La question de la liberté, et de ses contradictions, reste toujours aussi disputée mais c'est bien notre préoccupation principale tout au long de la vie. C'est un fait constamment vérifié, que ce soit en amour, en famille, en groupe, et, bien sûr, dans la politique entre libéralisme et altermondialisme aujourd'hui où chacun se pose en défenseur de nos libertés ; avec une grande naïveté le plus souvent d'ailleurs, pour ne pas dire un dogmatisme fanatique (dans les deux camps parfois) comme si on ne pouvait qu'être totalement libre ou pas du tout ! Le difficile à admettre, en effet, c'est le caractère contradictoire de la liberté elle-même où se joue notre destin, pas seulement politique, en passant systématiquement d'un excès à l'excès inverse, pris dans une dialectique historique où nous sommes supposés apprendre collectivement de nos erreurs successives ! C'est l'enjeu vital de notre moment historique que de le reconnaître pourtant afin de sortir de l'impasse écologique et sociale du libéralisme sans retomber dans des régimes autoritaires.
Pour cela il faut insister sur le fait que ce n'est pas l'égalité qui s'oppose à la liberté désormais, alors qu'on verra au contraire qu'il n'y a pas d'égalité sans liberté, c'est la liberté qui s'oppose à elle même et détruit ses propres bases ! C'est la liberté des marchandises qui s'oppose à la liberté des populations ou qui met en péril les équilibres écologiques. De son côté, l'égalité c'est d'abord l'égalité de droit, l'égalité de conditions qui doit nous permettre de ne pas perdre notre indépendance, ne pas subir de domination. L'égalité c'est la liberté pour tous, c'est la condition de la liberté, et pas seulement juridiquement car il n'y a pas de véritable autonomie sans autonomie financière par exemple (les femmes qui n'avaient pas de revenu en savaient quelque chose). La liberté n'est pas un état naturel, c'est une construction sociale et historique, le résultat de dispositifs techniques et de l'organisation collective, des "supports sociaux de l'individu" (comme dit Robert Castel). Loin de s'opposer à l'égalité, la liberté de tous en dépend complètement. Encore faudrait-il s'accorder sur ce qu'on entend par ces termes d'égalité et de liberté, voire même de fraternité bien qu'il n'ait plus tellement cours celui-là !
La résistance au libéralisme
On peut dire que l'homme, c'est la liberté, c'est-à-dire l'indécidable. Cet indécidable introduit certes une division dans la société qui se cristallise en idéologies opposant entre autres des classes sociales à propos de la liberté justement et du sens qu'on peut lui donner. C'est ce qui se joue encore dans l'opposition du néolibéralisme et des altermondialistes, ce qu'on appelle les anti-libéraux. Ce serait un comble pourtant, et un terrible contre-sens, de se faire confisquer l'idée de liberté par le libéralisme sous prétexte qu'on résiste à des politiques libérales qui réduisent nos libertés concrètes. Bien sûr être anti-libéral ne veut pas dire être contre la liberté mais contre le dogmatisme borné de l'idéologie libérale et surtout contre ses politiques liberticides. Etre anti-libéral c'est reconnaître le caractère contradictoire de la liberté et prendre en compte ses effets pervers bien réels. C'est en cela que c'est un post-libéralisme, succédant au post-totalitarisme de ces dernières années, mais il faut le proclamer bien fort, rien de plus précieux que la liberté ! Notre attachement viscéral à nos libertés n'est absolument pas ce qui pourrait nous pousser à rejoindre le camp du libéralisme, même avec toutes sortes de réserves, car c'est bien pour défendre nos libertés qu'on doit résister à un libéralisme marchand qui les menace : c'est pour défendre notamment les logiciels libres, la liberté de téléchargement et d'accès au savoir, tout ce que Bill Gates accuse maintenant de "communisme" comme si la liberté avait effectivement changé de camp !
Liberté, liberté chérie, que de bêtises n'a-t-on pas dit en ton nom... Le plus étonnant, sur ce plan, ce sont les discours implacables de chantres du libéralisme qu'on trouve un peu partout, véritables croyants aussi fanatiques et bornés que les staliniens d'autrefois, tout de déductions logiques, comme dans les psychoses, avec une touche de sadisme et de mauvaise jouissance souvent (délice de la transgression morale) ! Ce libéralisme, comme nouvelle forme de sélection biologique, se pose en digne successeur du nazisme et conserve malgré tout nombre de partisans mais qui sont très éloignés de la modération d'un John Stuart-Mill, par exemple, beaucoup plus recommandable. Ils voudraient tout au contraire "prouver une idéologie" en la réalisant complètement, prendre le modèle pour la réalité et justifier, sans égard pour les dégâts sociaux, les déréglementations les plus folles négligeant les inégalités réelles, au nom des libertés politiques conquises de haute lutte au XIXè siècle ! C'est une arnaque d'autant plus insupportable que les libéraux d'aujourd'hui ne répugnent pas à restreindre paradoxalement nos libertés individuelles dans une société de surveillance totalitaire. En effet, s'ils sont bien pour la liberté de l'économie la plus extrême, cela veut dire très précisément pour l'autonomie de l'économie par rapport au politique, pour l'autonomie des marchandises par rapport aux populations, pour que la machine tourne toute seule et sans nous ! Au nom de ce principe souverain, on voudrait ainsi nous faire avaler (avaliser) la fiction d'une "concurrence libre et non faussée" que tous les économistes un peu sérieux ont réfutée en long et en large mais qui condamne toute politique économique, en particulier la nécessaire relocalisation de la production, et qui n'est, en fin de compte, que la porte ouverte aux productions de masse ainsi qu'à la destruction du tissu local...
Il faudrait un peu plus de modération et de prudence au moins, ralentir cette course effrénée qui s'emballe dangereusement, prendre en compte la dimension humaine, écologique et sociale. Il ne s'agit pas pour autant de remettre en cause le marché et restreindre les libertés mais de défendre une économie mixte, ou plutôt une économie plurielle, une pluralité de systèmes qui se limitent mutuellement. Il s'agit de reconnaître la diversité des situations et la pluralité des mondes mais aussi cette "difficile liberté" qui semble multiplier les problèmes, les blocages, les obstacles et qu'il faut traiter avec courage et clairvoyance à chaque fois, en corrigeant ses erreurs (ce qui n'est jamais facile), aussi bien dans les sciences, la démocratie ou les marchés qui sont les institutions de la liberté, institutions à l'histoire tourmentée et qui n'est pas finie... Cette histoire nous a appris, en le faisant payer chèrement, que la liberté absolue dégénère en Terreur d'un côté, celui du pouvoir révolutionnaire, et, de l'autre, à la loi du plus fort, au renard libre dans le poulallier libre, avec la loi des marchés. "Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit" (Lacordaire). Il faut faire avec cette contradiction, tenir les deux bouts, piloter à vue et ne pas se laisser faire, sans jamais renoncer à notre liberté, car il doit être bien clair que la liberté reste notre bien le plus précieux et que notre lutte contre le libéralisme ne vise qu'à préserver nos libertés. Pas question de tomber dans l'étatisme pour autant, c'est juste l'Etat qu'il faut jouer contre le marché mais c'est aussi le marché qu'il faut jouer contre l'Etat, entre autres contre-pouvoirs...
L'événement "métaphysique" auquel nous avons à faire face, après la critique du totalitarisme, c'est l'expérience des limites et contradictions de la liberté. Nous avons renouvelé l'expérience du fait que les ravages du laisser-faire mènent à une situation presque aussi totalitaire, un totalitarisme du marché qui nous mène à notre perte et qui justifie amplement le développement des luttes anti-libérales mais c'est une pensée un peu trop complexe qu'une critique du libéralisme au nom des libertés, et c'est une complexité qui n'est pas si facile à faire partager. Il faudrait ajouter dans cette critique post-libérale, l'apport essentiel de Lacan sur les limites de la libération du désir (cf. Télévision). C'est essentiel pour déconstruire le mythe d'une harmonie naturelle et originelle d'une liberté qui nous divise et d'un désir qui reste jaloux ou transgressif. C'est aussi ce qui permet de comprendre que c'est en reconnaissant plutôt les contradictions de la liberté qu'on peut espérer d'accéder à un peu plus d'auto-nomie.
La question de la liberté
Toutes sortes de fantasmes courent encore sur une liberté qu'on voudrait totale, immotivée, pur libre arbitre, ce qui n'a pas de sens pourtant en dehors des religions qui voudraient nous faire croire qu'on pourrait être totalement coupable ou méritant. La réalité est plus terre à terre, c'est tout simplement qu'on est au moins un centre autonome de raisonnement et de décision, témoignant d'une façon ou d'une autre de tout ce qu'on nous a appris et liberté offerte aux pouvoirs (seul un être libre peut devenir esclave). Notre liberté est toujours très limitée, elle n'est pas pour autant absente mais bien réelle malgré tout. Les déterministes et les scientistes ont bien raison de dire que nous sommes théoriquement pris dans une chaîne de causalité implacable mais la liberté commence avec l'ignorance, quand on ne sait pas ce qu'on doit faire. Déterminé ou pas cela ne veut plus rien dire ici. Déterminé plutôt de multiples façons contradictoires qui exigent un examen, de se projeter un peu plus loin, de faire un choix qui nous engage. La liberté comme la conscience commence avec le manque d'information, la réflexion qui se demande quoi faire et ne le sait pas encore, désir égaré qui "perd le fil" soudain, interrompant la causalité externe pour y substituer une causalité interne, orienter l'action, viser un objectif. Les systèmes complexes rendent indispensables différents niveaux d'autonomie pour répondre à une combinaison de critères imprévisibles, on peut dire qu'il font émerger la liberté de leur complexité. Comme Norbert Elias l'a montré, le sentiment de liberté individuelle tient plus à la multiplication des choix à faire et des contraintes subies plus ou moins volontairement plutôt qu'à l'affaiblissement de celles-ci.
La question de la liberté ne saurait être résolue une fois pour toutes alors que la liberté est dans la question elle-même, la prise de recul, cette part d'ignorance qui suspend le jugement à la réflexion ou sa vérification dans l'expérience et le soumet à notre rationalité limitée. Notez qu'un Dieu omniscient ne saurait être libre car il n'aurait pas le choix de décider d'un avenir qu'il connaît déjà !
Il faut rappeler pourtant qu'on doit au nazi Heidegger la révélation, dans "L'essence de la vérité", de ce qui relie la liberté à la vérité en ce qu'elle nous échappe et dévoile l'étendue de ses possibles à une liberté qui l'interroge. L'étonnant est bien que le caractère inséparable de la liberté et de l'ignorance comme ouverture à l'être reste absolument essentiel, même si la conception qu'avait Heidegger de cette liberté n'était pas du tout celle d'une libération, d'une liberté contre toute contrainte, au contraire puisqu'il y opposait une liberté de faire, liberté pour un objectif contraignant, au point de prôner une soumission totale à l'organisation collective ! C'est dans le même esprit que Carl Schmitt appelle "La constitution de la liberté" les lois racistes nazis de 1935 où que la formule "le travail rend libre" ouvrait le camp d'Auschwitz. Drôle de liberté ! mais pas si différente au fond d'un libéralisme qui nous dépouille de toute autre liberté que la soi-disant liberté d'achat. Il ne faut pas se fier aux mots mais, en fait, il nous fallait découvrir encore que c'est la liberté elle-même qui est contradictoire et contient son négatif. C'est cela la nouvelle de notre temps.
La liberté c'est d'abord la liberté de se tromper ou de mentir sans doute mais c'est surtout la capacité de se projeter dans le futur et de changer de stratégie, de s'engager et de remettre en cause ses engagements. Plutôt que de se demander si la liberté existe, j'avais proposé jadis de distinguer 4 libertés bien distinctes : indépendance, efficacité, engagement, projet. L'important, dans ces affaires, c'est de quitter les débats abstraits pour revenir aux libertés concrètes, aux dispositifs de pouvoir, à l'amour libre qu'on voudrait mettre en cage, plutôt que de se complaire dans des représentations illusoires et se saouler de mots. Il ne doit pas y avoir de doutes, en tout cas, sur le fait que nous devons défendre nos libertés, en conquérir de nouvelles. Pas question de laisser la liberté aux libéraux et leurs petits calculs à courte vue. Dénoncer les ravages du libéralisme et vouloir une régulation de l'économie ne signifie en aucun cas s'abandonner à la bureaucratie ni croire que ce serait facile mais l'essentiel, au bout du compte, est de gagner en possibilités, en degrés de liberté, de construire les instruments de notre autonomie, les supports sociaux de l'individu qui en sont la condition matérielle, et juger aux résultats plutôt que de nourrir la nostalgie d'un âge d'or et d'une liberté absolue introuvable, au nom de principes trop rigides.
La dignité de l'homme (et de la femme)
Si l'égalité aussi a pu être le rêve fou et totalement illusoire, d'un monde complètement homogène où tout le monde serait interchangeable, ce n'est certes pas une raison d'abandonner pour autant la revendication fondamentale à l'égalité, portée notamment par les femmes à présent. Leur revendication n'est pas l'égalité entre toutes les femmes pourtant, il faut le souligner, mais entre les femmes et les hommes, droit aussi à l'inégalité, c'est-à-dire aux postes dirigeants ! Quelle est donc cette notion si étrange d'égalité ?
Il faut sans doute revenir aux revendications de la paysannerie qui a fait la Révolution française, car la revendication d'égalité y prend un sens plus concret, où les enjeux sont bien plus clairs. On s'aperçoit, en effet, que l'égalité revendiquée n'est pas autre chose que la liberté puisque c'est d'abord l'égalité de condition : ne pas devoir courber la tête, ne pas être l'esclave de quiconque, ni dominé ni dépendant ni méprisé ni exclu mais paire parmi ses paires (P2P) ; question d'honneur autant que d'autonomie, revendication d'un soi qui se détermine soi-même dans la vie collective et l'action commune, au même titre que les autres. Ce n'était pas tant l'inégalité des richesses qui pouvait choquer à l'époque mais l'inégalité de droits ou lorsque ces richesses étaient devenues illégitimes à se détourner de leur fonction sociale, en prenant des airs supérieurs en plus ! L'égalité est inséparable ici de la liberté tout comme la liberté de l'égalité. Qu'on ne se méprenne pas sur une liberté qui est toujours limitée, ni sur l'égalité qui ne peut être parfaite, ce ne sont pas que des mots mais c'est une question de rapports humains, de reconnaissance, de dignité, de respect. On voit que liberté, égalité et fraternité ne sont finalement que les 3 aspects indissociables d'une société respectueuse de ses citoyens comme individus et comme êtres humains. Encore faut-t-il y mettre les moyens pour développer réellement l'autonomie de chacun (ce qu'on appelle le développement humain) et tenter d'égaliser les conditions sociales. Nous ne sommes pas des animaux, ni de simples producteurs ou consommateurs, et nous revendiquons notre égalité avec tous comme notre liberté dans l'action commune, sans prétendre pour autant être tous semblables mais en exigeant d'être considérés comme des égaux et non pas traités en objets par un pouvoir quelconque. C'est cela l'enjeu des luttes sociales.
On le voit, une certaine égalité est la condition de la liberté et il n'y a pas de liberté réelle sans l'égalité des conditions, une indépendance y compris financière. Pas besoin pour cela d'une stricte égalité de richesse, à condition tout de même que les écarts ne soient pas trop démesurés, qu'on appartienne encore au même monde et qu'on reste fraternels les uns avec les autres. La richesse a toujours été bien public, redistribuée aux nécessiteux ou confisquée dans les temps difficiles, ce n'est pas le problème jusqu'à un certain point et dès lors que personne ne manque de l'essentiel. Ce qui est inadmissible c'est la séparation des mondes, la rupture du pacte social qui nous tient ensemble, et, en l'absence de guerre, l'éclatement de la société, la désolidarisation des possédants qui ne voient plus de raisons d'être solidaires des plus pauvres depuis la fin de la menace communiste. Ce qui est inadmissible, c'est de laisser se développer l'exclusion, la précarité et la misère. En fait, la division de la société, la lutte des classes, la guerre civile vient d'abord d'en haut : les privilégiés qui défendent leurs privilèges avec un peu trop de rage, c'est le poisson qui pourrit par la tête dit-on !
La Révolution, n'a pas eu lieu une fois pour toute décrétant ainsi la fin de l'histoire, elle est toujours à refaire pour défendre nos libertés, rétablir l'égalité républicaine et retrouver la fraternité des coeurs. La liberté ne se prouve qu'en acte. Tout dépend de notre capacité de résistance et de notre capacité à construire, dans l'ère de l'information qui s'ouvre devant nous, une alternative réaliste qui combine une production plus écologique, l'extension de nos libertés et une plus grande égalité, la difficulté étant de combiner à la fois ambition et réalisme dans la mise en place de dispositifs concrets. Je propose pour cela revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales. Ce n'est pas gagné d'avance, c'est le moins qu'on puisse dire, mais il faudra bien finir par tenir compte du caractère contradictoire de la liberté ainsi que des limites d'une égalité qui doit préserver nos diversité et qui est d'abord politique, même si elle exige une base matérielle minimale qu'il faudrait prendre un peu plus au sérieux. Il ne s'agit pas dans cette nécessaire mise au point d'un quelconque raffinement théorique et marginal, c'est un préalable à toute politique future pour éviter le pire. On pourrait dire, d'ailleurs, que c'est déjà une évidence partagée par le sens commun d'une certaine façon, mais ce n'est pas si clair au niveau des discours, des idéologies et des valeurs proclamées. Il est encore bien loin d'être acquis dans toutes les têtes qu'on ne peut avoir l'égalité sans la liberté ni la liberté pour tous sans l'égalité, question de dignité, de coeur et de raison...
". . . une certaine égalité est la condition de la liberté et il n'y a pas de liberté sans l'égalité des conditions, une indépendance y compris financière."
Mille phrases qui tournent en rond. Le problème n'est pas en France mais il est mondial. Qui enfin dira qu'il faut un gouvernement mondial ''impossible mais nécessaire"? Qui dira qu'il faut une éradication des religions? Qui soutiendrait aujourd'hui que Socrate a été condamné justement, condamné parce qu'il ne vcroyait pas aux dieux Grecs? Quand, dans une ou deux décennies tout s'écroulera ''de trop bien vivre ici'' & ''de guerres d'extermination'' des pauvres ailleurs, la civilisation repartira avec ''les peuples premiers'', s'il en reste.
encore un excellent article , tout en nuances . on ne peut qu'y consentir. de quoi alimenter le débat sur la liberté . ces temps présidentielles sont si peu propices à un débat de font , et à voir les sondage on a vraiment l'impression d'être entouré de cons mais c'est effectivement une des questions que la futur gauche si elle arrive à émerger ne pourra occulter , car le desir de refaire l'urss et bien là même s'il ne s'avoue pas forcément .
mais cette époque où rien ne semble arriver est bien peu propice aux commentaires à moins qu'il ne s'agisse de pur délire .
salut à vous
Vous écrivez : « La liberté c'est d'abord la liberté de se tromper ou de mentir sans doute »
En fait, j’irais plus loin encore dans le paradoxe en ajoutant : « oui, mais pourvu qu’on ne se trompe pas ! » On est virtuellement ou potentiellement libre quand on peut se tromper mais on ne l’ai effectivement que quand on ne se trompe pas. Pour donner un peu de sens à cela, je prendrais l’exemple de ce qui se passe quand on joue aux échecs.
Après une partie d’échecs, on analyse le jeu : on rejoue les coups et on réfléchit ensemble à ce qu’il aurait fallu jouer :
- Or, que dit le perdant quand il doit reconnaître qu’il n’a pas su jouer « le bon coup » ?
Il dit, par exemple : que son retard à la pendule ne lui a pas permis de poursuivre la réflexion jusqu’au bout, qu’il a été victime d’une « illusion » c'est-à-dire d’une interprétation fausse d’un fait, il va invoquer la fatigue etc. Bref le perdant ne reconnaît pas pour siens les coups joués, il estime qu’ils ont été déterminés par différentes circonstances. Il ne s’estime pas pleinement libre.
- Mais, le vainqueur lui reconnaît pour siens les coups brillants qui l’ont conduit à la victoire. Il estime avoir triomphé des circonstances et avoir choisi ses coups librement.
Or si l’on confie l’analyse à un ordinateur, il saura trouver les coups du vainqueur mais pas ceux du perdants, car les coups du vainqueur sont le résultat d’un calcul qui obéit un déterminisme tel qu’on peut le programmer.
Alors, comment ces coups pourraient-ils être librement choisis alors qu’ils répondent à des règles strictes ?
Pour répondre à cette question, il faut imaginer s’il est possible de programmer un ordinateur qui serait capable de jouer comme le champion Indien Anan.
Et tout de suite, une évidence s’impose : c’est impossible car si Anan peut jouer très brillamment, il peut aussi perdre comme un enfant !
Je prends cet exemple parce qu’Anan lors d’un tournoi pour le championnat du monde a perdu une partie en moins de vingt coups et a déclaré « j’ai joué comme je jouais à l’âge de six ans ! » (en fait, il jouait déjà très bien à six ans mais pas au niveau du championnat du monde ! )
Aucun ordinateur ne saura jouer au meilleur niveau et perdre une partie en multipliant les fautes (au moins sans un programme ad hoc). Un ordinateur ne peut pas se tromper, il n’est limité que par sa puissance de calcul et la pertinence de son programme.
Le joueur gagnant a donc raison : il est libre quand il gagne….. parce qu’il aurait pu perdre. Il a mille fois eu l’occasion de se tromper et il ne l’a pas fait. Il est donc libre parce qu’il peut se tromper mais aussi parce qu’il ne s’est pas trompé.
Je vous rejoins donc pour dire : Déterminisme et liberté chez l’homme sont non seulement compatibles mais ne peuvent se penser l’un sans l’autre. La transposition de cela au plan politique conduit effectivement, non à une voie moyenne (centriste) mais à la recherche d’un équilibre toujours menacé.
Peut-être faut-il souligner aussi un point : la maîtrise des grands équilibres écologiques, un développement durable, ne peuvent se concevoir sans justice sociale et sans une maîtrise collective des principaux moyens de production et d’échange. Face aux périls écologiques, la liberté et l’égalité sont non seulement souhaitables mais indispensables.
Illustration intéressante mais dont il faut souligner le caractère spécifique et simplificateur par rapport aux problèmes de la vie réelle puisque le jeu d'échec est tout ce qu'il y a de plus programmable, étant constitué d'un ensemble de règles simples (des sortes d'automates cellulaires). Même si une certaine complexité s'en dégage, c'est bien loin de la complexité multidimensionnelle à laquelle nous avons à faire face et qu'un ordinateur ne peut programmer aussi facilement. La complexité exige l'autonomie. Un robot autonome saura réagir à son environnement mais il pourra se tromper tout aussi bien que nous (pas sur les mêmes choses).
"Errare humanum est", ce n'est donc pas tout-à-fait vrai si on veut dire qu'on est les seuls à se tromper, mais cela reste absolument vrai si on en fait le fondement de notre liberté et de notre essence humaine (qui passe par le langage et ce qu'on est pour l'autre, c'est d'abord aux yeux des autres qu'on est libre et responsable). Ce n'est pas tellement se tromper qui est le propre de l'homme que d'en avoir conscience (par le langage), de savoir qu'il se trompe, qu'il peut se tromper, qu'il ne sait pas d'avance et doit se corriger quand il se trompe mais aussi qu'il peut tromper les autres. Ainsi la liberté est essentielle dans l'amour (un amour forcé n'est pas un amour), ce qu'on aime dans l'amour c'est la liberté de l'autre mais c'est aussi ce qui fait qu'on peut être trompé.
Même un ordinateur se trompe souvent, si l'on veut, selon les lois de l'entropie, l'intensité du rayonnement cosmique ou les fluctuations quantiques, mais grâce à la correction d'erreurs il l'élimine presque totalement et ne cherche pas à tromper ! Cela n'empêche pas que l'informatique ce n'est pas autre chose que le traitement de l'erreur, de l'utilisateur comme du programmeur.
Dans notre environnement réel, ce qui veut dire non pas limité à une portion de réalité mais constitué de multiples dispositifs, de relations sociales, de différentes appartenances et du monde de la vie qui s'interpénètrent, l'errance est manifeste bien que gardée dans certaines limites habituellement. Si on ne se trompait pas si souvent, on n'aurait aucun plaisir à avoir raison !
C'est cette marge d'erreur et d'autonomie qui nous donne le sentiment de liberté qui était faible dans les communautés autoritaires et devient prégnant dans les sociétés individualistes multipliant les choix individuels plus ou moins déchirants. Pas de liberté sans pouvoir qui la contraint disait Foucault. De ce point de vue, il ne faudrait pas trop multiplier les libertés et ne garder que les plus essentielles, mais y tenir fermement, et ne pas perdre son temps en débats inutiles où toute liberté réelle se noie, car pour qu'une liberté soit réelle, il faut qu'on puisse la corriger (et la pardonner) lorsqu'elle s'égare.
D'une façon ou d'une autre, on finit toujours par identifier la liberté à la raison intérieure, c'est-à-dire à la décision éclairée, l'intime conviction, la cohérence personnelle, et, par ce biais on peut en faire le plus grand déterminisme, la plus grande discipline, la négation de soi (la liberté est toujours en partie négation de soi et non pas épanouissement d'une plante qui ne se pose pas de questions). La liberté est immédiatement absorbée par l'engagement ou le dogmatisme de la raison ne laissant plus aucune liberté en supposant que tout puisse être joué d'avance et qu'on pourrait le savoir ! Ce qu'il faut préserver c'est donc le doute, l'indécidable, l'espace de discussion et d'incertitude, l'absence de fondement indiscutable, le non-sens originel sur lequel nous devons construire le sens de notre existence, l'inventer ? non plutôt le dé-couvrir ensemble (c'est le courage de dire) bien qu'il ne subsiste pas sans nous et doit tout à nos actes, entre nos désirs et nos doutes qui délimitent notre espace de liberté et la signification de notre humanité, de l'aventure humaine, l'esprit à venir.
Ecologiquement, il faut retenir cette ignorance au coeur du savoir et le risque constant de se tromper pour appliquer le principe de précaution et corriger le tir quand la dérive est trop forte, introduire à tous les niveaux la correction de nos erreurs et la prise en compte du négatif, développer l'autonomie et les libertés mais pas sans mécanismes correctifs après-coup.
Il est certain que l'écologie exige une grande démocratisation (Amartya Sen l'a montré avec les famines) et une très large autonomie (ce que le même Amartya Sen appelle le développement humain). Ce qui relie égalité et liberté, c'est notre ignorance commune et que même si chacun peut en savoir un bout de plus sur tel ou tel sujet, l'expert est presque aussi ignorant que le citoyen qui conteste son expertise et a son mot a dire même s'il ne peut avoir le dernier mot, étant comme nous tous très ignorant. C'est pourquoi l'enjeu, c'est toujours la construction d'une intelligence collective.
cher jean ,
est ce que vous avez un commentaire à faire par rapport aux émeutes de copenhague : ces jeunes qui se batent pour garder leur maison et un certain droit à l'expérimentation sociale . car de façon plus large , c'est l'ensemble de ces chemins qui ne mennent nulle part, qui se voit autoritairement fermé depuis plus de 3 ans . les squatt politiques tombent les uns après les autres et de plus en plus c'est justement le droit à l'erreur ou à l'illusion qui semble de plus en plus menacé alors qu'il est sans doute fondamental dans le difficile apprentissage de la liberté . ...
quelle serait votre réaction ?
On peut effectivement considérer que c'est une bêtise des autorités mais, en même temps, c'est on ne peut plus logique que le pouvoir s'oppose à ceux qui le contestent. Cela me rappelle d'ailleurs des événements des années 1960, dans le sillage des provos, où les situationnistes avaient eu un rôle déterminant. On ne peut contester la propriété et se croire propriétaires des locaux qu'on occupe. Certes, un pouvoir intelligent devrait savoir qu'il est de son intérêt de laisser ses marges se développer mais il n'est pas forcément mauvais pour la subversion d'être un peu secouée de temps en temps et sortie de son petit train-train, de ce qu'on peut considérer comme un repli sur la "vie privée" de ces petits groupes. Le contre-pouvoir ne suffit pas, c'est la société qu'il faut changer, le pouvoir qu'il faut transformer (pas seulement le prendre ou le contester).
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Une vidéo de Deleuze sur la création vs la communication et la société de contrôle : http://www.dailymotion.com/relev...