La bêtise et l'aveuglement peuvent nous coûter cher. Le refus d'écouter les scientifiques n'est pas réservé à une catégorie de la population et ne se limite pas aux complotistes mais peut se propager jusqu'en haut de l'Etat, en particulier au sujet des drogues. Ce n'est pas un sujet mineur par rapport aux questions sociales comme la gauche a pu le penser quand elle ne partageait pas elle aussi l'utopie d'un monde sans drogues (accusées de se substituer à la politique et sans lesquelles les jeunes seraient révolutionnaires!). Les récents événements montrent au contraire que leur interdiction favorise les circuits mafieux et peut gangrener toute la société par la violence. Il y a véritablement péril en la demeure. Il faut sonner le tocsin contre les risques d'un durcissement d'une guerre à la drogue perdue d'avance mais qui amène la guerre dans nos cités et militariserait la société.
La légalisation du cannabis au moins devient un enjeu urgent et absolument décisif pour la sauvegarde de nos libertés. S'enferrer dans la prohibition, quand les autres pays y mettent un terme, serait prendre le risque d'une fascisation de la société comme l'illustrent des policiers du RN appelant à imiter "Les présidents Bolsonaro et Duterte qui obtiennent d’excellents résultats en ayant donné carte blanche à la police pour reprendre le contrôle des zones de non droit". On ne rigole plus. Imaginez que Marine Le Pen gagne la prochaine présidentielle, ce qui n'est plus tout-à-fait impossible, et qu'on lègue une telle situation à un gouvernement d'extrême-droite !
On est effaré de voir qu'on puisse préférer nous entraîner dans une guerre aux drogues qui a pourtant, entre autres, dévasté le Mexique au moment même où le Mexique s'engage dans la légalisation de la Marijuana participant à un mouvement général déjà bien engagé aux Amériques, s'appuyant à la fois sur la science et l'entière réussite des récentes dépénalisations. Aucun des pays concernés ne voudrait revenir en arrière. Il est incroyable qu'on ne veuille pas en tenir compte en répétant les vieux discours apocalyptiques démentis par les faits, tout comme il est véritablement comique qu'on prétende "expérimenter" le cannabis médical comme s'il n'était pas déjà utilisé un peu partout depuis des années ! Il y aurait donc une Science Française, ignorante du reste du monde ? C'est ce qu'on croirait à voir le rejet des études scientifiques rétablissant la véritable dangerosité des drogues, en premier lieu l'alcool. Il n'est évidemment pas question, en effet, de prétendre que le chanvre serait sans aucun danger simplement beaucoup moins que l'alcool, et non sans vertus tout autant. L'ONU vient d'ailleurs de mettre un terme à ce déni du réel depuis 50 ans sur ce point, déni qui atteint encore chez nous des niveaux pathologiques au nom d'anciennes fausses croyances (racistes). Qu'on n'aille pas après nous faire la leçon !
Il y aurait bien besoin effectivement d'un débat sur les drogues, sur leurs dangers certes mais aussi leurs avantages - ce qui est interdit par la loi, apologie des drogues pourtant présente dans tant de livres et de chansons. Le préalable et qui change tout, c'est de réintégrer l'alcool dans les drogues, et parmi les plus dangereuses (les témoignages des Alcooliques Anonymes valent bien ceux des pires drogués), ce qui ne signifie pas pour autant qu'il faudrait l'interdire, tout est là, car l'interdiction est pire que le mal. L'expérience malheureuse de la prohibition de l'alcool, déchaînant la violence des gangs, a déjà été faite, défendue à l'époque par les ligues féminines avec la très bonne raison de réduire les violences conjugales. Le réel ne se plie pas toujours à nos bonnes intentions, on le sait bien, et l'effet obtenu peut être à l'opposé de ce qu'on voulait, ce qu'il faut reconnaître.
La volonté de rééduquer les hommes mène à un totalitarisme inhumain. Le problème, c'est d'accepter nos imperfections, le fond de l'affaire étant une idéalisation de la vie, pourtant si dure souvent et sans rapport avec l'image béate qu'on en donne. L'abandon de l'utopie d'un monde sans alcool aurait dû permettre de mieux comprendre qu'on ne puisse socialement s'en passer, en premier lieu pour les fêtes ou les festins (rien de plus triste qu'une fête sans alcool). Il y a certes des exceptions comme Trump ne buvant jamais d'alcool à ce qu'il dit, ce qui, on le voit, n'arrange pas forcément les choses pour les personnalités narcissiques et paranoïaques, accrocs au sexe, au pouvoir et à l'argent... Etre contre toutes les drogues est intenable, réduisant notre champ d'expérience et décollant de la réalité de notre espèce au nom d'une idéalisation normative mortifère. Comme être-parlant, esprit tourmenté par un flot de discours, les drogues font partie intégrante de notre humanité, de nos outils et de nos artifices. Pour le nier, il faut ôter à une drogue comme l'alcool son statut de drogue. On prétend ainsi interdire des drogues étrangères ou nouvelles mais il n'est question nulle part dans les pays non-musulmans de revenir à la prohibition de l'alcool. Dès lors, s'en prendre au chanvre, qui est bien moins délétère, apparaît à la fois absurde, inefficace, arbitraire, liberticide et raciste.
Les drogues sont le remède indispensable à nos malheurs ou notre ennui. Elles ont une fonction sociale et artistique mais leur dimension médicale ne doit pas être sous-estimée non plus, permettant de soulager de nombreux malaises, notamment ceux de l'âge. L'alcool et le cannabis servent ainsi de panacées pour toutes sortes de maux, certes ne les guérissant pas, et pouvant même les aggraver s'ils ne sont pas soignés, mais qui restent indispensables pour tenir le coup. Leur importance dans le travail est aussi sous-estimée. Les drogues servent plus souvent qu'on ne croit à travailler que ce soient l'alcool, le tabac, le cannabis, la cocaïne ou les amphétamines (pour les militaires). Bien sûr ce n'est pas sans problèmes, on ne peut faire n'importe quoi.
De plus, les drogues ont une fonction particulière pour l'adolescence qui se découvre et cherche à séduire comme à s'inclure dans un groupe, l'alcool là encore constitue la drogue principale. On ne pourra éviter tout recours aux drogues dans cette classe d'âge même s'il est devenu clair qu'il y a plus de risques à leur utilisation en plein développement du cerveau (le cannabis peut perturber le développement neuronal à l'adolescence mais l'alcool tout autant et même pire). Il est légitime de s'en préoccuper, la leçon de l'expérience étant cependant que la seule façon de protéger les jeunes, c'est la légalisation, sinon, paradoxalement, il est bien plus facile de s'en procurer quand on est mineur. Là encore, on ne fait pas ce qu'on veut, on ne peut éviter tout danger, il vaut mieux apprendre à les affronter.
Répétons-le, il n'est pas question d'une impossible éradication des pratiques nocives mais d'une plus modeste réduction des risques effective. Il faut apprendre à contrôler les drogues (comme tout le reste), éviter trop d'excès, ce pourquoi il serait souhaitable plutôt d'avoir une formation aux drogues et à la réduction des risques au lieu d'une prétentieuse condamnation morale qui empêche même d'en parler. A la place de la diabolisation et de l'ignorance, on a besoin au contraire d'une culture de la drogue (dont Bob Marley, mort il y a tout juste 40 ans, est un représentant éminent). Enfin, le retour du psychédélisme serait d'autant plus souhaitable que les dernières études scientifiques réévaluent l'intérêt des drogues psychédéliques pour la connaissance de soi et la santé mentale (dépression, traumatismes, soins palliatifs). Il faudrait ajouter "le dérèglement de tous les sens" pour la créativité car une des choses qu'il faudrait apprendre sur les drogues, c'est qu'il faut en faire quelque chose, ne pas seulement être passif et focalisé sur la drogue elle-même. En tout cas les drogues ne sont pas le diable qui prend possession de vous, même si on en devient souvent dépendant comme de tant de choses (ce qui peut être effectivement très destructeur, il est toujours bon de se délivrer de ses dépendances régulièrement, ce qui est relativement plus facile physiquement pour le chanvre que pour l'alcool ou le tabac). Il faut juste en avoir un usage raisonné, non pas sans excès mais pas sans limites non plus (jamais trop de trop).
Au-delà de la rectification du jugement sur les drogues et des opinions qu'on peut avoir sur le sujet, l'essentiel, c'est que les crétins moralistes qui ne connaissent pas la vie et voudraient nous priver des bienfaits des drogues peuvent nous entraîner dans un Etat policier et un chaos social. Il faudrait plus que jamais écouter la science, au moins dans la détermination de l'échelle de dangerosité des drogues, mais cela fait si longtemps qu'on n'arrive pas en France à faire entendre raison là-dessus, par lâcheté souvent, qu'il est à craindre qu'on n'en veuille toujours rien savoir. L'usage des armes par ceux qui vivent du trafic et les tendances militaristes actuelles appelant à un pouvoir autoritaire sont assez graves pourtant, et posent bien l'alternative : Il faut abandonner l'utopie d'un monde sans drogues si on veut garder nos libertés, se convertir là aussi au pragmatisme en corrigeant nos erreurs, au lieu de s'acharner sur un réel qui résiste à nos volontés.
Il y a des analogies avec le droit à l'avortement et la liberté de disposer de son corps (mon corps m'appartient) mais c'est l'actualité qui fait de la question des drogues un enjeu politique pressant. Il n'est plus temps de tergiverser, il faut du courage et réagir fortement comme le font déjà des politiques et spécialistes des drogues (pas sûr du tout qu'on ait l'opinion de notre côté). Le fait que la contestation vienne de son propre parti et d'une consultation officielle laisse quand même un petit espoir, bien faible, d'un revirement possible du pouvoir sur la légalisation du cannabis au moins, ce qui apaiserait la situation. C'est loin d'être gagné pourtant et sans doute difficile à négocier politiquement mais ce serait décisif pour les prochaines années et la prochaine présidentielle (à long terme la légalisation est acquise).
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