Par cette affirmation péremptoire : There Is No Alternative, la détestable Margaret Thatcher inaugurait l'ère de la pensée unique, celle des vainqueurs du communisme et du mépris des pauvres. En réaction, une gauche en déroute s'est crue obligée de prétendre qu'il y avait bien sûr des alternatives, dans une sorte de croisade au nom de nos libertés, mais dont on n'a rien vu encore malgré toutes les déclarations enflammées. Il y a d'ailleurs une petite chose qu'on oublie dans l'affaire, c'est que les politiques de Reagan et Thatcher ont eu un effet positif sur des économies malades, ce pourquoi elles ont obtenu le soutien renouvelé des populations sur une assez longue période.
En fait, depuis la crise où ces politiques néolibérales ont fini par nous mener, ce n'est plus la pensée unique mais plutôt la désorientation générale où règne une pluralité des théories dont aucune n'est assez convaincante. Chacun y va de sa petite solution à une situation multidimensionnelle alors qu'on est confronté à notre réelle impuissance et que ce sont les événements qui dictent à nos gouvernements les mesures à prendre - parfois de façon complètement contre-productive comme des mesures de rigueur conduisant à une récession creusant le déficit et exigeant de plus en plus de rigueur ! Il y a à l'évidence besoin d'une alternative mais qui reste introuvable alors même qu'on prétend qu'il y en aurait plusieurs !
Quand ça ne marche pas, il faut trouver incontestablement une alternative mais il n'y a en général qu'une façon de s'en sortir, compte tenu d'un ensemble de contraintes qui peuvent changer au cours du temps (il y a notamment des cycles d'inflation et de désinflation). Le problème, c'est notre difficulté aussi bien à faire le bon diagnostic que de savoir quoi faire dans cette phase de la crise. C'est un problème cognitif, cela n'empêche pas qu'il n'y a sans doute qu'une stratégie qui est la bonne, et qui sera imposée par les faits, même s'il faut éprouver une à une toutes les erreurs possibles avant de les rejeter (ce qu'on appelle procéder par essais-erreurs, un peu à l'aveugle).
Il me semble que, plutôt que de faire preuve de complaisance envers toutes les naïvetés et protestations généreuses sans conséquences, il vaudrait bien mieux faire le tour de toutes les contraintes auxquelles il nous faut faire face, de ce qui est nécessaire et des possibles effectifs qui ne coïncident malheureusement pas. En premier lieu, il y a bien sûr les contraintes écologiques, la nécessité de la reconversion énergétique et de la relocalisation. Il faut s'en persuader, on n'a pas le choix, ce pourquoi j'avais titré un article : "il n'y a pas d'alternative". C'est bien ce mot d'ordre qu'il faut reprendre à notre compte au lieu de glorifier une liberté illusoire. Nous devons absolument changer et cela ne dépend pas de notre bon vouloir, de nos valeurs ou de notre excellence mais de notre simple survie. L'alternative est inévitable et il n'y a pas d'autre alternative, c'est continuer comme avant qui est impossible !
Il est certes quelque peu déprimant de faire le tour de toutes nos contraintes et de notre impuissance à peser sur le cours du monde mais au bout d'un certain temps qu'on n'arrive à rien et que les invocations chamaniques comme l'extrémisme verbal n'empêchent pas la dégradation de nos droits et l'explosion de la précarité, il faut bien songer à changer son fusil d'épaule. Il ne manque pas de proclamations solennelles jurant de défendre nos droits chèrement acquis ou d'empêcher des fermetures d'usines, presque toujours en vain pourtant. Ce n'est pas seulement de la société idéale qu'il faut faire son deuil mais de notre capacité à retourner les tendances actuelles en notre faveur, aussi bien sur le plan social qu'écologique (même avec des socialistes et des écologistes au gouvernement). Il est vital d'en prendre toute la mesure.
Il fut un temps où l'alternative existait de la collectivisation mais, là encore, c'était l'unique alternative et on ne peut dire qu'on choisissait son camp qui dépendait du pays où l'on était né. Après que cette alternative, qui semblait on ne peut plus logique, a démontré tous ses travers et s'est écroulée d'elle-même, c'est le capitalisme financier qui s'écroule sous le poids de ses contradictions et repartirait bien de plus belle si l'urgence écologique et l'économie immatérielle n'exigeaient des réorientations fondamentales. Il faut donc bien trouver une alternative, une sorte de moyen terme, et sortir du dernier totalitarisme, celui du marché, au profit d'une pluralité de systèmes cette fois mais il ne faut pas croire que cela nous donne beaucoup plus le choix car il n'y a sans doute pas beaucoup de systèmes alternatifs pouvant résister face au système marchand. En tout cas, la nécessité de sa viabilité n'en fait pas un produit de l'imagination ni même de l'innovation mais plutôt de l'ordre de la découverte et de l'expérience où la liberté se confronte à ses limites dans ses réalisations effectives, le plus souvent locales.
Notre marge de liberté est loin d'être inexistante mais pas de quoi en faire trop. Il faudrait abandonner au moins les conceptions délirantes de la démocratie comme choix de société, comme si l'organisation sociale était un choix, un contrat social imaginaire, comme si elle était sans raisons matérielles et ne dépendait que d'un vote, grand mensonge de la démocratie qu'on réitère sans vergogne à chaque campagne présidentielle (yes, we can) pour s'excuser ensuite par la dureté du monde des promesses non tenues. Il y a pourtant des mesures à prendre, des urgences, mais dire qu'il y a "des alternatives", c'est dire qu'elles ne s'imposent pas, pur arbitraire, ne dépendant que du subjectif et du même ordre qu'un récit imaginaire. Il y a bien sûr toujours une alternative à une mauvaise politique, une meilleure politique, ce n'est pas vraiment une alternative pourtant, encore moins plusieurs, seulement ce qu'il faut faire. Le problème, c'est plutôt que personne ne s'accorde justement sur ce qu'il faudrait faire, ce qui donne une fausse impression de pluralité des solutions !
La pluralité des politiques dépend en bonne partie d'intérêts divergents mais, au moins au sein de chaque famille politique, la pluralité des opinions manifeste surtout que la vérité n'est pas donnée. Il ne s'agit plus là de mensonge mais simplement d'erreur et les croyances les plus extravagantes s'expriment avec force. Ce n'est pas tant qu'il y aurait les bons d'un côté et les méchants de l'autre mais des idéologies qui s'opposent aussi fausses l'une que l'autre dans leur unilatéralité. On va d'erreurs en erreurs, c'est ce qui fait que nous ne pouvons prétendre détenir une vérité que nous devrions imposer au monde alors que nous sommes plutôt sujets d'une vérité en progrès que nous découvrons ensemble. La dialectique, en tant que processus cognitif et apprentissage historique ruine toute idée d'alternative définitive, ne nous laissant guère le choix à chaque fois, en même temps qu'elle produit nécessairement une alternative à l'état présent.
Ce n'est pas un détail, cet indécidable de la vérité avant l'expérience est au coeur du politique, de la démocratie et de la liberté même. En effet, notre liberté est incontestable dans notre désorientation, notre aveuglement, notre ignorance qui se cogne au réel mais nous fait sujets de l'histoire plus que ses acteurs. Les cycles idéologiques sont à cet égard éclairants de nous faire passer pas à pas d'une mode à l'autre selon une logique implacable dont nous sommes le produit sans le savoir à y participer activement pourtant.
L'évidence de notre rationalité limitée est assez manifeste dans la crise sociale actuelle pour en rabattre sur les grandes idées et se faire plus attentifs au négatif, au concret, au matériel, à la misère qui gagne comme à la destruction de nos conditions de vie. On ne pourra éviter un revenu garanti et la relocalisation, complètement en dehors du débat encore. Faire de l'alternative ce qui s'impose nécessairement, au nom du fait qu'il n'y a pas d'autre alternative, est une façon d'aborder la question par les contraintes matérielles et la faisabilité sociale plus que par le sens commun. Il ne suffit pas de dire ce qu'on aurait pu faire si on était une nation isolée du XIXè siècle, mais d'évaluer ce qui est possible en fonction des évolutions technologiques, économiques, sociales, démographiques, géopolitiques, écologiques.
C'est bien le point où les intellectuels et les experts ont le plus failli. D'une certaine façon, il est rassurant de ne pouvoir confier le pouvoir à des experts capables de se tromper à ce point mais on ne peut se fier non plus à l'imagination populaire qui a perdu toute originalité depuis longtemps. Si les mesures à prendre doivent s'imposer, il faut incontestablement que des experts y travaillent, comme le mouvement social a toujours fait et pas seulement avec les marxistes, même si n'importe qui peut devenir expert en y consacrant le temps qu'il faut. La plupart de ce que proposent les économistes alternatifs ne serait pas faisable dans notre contexte, ne tenant pas compte du numérique ni de la nouvelle donne écologique ou géopolitique, ce qui n'empêche pas que la poursuite de la situation actuelle n'est pas tenable non plus. Il n'y a pas d'alternative : nous devons trouver comment changer notre trajectoire en fonction des nécessités du moment, celles de l'ère de l'information, de l'écologie et du développement humain.
Il faudrait absolument s'essayer à plus de réalisme dans la radicalité. Je le dis sans trop y croire, car ce qui achève de réduire notre clairvoyance, c'est la préférence pour le passé et la difficulté d'intégrer le nouveau, d'autant plus quand tout s'en trouve bouleversé comme avec le numérique, ce pourquoi, pour accepter des concepts trop novateurs, il faut y être forcé, sentir le vent du boulet, frôler la catastrophe pour se décider à ce qui est obligé alors que cela semblait impossible avant au regard de l'ancienne logique. Je m'en suis bien rendu compte pour les alternatives que je défends, car elles me semblent s'imposer (revenu garanti, coopératives municipales, monnaies locales) mais qui ne peuvent trouver d'écho tant que la situation n'est pas désespérée comme elle le devient dans l'Europe du sud. Agir dans l'urgence limite encore notre liberté mais il faudra bien finir par réagir à cette descente aux enfers. Si s'en sortir avant d'en être réduit à ces extrémités serait une nécessité, ce qui manque pour l'instant, j'y insiste, c'est une alternative crédible et c'est ce qui devrait mobiliser les militants sans se satisfaire de slogans simplistes ni d'utopies inutiles. Il ne suffit pas d'imaginer avoir la justice de son côté pour faire reconnaître ses droits, il faut une stratégie résolue et réaliste, on n'a pas le choix.
Préférer la stratégie à l'alternative c'est insidieusement en appeler au guerrier, faudrait-il donc s'armer? 😉
Les rapports de force ont bien un côté guerrier et il ne suffit pas de manifester mais la stratégie est aussi un jeu d'alliances et si on a besoin de militants, les armes n'ont jamais été favorables aux faibles (quand les armes parlent, on n'a plus la parole). Il s'agit de faire ce qu'il faut, de tenir compte du réel, pas d'éliminer des opposants ni de couper des têtes.
Toujours à propos de TINA, Zygmunt Bauman interviewé par Daniel Mermet:
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2662
J'avais entendu. On se retrouve sur pas mal de points sauf que je trouve plus intéressant de parler d'entropie que de modernité liquide (je crois qu'on est quand même dans une post-modernité, post-histoire) et je crois qu'on peut faire des conjectures sur l'avenir même si l'incertitude de l'avenir est notre destin (d'un certain côté, plus il y a d'entropie et plus on est dans le prévisible).
Entre l'Allemagne et la France, c'est blanc bonnet contre bonnet blanc, toujours enlisé, voilà ce que c'est les négociations entre un pays qui met le verbe à la fin et l'autre qui le met au milieu :
alors que la France estime que la solidarité financière entre pays doit précéder – ou au minimum accompagner — l’intégration politique pour la justifier (« intégration solidaire » dans la novlangue hollandaise), l’Allemagne estime au contraire que cette solidarité ne peut que couronner l’union politique afin de garantir un contrôle démocratique des moyens financiers mis en commun (par exemple des eurobonds).
http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2013/01/des-d%C3%A9saccords-franco-allemand-qui-plombent-lunion.html
Une nouvelle monnaie basque :
http://www.bastamag.net/article2914.html