Les alternatives écologistes
Les propositions des écologistes me semblent pouvoir se répartir selon 4 axes :
1) la correction de la valeur économique afin
d'obtenir une "vérité des prix" écologique, l'internalisation
des externalités par des taxes et l'orientation des mécanismes
de marché vers les solutions écologiques (ecolabels, commerce
équitable, normes, subventions) ainsi que la constitution d'un secteur protégé
hors marché (biens communs et tiers-secteur). Ces mécanismes
correctifs (de régulation par le marché) sont sensés
rendre le productivisme capitaliste plus efficace écologiquement moins
destructeur et plus durable. C'est donc ce qu'on peut appeler le productivisme durable.
2) Une autre façon de résoudre le problème d'une croissance
destructrice serait de restreindre le productivisme en ralentissant la croissance,
dans la production par la réduction continue du temps de travail et
dans la consommation par la frugalité volontaire, tout cela sans changer
la logique du système mais en luttant simplement contre ses excès
et en essayant de garder les protections salariales. C'est la même
chose, mais en moins (ou en mieux), une économie "plus économe", ce qu'on peut appeler un productivisme bridé.
3) Ceux qui défendent une décroissance conviviale se situent
par contre clairement dans une alternative au productivisme et une critique
de l'économisme dominant. C'est la version politique de l'écologisation
de l'économie, les régulations économiques étant
remplacées par des régulations collectives débattues
publiquement. Ce n'est pas un retour aux économies planifiées
et centralisées puisque c'est au contraire une relocalisation de l'économie, une auto-gestion démocratique
décentralisée de la production et des échanges ; mais
il faut bien dire que les modalités et leur efficacité restent
problématiques.
4) Enfin, la dernière façon de répondre à un
productivisme insoutenable est de construire une production alternative tirant
partie de la révolution informationnelle pour réorienter l'économie
sur le développement humain, les services et les consommations immatérielles
en passant d'une logique concurrentielle à une logique coopérative
et d'une productivité à court terme à l'investissement
dans l'avenir, c'est-à-dire en développant l'autonomie de chacun, en particulier
l'autonomie financière par une garantie de revenu. C'est la seule
alternative concrète qui me semble à la hauteur des mutations
en cours et d'une écologie qui doit nous apprendre à penser à long terme.
On remarquera justement qu'il y a une certaine gradation
dans ces différentes alternatives, à plus ou moins long terme,
et chacune des politiques défendues est susceptible d'utiliser accessoirement
les propositions précédentes. Ainsi, la décélération
de la croissance ne répugne pas à utiliser les écotaxes,
la décroissance conviviale prône la réduction du temps
de travail et la multiplication par 10 des prix du pétrole, le revenu
garanti est inséparable d'une relocalisation de l'économie
et les coopératives municipales ne peuvent se passer de régulations
collectives, etc. Pourtant ces stratégies ne sont pas équivalentes
ni toujours compatibles et, pour des écologistes, les mesures à
court terme ne prennent sens qu'en fonction des objectifs à long terme.
C'est pourquoi, même si le revenu garanti n'est pas notre horizon immédiat,
il me semble que c'est seulement dans ce cadre qu'on peut parler d'une véritable
alternative écologiste.
Il s'agit d'examiner les arguments pour ou contre
chacune des solutions afin d'essayer de construire
un consensus à partir de nos divergences, sur la pertinence et le
cadre des politiques à défendre selon le contexte et les enjeux.
1) L'Eco-économie
libérale (vérité des prix, pollueur payeur, Lester R. Brown)
Il y a tout un courant d'
économie écologiste, déjà ancien (Pigou 1920, Odum 1955, Georgescu-Roegen 1966)
qui essaient d'intégrer dans l'économie les coûts écologiques
(externalités). Le défaut du marché serait de ne pas
refléter la vérité des prix qu'il suffirait de rétablir,
pour certains, par des écotaxes ou une internalisation des "externalités
négatives" (c'est le mot d'ordre "pollueurs payeurs" des écotaxes
qui donne le droit de polluer aux plus riches et suppose qu'on peut donner
un prix à la pollution) alors que d'autres prétendent substituer
à la valeur économique une mesure objective de la valeur par
l'énergie incorporée (
émergie!). L'orientation
des mécanismes de marché vers des solutions plus écologiques
se fait essentiellement par la fiscalité, les normes, les subventions,
si ce n'est de simples ecolabels. On peut rattacher le commerce équitable
à ces versions écologiques d'un marché régulé
et d'une vérité des prix. Dans ces conceptions purement économiques
de l'écologie, un secteur de biens communs est protégé,
exclu du marché, et un tiers-secteur se constitue en marge du système
pour intégrer les exclus du travail salarié mais on peut douter
du caractère alternatif de ce tiers secteur, défendu par Jeremy
Rifkin, qui est plutôt un résidu du marché et du salariat,
de zones laissées en friche par manque de rentabilité marchande.
Dans cette perspective, il n'y aurait aucune antinomie entre écologie
et croissance économique, la croissance étant une lutte contre
la rareté. Les partisans de l'éco-économie "
soulignent qu’il va falloir changer en un
temps record l’essentiel de nos infrastructures : remodeler l’urbanisme,
changer d’habitat, reconfigurer les moyens de production dans la plupart des
industries, etc. Cet énorme effort d’investissement est générateur de croissance
et, à la fois, nécessite de la croissance pour être mis en œuvre : la
croissance faible des vingt dernières années en Europe a plus freiné la
transformation écologique des modes de production et de consommation qu’elle ne
l’a accélérée" (Alternatives économiques,
janvier 2004). De plus, le simple fait d'imposer des écotaxes supplémentaires
est mécaniquement un facteur de croissance du PIB !
Pour : Le meilleur argument ici, c'est la faisabilité immédiate
puisqu'il n'y a rien à changer, ou presque, en dehors de la fiscalité
et de normes, avec des effets à court terme qu'on ne saurait négliger.
Il y a même un certain nombre de cas où ces mesures peuvent
régler de véritables déséquilibres ou amorcer
des processus à très long terme. C'est la logique de Kyoto.
On peut dire que ce capitalisme régulé est un minimum. Il n'y
a pas de raisons de s'y opposer, il faut pousser tout ce qui va dans le bon sens.
Un argument à prendre en compte, c'est la maîtrise démographique
qui est l'un des premiers effets du décollage des économies et
de l'accès des femmes au travail salarié ; la croissance économique
aurait donc dans ce cas des effets écologiques positifs.
Contre : Ce n'est pas une solution à long terme à la hauteur
des menaces écologiques, c'est bien le mode de développement
qu'il faut changer. Ce qu'on économise d'un côté, on
le perd de l'autre. Il y a presque toujours un effet rebond : "à chaque fois qu’on a réussi à économiser telle ou telle matière
première pour produire un bien ou un service, l’effet de ce gain
d’éco-efficience a
été plus que compensé par un accroissement encore plus important des quantités
produites"
(Alternatives économiques). L'inconvénient c'est
donc surtout d'entretenir l'illusion que cela pourrait être
suffisant, justifiant de continuer les destructions industrielles. La
promotion du développement durable sert surtout à ne rien
faire ou presque. Il n'y a pas de valeur
objective et l'énergie n'est pas l'unique valeur (on n'est pas
un
système dynamique fermé mais ouvert). On ne peut
internaliser
les externalités car tout n'est pas mesurable et quantifiable.
Les
valeurs vitales n'ont pas de prix. En général, ces
théories
restent prisonnières de l'ancien schéma industriel
fordiste,
incapables de prendre en compte les transformations
considérables
que nous vivons dans la production comme dans la consommation, le
passage
de la société énergétique à la
société
de l'information. Enfin le moins qu'on puisse dire c'est qu'il n'y a
aucun
souci d'écologie sociale dans les écotaxes qui sont
supportées
par les plus pauvres sans gêner les plus riches. Comme tous les
mécanismes
de marché, les écotaxes aggravent les
inégalités
en donnant l'exclusivité du droit de polluer aux riches. On doit
préférer des systèmes de quotas, quand c'est
possible.
2) Ralentissement de la croissance (RTT et frugalité, JM Harribey)
Une tendance plus ambitieuse, face à l'impasse
de la croissance propose des mécanismes sensés réduire
production et consommation par la réduction du temps de travail et
une frugalité volontaire (ou simplicité volontaire, ou sobriété)
qui devraient transformer le productivisme en économie économe
sans changer la logique du système mais en luttant simplement contre
ses excès tout en essayant de sauvegarder les protections salariales.
On peut y rattacher les écologistes influencés par les syndicats
gauchisants et dont l'idéologie salariale prétend équilibrer
le pouvoir du capital par les syndicats de salariés jusqu'à
contrôler les entreprises pour en changer la logique en imposant des
productions écologiques et socialement responsables ! Comment arriver
à brider le productivisme du système capitaliste sans en changer
le fonctionnement ? Essentiellement par des normes, des taxes mais surtout
cette réduction du temps de travail qui voudrait nous condamner finalement
à ne travailler que 2 heures par jour !
C'est une vision assez uniformisante et étatique du contrôle
de l'économie (un Etat fort contre l'argent fort).
Pour : La réduction du temps de travail a plusieurs avantages.
Sur le court terme elle peut aider à diminuer le chômage, elle
favorise la vie de famille, améliore la vie des femmes surtout, laisse
plus de temps à la production de soi (formation, information) et
à toutes les activités non marchandes indispensables à
la production, bien que non rémunérées. On peut penser
aussi que la frugalité volontaire a valeur d'exemple, témoignant
du sérieux des menaces écologiques.
Contre : La RTT est une mesure adaptée à une
production de
masse et des emplois standardisés mais qui se trouve
décalée par rapport à une production flexible et
l'individualisation des
parcours. Surtout, le temps de travail est de moins en moins
significatif
n'ayant plus de sens dans les travaux créatifs et la
résolution
de problèmes. Il faudrait préférer le "temps
choisi"
et la modulation du temps travaillé selon les âges de la
vie
plutôt qu'une réduction uniforme des heures
travaillées.
Contrairement aux attentes, les 35h ont favorisé la
flexibilité
et la désorganisation des temps sociaux. Enfin cela ne
réduit
en rien le productivisme et si le temps hors travail peut en être
amélioré,
le stress au travail a lui plutôt augmenté. Ni la
réduction du temps de travail ni la frugalité volontaire
n'affectent significativement un productivisme qui s'accommode d'un
chômage de masse et d'une misère immense, frugalité
non volontaire de milliards d'humains qui ne freinent en rien les
destructions écologiques d'un système industriel qu'il
faut réorienter vers l'immatériel et les services. Le
gaspillage
ne résulte pas de nos faiblesses individuelles mais du
système
de production lui-même, il est complètement structurel
dans notre société
de consommation. On peut dire comme Hannah Arendt que "rien de pire qu'une société de
travailleurs sans travail", et, comme le reprend Serge Latouche, "rien de
pire qu'une société de croissance sans croissance".
3) Décroissance conviviale (régulation politique, Serge Latouche)
Pour les partisans de la décroissance conviviale,
non seulement la croissance n'est pas soutenable, ni notre mode de développement,
mais c'est l'économie elle-même qu'il faut dépasser
en repolitisant et relocalisant l'économie. On remplace donc le marché
par une autogestion par les communautés locales de leurs ressources
et de leurs échanges, redéfinissant leurs besoins et supprimant
le gaspillage. Passage au politique, à une gestion
collective mais contrairement aux économies planifiées centralisées
c'est un processus démocratique décentralisé. Il faut
bien dire pourtant que les modalités et leur efficacité restent
problématiques au-delà des mesures préconisées
par les précédents (sobriété, écotaxes,
RTT). Il faudrait se débrouiller avec les 6 "R" : réévaluer,
restructurer, redistribuer, réduire, réutiliser,
recycler.
Pour : La dimension politique est effectivement essentielle, d'un
projet collectif débattu démocratiquement, ainsi que la construction
d'une production alternative relocalisée. Les critiques adressées
au développement prétendu durable sont très justes.
Mettre en avant le terme de décroissance a un effet pédagogique
certain. Il y a beaucoup d'expériences et de propositions à
prendre en compte.
Contre : On peut y voir un certain volontarisme irréaliste,
une surévaluation du politique alors que les forces sociales qui seraient
nécessaires manquent absolument. On ne peut supprimer complètement
la spécificité économique. La décroissance est
nécessaire mais cela reste un objectif quantitatif alors qu'il faudrait
passer au qualitatif; à ce qui devrait constituer notre projet collectif. Il ne faut pas assimiler croissance
et développement, même si on utilise habituellement un mot pour
l'autre : pour les écosystèmes la croissance est quantitative,
exigeant de l'énergie supplémentaire, alors que le développement
est qualitatif, c'est une complexification et une optimisation de l'utilisation
énergétique (bottom-up). Enfin la révolution
informationnelle est la plupart du temps complètement ignorée ou même rejetée
violemment. On reste dans l'économie énergétique, voire
pré-industrielle au lieu de s'affronter aux défis de l'économie
immatérielle post-industrielle.
4) Libération des nouvelles forces productives immatérielles (revenu garanti)
Nous sommes rentrés avec la révolution
informationnelle et ses réseaux de communication dans une nouvelle
économie bien différente de l'économie fordiste des
30 glorieuses. On désigne habituellement notre économie globalisée
comme capitalisme financier (patrimonial), après le capitalisme
managerial et le capitalisme entrepreneurial (l'actionnaire après
le dirigeant et le propriétaire). On peut cependant la caractériser
bien mieux par son contenu, de plus en plus immatériel, par son organisation
en réseau ou par son pilotage par objectif (après la planification autoritaire).
Ce n'est pas tout. A l'opposée de l'économie de l'offre industrielle,
nous sommes désormais dans une économie de la demande et
des services, d'une production flexible, en flux tendu, épousant
la demande "en temps réel", dictature du court terme et du temporaire. Le travail
aussi a été complètement transformé par l'arrivée
des ordinateurs personnels et de l'automation. Plutôt que subordination
ou force de travail, on demande désormais au travailleur un haut
degré d'autonomie et la capacité de résolution de problèmes.
Cette évolution positive a pour contrepartie une extension de la précarité
et des exclus, ainsi que l'apparition d'une "fracture numérique",
pour lesquels les protections sociales actuelles sont scandaleusement inadaptées,
développant la misère au sein même des pays riches. La
question de la garantie du revenu insiste des retraites aux chômeurs,
aux intermittents du spectacle, aux travailleurs pauvres, aux minima sociaux,
base d'une nouvelle sécurité sociale et premier pas dans la
démocratisation de l'accès à un emploi valorisant. En
effet, le monde qui s'ouvre avec la mutation informationnelle (Internet,
logiciels libres) est celui de l'accès, du développement humain,
de la coopération et de la gratuité (car la reproduction de
l'information a un coût marginal presque nul).
A partir de cette situation historique c'est donc une
libération des nouvelles forces productives immatérielles, par
la construction de nouveaux rapports de production coopératifs et
d'une production relocalisée alternative au capitalisme marchand, qui nous permettra
de sortir du productivisme et de réorienter les consommations vers
l'immatériel et les services. Il n'est pas question de se fier à
une évolution technique qui se fait sans nous et nous dépasse
mais ne nous sera pas favorable si nous ne faisons rien, si nous ne tirons
pas parti des nouvelles possibilités qui s'offrent et ne luttons pas
contre leurs conséquences néfastes. Rien ne se fera sans un
projet collectif, une vision de notre avenir commun qui oriente nos politiques
et structure notre économie.
Les alternatives qui prennent en compte l'ère
de l'information dans toutes ses conséquences sont assez nombreuses,
bien qu'elles manquent singulièrement de visibilité dans le
conformisme ambiant. Il y a à la fois de très nombreux points
communs entre différents auteurs et des points de vues très
divers, plus ou moins radicaux.
Amartya Sen (prix
Nobel 1998) n'est pas classé ordinairement comme écologiste
mais son développement humain comme développement des libertés
et des capacités de l'individu me semble aussi incontournable que
sa critique du PIB au profit d'indicateurs humains. On peut ajouter que la
première condition de l'autonomie (pour les femmes notamment), c'est
l'autonomie financière et donc la garantie d'un revenu. Pour des auteurs de plus
en plus nombreux, l'alternative se construit donc autour du revenu garanti, à
distinguer du revenu d'existence de Yoland Bresson (universel mais trop faible).
En effet, André Gorz a montré la nécessité d'un
revenu "suffisant" garanti, revenu de résistance ou d'autonomie permettant
de ne pas être condamné aux petits boulots sous-payés.
Un revenu garanti suffisant pousse les salaires et conditions de travail
à la hausse, alors qu'un revenu insuffisant les pousse à la
baisse. Il est a noter qu'André Gorz était opposé au
revenu garanti il y a quelques années.
Pour certains le revenu garanti ne serait qu'une adaptation au capitalisme
cognitif alors que c'est la base d'une production alternative
et de nouveaux rapports de production, la transition exigeant une économie
plurielle, avec pluralité des moyens d'échange (monnaies locales).
Les Systèmes d'Echanges Locaux (SEL) en sont les précurseurs.
Economie "avec marché" et non pas économie "de marché"
comme le souligne Jacques Robin depuis longtemps. Bookchin a montré
la nécessité de
coopératives
municipales dans une indispensable relocalisation de l'économie
et valorisation des compétences disponibles par les échanges
locaux. Le distributisme réclamait depuis les années 1930
un revenu distribué à tous (sous forme d'une monnaie de consommation,
non thésaurisable), afin surtout d'éviter les surproductions,
et rejoint chez quelques uns ces nouvelles versions du revenu garanti en abandonnant
plan, service social et contrat civique sensés définir rigidement
nos besoins. Certains vont jusqu'à prôner la suppression de
la monnaie (
démonnaie),
rejoignant l'économie de la gratuité de Bertrand de
Jouvenel.
Cependant, s'il faut étendre le champ de la gratuité
supprimant
les coûts de transaction et remplaçant les fluctuations du
marché
par une gestion politique du commun, ce n'est sûrement pas
généralisable
à tout et plutôt que de supprimer toute monnaie de la
surface
de la Terre (ce qui n'est pas possible car tout peut servir de monnaie
comme
autrefois le sel ou le chocolat), il faudrait plutôt des monnaies
plurielles car la monnaie constitue une information précieuse
et qui peut être indispensable pour valoriser un service ou pour
adapter l'offre à la demande. Ce sont les consommations
immatérielles et les transports en commun qui devraient
être
gratuits (ou payés avec une monnaie spécifique
distribuée
sous forme de bons par exemple) mais les marchandises et
l'énergie
ne peuvent pas être gratuites. Les luttes contre la
brevetabilité
du savoir et du vivant sont ici un enjeu clé, admettre que la
logique
de la concurrence et du profit n'est pas adaptée à la
création collective, ni à la recherche
coopérative (culture, sciences, logiciels libres). Le
capitalisme n'appartient pas à l'avenir qui s'ouvre devant nous,
celui de la production immatérielle
même s'il gardera toujours une place importante dans cette
économie de service, à côté de l'agriculture!
Pour : Indispensable alternative à
la hauteur des enjeux écologiques et de l'économie de
l'avenir. Sa construction peut commencer localement sans attendre
l'inutile grand
soir car un nouveau système économique ne se bâtit
pas en
un jour. Son projet est mondial car ces idées insistent et se
rejoignent
de partout dans le monde (en Amérique du Sud notamment)
malgré leur
apparence marginale, en plus ou moins complète contradiction
avec
la logique économique que nous subissons encore, idées
qui
s'affermissent au fil des ans, au lieu de s'affaiblir, et gagnent les
opposants
d'hier. Le revenu garanti est une déclaration de paix sociale,
base
d'une complète réadaptation de nos protections sociales
aux
nouvelles forces productives et fin d'une pression économique
productiviste
(par la dépendance de prolétaires, dépourvus de
tout, à la merci du capitalisme salarial). C'est une mesure qui
s'impose comme seule solution
réaliste à la précarité et l'intermittence
qui
se répandent. C'est en même temps la base d'une
réorientation
de l'économie vers le développement humain (la production
de
l'homme par l'homme) et donc vers les services. C'est, enfin, une
conception non étatiste
de l'économie, qui table sur le développement de
l'autonomie
des individus pour valoriser leurs compétences grâce
à
des structures collectives et construire une société plus
écologique
en passant d'une logique concurrentielle à une logique
coopérative
et d'une productivité à court terme à
l'investissement
dans l'avenir.
Contre : Les forces sociales sont très conservatrices
(surtout les syndicats) et ces propositions ne sont soutenues pour
l'instant par
aucune structure politique française (sauf AC!). Il semble
difficile
d'avoir des débouchés à court terme, bien moins
que sur le terrain de la réglementation du marché. Non
seulement la base sociale
est faible, dispersée, inconsistante mais il y a de fortes
oppositions
idéologiques à ce qui est qualifié d'assistanat
(par
les riches bénéficiant de l'assistance familiale) et
accusé
de tous les maux, de la misère même (on dit que c'est une
"trappe à pauvreté"!). L'idéologie salariale et
l'attachement
quasi religieux à la "valeur-travail" y apportent beaucoup de
confusions
et de blocages avec pour résultat de laisser misère et
précarité
se développer sans protections. On voudrait obliger tout le
monde
à travailler alors même que les emplois manquent tout
autant que l'argent pour les payer, sans savoir quoi faire faire
à qui, comme si tout
le monde était pareil et pouvait prendre n'importe quel
travail... Il
est certain qu'il faudra encore un assez long
débat public
pour faire admettre la légitimité de ces revendications
qui
insistent malgré tout et s'imposent dans les faits. Pour
l'instant
il y a encore trop de contradictions entre positions proches et une
grande imprécision des procédures pratiques. Ce n'est pas
un
projet bouclé mais une réflexion en cours, qui travaille
les
mouvements sociaux. Pour la plupart, au regard de l'ancienne
économie, c'est une pure utopie et on peut craindre de faire
passer
ainsi l'écologie pour une utopie alors que c'est le
système
de production actuel qui est utopique à plus ou moins long
terme. Malgré toutes ces objections, un revenu garanti reste
absolument vital pour un nombre de plus en plus grand de
précaires et cette idéologie du plein emploi coûte
vraiment trop cher aux chômeurs.
[Je n'ai pas pris en compte toutes les tendances écologistes,
celles qui revendiquent un certain archaïsme ou conservatisme, celles
qui veulent un recentrage communautariste ou le retour aux traditions. J'ai
aussi ignoré délibérément les tentations protectionnistes
ou de repli sur soi ainsi que les tendances purement environnementalistes
ou ne se préoccupant que de la qualité de la vie, tout simplement
parce que rien de tout cela ne répond au défi qui nous est
posé au niveau planétaire d'un mode de développement
qui n'est ni durable ni généralisable et auquel il faut trouver
une alternative concrète.]
Jean Zin 07/12/03
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