait de nouvelles solidarités mais inverserait le rapport de force en donnant les moyens de changer le travail et de sortir du salariat productiviste au profit du travail autonome et de la relocalisation de l'économie.

Il ne faut pas croire que le revenu garanti serait destiné à ne rien faire, il est destiné à assurer une continuité de revenu mais surtout à donner les moyens de valoriser ses compétences et d'assurer une production alternative au système marchand, ce pourquoi il faut des structures collectives destinées à faciliter le travail autonome et le rendre accessible à tous, avec toutes les protections sociales mais très loin d'un travail de fonctionnaire. C'est ce que j'ai appelé, en m'inspirant de Bookchin, des coopératives municipales, destinées aussi à dynamiser les échanges locaux, un peu comme les SEL (Systèmes d'Echanges Locaux).

Il s'agit en fait de prendre la question à l'envers de la planification socialiste, en partant du travailleur lui-même et non de la consommation ou des besoins sociaux, pour essayer de passer du travail forcé au travail choisi, favoriser la créativité, la formation, le travail autonome en lui procurant toutes les protections sociales, jusqu'à un revenu garanti, s'occuper enfin de "changer le travail pour changer la vie" et ne plus perdre sa vie à la gagner ! A condition d'avoir les institutions qui le permettent, cette écologie du travail pourrait offrir une alternative au salariat productiviste et constituer une véritable libération des nouvelles forces productives immatérielles en même temps que l'accès à un travail plus épanouissant pour tous. Cela constituerait, on en conviendra, un progrès indéniable de la qualité de la vie ! Partir des hommes eux-mêmes et de leur vie quotidienne permet de retrouver concrètement les questions écologiques liées à leur milieu. C'est ainsi que le travail autonome se révèle indissociable d'une relocalisation de l'économie au profit des échanges de proximité, constituant bien la base d'un véritable système de production alternatif, plus écologique et adapté à notre époque.

Ce sont les monnaies locales qui sont les meilleurs instruments d'une relocalisation de l'économie, réappropriation politique de la monnaie, au niveau local, et permettant une nouvelle forme d'économie publique, territorialisée. Non seulement, ce n'est pas impossible mais la monnaie solidaire SOL est opérationnelle depuis peu et peut être utilisée dès maintenant ! Cette importance donnée au local est sans doute une des plus grandes ruptures avec la gauche traditionnelle, mais qui a déjà été amorcée par l'altermondialisme avec la poursuite de changements globaux fondés sur des alternatives locales. L'écologie politique se caractérise par le souci du réel le plus concret, la nécessité de dynamiser les échanges locaux et de raccourcir les circuits de distribution, ce qui va de pair avec une revivification de la démocratie locale et de la "commune". C'est un renversement de perspective là aussi, et qui ne va pas de soi, jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que c'est uniquement par le local qu'on pourra développer le local, c'est à partir du local qu'on pourra équilibrer la globalisation, c'est enfin à partir du local qu'on peut agir sans attendre, et construire dès à présent des alternatives locales à la mondialisation marchande. Cela n'exclut pas un mouvement plus ample dans lequel ces alternatives s'inscrivent et qui leur donne sens, mais cette fois selon un processus qui part de la base (bottom-up) et non pas imposé d'en haut (top-down). Il ne s'agit pas du tout d'utopie mais bien de ce qui est faisable ici et maintenant. Non seulement de ce qui est faisable, mais ce qu'il faut absolument faire ! Ainsi, même si c'est hautement improbable, les prochaines municipales pourraient tout-à-fait être l'occasion pour les écologistes, voire pour toute la gauche, de commencer la révolution par les communes...

L'avenir de la gauche (retour vers le futur)

Pour une large part, la victoire de la droite n'est due qu'à la faiblesse de la gauche, son absence d'alternative plus que de mobilisation, et si la gauche retrouvait une légitimité dans l'opinion, si elle avançait des propositions crédibles, rien ne lui résisterait... En attendant, elle donne le spectacle de la plus grande division sans pouvoir renouveler son discours ni s'opposer au pire. Il est certes très important de parler de refondation de la gauche mais la recomposition n'est pas une affaire d'appareils comme on feint de le croire, c'est bien plus une recomposition théorique, une refondation idéologique, une confrontation avec les bouleversements de notre temps et la reconstruction d'un projet collectif. Il ne suffira pas d'un accord au sommet ni d'alliances de circonstance, il faut tout repenser. On peut même dire que c'est parce qu'il faut bousculer nos représentations et nos habitudes de pensée que la tâche est si désespérée, l'idéologie a une fonction d'inertie considérable même si tout peut s'accélérer sous la pression des événements.

En fait de refondation de la gauche, il semble que la plupart du temps cela ne signifie guère plus que tout garder (revenir aux fondamentaux, à la pureté du dogme) ou tout perdre (renoncer aux principes, passer à l'ennemi) alors qu'il faudrait apprendre à penser autrement dans un monde qui se transforme de façon de plus en plus accélérée, où nous sommes devenues responsables de la totalité du monde, du climat planétaire et de la biosphère, dans un monde limité où les ressources ne sont pas inépuisables mais où nous devons apprendre à vivre ensemble, en préservant notre avenir ou plutôt en le construisant collectivement. Il semble impossible à l'écologie-politique de ne pas se ranger du côté de l'alternative et de l'anticapitalisme, mais cela n'a aucun sens si ce n'est pas la gauche toute entière qui s'en empare. Le destin de l'écologie-politique ne peut être séparé des autres forces transformatrices car si elle a bien vocation à devenir toute la gauche, cela veut dire surtout que c'est toute la gauche qui doit intégrer cette dimension écologique et se tourner à nouveau vers le futur au lieu de rester vainement accrochée au passé...

Non seulement il faut tout repenser à partir de la question écologique mais c'est la production aussi qui doit être complètement repensée à l'ère du numérique, de l'automatisation et du travail immatériel. Cela fait beaucoup mais l'ère de l'information, de l'écologie et du développement humain correspond effectivement à de grands bouleversements dans l'organisation productive, bouleversements qui commencent à peine et devraient se traduire notamment par une indispensable relocalisation de l'économie afin d'équilibrer la globalisation marchande mais aussi par l'exigence d'un travail choisi et le souci de la qualité de la vie. On comprend que ces bouleversements idéologiques soient bien difficiles à digérer mais ils ne sont qu'une conséquence de transformations matérielles déjà effectives et de la nécessité de nouveaux rapports de production plus adaptées aux nouvelles forces productives. L'admettre serait la condition pour ne pas en rester aux revendications traditionnelles trop en décalage avec la réalité actuelle. Il ne suffira pas d'y ajouter un peu d'écologie, ce qu'il faudra c'est bien changer complètement de point de vue !

Les difficultés pour dépasser les anciennes idéologies et les organisations actuelles semblent plus qu'insurmontables. Les changements de culture, de perspectives et d'organisations sont trop importants. Inutile, en tout cas, d'attendre de tels changements d'accords au sommet. Par contre, c'est peut-être au niveau des alliances locales qu'une reconstruction pourrait s'avérer possible, c'est à ce niveau que la confrontation avec la réalité peut convaincre les militants de différentes origines de la justesse de propositions et des possibilités concrètes d'alternative, ici et maintenant, dans le cadre du capitalisme mondialisé et malgré les contraintes européennes mais sous la pression de plus en plus impérative des contraintes écologiques. Peu importe au fond que tout cela ne paraisse guère convaincant pour l'instant car il ne s'agit pas d'un débat théorique mais d'une confrontation au réel et de possibilités pratiques à expérimenter. Dans le désastre actuel, on ne peut que se détourner d'un pouvoir central dont on ne peut rien attendre de bon, et se replier sur le local, ce qui pourrait constituer notre chance. Pour cela il faudrait du moins arriver à se regrouper localement, à l'occasion des prochaines municipales par exemple, essayer de refaire communauté et réapprendre à vivre ensemble avec nos différences, un retour de la commune et de la fédération plutôt que des partis...

(Nouvelles Fondations no 7/8, novembre 2007)

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