Le productivisme durable

Eco-Economie, Lester R. Brown, Seuil, 09/2003
Une autre croissance est possible écologique et durable
Lester R. Brown a été fondateur et président du World Watch Institute qui publie chaque année "L'état de la planète". Son livre Eco-Economie qui vient d'être traduit au seuil dans la collection de Jacques Généreux avait été publié en 2001 aux Etats-Unis. On peut dire que c'est le catalogue de tout ce que le système industriel doit faire pour être un peu plus soutenable... sans rien changer à sa logique productiviste et marchande. Non seulement la croissance n'est pas remise en cause, baptisée "écologique et durable", mais il n'est pas vraiment tenu compte des transformations de la production à l'ère informationnelle. C'est la même chose que maintenant avec des produits plus écologiques, plus de vélo, des énergies renouvelables et propres, des écotaxes à la place de l'impôt sur le revenu et une plus grande productivité des ressources naturelles. On est bien dans le libéralisme pur et dur. Il ne semble pas que ce soit à la mesure d'une nécessaire relocalisation de l'économie et de sa réorientation sur le développement humain et la coopération. Cela ne veut pas dire qu'il faudrait négliger ces propositions qui sont bien le moins qu'on puisse faire mais tout progrès compte sur le front écologique.

La conversion de notre économie en éco-économie est une entreprise monumentale. Il n'existe aucun précédent de transformation d'une économie formée en grande partie par les lois du marché en une économie obéissant aux principes de l'écologie [...] La construction d'une éco-économie durant le temps qui nous reste exige un changement systémique rapide. Nous ne réussirons pas avec un projet par-ci et un autre par-là. 128

Les gens ont conscience de la nécessité de l'action, et ils veulent faire quelque chose. Je réponds invariablement qu'il nous faut procéder à des changements personnels et qui nous impliquent : utiliser davantage nos bicyclettes, moins nos voitures, et même recycler nos journaux quotidiens. Mais cela, en soi ne sera pas suffisant. Nous devons changer le système. Et pour ce faire, il nous faut restructurer la fiscalité en réduisant l'impôt sur le revenu et en augmentant les prélèvements sur les activités qui détériorent l'environnement, de sorte que les prix reflètent la vérité écologique. 11-12

Si les prix ne parvenaient pas à dire la vérité économique, cela pourrait saper le capitalisme, exactement comme l'échec des prix à dire la vérité économique avait sapé le socialisme. 347

On ne peut qu'approuver l'affirmation qu'il faut changer le système, nos efforts personnels ne pesant rien dans l'affaire, mais on tombe vraiment de haut en constatant que la révolution est uniquement fiscale, abandonnant de plus toute idée de redistribution pour une mythique vérité des prix qui témoigne surtout d'une solide foi dans le marché et dans nos capacités d'atteindre la vérité ! Le néo-libéralisme de Hayek ne tomberait pas dans ces naïvetés car il admet l'imperfection de l'information. Mais on a vu qu'on n'est pas ici dans le monde de l'information, on reste entièrement à l'ère énergétique (tout comme la décroissance de Georgescu-Roegen) et l'illusion de la mesure. Il faudrait seulement changer de base... de mesure pour prendre une mesure objective, énergétique, alors que la mesure d'une information est problématique et que le vivant se quantifie si mal. Cette conception qui prétend "tourner à notre avantage les forces du marché" 349 est donc à la fois libérale et scientiste. Si le paradigme écologiste et cognitiviste doit remplacer le paradigme libéral et relativiste, c'est en passant de la fausse rigueur économique à la délibération politique (Latouche).

On a vite fait le tour des propositions sensées rendre notre développement durable.  C'est principalement le basculement de l'économie du pétrole à l'économie de l'hydrogène à base d'électricité solaire et surtout de la multiplication des éoliennes. Il faut souligner qu'il reste pourtant beaucoup d'inconnues. Des scientifiques se sont inquiétés des inévitables fuites d'hydrogène utilisée à très large échelle, ce qui aurait pour effet de produire de la vapeur d'eau supplémentaire, aggravant encore l'effet de serre. Je ne sais si ce risque est vraiment sérieux mais il faut examiner la question de près avant de se lancer dans la généralisation des piles à combustible, sans doute inévitable.

Pour le reste, en dehors des écotaxes et d'une impossible internalisation des coûts, on ne peut qu'approuver la promotion du vélo, du reboisement, du recyclage voire de la pisciculture et des ecolabels mais on ne voit pas bien comment plus de marché encore pourrait corriger les effets pervers du marché en tant que tel. On ne pourrait que se réjouir de voir s'étendre ces pratiques, il est douteux que cela constitue une solution permettant de généraliser notre mode de vie. Le simple fait de raisonner sur le long terme implique de partager une vision commune de l'avenir et de ce qui est souhaitable, d'en débattre au lieu de s'abandonner aux forces du marché. Du coup c'est bien la logique du système qu'il faut changer et pas seulement la fiscalité.

Il est extraordinaire de constater comme l'auteur trouve évident et si populaire l'idée de substituer des taxes à l'impôt sur le revenu, il s'émerveille de ce qu'il considère comme un "free lunch", sans se demander si ce ne sont pas les plus hauts revenus qui y gagnent et les pauvres qui perdent encore plus. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'il n'est pas question ici d'écologie sociale, ni de réduction des inégalités. La dernière page me semble vraiment consternante, on voit que l'écologie est ici entièrement au service de l'économie :
Dans beaucoup de cas particuliers, la réponse est : oui, il est trop tard. Mais il y a une question plus large, plus fondamentale : est-il trop tard pour inverser les tendances qui mèneront finalement au déclin économique ? Ici, je pense que la réponse est non. Non, si nous allons assez vite. 404


Jean Zin 06/11/03

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