Legalize it

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Il n'y a pas d'exemple plus flagrant de l'échec d'une politique que la prohibition. On le sait au moins depuis que Roosewelt avait décidé, à peine élu, d'arrêter cette guerre insensée contre la population sur laquelle le crime et la corruption prospéraient ainsi que les tendances fascisantes de l'Etat. L'expérience historique n'empêche pas malgré tout une dénégation générale avec une obstination dans l'erreur qui en dit long sur notre rationalité limitée, sur la démagogie régnante et les tentatives folles de former un homme nouveau en dépit d'une anthropologie élémentaire. Le volontarisme est ici tout simplement criminel en plus d'être mensonger à s'acharner vainement contre un réel qui lui résiste.

La Californie va organiser un référendum sur la libéralisation de la Marijuana en novembre, ce qui pourrait entamer le diktat américain sur l'absurde répression des fumeurs de cannabis, mais ce n'est pas gagné et quand on voit l'état de guerre que la prohibition provoque au Mexique, il n'y a pas de quoi pavoiser sur nos capacités cognitives. On a l'esprit vraiment borné, en particulier à cause de nos hautes aspirations morales, aussi étonnant cela puisse paraître. C'est bien là qu'on peut constater à quel point l'enfer est pavé de bons sentiments et qu'on peut se faire avoir, en perdre tout sens critique, y perdre nos libertés enfin, pour la bonne cause évidemment...

Il y a bien sûr quelque chose de grand à combattre la drogue ou Le Mal en général, de quelque nom qu'on le désigne, l'important, c'est de se persuader d'être du bon côté, sans égard pour la réalité. La réalité, pourtant, c'est que le chanvre vaut mieux que l'alcool sur bien des points, beaucoup moins destructeur. On n'a aucun intérêt à favoriser l'alcoolisation de notre jeunesse dans des apéros géants trop arrosés. Il ne s'agit pas de nier que le chanvre soit une drogue en son genre mais d'une part, il reste la moins dangereuse, la plus "douce", et, d'autre part, sa répression n'est pas seulement inefficace mais complétement contre-productive. C'est une étude de l'OMS qui réaffirme la non-pertinence des politiques des drogues ("Les pays dotés d’une législation sévère à l’encontre des consommateurs n’enregistrent pas des taux de consommation inférieures à ceux des pays bénéficiant d’une législation plus libérale"). C'est le cas notamment pour la France qui a le plus grand nombre de consommateurs malgré les lois les plus répressives. On peut dire qu'à vouloir minoriser les adultes, on intoxique la jeunesse !

L'ignorance là aussi fait des ravages. Non seulement la répression la plus dure ne diminue pas la consommation ne faisant que renforcer les mafias, mais elle favorise la création de nouvelles molécules chimiques, non encore répertoriées ni donc interdites. Ainsi, on a signalé à l'UE 24 nouvelles drogues en 2009. Il va sans dire que des plantes utilisées et sélectionnées depuis des millénaires valent mieux que des produits chimiques inconnus. De plus, ce sont souvent des amphétamines dont les dangers sont bien plus importants que ceux du chanvre.

Rien de pire que les anges exterminateurs qui veulent éradiquer le mal de la nature humaine, sûrs de leur bon droit et sans égard aux résultats. On n'est pas encore vraiment sorti du totalitarisme comme on s'en glorifie un peu vite et, ce qui nous menace, ce ne sont pas d'hypothétiques techniques de contrôle plus ou moins exotiques dans un futur de science-fiction mais tous les pouvoirs donnés aujourd'hui à la police pour le contrôle effectif des populations, transformant une part significative de celles-ci simplement en hors-la-loi.

Il n'y a pas pire déni de justice que ces lois inapplicables à des masses trop importantes et qui donnent dès lors des pouvoirs arbitraires très étendus à la police ainsi qu'à une justice à la tête du client, pour faire l'exemple. Nos libertés sont bafouées par des lois iniques qui violent notre espace privé, fascisme rampant qui n'a rien d'imaginaire et gangrène la société par le développement d'une économie souterraine bien plus dangereuse que le chanvre. On ne voit pourtant pas tellement de défenseurs de la liberté sur ce terrain risqué, on préfère faire la belle âme et fumer son joint dans son coin, ou noyer son chagrin dans le vin. C'est pourtant sur ce terrain qu'il faudrait avoir le courage de raison garder, ce qui ne veut pas dire abandonner les politiques de réduction des risques et des consommations, au contraire, mais pas sans admettre le droit d'avoir recours à des modificateurs de l'humeur et le rôle anthropologique des drogues, comme l'alcool ou le chanvre, dans toutes les sociétés humaines, les fêtes, les mariages, etc. On ne pourra pas l'extirper du coeur de l'homme pour des raisons plus profondes que les plates évidences revendiquées par ceux qui croient devoir l'en délivrer. Non seulement il faut renoncer à l'éradication de toutes les drogues mais il faut reconnaître leurs fonctions récréatives ou médicales malgré la difficulté de les maîtriser. C'est d'ailleurs l'une de nos rares différences avec les autres singes, et qui tient sans doute au langage, en tout cas à notre intelligence, on est bien obligé de le reconnaître.

Dire la vérité même quand elle n'est pas ce qu'on pourrait rêver (à tort), n'est pas chose courante. C'est à cause de ces lâchetés quotidiennes qu'on peut grignoter nos libertés un peu plus chaque jour au nom d'un mensonge qu'on n'ose dénoncer. Mais le mensonge ne triomphe pas éternellement, il ne faut pas battre en retraite. On revient toujours au réel à un moment ou un autre, les bulles spéculatives finissent immanquablement par éclater. Il faudra bien arrêter le délire, arrêter la guerre à la population pour retrouver un peu plus de justice, de liberté et de raison dont nous aurons tant besoin pour faire face à la crise économique comme à la crise écologique en tenant compte de la complexité humaine dans sa diversité comme dans toutes ses contradictions.

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